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H11.08
Dimanche 20 août
2000, 2 h 46,
ferme en ruine de Lucien Verger, île de Mornesey
L’assassin de ma mère me faisait face.
J’avançai encore, moins d’un mètre. Doucement. Je baissai la tête, l’air résigné. J’évitai de regarder Valerino, mais je le sentais juste devant moi.
Maintenant !
Ma main jaillit de derrière mon dos. De toutes mes forces, de toute ma haine, je lançai mon bras en avant, visant avec ce goulot de verre brisé la gorge du monstre devant moi.
Quelques centimètres.
Valerino avait anticipé mon attaque.
Il bondit sur le côté. Une main de fer saisit mon poignet.
Elle serra, fort.
— Lâche ça, fit la voix grinçante de Valerino.
Je grimaçai. Je résistai.
Il serra plus fort. La douleur était atroce. Je résistai pourtant encore. Finalement, je lâchai le goulot. Valerino me poussa sans ménagement sur la chaise. Il lança un regard sombre, soupçonneux, vers Brigitte. Celle-ci se tenait presque prostrée, muette, dans un coin sombre de la ferme, près de la cheminée. Inutile d’attendre désormais la moindre aide de sa part.
Valerino ricana.
— Je suppose que maintenant, tu sais tout. Tu as voulu jouer les héros. Je peux comprendre ça. Tu as pigé que c’était inutile.
Il donna un coup de pied dans le tesson de bouteille qui roula jusqu’au mur opposé. Je suivis sa course des yeux. Troublé. Valerino regarda sa montre.
— Magne-toi. Le temps passe. Concentre-toi sur ce que l’on cherche. On n’a pas toute la nuit…
Me concentrer ?
Ce n’était plus la peine. D’un coup, tout était devenu net dans mon esprit.
Tous les autres criaient, lors de ce dernier repas. Je revoyais mon père se pencher vers moi. Discrètement. Me parler sous la table. Me glisser à l’oreille : « Regarde, Colin. Regarde. Il est là, le trésor. Elle est là, la Folie Mazarin. »
Sous mes yeux.
Je savais, désormais. Je me souvenais. Mais il me fallait gagner du temps. Trouver une idée, une autre. Une autre arme. La tête toujours baissée, je regardai autour de moi.
Rien.
Rien à part ces vieux râteaux rouillés, ou à la limite cette faux, posée près de la cheminée. Elle avait l’air encore aiguisée, mais comment, au milieu de quatre adultes hostiles, me lever, la saisir, l’abattre sur eux ?
Ridicule. Impossible.
Il me fallait trouver autre chose.
Ruser. Mentir.
La lumière du phare illumina une nouvelle fois la ferme. Les fenêtres étaient trop poussiéreuses. De l’extérieur, on ne pouvait sans doute pas distinguer la faible lueur des lampes torches. Personne ne pouvait soupçonner qu’il y avait du monde ici, et la police avait sûrement dû déjà fouiller la ferme abandonnée les jours précédents.
Les minutes s’égrenèrent, lentes, rythmées par la lumière tournante du phare.
— On perd notre temps ici, lança soudain Valerino. On a tout fouillé. Sondé les murs. Tout retourné. Il n’y a pas de trésor ! On devrait foutre le camp tout de suite pendant qu’il est encore temps. C’est une connerie, cette histoire de Folie Mazarin, un bobard monté par Jean Remy.
— Jean l’avait trouvé, répondit calmement Maxime Prieur. On est simplement trop cons pour comprendre.
Prieur se pencha vers moi et pointa son index sur ma tempe.
— C’est dans ta tête, Colin. Ce qu’on cherche est là, dans ta tête. Ton père a caché son secret dans ta tête. On le sait tous. Alors souviens-toi ! Bon Dieu ! C’est ta seule chance !
Essayer. Tant pis.
Après tout, qu’est-ce que je risquais ?
— Il y a… il y a une image, balbutiai-je.
Valerino et Thierry se retournèrent brusquement.
— Quoi ?
Je continuai.
— Une image me revient. Comme un code. Mais je ne sais pas ce que cela signifie. Ça ne veut rien dire.
— Vas-y toujours, fit Maxime Prieur, excité. Parle. Nous, on comprendra.
— C’est comme un code. Il l’avait tracé dans le sol, avec son doigt, sous la table, lors du dernier repas. Il m’avait dit de regarder puis il l’a effacé.
— Vas-y ! fit Prieur, impatient.
— Il faut que je le trace. C’est un peu comme un dessin.
Sans attendre l’autorisation, je me levai et je me dirigeai vers la fenêtre. Valerino faillit intervenir mais Prieur leva la main.
— Laisse, bordel. Laisse-le faire.
Valerino, méfiant, pointa son arme. Je levai mon doigt, pour leur faire comprendre que je voulais seulement tracer un signe, dans la poussière de la fenêtre.
Maxime Prieur se rapprocha de moi, prêt à intervenir à la moindre tentative d’évasion. Je mouillai légèrement mon doigt et je traçai sur toute la largeur de la fenêtre, en prenant soin d’appuyer le plus possible, dans l’épaisse couche de poussière, une lettre suivie de chiffres.
H11.08
— C’est tout ? demanda Prieur, surpris.
J’acquiesçai et je pris soin tout de suite de m’écarter de la fenêtre.
— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? s’inquiéta Valerino. Il se fout de notre gueule, ce môme !
Thierry intervint pour la première fois.
— C’est pas sûr. Jean était bien capable d’inventer un truc aussi tordu.
Maxime réfléchit à voix haute.
— H11. Cela peut désigner un horaire. 11 heures… Cela peut désigner une position du soleil. En tous les cas, ça indique une direction, à partir d’un point donné. Ici, par exemple. Mais 08 ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Un nombre de pas ? suggéra Thierry. Ou bien une altitude. Il y a peut-être un point sur l’île qui se situe exactement à huit mètres au-dessus de la mer ?
Maxime Prieur déplia une carte et il se pencha pour l’examiner, avec Thierry.
Valerino soupira.
— Vous perdez votre temps. Il vous embrouille, ce môme. Il cherche juste à gagner du temps.
La lumière du phare traversa la poussière de la fenêtre pour éclairer la ferme. La lettre H et les quatre chiffres s’illuminèrent un éphémère instant en d’immenses symboles de feu.
H11.08.
Mon unique espoir.
Si fragile.
Il fallait que quelqu’un repère ce message, le lise de l’extérieur, dans l’autre sens, donc…
Puis le comprenne…
Un seul être sur l’île de Mornesey en était capable.