L'une des cinquante lettres postées par Herbie
Tolliver arriva à la poste centrale de Boston.
Elle fut récupérée par Lee, qui la passa à Sammy à
la faveur d'un attroupement. Sammy la remit à Wes, par le
truchement des toilettes d'une cafétéria. Wes la confia à Liza, qui
la transmit à Hari.
Toutes manœuvres rigoureusement inutiles, mais qui
eurent le mérite de les amuser énormément.
La lettre parvint à Gil.
Dans la nuit du vendredi 20 au samedi 21, à dix
heures cinq, Gil rétablit le contact — par le téléphone à touches
et le télétype — avec l'ordinateur de William Street.
L'opération commença.
Après avoir localisé la mémoire de l'ordinateur,
ils avaient fait en sorte d'en obtenir les codes d'accès.
Ensuite, ils avaient choisi les valeurs qu'ils
allaient voler, parce qu'elles étaient aisément négociables.
Dans la nuit du 20 au 21 octobre, Gil commanda à
l'ordinateur de William Street d'effectuer les transferts sur cent
six des comptes ouverts par Herbie Tolliver chez des agents de
change.
Cette partie de l'opération fut précédée par
l'envoi de cent six lettres, dûment codées, par lesquelles les
agents de change apprirent que leur nouveau client venait de
procéder à sa première transaction.
Bien entendu, les agents de change, par leurs
propres terminaux, interrogèrent l'ordinateur de William Street
pour demander confirmation. Ils l'obtinrent. Dès lors, les
investment-bankers furent en mesure
d'exécuter tous les ordres qu'ils recevaient.
La phase que les Sept avaient baptisée le Premier
Éparpillement commença. A partir de la première plate-forme de cent
six courtiers, ils expédièrent une nouvelle vague d'ordres écrits
et codés, faisant transiter les valeurs volées par
quatre-vingt-dix-sept autres maisons de courtage.
Celles-ci reçurent une troisième vague d'ordres de
deux sortes : soit le client demandait la liquidation de son
portefeuille (c'est-à-dire la vente pure et simple des titres).
soit il sollicitait un prêt sur titres.
La manoeuvre des Sept, étalée sur plusieurs jours,
ne pouvait que passer inaperçue : elle portait sur des titres très
diversifiés et sur de nombreux clients.
Dès la fin du premier transfert, Gil avait fait
effacer à l'ordinateur de William Street toutes traces de
transaction.
Liza, Guthrie et Sammy prirent le relais pour le
Deuxième Éparpillement, plus complexe que le premier.
Là, c'est bel et bien de l'argent qui transiterait
sur cent trente-trois comptes bancaires, un peu partout à travers
les États-Unis. Il fallait fractionner les sommes et les faire
virer sur cent soixante et onze autres comptes, et sous des
identités différentes.
Une dernière fois, l'argent repartit, à
destination de comptes qui n'avaient pas encore été utilisés : il y
en avait dix-sept.
Le résultat apparut dans toute sa splendeur
environ trois semaines plus tard, au terme des deux dernières
phases imaginées par Wes et Hari : utiliser l'argent obtenu pour
racheter des valeurs, puis revendre celles-ci. Enfin faire virer la
totalité des sommes recueillies sur les comptes de Nassau, Bahamas;
soit, toutes commissions déduites et tous frais acquittés, la somme
de 96 millions de dollars.
Pas exactement 96 millions. Le chiffre fut en
réalité de 96 millions, un dollar et soixante-quatre cents.
Ce dollar et ces soixante-quatre cents étant le
résultat d'une erreur de calcul, et la preuve que les Sept
n'étaient pas infaillibles.
Ils auraient préféré tomber juste.