33

Sum émergea du sas de la navette et pénétra à bord de la Cité de Baraboo. Karl Arnheim s’avança pour l’accueillir.

– Alors, monsieur l’Ambassadeur, vous venez inspecter votre nouveau croiseur ?

La réponse du Nuumiien lui fit l’effet d’une douche froide.

– Pas exactement. Si je suis ici, c’est parce que j’ai à vous entretenir de choses trop sérieuses pour être confiées aux ondes radios.

Arnheim le précéda vers le carré des officiers. Sum refusa le rafraîchissement offert, attendit patiemment que son hôte eût rempli sa propre coupe et se fût assis en face de lui. Son buste emmitouflé bascula en avant.

– Ce n’est peut-être qu’une fausse alerte, monsieur Arnheim, comme cela peut avoir des conséquences dramatiques. Votre Goatha a retenu l’attention de la famille impériale.

Arnheim se composa un visage impassible. Il prit le temps d’aspirer une gorgée de liqueur. Son regard scrutateur plongea sous la cagoule du Nuumiien.

– Continuez, monsieur l’Ambassadeur.

– Monsieur Arnheim, en acculant le cirque O’Hara à cette tragique impasse, vous avez poussé l’art de la Goatha à un niveau de raffinement stupéfiant de la part d’un homme, mais des rumeurs commencent à circuler au Palais selon lesquelles vous seriez moins animé par l’esprit de vengeance que par un vulgaire appât du gain.

Arnheim posa délicatement sa coupe et s’adossa.

– Quel bénéfice retirerai-je de cette opération hormis la satisfaction morale d’avoir terrassé John J. O’Hara ? Vous êtes bien placé pour savoir que ce duel m’a déjà coûté une fortune et je ne réclame même pas le vaisseau. Aux termes de notre accord, je fais don de la Cité de Baraboo à l’Empire en remerciement de l’aide que vous m’avez apportée.

– Je sais tout cela. Je m’en suis servi pour clouer le bec aux sceptiques, mais comprenez bien une chose, monsieur Arnheim. La destruction pure et simple de votre ennemi, sans imagination et sans panache, serait perçue comme un abus de confiance intolérable.

– Imagination ? Panache ? Qu’attendez-vous de moi, monsieur l’Ambassadeur ? Cela n’est pas un jeu !

– Vous n’avez fait aucun effort pour pénétrer le sens de la Goatha. Entre nous, monsieur Arnheim, c’est justement votre indifférence qui m’inquiète. Jusqu’à présent, vous vous en êtes sorti avec les honneurs. Charger un public enthousiaste de cueillir toute la troupe, cela mérite un coup de chapeau, mais, au risque de gâcher mon plaisir, je crois que vous devriez me révéler la suite. Ou votre Goatha se résout dans une apothéose sublime, ou nous sommes obligés de restituer tous ses biens à ce M. O’Hara. Nous serons ruinés.

Pour se donner une contenance ou parce qu’il éprouvait le réel besoin d’un petit remontant, Arnheim saisit brusquement la coupe et la vida jusqu’à-la dernière goutte.

– Autrement dit, si l’hallali ne se déroule pas suivant un certain protocole de qualité, O’Hara s’en sortira sans une égratignure et j’y laisserai ma chemise.

– Vous commencez à comprendre.

Arnheim croisa les bras. Son visage prit une expression de résignation polie.

– Allez-y, monsieur l’Ambassadeur. Faites-moi un cours sur la Goatha.

Avec une insistance horripilante, Havu Da Miraac étudiait l’homme dont le séparait toute la longueur de la table. Pour l’instant, Billy Pratt ne cherchait même pas à dissimuler sa nervosité. Pourtant le court trajet par champ ascensionnel lui avait plu et son enthousiasme puéril s’était mué en émerveillement véritable quand il s’était tenu tout habillé dans le purificateur afin de faire disparaître de sa personne jusqu’au dernier grain de poussière. Mais après le médiocre rituel des rations alimentaires, l’homme avait sombré dans de longs silences ponctués de regards furtifs sur le hublot de façade par où l’on voyait la rue du village, presque vide à cette heure car la plupart se trouvaient encore au réfectoire. Havu poussa un soupir. Sa petite expérience se soldait par un demi-échec. Pratt n’avait pratiquement pas ouvert la bouche. Il n’avait cessé de sursauter au moindre bruit et de farfouiller sous sa chemise. Bientôt, Havu le renverrait à sa cellule pour qu’il puisse dormir un peu avant de commencer une nouvelle journée de travail, aussi harassante et dérisoire que toutes les autres. À l’extrême rigueur, on pouvait peut-être trouver un sens à la Goatha qui s’acharnait contre les colons, mais en dépit de ses questions et de sa bonne volonté, Havu ne voyait pas du tout de quelle Goatha le cirque pouvait être l’instrument. Son grand regret était de ne pas avoir assez d’imagination pour concevoir une Goatha à l’échelle de la Chambre impériale, capable d’obliger d’innocentes sentinelles à surveiller les misérables vestiges d’une vengeance absurde.

– Pratt, tu m’avais interrogé au sujet de la Goatha.

L’homme tressaillit et se hâta de sortir la main de sa chemise.

– En effet, bredouilla-t-il. (Il prit une profonde inspiration. Puis, d’une voix plus assurée :) Je ne comprends pas… les Nuumiiens ont le culte de la cruauté, c’est ça ? Vous vénérez la souffrance que vous infligez aux autres ?

Havu secoua la tête avec indulgence.

– Non, pas du tout. La souffrance n’est pas le but de la Goatha. Elle intervient comme un effet secondaire dans le déroulement de ce que vous appelleriez une vengeance bien construite.

– Où est la différence ?

Havu s’attendait à cette réaction. Il en fut presque content. Il avait sa réponse toute prête.

– La vengeance ne représente qu’un des aspects de la Goatha. Nous utilisons le même mot pour désigner la justice. Littéralement, Goatha signifie « rétablissement des valeurs ».

Pratt le regarda avec stupeur.

– Alors là, je suis perdu. Ce qui se passe ici (il montra le village) n’est certes pas un exemple de justice. Pas dans le sens où nous l’entendons, en tout cas. Au point où j’en suis, cette Goatha m’apparaît comme un exutoire à la frustration de votre Empire, et le plus extraordinaire, c’est que les victimes, les habitants de ce village, n’ont rien de commun avec les hommes qui sont responsables de l’arrêt de votre expansion. Je ne vois là qu’une vengeance bâclée où l’on chercherait en vain le moindre « rétablissement des valeurs ».

Havu haussa les épaules.

– Pour certains Nuumiiens, l’humanité est un tout en soi. Corollaire : en soumettant un seul homme à la Goatha, c’est l’humanité tout entière que l’on punit.

– C’est un raisonnement lamentable.

Havu se dressa. Ses doigts se refermèrent autour du fulgurant qu’il gardait sur ses genoux, à tout hasard. Il y avait des limites à la tolérance.

– Peux-tu justifier ces paroles offensantes ?

– Si vous aviez dit vrai, alors votre Empire n’aurait aucune raison de diriger ses foudres contre une colonie entière. Il lui suffirait de choisir une seule victime pour satisfaire sa Goatha.

Le Nuumiien desserra son étreinte sur la crosse. Pratt venait d’exprimer à haute voix ce qu’il avait si souvent pensé ; la Goatha de la Chambre impériale n’était qu’un misérable expédient, un succédané indigne de ses initiateurs.

– Tu as raison. C’était un bien mauvais exemple, je le reconnais.

Pratt soupira imperceptiblement. Une lueur d’intérêt s’alluma dans son regard. Il hasarda un sourire. En l’espace de quelques instants, il avait oublié son angoisse.

– Je ne vous le fais pas dire. À présent, donnez-moi un exemple de Goatha réussie, si une telle chose existe.

– Très bien. (Havu s’accorda quelques secondes de réflexion, pas davantage.) J’ai gardé le souvenir d’une Goatha d’une perfection presque absolue relatée il y a bien longtemps dans les Chroniques nuumiiennes. Deux frères, Hakkir et Joldas, désiraient la même femme, Aiela. Or, Aiela manifestait une préférence marquée pour Hakkir. Voyant cela, Joldas entreprit de discréditer son frère aux yeux de la jeune femme. Il vola plusieurs têtes du troupeau de son père, les vendit et tenta de faire porter le chapeau à Hakkir. Quand le forfait fut découvert, le croyant coupable, le père renia Hakkir et le bannit de son domaine. Aiela réagit de même. Elle chassa Hakkir de ses pensées et se consola avec Joldas. (Il y eut un silence. Comme à la réflexion, Havu ajouta :) C’est ce qu’on appelle le Benth.

– Le Benth ?

– À l’origine de toute Goatha, il y a le Benth, le renversement des valeurs, le prétexte, autrement dit. Mets-toi à la place de Hakkir. Que ressentirais-tu à l’égard de ton frère ?

– De la haine. Je n’irais peut-être pas jusqu’à le tuer, mais j’en aurais envie.

– Ce serait une vengeance bien grossière, dépourvue de toute préoccupation artistique et de toute noblesse. Une simple exécution, et non une Goatha. Mais tu comprends ce qu’est le Benth ?

– C’est facile. Dans le cas de la Goatha dont la Chambre impériale poursuit ces malheureux, le Benth n’est autre que la décision prise par l’Assemblée du Quadrant, où l’humanité est majoritaire, de mettre un terme à la boulimie de planètes, source de la grandeur de l’Empire. Et tout naturellement, comme si la chose allait de soi, vos députés ont jeté leur dévolu sur une colonie isolée, les seuls humains à se trouver dans l’orbe nuumiienne, parfaitement étrangers à toute l’affaire. Un peu comme si Hakkir descendait dans la rue et passait sa fureur sur le premier passant venu, devenu pour l’occasion le substitut bien involontaire de Joldas. Je me trompe ?

Havu lui jeta un regard de travers.

– Laissons là la Chambre impériale et revenons-en aux deux frères.

Là-dessus, il garda le silence. La conversation prenait un tour imprévu et désagréable. S’il n’y prenait garde, Havu allait se retrouver en position d’accusé. Pratt avait raison. La vengeance de la Chambre impériale ne résistait pas à un examen attentif, mais critiquer une Goatha prescrite par le Palais ? Personne n’avait jamais eu cette audace.

– Poursuis, Havu. Je suis impatient de connaître la Goatha de Hakkir.

Le Nuumiien ne réagit ni au tutoiement ni à l’usage de son prénom. Il était beaucoup plus anxieux de faire comprendre à l’homme la grandeur et la subtilité d’une authentique Goatha.

À partir de ce Benth, deux possibilités s’offraient à Hakkir. Le Jah ou le Najah. Par le Jah, on empêche l’ennemi de parvenir à ses fins.

– Tuer Aiela, par exemple. Ainsi, Hakkir privait à jamais son frère de l’objet convoité.

Havu acquiesça. L’homme comprenait vite.

Hakkir lui préféra le Najah. Avec le Najah, le coupable obtient ce qu’il s’était efforcé d’arracher indûment grâce au Benth, mais d’une telle façon que la réalisation de son vœu rétablit les valeurs… et voilà la Goatha consommée.

– La fille tombe dans les bras de Joldas qui cesse de l’aimer, murmura Billy Pratt, les yeux mi-clos.

– Exactement. (Havu prit une gorgée de lait. Pour la première fois depuis des mois, il se sentait le cœur léger.) Ensuite, imaginons dans quel état d’esprit devait se trouver Hakkir vis-à-vis de son père et de sa fiancée, ni l’un ni l’autre n’ayant ajouté foi à ses protestations d’innocence.

– De sorte que le père et la fille avaient aussi commis le Benth.

– Pour son père, dont le souci était de préserver l’honneur familial, et pour Aiela, obsédée par la nécessité d’un mariage avantageux, il choisit le Jah. Ces trois éléments sont partie intégrante de la même Goatha, bien sûr. Et c’est là que se révèle le génie de Hakkir, quand du même coup, par un seul et unique stratagème, il réalise deux Jah et un Najah.

Billy était devenu pensif.

– Douce revanche, fit-il en souriant.

– Comment ?

– Quand la vengeance est à la hauteur de l’affront et qu’elle procure à celui qui l’exerce une agréable jouissance, nous l’appelons « douce revanche ». Au fond, votre Goatha est moins étrangère à nos traditions qu’il n’y paraît. Vite, comment Hakkir a-t-il réussi ce tour de force ?

– Il a disparu de la circulation. Il est parti refaire sa vie ailleurs, sous un faux nom, non sans avoir au préalable rédigé de faux aveux par lesquels il reconnaissait la faute dont on l’accusait tout en impliquant son frère. Ce document fut confié à des amis et selon la volonté de Hakkir rendu public après son départ.

Billy leva vivement la main.

– Attendez, laissez-moi deviner là suite. Joldas fut traduit en justice ?

– Oui, et toute sa fortune y passa.

– Très astucieux. Sa culpabilité est établie par un tribunal qui le condamne à payer une amende exorbitante. Le déshonneur rejaillit sur le père dont le nom est à jamais souillé, voilà pour le Jah paternel, et Joldas se retrouve sans un sou vaillant, voilà pour Aiela. (Billy se renversa contre son dossier et fut secoué d’un petit rire.) Pauvre Aiela ! Mariée à un indigent, elle perd beaucoup de son charme…

– Et son caractère devient irritable.

– Bref, la voilà transformée en mégère et du coup le Najah s’accomplit. La Goatha n’est pas dépourvue d’une certaine grandeur, après tout.

– Je n’ai pas terminé. Pour être tout à fait complète, la Goatha doit culminer avec le Hazb. Hakkir était consciencieux. Il s’est acquitté de sa tâche jusqu’au bout.

– Je sais. Le Hazb, c’est la cruauté suprême. C’est révéler à ses victimes l’identité de l’auteur de la Goatha.

– Bravo. Et cette révélation constitue pour eux une raison de souffrance supplémentaire.

Billy se crispa soudain. Toute animation déserta son visage. Gravement, comme s’il se parlait à lui-même, il déclara :

– Pour en revenir à ces colons dont l’Empire à fait des esclaves, je vois le Benth qui les accable, et le Hazb accroît certainement leur désespoir, mais où est le rapport entre le Benth, le renversement provoqué par l’Assemblée du Quadrant, et la Goatha exercée contre ces pauvres gens ?

Havu croisa les mains..

– Ainsi que je l’ai dit, c’est un piètre exemple.

Et personne n’y pouvait rien.

Billy regarda par le hublot le sinistre alignement des baraques. Là, trois cents colons, auxquels il fallait ajouter trois cents forains, n’attendaient que son signal pour se ruer contre la tour.

– Il faut que je rentre, dit-il. Ne pourrait-on se revoir ?

Pony Red Miira s’affaissa sur une botte de paille à côté des éléphants. On leur avait accordé la permission de continuer à nourrir et à nettoyer les animaux du moment que ce fût en dehors des heures de travail. Pony gardait les yeux baissés, vivante image de l’accablement poussé au suprême degré. Il s’efforçait de faire le vide dans son esprit assailli de pensées plus lugubres les unes que les autres qui tournaient toutes autour d’une seule implacable évidence : le cirque allait mourir. Les éléphants allaient mourir. Pony Red allait mourir. Un murmure de voix le fit sursauter. Billy Pratt et le Pacha venaient de pénétrer sous le chapiteau, suivis d’Archimède et de Warner, le colon. Pony se laissa glisser derrière la botte de paille et ferma les yeux. Quand on a manié le pic pendant des heures d’affilée et donné à bouffer à toute une ménagerie, on ne se sent pas d’humeur à faire la conversation. Pour Pony Red, le rideau était tombé.

– Pony ?

Pony ouvrit un œil, le braqua une seconde sur le Pacha et le referma aussitôt.

Un soulier vint lui fouetter les côtes, gentiment, sans trop insister, mais le rappel à l’ordre n’aurait pu être plus clair. Pony n’aimait pas cela. Il se redressa d’un coup de reins et les poings serrés toisa O’Hara.

– Dites, Pacha, c’est pas une façon de traiter le monde.

– Désolé, vieux. Tu ne voudrais pas que je te paye éternellement à ne rien foutre ? Tu as dix jours pour m’organiser un défilé.

– Un… quoi ?

Le Pacha avait déjà tourné les talons et s’éloignait entre les cages, flanqué du margoulin. Guiboles, le directeur artistique, surgit comme un boulet, s’arrêta pour jeter les yeux alentour, aperçut O’Hara et courut vers lui. Pony prit la main que lui tendait Archimède.

– Je serais heureux que quelqu’un se décide à m’affranchir, grommela-t-il en se hissant sur ses pieds.

Archimède sourit.

– Tout ce que je sais, c’est que dans dix jours, on donne une représentation précédée d’un défilé. Pour les détails, adresse-toi à quelqu’un d’autre.

Pony balaya d’un regard courroucé la rangée de cages. Un défi, voilà ce que c’était. Monter un défilé au pied levé, dans des conditions aussi précaires, c’était se moquer du monde. Un défi ridicule. Du jamais vu. Du jamais fait. Il propulsa sa carcasse fatiguée jusqu’au soigneur le plus proche, occupé à ronfler un peu plus loin. Une ruade carabinée arracha le pauvre Bugs Bunny à un sommeil bien mérité.

– Debout ! Et décrasse-moi ces roulottes. Elles sont dans un état !

Bugs Bunny clignait des yeux en frottant son postérieur meurtri.

– Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi je nettoierais les roulottes ?

– On défile dans dix jours ! Lève-toi. Quand tu auras terminé avec les roulottes, tu astiqueras les cages. Je veux qu’elles scintillent, compris ?

Bugs Bunny ne posa aucune question, sachant qu’il n’obtiendrait aucune réponse. Il se redressa avec une grimace épouvantable.

– Chiffe Molle est là-bas en train de roupiller avec les canassons. Je le réveille ?

– Et comment ! Dis-lui de réparer et de fourbir les harnais. Et les chevaux, par la même occasion.

– On défile, alors ?

– Combien de fois faut-il te le répéter ? En avant, marche !

Bugs Bunny bondit sur ses bottes et se hâta d’aller en coller une des semelles éculées contre l’échine du palefrenier. Pony le suivit des yeux avec satisfaction.

– On sera prêt, assura-t-il, mais pourquoi se donner tout ce mal ?

Archimède lui adressa un redoutable clin d’œil.

– À Goatha, Goatha et demie !

Oz broyait du noir, cela sautait aux yeux. Certes, tout le monde avait son compte, mais rien qu’à le regarder, on devinait que l’illusionniste était le plus atteint.

– Ne reste pas comme ça, murmura Frigoli sur un ton encourageant. Vide ton sac.

Oz leva sur lui les yeux d’un homme écrasé par le poids du destin.

– Frigoli, mon ami, je suis perdu. Je tourne et je retourne le dilemme dans ma pauvre tête sans trouver de solution. Je suis un cancre, un incapable. Bientôt je serai la risée de tous et je n’aurai plus qu’à mourir. Figure-toi que M. John m’a chargé d’une mission, de la plus haute importance et je suis indigne de sa confiance ! Il veut que je fasse le facteur, rien de moins ! Je suis censé faire circuler un tract parmi tous les prisonniers de ce camp et du camp voisin. Impossible ! lui ai-je dit. Je sais, a-t-il répondu. C’est pourquoi je m’adresse à un magicien ! Parfois, je me demande s’il a toute sa raison…

Frigoli se mordit la lèvre avec passion. Il réfléchissait à toute allure. Déjà, ses prunelles scintillaient. Il s’approcha de l’illusionniste et lui tapota l’épaule.

– Allons, ne te laisse pas abattre. N’es-tu pas le plus grand illusionniste de cette partie de l’univers ? Pour ma part, je revendique le titre d’Orfèvre de la Cavale. À nous deux, nous devrions être capables de distribuer le courrier !

L’espoir illumina le visage d’Oz.

– Ne me dis pas que tu as déjà une idée !

Frigoli haussa les épaules.

– Les Nuumiiens sont de vraies cloches quand il s’agit de boucler quelqu’un. Un de ces jours, il faudra que je te raconte mon expérience dans les quartiers de haute sécurité de Kuznetsov. Ça, c’était quelque chose. Le plus dur, évidemment, ça a été d’y entrer. Je me suis donné un mal de chien…

– Alors ? Que proposes-tu ?

L’autre soupira.

– Faire circuler du papier, ce n’est vraiment pas sorcier. Si encore on m’avait demandé… je ne sais pas moi, d’évacuer les éléphants incognito !