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LES VERTIGES DU DÉSERT (DE VEGAS À TEMPE)
La comédie du sexe
Linda est l’une des dizaines de filles officiant au Spermint Rhino qui est, sur Industrial Road, la meilleure boîte de lap dancing de Las Vegas.
Elle est très belle. Très nue. Juste des talons aiguilles qui la font paraître aussi grande que moi et un string de strass qui marque une taille parfaite, galbe de jolies fesses dorées et forme, sur le sexe, une mince armure d’écailles.
« C'est 100 dollars », me dit-elle, en commençant de se déhancher, mains sur les cuisses, seins en avant, ses cheveux mi-longs et blonds, forcément blonds, me caressant le visage, mais le regard dur et froid, aussi parfaitement dénué d’émotion que celui d’un robot.
« C'est 100 dollars, répète-t-elle, plus fort, car la musique est devenue assourdissante. 200 dans le salon privé. Plus le champagne, bien entendu. »
Considérant que j’ai fait le tour de cette salle-ci et de ses buveurs de bière, venus en bandes, affalés devant des danseuses qui ont toutes les mêmes fesses, les mêmes cheveux, les mêmes seins trop ronds que Linda et semblent, en vérité, ses clones, je dis que oui, pourquoi pas, essayons le salon privé. Et la voici qui me prend par la main et, chaloupant du cul, écartant d’un geste vif, parfois d’un mot que je ne comprends pas, les clones que nous croisons et qui tentent de m’aguicher, m’entraîne dans une salle plus petite, moquettée de mauve, tables basses, musique douce, pénombre – le seul hic c’est le côté soi-disant « privé » vu que s’y trouvent déjà, affalés eux aussi, une demi-douzaine d’hommes dont je distingue mal, d’abord, la silhouette mais auprès de qui s’affairent, chaque fois, une ou plusieurs danseuses.
« Viens t’asseoir, dis-je à la mienne dont les trémoussements mécanisés, le sourire figé, les poses stéréotypées, commencent déjà de me lasser. Je préfère, d’abord, parler un peu. »
Une fille normale à sa place, même une pute, s’étonnerait. S'inquiéterait. Ça va pas ? elle me dirait. Je te plais pas ? T’es pédé ? Elle, non. Pas du tout. Mécanique là encore, docile, elle s’assied sans demander son reste sur la banquette face à moi et me tend, l’œil absent, bizarrement embrouillardé, sa coupe de champagne pour que je la serve.
« Tu as quel âge ? dis-je.
— 21 ans. »
Je lui en donne trois de moins, facile. Mais n’ai-je pas lu, dans le magazine de l’hôtel, que le comté, depuis la bataille politique et législative d’août 2002, est devenu vigilant sur les mineures ? Les Ligues de vertu voulaient davantage. Leur idée était, à l’époque, de contenir les danseuses sur les estrades, de proscrire tout contact physique avec le client et de codifier jusqu’au mode de remise des pourboires dont le trajet de la main au slip leur semblait être le comble de l’horreur et du vice. Mais les avocats des clubs, hélas pour elles, ont été les plus forts. Ils ont invoqué le Premier Amendement pour prouver que le lap dancing était une forme, non de conduite, mais d’expression et que sa liberté devait être, à ce titre, protégée par la Constitution. Et elles n’ont obtenu, du coup, que des règles un peu plus strictes quant à la participation des mineures à ces petites bacchanales.
« Et depuis quand fais-tu ça ? Depuis quand le Spermint Rhino ?
— Oh! C'est la première fois, minaude-t-elle, moue de fausse fillette surprise en flagrant délit de jeu défendu. Je suis étudiante. Je vis à Los Angeles. C'est mon premier soir. »
J’en doute, là encore. D’autant que c’est ce que m’ont dit, au mot près, les filles interviewées dans l’autre salle – à commencer par la super-pro, presque l’acrobate, qui, en se frottant contre le mât chromé du podium central, en mimant la masturbation, la fellation ou, avec ses propres doigts, la sodomie, en accueillant entre ses pieds, ses cuisses ou, plus fort encore, ses fesses, les billets de dix dollars qu’on lui distribuait, venait de rendre fous un groupe de Chinois remarqué, quelques heures plus tôt, entre les tables du casino Bellagio.
« D’ailleurs, continue-t-elle, vous voyez Tony et Frank au bar... ? »
Il y a là deux gorilles, en effet, genre men in black, que j’avais repérés dans la grande salle.
« C'est pour nous. Les nouvelles. Pour être certains qu’on respecte les règles.
— Qui sont ?
— Pas de relations personnelles... Cent pour cent de professionnalisme... »
Elle a dit ça très vite, d’une voix stridente, sur-jouée, comme si on la pinçait. Puis, mécanique à nouveau, petit robot bavard me débitant son programme, elle développe les grandes lignes de ce « professionnalisme » que la Maison attend d’elle : ne pas embrasser ; ne pas débraguetter ; ne pas laisser le consommateur lui tripoter non plus les seins ; et puis le pied, n’est-ce pas; très important, le pied; contact permis avec sa jambe, mais interdit avec son pied... Le fait est que, m’habituant à l’obscurité, je finis par distinguer, jambes écartées, bouche ouverte, long visage ingrat de tuberculeux à l’agonie, un type auprès duquel, à la table juste à côté, s’activent deux danseuses d’une manière en effet bien étrange : onduler de la croupe sans le toucher, se retourner pour lui offrir leur cul, s’asseoir tour à tour sur ses genoux, remonter vers son ventre, l’écraser, onduler encore, approcher les seins de son visage et les éloigner dès qu’il fait le geste de s’en saisir, se jeter à ses genoux pour frotter la joue contre sa braguette fermée, s’écarter brusquement, se relever, lui mettre la vulve à hauteur des lèvres, se reculer encore et repartir dans une danse endiablée et glacée – les minutes passent, Linda sirote son champagne en regardant ailleurs et je reste fasciné, moi, par cet art consommé, cette science presque exacte, de la libido et de son insatisfaction.
« Ça ne les rend pas fous, les clients, d’être traités comme des enfants frustrés ? »
Elle me regarde sans répondre, de son air de petit automate non programmé.
« Qu’est-ce qui se passe quand le type bande trop dur et que vous sentez qu’il risque d’éjaculer ? »
Elle fait, de nouveau, celle qui n’est pas payée pour répondre et fixe ostensiblement, quelques tables plus loin, un client en discussion avec une brune, en kilt et socquettes, avec laquelle il n’a pas l’air d’arriver à se mettre d’accord.
« Il y a aussi le cas, j’imagine, où le client vous propose de le rejoindre à son hôtel... Je suis sûr que ça arrive et que... »
L'entend-elle, cette question-ci, comme un commencement d’avance? A-t-elle peur des deux videurs ? Est-il vrai que tout, au Spermint, est filmé, enregistré, puis débriefé par les agents de la police des mœurs du comté ? Ou est-ce, simplement, que la demi-heure prévue est écoulée? Toujours est-il qu’elle se lève. Me fait son sourire automatique et inutile. Et, s’en allant, de la même démarche chaloupée, promettre à une prochaine proie ses délices calculés, me laisse à mes réflexions sur le mystère d’une pratique sexuelle finalement assez inédite. Sensualité à blanc. Interruption, non du coït, mais du désir lui-même. Corps sans chair. Sage luxure. De la misère érotique en milieu puritain.
La loi des bordels
Pour les bordels, il faut sortir de Las Vegas et du Clark County.
Il faut prendre, vers l’Ouest, la direction de la Vallée de la Mort. Laisser Blue Diamond et ses mines sur la droite. Aller jusqu’à Parhump. Passer, à Parhump, le Gentlemen’s Massage Castle puis le Madam Butterfly, Bath and Massage Salon. Sortir de la ville. Se perdre. Revenir. Demander son chemin à des gamins jouant devant un panneau qui fait, en plein désert, de la publicité pour une édition de la Bible. Le redemander, plus loin, en face de la Green Valley Grocery, à un groupe de mères de famille en train de faire des provisions de Coca-Cola et pas plus étonnées que cela d’avoir à renseigner un étranger sur l’adresse du prochain bordel. Prendre à gauche. Dépasser, posés en pleine caillasse, un bar pour vétérans, un motel, un magasin d’antiquités. Guetter la boutique d’armes et munitions que les Mammies m’ont indiquée. Puis la South Valley Baptist Church, près d’un enclos de chevaux sauvages. Arriver, au sortir d’un escarpement de roches lunaires et calcinées par le soleil, à un carrefour où je suis sûr que personne ne passe jamais mais où se tient, porteur d’une pancarte où il a écrit, à la main, « Vietnam vet, no work, no food, God bless ! », un homme auquel ses cheveux longs et gris, son visage émacié, son t-shirt poussiéreux, donnent cet air de survivants d’un autre monde, presque d’« aliens », qu’ont fini par prendre les pauvres et les sans-abri dans ces terres droguées aux élixirs de jouvence que sont la Californie et le Nevada. Et, deux cents mètres plus loin enfin, au milieu de nulle part mais à l’exacte frontière du Nye County qui est, de tous les comtés de l’Etat où l’on tolère la prostitution, le plus proche de Las Vegas, tomber sur un kiosque rose et bleu marqué « bureau d’information pour les touristes, vente de chemises, chapeaux et souvenirs » ; sur un panneau publicitaire vantant l’inévitable « world famous and historic brothel » ; et, derrière un enclos de ferme, aussi incongrue qu’une Tour Eiffel en pleine savane, une maison de Blanche-Neige divisée entre, à droite, un saloon à l’enseigne du Longhorn Bar et, à gauche, une façade décorée, à l’étage, de fenêtres en trompe-l’œil couleur layette et, plus bas, au niveau du sol, de trois peintures murales aux teintes criardes reproduisant, en abyme, des scènes supposées se tenir sur le lieu même : un sosie de John Wayne poussant, d’un air mâle, la porte que je vais moi-même pousser ; un autre, virilement accoudé au comptoir du bar où je vais entrer; et une femme cow-boy enfin, rêveuse, très mythologie éternelle du Grand Ouest, assise sur une barrière semblable à celle que je suis en train de franchir.
Entrer, donc, par le Longhorn Bar où un écriteau informe que « les dames sont toujours les bienvenues ».
S'attarder devant une télé qui diffuse un western érotique intitulé Best Little Whorehouse in Texas et dont le message est que les putes sont aussi de bonnes filles.
S'étonner, auprès du patron, de ce qu’il n’y ait personne et s’entendre répondre que le bar c’est comme le bordel, il a ses heures, plus tard, quand les vachers rentreront du travail.
Et pénétrer dans le bordel lui-même, le Chicken Ranch, ainsi nommé parce que, pendant la Grande Dépression, les fermiers des environs payaient en nature, avec des poulets : porte dérobée ; faux mystère; imitation de couloir d’hôtel ; fantôme du « luxueux » Duk Duk Ranch où Quilty amène Lolita et lui fait faire des choses « extravagantes»; et, à l’arrivée, un salon miteux, tapissé de velours grenat, où un système électrique poussif se déclenche à l’instant où entrent les pensionnaires et ouvre un rideau de théâtre qui ouvre lui-même sur un mur en miroir argenté.
Elles sont quatre. Moins jeunes que les lap danseuses de Vegas. Moins sexy. Un côté filles de la campagne, mise en plis, traits rustiques et rosés, chair boudinée dans des gaines que l’on devine sous la robe à volants. L'une après l’autre, elles esquissent une révérence, rentrent le ventre, se trémoussent et me sourient.
Choisir, des quatre, la moins pathétique.
La suivre, au bout d’un nouveau couloir, jusqu’à la chambre, tendue de draps de fortune, dont elle est fière de me dire qu’elle l’a décorée « comme un harem ».
Voir dans son œil la surprise, l’effroi léger et fugitif, puis l’indifférence, quand elle comprend que je ne suis pas venu pour cela mais pour l’Atlantic, Tocqueville, le sexe en Amérique, etc.
Et faire quand même, entre-temps, mon plein d’impressions et d’informations.
Près du lit, semblable au tableau de température des chambres d’hôpital, un panneau où l’on inscrit, tous les quinze jours, les résultats de ses tests vénériens et de séropositivité – le bordel est un lieu d’hygiène.
Sur la table de chevet, en évidence, un choix de préservatifs dont elle exige le port à tous les niveaux de prestation jusques et y compris, m’explique-t-elle gravement, en cas de simple strip-tease : le bordel est un lieu de safe sex.
Plus haut, dissimulé, mais mal, dans la moulure du plafond, l’œilleton d’une caméra qui est là pour s’assurer qu’aucune violence ne sera commise et que la prostituée, quel que soit le caprice du client, continuera d’être traitée comme une sex worker, dûment unionisée, en conformité avec le droit du travail et les droits de l’homme et de la femme – le bordel est un lieu politiquement correct.
Un peu plus bas, juste à la tête du lit et du client, une reproduction de la Statue de la Liberté en hommage à la chère et souffrante Amérique dont je comprends qu’elle est honorée, ici, par le cul comme ailleurs par l’intelligence, le business, les arts ou les armes – « est-ce la raison pour laquelle j’ai vu, à l’entrée, flotter une bannière étoilée ? – Oui, monsieur, c’est la raison. – Si haut ? – Si haut. – Si grande ? – Si grande. – Parce que ? – Parce que les putes, sachez-le, sont des patriotes américaines. »
Et puis ses prix enfin, son catalogue de services et de prix, qu’elle m’annonce avec la même fierté que la marieuse de Minneapolis ses noces à la carte – je repense au fait qu’il y avait, dans le salon, un distributeur de cash ATP et des prospectus publicitaires avertissant que les paiements par carte de crédit sont acceptés; je repense aux cartes de visite avec adresses postale et internet, plan d’accès, service de limousine 24 heures sur 24, qui traînaient près de la boîte de dragées ; je revois, à gauche de la barrière d’entrée et de ses quelques marches, la pente aménagée pour le passage des handicapés ; bordel ou pas bordel, business is business.
Ethique protestante et amours tarifées.
Nouvel ordre sexuel, protocoles, performances.
Autre face du rigorisme et son envers obscène.
Les hôtels de passe du désert et, l’autre fois, l’esprit moveon : l’avers et le revers de la même monnaie puritaine.
Prisons business
Le couloir de la mort de la Southern Nevada Women’s Correctional Facility, la prison pour femmes de Las Vegas, n’a qu’une pensionnaire : Priscilla Ford, une Noire de 74 ans reconnue coupable d’avoir, il y a vingt-quatre ans, à Reno, au volant de sa Lincoln lancée à toute vitesse, délibérément écrasé 29 passants.
Prenez garde, m’avait dit la directrice. Elle est malade. Très malade. Cancer en phase terminale. Ne pourra ni se lever ni vous parler.
En réalité, non. Elle est fatiguée, sans doute. Hors d’haleine. Une tenue de jogging sale. Des cheveux gris, embroussaillés, avec une alopécie derrière le crâne. Mais elle est debout. Plutôt droite. Me recevant avec cérémonie dans sa cellule tapissée de photos du prince William, de Lady Di, de Bush, du pape, de Mel Gibson. Un livre sur l’éducation des enfants près de son lit. Le Da Vinci Code et une Bible sur une étagère. Un téléviseur. Un écriteau « God First ». Des photos de famille où elle n’était pas, mais où un pauvre et grossier montage lui a permis de se rajouter.
« J’espère que mes copines ne vous ont pas fait trop peur », commence-t-elle, allusion à la centaine de femmes, presque toutes noires, du quartier dit « ségrégation » qu’il a fallu traverser pour arriver jusqu’à elle – véritables bêtes enragées, toutes habillées de la même combinaison orange, et hurlant, derrière leurs barreaux, qu’elles n’ont rien fait, qu’elles n’en peuvent plus, qu’elles veulent le rétablissement de la promenade, qu’elles maudissent les visiteurs, qu’elles m’envoient au diable.
Puis, secouée de rires étranges, presque de hoquets, qui la cassent chaque fois en deux, lui coupent la respiration et me donnent à penser que les expertises psychiatriques concluant, lors du procès, à une schizophrénie chronique n’étaient pas dénuées de fondement : « j’ai eu tort d’avouer; je n’ai rien fait; je n’ai été condamnée que parce que mon avocat était mauvais et n’a pas su convaincre les jurés que je suis la réincarnation féminine du Christ; la vraie coupable, la voici (elle me montre une photo punaisée à l’envers, seule, sur un panneau de liège doré), la vraie coupable c’est elle, c’est ma sœur, elle court toujours, et c’est pour ça qu’il continue d’y avoir des crimes à Reno. »
Et puis, en réponse, enfin, à mes questions sur le calvaire que ce doit être de se réveiller chaque matin, depuis vingt ans, en se disant que ce sera peut-être le dernier, l’intelligence revenue de cette remarque qui, en trois phrases, règle le débat sur les mérites comparés du réseau des prisons privées auquel le pénitencier appartenait depuis sa création et le système normal, public, auquel il vient, au terme d’une polémique qui a enflammé les passions dans tout l’Etat, de revenir depuis quelques jours : « pour moi, il y a un avant et un après; avant, je vivais comme une chienne; personne ne se souciait de moi mais l’avantage était qu’on ne pensait plus à m’exécuter; aujourd’hui, la nourriture est meilleure, l’hygiène est de retour, mais je crois qu’on va venir me chercher... »
En quelques mots, oui, l’essentiel est dit.
Priscilla Ford est coupée de tout et n’a, depuis vingt ans qu’elle a été condamnée, quasiment pas reçu, semble-t-il, de visite.
Mais elle a résumé l’un des problèmes qui divisent aujourd’hui le pays et dont m’avait parlé, à New York, le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz – elle a dit les avantages et inconvénients de la privatisation des prisons américaines tels que j’ai pu les entrevoir, moi-même, dans ma rapide visite, avant d’arriver jusqu’à elle.
Côté pile : une indolence, en effet, dans le comportement des matons dont je peux imaginer qu’elle est un héritage de cette culture du privé qui était la règle jusqu’au mois dernier; une sorte de laisser-aller, presque de liberté, dans la façon qu’ont les détenues – à l’exception, bien sûr, de celles du secteur « ségrégation » – de circuler dans les couloirs, de bavarder, de s’arrêter si elles le veulent, de s’habiller; des petites chaînes hifi dans certaines cellules ; parfois des téléviseurs ; des « salons de beauté » avec, affichés comme dans les salons de coiffure de province, des modèles de mise en plis ; jusqu’à la couleur des murs des parties communes (roses ou mauves pour les niveaux de sécurité 1 et 2, bleus pour le niveau 3) dont la gaieté affectée pourrait être celle d’un jardin d’enfants – on devine, derrière tout cela, les actionnaires de la Kentucky Fried Chicken, maison mère de la Corrections Corporation of America qui gérait la prison jusqu’à cet été, calculant que nourrir et amuser la bête humaine, lui lâcher un peu la bride, lui offrir un environnement moins sinistre que celui, punitif, des prisons d’Etat, est un moyen peu coûteux – moins, en tout cas, que des régiments de matons – de la tenir tranquille et de la dresser.
Côté face : l’abandon, quand l’Etat démissionne et que règne la loi du profit, de toute espèce de projet carcéral; l’être-là jeté d’hommes et, en l’espèce, de femmes que le corps politique, donc la communauté citoyenne, oublient, certes, de punir mais avec lesquels ils ont, en même temps, définitivement perdu le contact; le comble du délaissement ; la déréliction la plus absolue; le passage des corps dociles et des âmes tristes décrits, de nouveau, par Foucault à des demi-sujets, abrutis par des médicaments que des médecins marrons, ou matons, distribuent à qui veut ou même, pour les fortes têtes, à qui, précisément, n’en veut pas ; corps nourris mais moralement matraqués ; âmes suspendues et perdues dans l’ombre claire de ces culs-de-basse-fosse acidulés ; fin de la lumière humaine ; sous-humanité résiduelle ; achèvement, au fond, du geste d’exclusion et élimination qui commençait à Rikers Island, que j’ai retrouvé à Alcatraz, mais qui voit là, dans ce retrait de la puissance publique, dans cette indifférence programmée de la communauté à ses délinquants ou à ses monstres, sa forme probablement achevée.
Entre la peste et le choléra, il n’est jamais facile de choisir. Et il est clair que, rapportés à l’horreur du cas Priscilla Ford, face à ce scandale sans recours qu’est le maintien, dans 38 Etats, dont l’Etat du Nevada, du principe de la peine de mort, tous les autres débats sur le système carcéral américain semblent presque frivoles. N’empêche. Il y a, parfois, des degrés dans le pire. Et je crains fort que l’on n’ait, là, avec ce débat sur la privatisation, avec l’existence même de prisons soumises à la seule logique de l’argent, franchi un pas de plus, décisif, sur le chemin de la barbarie civilisée.
Créationnisme, disent-ils...
« Il y a deux théories », hurle Axel, le pilote, lorsque je l’interroge sur la formation géologique de ce fameux Grand Canyon que nous commençons d’apercevoir après une heure de navigation au-dessus d’un paysage de déserts et de volcans éteints, de lacs asséchés et de barrages sur le Mead Lake.
« Il y a deux théories, reprend-il, plus fort, pour couvrir le bruit des rotors et des moteurs de l’hélico. Celle qui dit qu’il est né petit à petit, pendant des millions ou même des milliards d’années, au fil de l’érosion. Et l’autre, qui affirme que tout cela, toutes ces merveilles, ces monuments aussi beaux que les temples d’Angkor, ces roches rouge et rose que vous voyez devant vous, cette formation, là, sur votre gauche, qui ressemble à un temple romain, cette autre, ici, regardez, juste ici, pareille à une forteresse en ruines, que tout cela, donc, ne peut être le fruit du hasard, qu’il y a fallu un artiste et que cet artiste c’est Dieu. »
Et puis, quelques minutes plus tard, à l’aplomb de la faille elle-même et de ses profondeurs vertigineuses :
« Deux théories, ici aussi. Celle qui dit que c’est le Colorado qui a creusé la faille et qui y a déposé, au fil des millénaires, ces boues, ces roches, ces sédiments, ces fossiles, que vous voyez sur les côtés. Et celle qui dit que non, pas possible, une faille pareille, une gorge aussi colossale, un canyon si net, si parfait, où les géologues ont trouvé des fossiles en nombre si extraordinaire et si extraordinairement conservés, cette cicatrice qui court, d’un trait, sans dévier, sur une longueur de 450 kilomètres, que tout cela n’a pu se faire que d’un coup, pas en un jour d’accord, mais en un an, à la rigueur quelques années, au terme d’un cataclysme ressemblant au déluge biblique. »
Axel n’a pas 30 ans. Il est moderne. Thin and bright. Svelte et brillant. Avec ses ray-bans, ses cheveux un peu longs, sa gueule de beau gosse au visage tanné par le soleil, il n’a vraiment pas l’air des vieilles barbes que j’ai vus à Willow Creek. Et il m’avouera, tout à l’heure, quand nous serons revenus à Las Vegas, qu’il est démocrate, s’apprête à voter pour John Kerry et qu’il est fan de « R and B » et de « dance-floor techno-pop ». Mais il vient, en quelques phrases, de me donner l’exacte photographie de ce courant d’idées qui s’appelle le créationnisme et dont l’importance prise, tous partis confondus, au cœur de la nouvelle pensée conservatrice américaine est une des choses les plus étranges, et les plus folles, qu’il soit donné d’observer au voyageur étranger.
Il fut un temps où les créationnistes étaient de purs idéologues se contentant de reprendre les vieux arguments des contemporains de Darwin sur le thème : comment, si l’homme descend d’un animal, est-il possible de le doter d’une âme et de prêter à celle-ci l’immortalité que postulent les religions? C'était l’époque (1925) du fameux « procès du singe » où l’on vit un juge créationniste du Tennessee condamner un professeur pour avoir osé enseigner que l’homme et le singe étaient cousins. C'était l’époque (toutes les années 20 et 30) où nombre d’Etats américains introduisaient des amendements visant à interdire, dans les écoles, l’enseignement du darwinisme. C'était le temps, en gros, du combat de la foi contre la science – et la seconde était sommée de baisser pavillon devant la première.
Aujourd’hui, comme l’a montré Dominique Le-court dans L'Amérique entre la Bible et Darwin, la stratégie s’est affinée. Elle s’est même renversée. Car, au lieu de s’opposer à la science, au lieu de se construire contre elle et contre ses méthodes, au lieu, en un mot, d’opposer à une science sans âme l’âme éternelle de l’humain et de la théologie naturelle, le courant créationniste a eu l’idée géniale de se couler dans le moule de l’adversaire, de lui emprunter ses procédures et ses effets, et de se mettre, lui aussi, à parler au nom de la scientificité. C'est toute l’histoire d’un savant comme Jonathan Wells, titulaire de deux « Ph. D. » de Yale et de Berkeley, et développant, sous l’influence de la secte Moon, une téléologie de l’histoire des espèces montrant que leur succession répond à un « dessein intelligent ». C'est l’histoire des Moonistes en général instaurant, il y a trente ans, avec le soutien du Prix Nobel spiritualiste John Eccles, une série de conférences intitulées « Conférences internationales pour l’unité des sciences », dont l’un des objectifs est de saper les bases théoriques du darwinisme. Ce sont des organismes qui, comme le CRSC, Centre pour le renouveau de la science et de la culture, mettent au service de leur croisade tout un arsenal de diplômes, validations, communications savantes et commissions scientifiques, dignes d’une grande institution scientifique moderne. C'est une pléiade, en fait, de paléontologues, géologues, gemmologues, ou prétendus tels, qui multiplient, dans des journaux d’apparence savante, les articles visant à remettre en cause la théorie de la soupe primitive, recalculer l’âge de la Terre et celui du système solaire, retrouver les débris de l’Arche de Noé, dater au carbone 14 ou à l’uranium 238 les couches fossilifères, ou retrouver enfin la « vraie date » du Déluge. Et c’est, à l’arrivée, mon jeune pilote qui, revenu à l’héliport de Vegas, m’expliquera, avec le même aplomb, qu’il y a deux théories, toujours, capables de rendre compte de la naissance de la planète Terre...
Il ne demande plus, ce néocréationnisme, d’exclure le darwinisme des manuels et de l’enseignement.
Il ne prétend plus le destituer au nom d’un savoir divin qui s’imposerait au savoir des savants avec l’autorité du fanatisme ou de la vérité révélée.
Il l’accepte au contraire ou feint, en tout cas, de l’accepter – mais en réclamant le droit, juste le droit, d’opposer à ses « hypothèses » les hypothèses adverses, mises sur le même plan et égales en dignité, de son « créationnisme scientifique ».
Géniale, oui, cette invention du « créationnisme scientifique ».
Admirable, cette élévation au rang de « science » de ce qui est le visage même de la superstition et de l’imposture.
Il y a deux théories et vous avez le choix : c’est la formule d’un obscurantisme éclairé ; c’est le principe d’un révisionnisme à visage libéral et tolérant ; c’est l’acte de foi d’un dogmatisme réconcilié avec la liberté de parole et de pensée; c’est, mine de rien, la manœuvre idéologique la plus subtile, la plus rouée et, au fond, la plus dangereuse de la droite américaine depuis des années.
Le coup des mormons
Sur l’importance de la religion dans la vie démocratique américaine, sur la singularité de ces campagnes électorales, de ces débats, de ces conventions, systématiquement placés sous l’invocation de Dieu tout-puissant, sur le mystère de ce peuple qui est à la fois le plus matérialiste et le plus spirituel, le plus « greedy », le plus « vorace », au sens de Jim Harrison et le plus intensément religieux, sur le paradoxe d’un goût de la liberté qui, loin d’avoir été gagné, comme en Europe, sur les ténèbres de la foi, a marché au contraire du même pas, la liberté se nourrissant de la foi, la foi se soutenant de la liberté, et ainsi de suite, à l’infini, je ne crois pas que le voyageur d’aujourd’hui ait rien à ajouter aux pages prémonitoires du Deuxième Livre de De la démocratie en Amérique.
Une exception, pourtant, Salt Lake City.
Un cas, celui de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, autrement dit l’Eglise mormone, qui a son centre spirituel ici et qui ne ressemble, il faut l’avouer, à rien de ce que j’ai vu jusqu’à aujourd’hui.
Je ne parle pas de Salt Lake City même, cette ville artificielle et folle, orthogonale et psychorigide, construite au XIXe siècle, en plein désert, par une colonie de mormons fuyant la persécution.
Je ne parle pas, ce dimanche matin, au Tabernacle, puis à l’église de Temple Square, de ce mélange si troublant, mais qui ne diffère guère, après tout, de ce que j’ai vu à Willow Creek, de prophétisme et de prosaïsme, d’intensité de la ferveur et de trivialité des rites.
Je ne parle pas du côté secte, nombre d’or, croix à cinq branches gravée sur les murs du temple, occultisme rationalisé, puritanisme spirite, fantasmes d’apocalypse sur fond de congélateurs remplis de victuailles en prévision du dernier jour, dont l’Eglise mormone soutient qu’il est dépassé – dont acte.
Je ne pense même pas au « prophète vivant », oui, « prophète vivant », c’est comme ça qu’on appelle, à Salt Lake City, le chef spirituel de la communauté, l’homme qui règne sur le « Conseil des douze apôtres » ainsi que sur les millions de mormons de l’Utah et du monde, je ne pense même pas, donc, à ma stupeur quand, à la messe de midi, au fond du luxueux hall d’hôtel transformé en lieu de culte et dont – nouveau signe de la confusion du profane et du sacré – nul ne semble avoir songé à retirer les velours, dorures, lustres et brocarts d’origine, on m’a enfin montré ledit prophète et qu’au lieu du saint homme que j’attendais, au lieu du digne descendant de Joseph Smith, le fondateur de l’Eglise, que j’imaginais en figure apostolique venue pour restaurer sur la terre la plénitude de l’Evangile, j’ai découvert un petit homme de 94 ans, prudent et bedonnant, vêtu d’un costume bleu marine croisé à boutons dorés, plus proche d’un buveur de Cinzano que d’un Dalaï Lama wasp.
Non.
La vraie histoire, ici, c’est, 35 North West Temple Street, la « bibliothèque généalogique ».
Le vrai intérêt, pour moi, de cette Eglise mormone c’est la démarche unique dans l’histoire, non seulement des Eglises américaines, mais des Eglises tout court, qui consiste à aller, dans le monde entier, recenser, pour les stocker, les noms des humains qui se sont, au fil des siècles, succédé sur cette terre.
« Nous prenons tout, me dit le conservateur. Tout. Les certificats de naissance. Les actes de mariage et de décès. Les journaux. Les vieilles lettres. Les photos. Les registres civils et paroissiaux. Les papiers militaires. Les tables ancestrales. Les arbres généalogiques. Les recensements. Les cadastres. Les listes d’immigration et émigration. Les comptes rendus d’audience des tribunaux. Nous avons des émissaires qui courent la planète. Nous avons des équipes de “microfilmeurs” qui vont signer les deals et collecter le matériel. Le résultat, c’est une banque de données unique. C'est un stock de plusieurs milliards de noms entrés dans notre “Index généalogique international” et conservés ici, à la Bibliothèque, ainsi que, par sécurité, à 40 kilomètres au sud-est de la ville, au cœur de la Granite Mountain, dans des chambres fortes creusées à flanc de montagne et garanties anti-séisme. Un jour, c’est tous les morts de tous les temps qui seront computérisés. Un jour, c’est toute l’histoire de l’humanité, depuis Adam et Eve, qui sera mise en fiches et à la disposition des vivants qui le voudront. Venez. Vous allez comprendre. »
Il m’entraîne, au deuxième étage, dans une salle où quelques dizaines d’hommes et de femmes, de tous âges, apparemment de toutes conditions, pianotent sur des ordinateurs individuels.
« Voilà. Tout ça est à tout le monde. Tout ce trésor n’a d’autre vocation que de revenir à ses légitimes propriétaires, c’est-à-dire aux gens. Ils peuvent faire deux choses à partir de là. Ils peuvent, s’ils sont mormons et qu’ils croient en la sainteté définitive, pour cette vie et pour l’autre, de la relation familiale, resserrer le lien avec leurs ancêtres et même, dans certains cas, s’ils soupçonnent qu’ils ont pu disparaître sans avoir eu l’occasion ou le temps d’accepter le Christ, leur offrir une session de rattrapage et les baptiser par procuration. S'ils ne sont pas mormons, s’ils ne croient pas en ce baptême des défunts, si cette offre de bénédiction aux morts n’est pas dans leur théologie, ils ont la possibilité, si importante aussi dans un monde où les hommes sont de plus en plus déracinés, de savoir d’où ils viennent, qui les a faits et qui ils sont. Vous voulez essayer ? »
L'expérience, sur moi, ne sera pas concluante.
J’aurai beau taper, et taper encore, les noms de mes rares ancêtres mobilisables – il faut croire que mon paysage familial relève de l’une de ces dernières terrae incognitae dont on m’a prévenu qu’elles résistent à l’arraisonnement mormon, car l’ordinateur restera désespérément muet.
Mais je regarde les visages autour de moi. Je regarde ces gens, rêveurs et perplexes, comme drogués, un sourire au coin des lèvres, en train de voyager sur les mystères de leur propre passé. Et j’hésite entre deux sentiments. Le respect dû à cette forme de souci des siens, à cet hommage rendu aux morts, à cette volonté d’être, comme dit le poète, le vivant tombeau de ses pères. Et puis l’idée, tout de même, que ces mormons sont des malins et que, dans la lutte de tous contre tous qu’est aussi l’histoire des religions, dans cette autre bataille pour le pouvoir que se livrent, je le vois bien, les Eglises américaines, ils ont trouvé l’arme absolue. Qu’opposer à une Eglise qui règne, non seulement sur les vivants, mais sur les morts ? Qui rivalisera avec des gens qui, non contents de prendre possession des corps et des âmes, mettent sous scellés la mémoire du monde ?
Vingt mille victimes de la Shoah baptisées, me confiera un non-mormon de Salt Lake City, par les compagnons du prophète vivant... Des procès intentés, notamment en France, par des institutions ou des Eglises qui regrettent, tout compte fait, d’avoir lâché leur bien... C'est la face cachée du phénomène. Celle dont personne, ici, ne se vante. Eh oui, la guerre!
Et si l’Amérique, quand même, avait une Sécurité sociale ?
Tracy est serveuse au restaurant du Motel de Grand Junction, Colorado, juste après la frontière de l’Utah, où j’ai fait halte pour la nuit.
Elle a une quarantaine d’années.
Un physique heureux de belle Américaine solide, sans histoires, et qui en fait des tonnes sur le thème « ma vie c’est mes clients, je suis contente quand ils sont contents ».
Sauf qu’en creusant un peu, en l’interrogeant, le dernier client parti, sur son travail, sa famille, sa vie, en lui demandant ce qu’elle fait là, dans ce trou perdu, avec ses sourires automatiques, ses « did you enjoy your meal » et « are you still working on it », on découvre une histoire moins rieuse.
Un père mineur dans les mines de charbon du Wyoming. Elle se rappelle, petite fille, ses toux interminables et noires. Un jour, à 50 ans, il ne s’est plus arrêté de tousser. Il a fait une crise cardiaque et n’est plus jamais descendu.
Un frère, mineur aussi, mais spécialisé, lui, dans la sécurité des installations. « C'est un travail plus cool, convient-elle. Car il y a toute la partie inspection qui se fait plutôt en surface. Mais arrive un incendie, un coup de grisou, un éboulement, et c’est lui qui descend pour ramener, morts ou vivants, ses camarades. Et, là, attention! 80 morts, la dernière fois! Il marchait au milieu des cadavres et on a eu si peur qu’il ne remonte pas ! »
Trois autres frères, mineurs encore. Sauf que, les mines de charbon s’épuisant, ils ont dû passer à la soude. « Et là, continue-t-elle, c’est pire. Mon père dit qu’on ne peut pas faire de classement du pire. Mais moi je crois que si. Je les ai vus, mes frères, dans les trois Etats du Wyoming, du Colorado et de l’Utah, faire toutes les mines de soude du bassin de la Green River. Eh bien je crois, oui, que c’est plus usant encore que le charbon. Comment vous dites ? Que le pape, Jean-Paul II, a travaillé dans les mines de soude de Pologne ? Bon, je leur dirai... »
Et puis son mari enfin, mineur toujours, le plus abîmé de tous, en dépression chronique depuis huit ans et qui, lui, ne travaille plus du tout. Ils sont divorcés. Mais elle se souvient, au début, quand elle était enceinte de son aînée, de ces grèves qui duraient des mois et de l’argent qui ne rentrait pas. Elle se souvient de ces matins où il se réveillait en pleurant, incapable de se lever. Et puis l’histoire de leur fille sodomisée, à sept ans, par un voisin... C'est de ça qu’il ne s’est jamais remis. Et c’est depuis ce temps qu’il a fait ses tentatives de suicide, ses hospitalisations à répétition et qu’il s’est arrêté de travailler.
« Comment fait-on, dis-je, dans ces cas-là ? Comment survit-on ?
— On y pense tout le temps, ce sont des images qui ne vous quittent jamais.
— Oui. Mais matériellement ? Pardon, mais ma question était : quel est le système, en Amérique, quand on est malade comme votre mari ? On dit, en Europe, que vous n’avez pas de vraie Sécurité sociale. Dites-moi, dans le cas précis, ce qu’il en est. »
Tracy réfléchit. Se concentre. Et, adoptant l’expression de quelqu’un qui s’embarque dans une explication longue et complexe, m’emprunte mon carnet de notes et commence d’y griffonner des chiffres.
Le mari. Comme tous les anciens ouvriers qui ont payé, toute leur vie, leurs cotisations, il bénéficie, pour ses soins médicaux, du programme fédéral Medicare ainsi que du programme complémentaire Medicaid géré, lui, par l’Etat. Il vit avec 2 000 dollars par mois, soit 60 % de son dernier salaire, venus, dans des proportions qu’elle ignore, de l’Etat fédéral, de l’Etat, de la compagnie. Il bénéficie de « food stamps », de « tickets repas », pour un montant qu’elle ignore aussi. Et il a un appartement, propriété de l’Etat, qu’il loue 253 dollars au lieu des 600 ou 700 qu’il devrait valoir au prix du marché.
Le père. Même chose pour les soins. Même gratuité via Medicare et Medicaid. Plus – elle n’est pas sûre, mais elle croit – le « black lung program » qui est un programme complémentaire pour mineurs silicosés. Et plus – ça, c’est certain – une retraite qui, dans son cas, arrive aux trois quarts de son dernier salaire. Pourquoi les trois quarts et pas 60 % ? Et pourquoi, dans un même métier, deux régimes différents ? Ça, de nouveau, elle ne sait pas. Peut-être parce qu’ils émargent au régime de retraite, l’un du Colorado, l’autre du Wyoming et que, d’un Etat à l’autre, cela change. Ou peut-être parce que son père a souscrit, lui, en plus, à une caisse privée. Non, vraiment, elle ne sait pas.
Les frères. Eux, donc, travaillent toujours. Sauf que attention ! Il y a les périodes de chômage où ils continuent d’être payés, selon la loi, pendant six mois et où, si ça dure plus, il y a une caisse privée, dépendant d’une Eglise, qui prend le relais. Et, quant aux frais de santé et de retraite, ils se méfient, eux, ses frères ; ils ont entendu que le système était au bord de la banqueroute et qu’il y a, dans l’air, des projets de démantèlement; alors ils ont souscrit des « comptes épargne santé » gérés par une compagnie d’assurance ; et elle a compris que l’aîné, celui de la sécurité, a souscrit une assurance supplémentaire qu’ils appellent, entre eux, l’« assurance catastrophe ».
Et elle? Oh elle! Elle rit... Elle n’aurait jamais pensé qu’elle divorcerait un jour. Alors, forcément, jusqu’à ces dernières années, elle ne s’en était jamais souciée. Mais bon. Elle cotise. Elle a aussi une assurance privée. Un jour où elle a eu un pépin de santé, elle a été traitée gratuitement par un hôpital géré par les méthodistes. Le fait d’avoir, dans sa famille, un invalide et un grand malade lui donne aussi accès à un fonds spécial. Et puis elle a encore un fils de 13 ans et ça lui donne droit à une allocation de 800 dollars par mois. Malgré la suppression, par Clinton, de l’« Aide aux familles avec enfants à charge » ? Oui, cela n’a rien à voir. Car je vous parle, là, d’un programme géré au niveau de l’Etat du Colorado.
J’ignore dans quelle mesure je peux généraliser. Et j’ai bien conscience, au demeurant, qu’aucun de ceux dont me parle Tracy n’entre dans la vraie catégorie problématique qui est celle des 37 millions de pauvres comptabilisés par les statistiques et passant, eux, semble-t-il, au travers de tous les filets.
Mais enfin, de son récit ressortent quand même trois leçons.
1 Le système de Sécurité sociale américain existe; il est menacé, mais il existe.
2 Le système de Sécurité sociale américain est complexe; il couvre, contrairement à ce qui se dit en Europe, l’essentiel de la population active, mais il est complexe, variant d’un Etat, d’un métier, parfois d’un individu, à l’autre.
3 La principale source de complexité et, donc, de malentendu, la raison profonde et presque philosophique d’une telle variété des situations et, pour nous, Européens, d’une telle illisibilité, tiennent à la méfiance qu’inspire, aux Etats-Unis, l’idée même d’un Etat centralisant entre ses mains tous les outils de redistribution – elle tient à cet « individualisme » méthodique dont Tocqueville a définitivement montré qu’il entend laisser à chacun, ou aux associations voulues par chacun, la responsabilité des destins individuels.
Lu, dans le Made in USA de Guy Sorman, que les dépenses sociales par habitant aux Etats-Unis sont à peu près égales à ce qu’elles sont dans la plupart des pays européens, France comprise. Mais attention ! A condition – et c’est bien ce que nous dit le double récit, et de Tracy, et de Tocqueville – d’ajouter à la part de l’Etat celle des collectivités ainsi que des philanthropies privées.
Le fantôme des chercheurs d’or
La route encore.
Reprendre au petit matin, non la route qui va directement de Grand Junction à Colorado Springs, mais, comme j’ai un peu de temps et que mon rendez-vous à l’Académie militaire n’est que demain, l’autre, la 65, qui passe par Grand Mesa, puis Aspen, mais qui est probablement plus belle.
Chaleur.
Lumière aveuglante et glorieuse.
Ravins couleur de rouille, usés par le soleil. Roches géantes, et qui prennent leurs aises, tantôt croulant de pierraille, tantôt montant si haut que leurs dentelures paraissent se chevaucher dans le ciel.
Plus haute encore, architecture si parfaite, et si parfaitement écrasante, qu’elle semble faite exprès, comme au bord du Pacifique, pour exclure et humilier les hommes, une barrière de rochers, muraille de Chine en pleine Amérique.
Pas un village, d’ailleurs.
Sur des dizaines de kilomètres, pas âme qui vive, pas souffle de présence humaine, la nature nue, le désert – enfin, désert n’est pas le mot vu qu’on est dans la montagne, mais sorte de désert, même sentiment de dépouillement, de désolation et, aussi, d’infini que, les semaines passées, dans les déserts de Californie : juste les « cattle guards », ces fosses creusées au milieu de la route et couvertes de grilles métalliques aux barres très espacées qui piègent le bétail s’il tente de traverser.
Alors, arrive Hotchkiss, à peine un bourg, presque un campement, bâti des deux côtés de la route, n’importe comment, très laid, maisons précaires et qui devaient être provisoires, forestiers qui se pensaient en transit et se sont installés, hangars, noria de camions transportant des madriers, un musée d’on ne sait quoi (peut-être des métiers de la forêt ?), un marchand de chevaux de bois, le restaurant « L'Elan », encore des hangars.
Paonia ensuite; puis Bowie ; puis, aux approches de Carbondale qui semble être, d’après la carte, la grande agglomération du coin, changement de paysage et passage du monde du bois à celui de la mine : énormes fours à charbon désaffectés, tout ronds, qui font penser aux abris atomiques que l’on voyait jadis, sur la route de l’aéroport, à l’entrée de Tirana; plus bas, au fond de la vallée, assez loin, un train immense, noir, deux ou trois cents wagons, qui a l’air d’une grosse chenille et fait son plein de minerai; des maisons de mineurs; des chalets; quelques tentes façon indienne ; alignement, au bord de la route, de boîtes aux lettres de fer-blanc, en forme de demi-lune, qui semblent des postes restantes – l’univers des frères de Tracy ? la route qu’ils ont suivie, d’une mine l’autre, au gré des fermetures, des délocalisations, des occasions ?
La roche, de rouge, a tourné au violet.
Un vent s’est levé qui fait frémir la pointe des Cottonwoods et des Aspens en fleurs.
La température, en quelques minutes, a dû baisser d’une dizaine de degrés et on voit de plus en plus de neige au bord de la route.
Nous longeons une rivière, qui me rappelle les cascades du Panchir.
A Carbondale, autre fausse ville, sans forme ni limite, où les maisons ressemblent à des granges et les granges à des maisons, à Carbondale qui m’apparaît comme le type même de la ville sans raison où tout le monde habite les mêmes affreuses constructions de bois montées sur charpente métallique que la première tempête, le premier glissement de terrain, la première coulée de boue, suffiront à emporter, à Carbondale donc, je m’arrête, quelques minutes, au Garcia’s Café, quatre tables, cuisine au milieu de la pièce, spécialités mexicaines à toute heure – restauration soi-disant « familiale » et, en fait, la pire des « junk foods ».
Nous sommes à 2 500 mètres d’altitude, tout près de la McClure Pass d’où l’on voit, au loin, les montagnes toutes blanches.
Et voici, à l’approche d’Aspen, une minuscule pancarte, presque effacée : « Ashcroft, Ghost Town, 13 miles ».
Nous prenons la petite route.
Nous montons dans un paysage encore un peu plus froid.
Etrangement, alors qu’il faisait froid mais beau sur la route principale, une pluie fine se met à tomber.
Plus étrangement encore, alors qu’il ne semble plus y avoir âme qui vive, nous croisons, montant, comme nous, vers la ghost town, mais complètement vide et, du coup, fantomatique, l’un de ces gros bus jaunes qui font, en Amérique, le ramassage scolaire dans les campagnes.
Au mile 13, enfin, nous y sommes. Une pancarte indique l’inévitable « national site ». Une autre avertit que ce que nous allons découvrir se trouve placé, comme il se doit, « sous la protection de la direction archéologique ». Une troisième, à l’entrée d’un chalet de fortune, sur la droite, dans les bois, prévient : « je m’appelle Dexter; je suis artiste; je suis, comme vous voyez, roi de la montagne; et, quoique je ne sois pas méchant, je vous serais reconnaissant de tenir votre chien en laisse. » Après quoi, nous faisons cent derniers petits mètres à pied, dans un sentier d’herbes et de caillasses. Et voici, au milieu d’une forêt superbe et à la vitalité d’autant plus insolente qu’elle contraste avec la désolation ambiante, la ville fantôme d’Ashcroft.
Ce fut, j’imagine, une ville de chercheurs d’or ou d’argent.
Ce fut l’une de ces « boom towns », nées en quelques mois, parfois quelques semaines, comme les villes chinoises d’aujourd’hui, à la fin du XIXe siècle.
Un jour un villageois est rentré et a dit : « il n’y a plus d’or. »
Un autre a repris : « il n’y a plus d’or ! il n’y a plus d’or ! »
Et, la rumeur s’amplifiant, la ville s’est vidée aussi vite qu’elle s’était bâtie.
Ne restent que ces planches noires, ce bâtiment à deux étages qui dut être un saloon, cet autre qui fut un hôtel, ces maisons hantées, ces pierres fendues, cette rue principale revenue au grand anonymat de l’espace américain et puis ce silence épais, surnaturel, presque solide, où le moindre souffle à la pointe des arbres, le moindre frisson dans les sous-bois, un bruit de branche cassée, suffisent à vous faire sursauter.
Poésie de ces ruines.
Beauté de ces épaves ensablées dans le passé.
Et beauté de ce peuple si peu attaché à ses racines – beauté, une fois de plus, de sa prodigieuse liberté par rapport à ses lieux.
Le mythe de l’empire
Je me souviens de la façon dont nous diabolisions, dans ma jeunesse, l’armée américaine.
Je me souviens de l’image que nous avions du GI tendance guerre du Vietnam, graine de brute et de fasciste, qui ne pouvait semer que la mort.
Sans parler, il y a quelques mois encore, au moment du déclenchement de la guerre en Irak, des glapissements de haine qui accompagnèrent, en Europe en général et en France en particulier, le retour de cette figure du soldat impérial et barbare incapable de protéger un musée et capable, à Abu Ghraib, des crimes les plus terrifiants.
Alors je sais, bien entendu, que l’armée a, dans tous les pays du monde, et donc aussi en Amérique, des visages contradictoires.
Et j’imagine bien que l’Académie militaire de Colorado Springs, censée former les pilotes d’élite de l’US Air Force, n’est pas le poste d’observation idéal pour juger des évolutions récentes de l’ensemble de l’appareil militaire.
Mais enfin...
Ces garçons au visage poupin et sage...
Cette fille de Saint Louis, Roslyn Schulte, cheveux bruns et longs tirés en chignon, beau regard intelligent et doux, qui a fait l’une des meilleures high schools du pays...
Cette autre qui ne connaît pas le nom de Clausewitz mais a recopié, sur sa table de chevet, une citation du rabbin Harold Kushner sur le sens de la vie, la mort, la souffrance...
Cette tablée, à l’heure du déjeuner, où huit conscrits sur douze avouent, dans le feu d’un débat étonnamment libre, qu’ils n’étaient pas favorables à cette guerre en Irak car l’on n’avait pas, selon eux, exploré jusqu’au bout les chances de l’« option policière »...
Ce cours, enfin, auquel il m’est donné d’assister et où les deux questions à l’ordre du jour, les deux problèmes considérables et de haute portée stratégique dont vont débattre, une heure durant, sagement assis, tous, derrière des pupitres disposés en fer à cheval, les cadets Kolb, Morgan, Patton et une dizaine d’autres futurs chevaliers du ciel, sont : premièrement « combien de fois, le matin, appuyez-vous sur le bouton “dodo” de votre réveil? dans quelles circonstances? pourquoi? et comment se débarrasser de cette fâcheuse habitude » – et, deuxièmement, « comment stopper cet autre comportement pathologique, plus grave encore pour un futur pilote et officier, qu’est l’habitude de la cigarette ? pensez-vous que la bonne méthode soit de se mettre au chewing-gum? de glisser l’argent de chaque paquet non acheté dans la fente d’une tirelire et de voir, au bout d’un certain temps, de combien on s’est enrichi ? si le garçon est marié, ou fiancé, lui fera-t-on un gentil massage chaque fois qu’il ne fume pas ? ou punira-t-on celui qui fume en lui faisant avaler sa cigarette ? »
Pourquoi vous engagez-vous ? ai-je demandé aux uns et aux autres.
Pourquoi décide-t-on, en ce début du XXIe siècle, de devenir pilote de chasse ?
Les uns (dont la décision remonte, me disent-ils, au choc du 11 septembre) : pour défendre mon pays.
Les autres (qui connaissent les grands débats historiques sur le droit, ou non, des Etats-Unis à se mêler des affaires des autres nations) : pour défendre la Constitution.
D’autres encore (partisans, pour le coup, d’une politique étrangère néoconservatrice c’est-à-dire plus active, plus offensive) : pour défendre, au-delà même de notre Constitution, les valeurs de liberté sur lesquelles elle est fondée et pour les défendre partout, oui, partout, où elles apparaissent bafouées.
Et Roslyn Schulte enfin, la jolie brune de Saint Louis : « vous voulez vraiment savoir ce qui m’a conduite ici ? les avions ! l’envie, oui, de voler dans les plus beaux avions du monde! pour l’instant, j’en suis encore aux Cessna; mais bientôt, dans trois ou quatre ans, au terme de ma formation, viendront ces F16 dont je rêve et, alors, quelle excitation ! »
Je n’en rencontre pas un, en fait, qui me parle de la grandeur du métier comme telle.
Je n’en rencontre pas un non plus qui semble prendre en compte le risque de mort induit, aujourd’hui, au temps de la guerre en Irak, par le fait de choisir le métier des armes.
Et quant au général Johnny Weida enfin, commandant de la place et recteur de l’Académie, sa réponse est plus nette encore : pas de background militaire dans sa famille ; pas l’ombre d’une fascination pour la guerre ou l’armée ; sa première motivation fut, non pas même les avions, mais le sport; quoi ? oui, s'esclaffe-t-il ! il a bien dit le sport; on est en 1974 ; il a vingt ans ; il a un copain qui lui apprend qu’il y a un endroit formidable pour développer ses dispositions à l’athlétisme et que cet endroit c’est ici, l’Académie militaire de Colorado Springs ; la vocation, bien sûr, a suivi; elle lui est venue, comme souvent, aux commandes de ses premiers F16; mais enfin, au commencement il y a cela; au commencement il y a ce « Integrity first, service before self, excellence in all we do », ce « d’abord l’intégrité, le service des autres avant le sien propre, l’excellence dans tout ce que l’on fait », qui sont des valeurs sportives autant que militaires.
Peut-être, je le répète, s’agit-il ici de cas exceptionnels.
Sans doute parle-t-on de deux choses différentes et qui n’ont, au fond, rien à voir quand on compare et oppose, à l’intérieur d’un même genre qui serait celui de « l’armée américaine » les as de Colorado Springs et les pauvres types d’Abu Ghraib.
Et je n’aurai garde de juger la mentalité de l’armée des Etats-Unis, de sa Garde nationale ni, encore une fois, de ses supplétifs qui se sont déshonorés en imposant à leurs prisonniers des traitements dégradants ou inhumains, à l’aune d’une Académie où l’on forme des officiers qui, depuis Truman et sa « Loi sur la sécurité nationale », mettent leur point d’honneur à n’être, justement, pas tout à fait des militaires.
Mais pourquoi ne pas dire que je rentre à mon hôtel, quand même, assez troublé ?
Pourquoi ne pas avouer que j’ai du mal à raccorder ces images de jeunes pilotes vertueux à celles des diables imposant, à coups de bombes à fragmentation et de napalm, la loi du nouvel empire ?
Et pourquoi ne pas ajouter que c’est là une nouvelle raison, pour moi, d’y regarder à deux fois avant de me laisser aller à parler, comme tant de mes concitoyens pavlovisés, de l’« armée impériale » américaine et, au-delà même de son armée, de l’« impérialisme » du pays lui-même ?
« Romains involontaires », disait Morand.
« Impérialisme incompétent », renchérit l’historien britannique Niall Ferguson dont la thèse est que les Etats-Unis n’ont pas et n’ont jamais eu les moyens militaires de leurs ambitions.
« Empire incohérent », confirme, de l’autre côté du spectre idéologique, un Michael Mann fustigeant, lui, le « militarisme brouillon » d’un pays qui n’a jamais su, et qui sait de moins en moins, assurer ses conquêtes sur le terrain.
Et déjà, une fois de plus, Tocqueville donnant la clef du problème lorsqu’il notait que les Américains ont moins d’inclination encore pour la guerre que pour la politique – nous en sommes là.
Apartheid doré pour les vieux ?
A Sun City, Arizona, la règle est simple, et implacable. Personne au-dessous de 55 ans. Enfants et adolescents admis seulement en cas de visite. Une cité de vieux, par conséquent. Une ville privée, réservée aux retraités, coupée du reste du monde tant par cette règle de fer que par un mur, un vrai, doté de postes de contrôle, et la séparant des quartiers hispaniques avoisinants. Un optimiste verra, dans ce faux espace urbain aux rues tracées au cordeau, presque désertes, où de rares papys circulent en voiture de golf, une oasis de prospérité dans un monde en crise, une utopie bourgeoise sortie du rêve d’un urbaniste. Il y reconnaîtra une variante bizarre, mais une variante quand même, du bon « pastoralisme », hérité de l’école d’architecture paysagiste anglaise du XVIIIe siècle et qui a joué un si grand rôle dans la constitution de l’idéologie américaine. Il y percevra un croisement, nullement déshonorant en soi, de l’esprit de Virgile et des Lumières, des rêves de retour à la nature datant des premiers pèlerins et du progressisme pavillonnaire dont j’ai vu, à Lake-wood, près de Los Angeles, quel genre de paysage il peut donner et sur quel type de philosophie, égalitaire et pionnière, il s’appuie. L'« autosuffisance » d’Emerson, sur fond de vieillesse ghettoïsée. Le « Walden Pond » de Thoreau, version forteresse assiégée. Dans les cités planifiées de ce type, dans ces citadelles sorties de rien et, en l’espèce, du désert, peut-être même discernera-t-il, l’optimiste, un avatar, en plein XXIe siècle, de cet esprit pionnier, de cette capacité à « se former », par « consentement mutuel et solennel », en un « corps de société politique » dont Tocqueville, aux toutes premières pages de son livre, lorsqu’il évoque, citant Nathaniel Morton, la création de Plymouth et des premières colonies de Nouvelle-Angleterre, fait l’essence même du projet démocratique. Et j’avoue, par parenthèse, n’avoir pas jugé complètement ridicule, le soir de mon arrivée, le petit bal organisé, au « Westerners Square Dance Club » de Sun City West, par quelques-uns de ces colons du troisième type et quatrième âge – j’avoue avoir trouvé un certain charme au spectacle de ces quinze ou vingt vieilles dames, grimées en Scarlett O'Hara, toutes en volants, tutus et robes affriolantes, en train de danser à en perdre le souffle, au son d’un orchestre de guinguette, avec des Rhett Butler dont le plus jeune avait 80 ans ! Le problème, évidemment, c’est le reste. Tout le reste. Ce sont les Blacks, que l’on ne voit pas. Les Hispaniques dont on m’assure qu’ils sont là, mais dont je ne sens pas non plus la présence. Ce sont les pauvres en général grands exclus de ce rêve pavillonnaire et « incorporated », au sens propre constitué en corps, autonome donc, autogéré, et dont la première règle de gestion est de n’accepter que des couples attestant d’un capital suffisant pour être sûrs de pouvoir vivre centenaires – officiellement, le but du jeu ! – sans risquer la cessation de paiement et, donc, le bannissement. Le problème c’est, en fait, le sentiment d’être parvenu, là, avec cette tribu de vieux, à la toute dernière étape d’un processus de ségrégation sociale dont j’ai pu, à Los Angeles, observer quelques prémices et qui, ne parvenant, somme toute, ni à maintenir les pauvres dans leurs ghettos, ni à les rejeter aux lisières de la ville, ne parvenant pas à prendre le parti, comme cela s’est vu, une fois, à Phoenix, d’empoisonner les poubelles des restaurants pour dissuader les clochards de venir s’y approvisionner, se serait résolu, de guerre lasse, à déplacer les riches. Le problème, en un mot, c’est ce que tout cela suppose de rupture profonde avec la tradition, je ne dis même pas de compassion, mais de civisme qui a fait, et fait encore, la grandeur de ce pays. Et c’est le terrible précédent que ne peut manquer de créer cette expérience de privatisation d’un espace public au profit d’une communauté qui, ne dépendant plus ni de Phoenix ni d’aucune autre autorité étatique et nationale (le « state-nation », le « station », honni par Emerson) pour ses impôts, sa voirie, ses tâches de police ou d’administration, semble un petit satellite affranchi des lois de la pesanteur sociale et nationale. Si l’on accepte cela, dis-je à l’une de mes Scarlett, si l’on entérine le principe de ce ghetto doré, fondé sur l’appartenance à une classe d’âge et un niveau de revenus, au nom de quoi empêchera-t-on, demain, la constitution de villes interdites, cette fois, aux vieux ? ou aux gays ? ou aux juifs? au nom de quoi résistera-t-on à la balkanisation définitive de l’espace américain qui s’ensuivrait? Rien à voir! me répond la majorette indignée. Vous ne pouvez pas comparer des projets aussi hideux avec une organisation dont le seul but est de faciliter la vie à des vieilles gens qui étouffaient dans les grandes villes. Soit. Je vois bien, en effet, les menus arrangements que le système permet dans la vie de tous les jours : prises de courant posées plus haut pour éviter d’avoir trop à se baisser ; plafonniers à la luminosité étudiée pour moins fatiguer les yeux; terrains de golf; piscines chauffées été comme hiver ; systèmes d’alarme reliant la plupart des maisons à l’hôpital et permettant, en cas de malaise, de gagner les précieuses minutes qui sont, à cet âge, souvent fatales – j’en passe, des meilleures, et tout cela n’est, évidemment, pas négligeable. Mais en même temps... Cette impression de froideur lugubre... Ces feux artificiels dans les maisons et ces pelouses qui semblent en carton-pâte... Cette vie plastifiée... Ces moribonds pétant la santé... Ce temps figé, sans autres événements notables que les bals, le ramassage des ordures que l’on tient à faire soi-même, les rondes de police idem, et, last but not least, sources d’une excitation inlassable, les morts, les enterrements... Je quitte Sun City dans un état d’incertitude extrême, ne sachant plus si l’on vient ici pour se sauver ou se damner, conjurer la mort ou s’en donner un avant-goût. Rentré à Phoenix, j’apprendrai que Del Webb, l’inventeur de ce miracle glacé, de ce paradis aux allures de purgatoire, de ce jardin d’enfants pour troisième âge où c’est la vie même qui semble devenue une maladie, a appris son métier en construisant, après la guerre, des casinos, des casernes et des camps d’internement pour Japonais...
De la particularité du mode de scrutin en Amérique
Tempe, Arizona. Troisième et dernier débat de la campagne. Enorme bâtiment, transformé en camp retranché, de l’Arizona State University. Journalistes. Policiers. Petit peuple des conseillers. Tous ces intermittents du spectacle politique d’autant plus actifs, fiévreux, presque frénétiques, qu’ils savent que, dans quelques jours, contrairement à la France où la politique est un métier et continue de plus belle après l’élection, ils se disperseront dans la nature. Me frappent, en vrac, la bonne qualité de la discussion (loin, là encore, de la légendaire vacuité du débat américain), la minutie de l’organisation de l’événement (temps de parole, pupitres, disposition physique des caméras). A la toute fin, après qu’ils se sont étripés, le spectacle si étrange et impensable, là encore, en France des filles et épouses des débatteurs qui montent sur l’estrade, les embrassent, s’embrassent, s’entre-congratulent et, surtout, les invitent eux-mêmes, comme si de rien n’était, à se donner l’accolade et fraterniser (se haïr comme des chiens dans le privé, s’autoriser les coups les plus tordus, mais, en public, face à la galerie, jouer les good American guys partageant les mêmes valeurs et constituant une seule et grande famille : l’exact contraire, oui, de Paris où nul n’ignore que les adversaires se fréquentent, dînent dans les mêmes bistros, se tutoient, ont peut-être, ce matin, bu un coup à la buvette de l’Assemblée mais où tout est fait, à l’extérieur, pour masquer ces connivences et offrir l’image d’une adversité sans merci). Me frappe, pendant le débat lui-même, chaque fois que l’un des débatteurs dérape, profère une contrevérité ou esquive une question gênante, le surgissement dans la salle de presse, vifs comme l’éclair, tels des voltigeurs de la probité démocratique, d’une nuée de stagiaires en jeans et baskets distribuant des feuilles ronéotées titrées dans le cas, par exemple, des Démocrates : « Bush versus reality » et indiquant : 1. ce que « Bush claims », 2. la « reality », 3. « the truth about Kerry’s record » (quelle différence, encore, avec la France et ses mises au point laborieuses, tardives, arrivant toujours après la bataille et après que le bluffeur a tiré tous les bénéfices de sa première frappe ! quelle efficacité dans la riposte, dans le travail concret de la vérité!). Me frappe le body language de Bush. Le sourire de faux dur qu’il a dû travailler avec ses conseillers. Me frappe sa façon, en se mettant tout à coup de trois quarts, menton levé, yeux au ciel, de suggérer, me semble-t-il, l’élévation de son esprit et de sa foi. Me frappe, à sa commissure gauche, le petit dépôt de bave qui est l’équivalent des gros soupirs de Gore en 2000, et qui est surtout la preuve que toute une part du jeu reste, quand même, incontrôlée. Me frappe le fait que Kerry soit si bon et lui si énigmatiquement décevant. Et me frappe enfin, lorsque je m’en étonnerai, devant lui, après le débat, l’explication que me donnera, en me priant de ne pas le nommer, l’un des conseillers de campagne du Président : « pourquoi voudriez-vous qu’il fût bon ? ce débat n’avait aucune importance! aucune! il en a pour vous, Européens, qui êtes attachés à ces grand-messes, temps forts de vos campagnes; il en a pour CNN, qui fait de l’argent avec ces spectacles; mais la réalité de la bataille ce n’est pas sur ça qu’elle va se jouer; c’est, comté par comté, ville après ville, sur les questions qui préoccupent, non le pays, mais les fameux Etats-bascule ; d’ailleurs, je vais vous dire un truc... » Il est interrompu par une stagiaire qui lui apporte les résultats d’un sondage Gallup confirmant que Kerry l’a emporté haut la main, en effet, sur l’ensemble du pays : « ces débats, on est bien obligés de les faire; mais je vais vous dire, donc, un truc; il n’est pas recommandé, à la limite, d’y être trop bon ; car vous savez ce qui se passe si vous êtes bon ? vous êtes lyrique; vous êtes emporté; vous lâchez des mots dont vous ne contrôlez plus la course future ; et vous prenez le risque, pour plaire aux élites des côtes Est et Ouest (acquises, de toute façon, aux Démocrates) ou aux paysans du Wisconsin (gagnés, de toute façon, aux Républicains), de dire une chose qui vous retombera dessus quand vous irez chercher, à la petite cuiller, les mille voix qui vous manqueront en Virginie ou en Louisiane. » Je fais la part, bien entendu, du paradoxe et de la bravade. Mais je vois, en même temps, ce qui, dans cette théorie, colle avec la particularité d’un mode de scrutin où la victoire va à celui qui gagne la majorité, non des voix du pays, mais des grands électeurs des Etats et où, les jeux étant faits dans quatre Etats sur cinq ou sur six, l’enjeu est, dans les Etats restants, de convaincre la minorité de votants qui feront la différence et se détermineront, fatalement, sur des questions locales, infimes et, surtout, contradictoires entre elles. Comment parler aux esprits religieux de Caroline du Nord sans se couper des laïcs du Minnesota? Comment plaider pour la discrimination positive chez les masses noires de l’Arkansas sans que cela s’entende trop dans l’Etat de Washington où les Asiatiques sont hostiles à ladite discrimination? Comment gagner les 5 000 Cubains qui changeront tout en Floride sans avoir l’air, dans l’Iowa, un Etat à 90 % blanc, de se coucher devant les Hispaniques ? Comment parler contre le chômage dans l’Ohio et pour la prospérité dans le New Hampshire ? Comment, si l’on est Kerry, sécuriser le vote juif de Cleveland sans affoler le vote arabe de Detroit ? Comment, quand on est Bush, promettre l’amendement constitutionnel sur les mariages gays (essentiel dans l’Oklahoma) sans écœurer, définitivement, les derniers gays républicains (nombreux en Pennsylvanie) ? Comment, en Pennsylvanie même, calmer les colombes de Philadelphie sans s’aliéner les faucons du reste de l’Etat ? Tels sont les vrais problèmes de cette élection. On peut le déplorer ou s’en réjouir. On peut juger le paradoxe antidémocratique ou conforme, au contraire, à la forme d’une démocratie qui s’est toujours méfiée de ce que Tocqueville appelait les « big theories ». On peut juger abusive cette prise en otage de l’élection par une minorité d’Etats imposant au pays leurs problématiques et leurs soucis ou on peut y voir, dans les mots de Tocqueville toujours, un antidote heureux à la « dictature de la majorité ». On peut s’étonner enfin de la contradiction entre le retour à l’idéologie dont j’ai repéré tant de signes et, à la fin des fins, ce localisme. Le fait, en tout cas, est là. L'élection mondiale par excellence fonctionne comme une élection locale. Ce méga-scrutin sur lequel les peuples du monde ont les yeux légitimement fixés, ce résultat dont, que l’on soit européen, chinois, palestinien, israélien, irakien, dépend le sort de la planète, tient à une série d’arbitrages sur lesquels un débat comme celui de ce soir aura, tout compte fait, peu d’influence.
Un Français chez Kerry
Ce petit voyage de deux jours dans l’avion du candidat, je m’en faisais une fête mais il a failli très mal tourner.
On a commencé, le premier soir, pour l’étape Tempe-Las Vegas, par me mettre dans le deuxième avion, le mauvais, celui où le candidat n’était pas et où l’on avait mis les bagages, la sono et le petit personnel.
Puis, le lendemain, pour la deuxième étape, celle qui, après une nuit à Vegas et un discours, au réveil, devant 9 000 militants de l’AARP, l’Association américaine des personnes retraitées, devait nous conduire à Des Moines, Iowa, pour le fameux grand meeting en plein air auquel se préparait si intensément, cet été, le réceptionniste de l’Holiday Inn, j’ai eu droit à l’avion n° 1 mais j’ai eu beau faire, insister, j’ai eu beau dire et répéter que j’étais écrivain, sur les traces de Tocqueville et qu’il était essentiel, pour mon projet, de pouvoir, ne fût-ce que dix minutes, interviewer le sénateur candidat, je n’ai toujours pas pu l’approcher.
Nous étions une quinzaine, en vérité. Une vingtaine de membres des services secrets, autant d’attachés de communication papillonnant entre la cabine principale et la cabine avant, aménagée pour le candidat – et une quinzaine de journalistes. Or ils ont tous eu, à un moment ou un autre, leur tête-à-tête. Ils ont eu droit, chacun, à un attaché de presse venant, selon leur degré d’importance et celui de leur journal, soit leur faire un petit signe indiquant que leur tour était venu, soit les chercher jusqu’à leur siège pour les mener par la main jusque dans le saint des saints. Mais moi pas. Jamais. Je suis le seul qui, bizarrement, chaque fois que je venais aux nouvelles, me voyais systématiquement répondre un « tout à l’heure » vague et gêné. Et, quand l’heure semblait venue et que, donc, je me présentais, je suis le seul qui essuyais, chaque fois, une réponse embarrassée mais, hélas, toujours négative – au bout d’un moment, on ne prit même plus la peine d’inventer une raison plausible et la réponse, automatique, devint : « le candidat dort... le candidat dort encore... le candidat dort toujours... ce n’est encore et toujours pas le moment, car le candidat est fatigué et il dort... »
« Vous ne trouvez pas ça bizarre ? me demande, narquois, mon voisin de siège, journaliste dans un grand network américain, qui observe, depuis le début, sans rien dire, tout ce manège.
— Oui, justement. Et je dois avouer que je commence à ne plus très bien comprendre....
— Vous voulez une explication, la vraie, celle qu’aucun de ces Mickeys n’osera jamais vous donner clairement ?
— Evidemment, oui, je la veux !
— C'est extrêmement simple. C'est comme l’histoire des cravates Hermès qu’il a remplacées par des Vineyard Vines, made in USA, de peur que les sbires de Bush ne sautent sur l’occasion pour accréditer leur histoire de Kerry agent français. Ou c’est comme l’affaire de la bouteille d’Evian qu’il a fait enlever l’autre jour, en catastrophe, de la chambre d’hôtel de Santa Monica où il se faisait interviewer par Matt Bai, du New York Times Magazine. Vous êtes français, vous aussi. Vous êtes aussi français qu’une bouteille d’Evian ou une cravate Hermès. Et leur vraie crainte, la vraie raison pour laquelle vous êtes le seul d’entre nous qui n’aurez pas de contact avec Kerry, c’est ça : imaginez qu’un Français aille raconter, à huit jours du scrutin, que le candidat l’a choisi pour livrer d’ultimes confidences... »
Stupeur, bien entendu.
Non seulement stupeur, mais vraie bouffée de colère à l’idée de ce malentendu absurde.
Et comme je finis, de toute façon, par en avoir effectivement assez et que je n’ai, de surcroît, rien à perdre, je fonce, une dernière fois, jusqu’au cerbère montant la garde au niveau du bar, au centre de l’avion, et je lui dis : « bon; j’ai compris ; et on va, si vous le voulez bien, faire, vous et moi, un petit deal ; je m’engage, si je vois le candidat, à ne rien publier, non seulement jusqu’à l’élection, mais même jusqu’à l’été 2005 où doit paraître, dans l’Atlantic, celui de mes récits où j’intégrerai ces deux journées; mais je vous promets aussi que, si vous continuez votre manège idiot et que votre fixation anti-française fait que je ne le voie pas du tout, alors, vous aurez un portrait révélant, le moment venu, que l’ex-candidat qui sera peut-être, alors, le 43e Président des Etats-Unis est un type qui passe l’essentiel de ses journées à... dormir ! »
Sourire amusé de l’attaché.
Rires, devant nous, du petit groupe de jeunes filles, copines d’Alexandra Kerry, qui ont suivi la scène.
Et octroi enfin, juste avant la descente sur Des Moines, du petit tête-à-tête dont j’ai attendu, comme promis, jusqu’à aujourd’hui pour dire l’impression qu’il m’a laissée.
Un homme sympathique, en bras de chemise, blaguant avec ses collaborateurs et cherchant des candidats pour, à l’arrivée sur le tarmac, se dégourdir les jambes avec quelques passes de football américain. Un Européen de cœur, apparemment content de me voir et intéressé d’entendre que cette histoire de francophobie est une connerie d’attachés de presse washingtoniens et que je n’ai, moi en tout cas, depuis des mois que je sillonne l’Amérique profonde, jamais rencontré de gens qui m’en veuillent d’être Français. Un bon candidat. Un militant courageux, tout à la bataille qui le requiert, pénétré de son rôle et de sa mission, inspiré, passionné. Un rationaliste, surtout. Un vrai rationaliste, homme des lumières et de parole, ne doutant pas un seul instant que la Vérité, même si elle tarde à s’imposer, même si les désinformateurs professionnels commencent, apparemment, par marquer des points, finit toujours par l’emporter. C'est la raison pour laquelle il a tant tardé à réagir à l’ignoble campagne du groupe de « swift boat vétérans » mettant en cause son passé de héros au Vietnam. C'est la raison pour laquelle, également, il sera toujours mal à l’aise, lui-même, avec ce type d’arguments et leur préférera, toujours, de bonnes et longues explications raisonnables, articulées, politiques. Naïveté ? Optimisme ? Sous-estimation, fatale, de la part d’irrationalité qui fait la décision dans une campagne ? On verra bien. Plus que quelques jours, n’est-ce pas, avant de savoir...