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MOVING WEST (DE KALONA À LIVINGSTONE, MONTANA)
Un Clinton noir ?
« Bernard-Henri Lévy, répète-t-il en se moquant parce que j’ai dû, en me présentant, détacher trop les syllabes... Avec un nom pareil, vous auriez fait un malheur à la Convention. » Et moi, du tac au tac, dans la salle à manger d’hôtel où nous l’attendons, à quelques-uns, depuis une heure : « et Barack Obama, donc! avec un nom comme ça, et avec le tabac que vous avez fait, vous, hier soir, on devient Président des Etats-Unis en cinq minutes. » Il rit. Esquisse un faux pas de danse devant les autres convives éberlués. Me donne une bourrade, s’éloigne comme s’il prenait son élan pour mieux ajuster un coup de poing, me fait une accolade, rit encore, et répète comme une comptine : « Barack Obama, Bernard-Henri Lévy ; Barack Obama... »
Voilà l’homme qui a incendié, hier, l’amphithéâtre du Fleet Center. Voilà l’auteur du seul authentique événement d’une soirée dont les attractions furent, avant lui, la First Lady de l'Iowa ; le maire de Trenton ; le sénateur du Sud Dakota, Tom Daschle; ou les chapeaux haut de forme à bannière étoilée, lapins, gratte-ciel, World Trade Centers en pain de sucre, des délégués de l’Arizona, de l’Oklahoma ou du Nevada. Il n’a pas dit grand-chose, d’accord. Et il y avait dans son insistance à se réclamer des Pères fondateurs, à dire et répéter que l’Amérique est « un pays religieux » et qu’il est lui-même « un tempérament religieux », il y avait dans la foi avec laquelle il s’est exclamé : « oubliez l’Amérique noire, l’Amérique blanche et l’Amérique hispanique : n’existent que les Etats-Unis d’Amérique », il y avait dans sa façon de dire que le problème n’est pas « un autre Président pour une autre politique » mais « un nouveau Président pour la même politique que l’ancien n’a plus assez de crédit pour mener », il y avait, dans tout cela, quelque chose de désespérément consensuel pour un Français habitué aux grandes querelles. Mais enfin... Son aisance... Sa gouaille de Clinton noir... Sa beauté de mauvais garçon passé par Harvard... Sa mère blanche née à Kansas City, son père black né au Kenya... Ce double métissage, autrement dit... Ce métissage au carré... Ce désaveu vivant de toutes les identités – y compris, et c’est le plus nouveau, cette identité afro-américaine, sudiste, qui fonctionne comme une prison pour tant de Noirs... Son adversaire, dans l’Illinois, ne vient-il pas de lui reprocher de n’être « pas assez noir » ? Qui est ce nègre blanc qui n’est même pas le descendant d’un esclave de La Nouvelle-Orléans? Son éloquence... Cette parole qui, comme toutes les paroles dites depuis deux jours, a été calibrée à l’intonation près, mais dont il donnait le sentiment, lui, d’improviser le moindre soupir... La salle a vibré. Elle a senti, dès qu’il a surgi, que quelque chose d’important se produisait. Et le premier à le sentir fut d’ailleurs, comme il se doit, celui dont il ravissait le rôle : le Révérend Al Sharpton ; l’éternel candidat noir à toutes les investitures ; l’homme de la National Urban League, l’autre matin, à Dearborne, face à Bush; le provocateur patenté; l’homme de toutes les insolences; l’auteur, aussi, du seul discours hors normes de toute la Convention; le seul à avoir osé quitter les rails des « speech writers » du Parti pour citer Ray Charles et hurler, poing levé, que les sans-logis de Louisiane et de Virginie attendaient toujours les vingt hectares promis, il y a un siècle et demi, aux esclaves affranchis ; sauf que là, soudain, rien ne va plus ; ses colères tombent à plat; ses anathèmes sonnent faux; Obama est passé, et c’est comme si la grâce avait quitté la vieille star désavouée.
Barack Obama... Il faudra se souvenir de ce nom. Il faudra ne pas oublier cette image de lui, quand, à 23 heures précises, il a bondi sur la scène de son pas légèrement dansant, s’est projeté sous les sunlights et a offert à l’assistance médusée son étrange visage de « Brown American ». Et il ne faudra pas oublier non plus cette image de lui, aujourd’hui : très gai, facétieux, et puis, soudain, las, un peu lent, drogué par son succès de la nuit, presque ennuyeux quand il entreprend de m’expliquer, voix traînante, s’inventant un bégaiement comme s’il voulait traîner encore davantage, la fragilité de tout ceci; il ne faudra pas oublier ce moment de suspens et presque d’incertitude où il me dit qu’il ne faut pas rêver, pas aller plus vite que la musique, l’Amérique est le pays des météores, « next month, somebody else will be the story », encore un mois et c’est quelqu’un d’autre qui fera l’événement, rappelez-vous le représentant du Tennessee, Harold E. Ford Jr, 30 ans, noir aussi, à qui l’on avait, en 2000, pareillement demandé un discours – quatre ans après, qui s’en souvient ? Je regarde Obama. J’observe ses gestes de voyou magnifique mâtiné de King of America. Je repense à cet article où j’ai lu que Barack, en swahili, veut dire « béni ». Et je sens que quelque chose, quoi qu’il en dise, se joue dans cet écart assumé par rapport à toutes les communautés. Le premier Noir à avoir compris qu’il ne fallait plus jouer sur la culpabilité mais sur la séduction? Le premier à vouloir être, au lieu du reproche de l’Amérique, sa promesse ? Le passage du Black en guerre au Black qui rassure et rassemble ? Un futur Président métis ? Un ticket, un jour, avec Hillary ? Ou le commencement de la fin des religions identitaires ?
Hillary et la tache
Savait-elle? Tolérait-elle? A-t-elle, maintenant, pardonné ? Est-elle vraie, cette histoire de divan où il raconte, dans ses Mémoires, qu’elle l’a consigné avant de passer l’éponge ? Est-ce possible que l’on fonctionne ainsi, chez les Clinton, comme chez n’importe quel couple de petits-bourgeois ? Degré de complicité, dans ce cas? Parts respectives de la solidarité et de la rancune ? Comment vit-on quand le pays, la planète, sont entrés dans votre chambre à coucher pour vous épier? Et la Maison-Blanche? Quid, dans ce contexte, du désir qui lui est prêté d’entrer un jour à la Maison-Blanche ? L'Affaire y a-t-elle sa part ? Comment, plus exactement, pourrait-elle ne pas l'avoir ? Comment une femme bafouée pourrait-elle, sans y penser au moins un peu, envisager d’entrer, de travailler, de venir et revenir, tous les matins et les soirs de la vie, dans le lieu de son humiliation? Pourquoi, dans ce cas, le fait-elle? Pourquoi envisage-t-elle de s’asseoir, à son tour, sur le fauteuil de l’infamie? Pour l’amour du bien public, soit. For the sake of America, ok. Parce qu’elle est une femme moderne et qu’une femme moderne a sa carrière personnelle, très bien. Mais après? Qui jurera que, dans sa tête, la nuit, ne tournent pas d’autres raisons? Ira-t-elle pour se venger ou le venger ? Pour occuper le terrain, signer sa victoire, montrer, et au monde, et à lui, ce que peut être une Présidence Clinton sans tache ? Ou ira-t-elle, au contraire, pour l’aider, effacer définitivement la souillure et permettre que l’on tourne la page ? Et serait-elle, alors, comme ces héroïnes de films noirs dont le mari a commis un crime et qui, après avoir caché le cadavre, retournent sur les lieux pour faire disparaître les indices ?
Voilà à quoi je pense pendant que parle le sénateur Hillary Rodham Clinton, très droite, très belle, dans ce restaurant branché de Boston où nous a conviés Tina Brown.
Voilà à quoi pensent, forcément, de cette façon ou d’une autre, les Michael Moore, les Carolyn Kennedy, le vieux sénateur McGovern, tous les autres invités qui s’appliquent à l’interroger sur le terrorisme, l’Irak, les failles du système de santé, les déficits.
Car on a beau dire. On a beau faire comme si Hillary était un personnage à part entière, qui ne doit rien à son retraité de mari. On a beau répéter qu’elle a été élue, seule, sénateur de l’Etat de New York et qu’il en ira de même si, un jour, elle est candidate à la magistrature suprême. L'équation est si singulière, le raz de marée moral a été si dévastateur, les traces, surtout, qu’il a laissées sont si vivaces, qu’on ne peut pas, quand on l’écoute, ne pas avoir une oreille pour ce qu’elle dit et une seconde, voire une troisième, pour l’autre texte, encore muet – celui de l’extravagante, abracadabrante et inédite situation où elle se trouve.
Car bientôt, oui, elle se déclarera.
Elle dira, ou non, qu’elle est candidate.
Et, la Maison-Blanche n’étant pas l’Etat de New York, je prétends que ces questions prendront, ce jour-là, une importance plus grande encore – je prétends qu’il n’y aura pas de question politique plus sérieuse, soudain, que de savoir : primo, ce que le sénateur a dans la tête en projetant d’entrer, à son tour, dans ce bureau associé aux frasques de son mari; secundo, ce qu’électeurs et électrices auront eux-mêmes à l’esprit en voyant rebondir ainsi le vaudeville le plus fou de l’histoire contemporaine.
J’imagine les femmes bafouées d’Amérique se sentant vengées par cette femme admirable et digne, si droite sous les crachats, si pudique, si intègre, Tocqueville aurait dit si « chaste » et aurait vu dans cette « chasteté » (Livre II, Troisième Partie, Chapitre XI) l’apanage d’un « état social démocratique » – j’imagine tout le politiquement correct américain se rangeant derrière cette sainte qui a épousé un voyou, qui a souffert mille morts et qui lui fait le cadeau, pourtant, de laver l’honneur familial : jamais n’aura semblé si vrai le mot fameux, et si bête, sur la femme avenir de l’homme...
J’imagine les Républicaines les plus militantes hurlant que non! le contraire! aucune moralité! aucun respect de rien! ces Clinton n’ont-ils donc aucun principe? cette femme manque-t-elle à ce point de classe et de fierté ? moi, si mon mari me trompait, et, de surcroît, avec une pouffiasse, j’exigerais de déménager! le lieu où la chose s’est passée serait irrévocablement maudit ! alors la Maison-Blanche, vous pensez! J’imagine, oui, le chœur des Erinyes criant qu’il y aurait là, dans la situation même, un outrage aux bonnes mœurs et à la raison : voulez-vous d’une Présidente qui, au lieu d’avoir la tête aux affaires, ne serait obsédée, du soir au matin, que par ce qui s’est passé là, non, ici, sous ce bureau, sur ce coin de moquette – vertige des signes et mémoire des lieux, mauvais venin de la jalousie, est-ce ainsi qu’on conduit un Etat ?
Et puis j’essaie d’imaginer, enfin, la réaction du gros de l’opinion à cette perspective en effet insolite d’une Présidente Clinton succédant à un Président Clinton dans ce bureau oral, pardon ovale, qui n’est pas un bureau tout à fait normal dans l’histoire de l’Amérique : ah ! si seulement l’Amérique était la France! pas de bureau ovale, en France! pas de symbolique du bureau ! les Présidents changent et ils changent, s’ils le veulent, de bureau! alors qu’en Amérique, non ! pas de fait du prince ni de caprice ! l’Amérique étant une vraie démocratie, c’est le lieu qui l’emporte, une fois pour toutes, sur le tenant lieu ! dans les « bibliothèques » que bâtissent les anciens Présidents et qui sont censées témoigner, après eux, de l’excellence de leur gestion, le bureau ovale n’occupe-t-il pas, chaque fois, la place de roi ? comment, alors, dans les journaux, les télévisions, l’esprit des gens en général, y aurait-il place, ce jour-là, pour autre chose que pour la scène folle, inimaginable, et, en même temps, passionnante, de la vertueuse Hillary revenant pour la première fois sur les lieux du vice de son mari ?
L'Amérique étant ce qu’elle est, c’est-à-dire un pays où Hollywood a définitivement pris le pas sur Hegel et où, par conséquent, le « tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel » du maître d’Iéna a cédé la place au « tout ce qui est réel doit être spectacle, tout ce qui est spectacle doit, d’une manière ou d’une autre, apprendre à devenir réel » des producteurs de reality shows, les Etats-Unis étant, si l’on préfère, un pays où l’on ne résiste jamais, non pas, comme en France, à un bon mot, mais à la joie d’une bonne image, je prends le pari que, rien que pour cette raison et cet instant, rien que pour le plaisir de voir la scène tournée ou, en tout cas, enregistrée par les opérateurs du grand spectacle médiatique qui est la version nouvelle de l’Histoire universelle, on verra Hillary Rodham Clinton entrer un jour à la Maison-Blanche.
La place des fanatiques
Je connaissais Witness, le film de Peter Weir, avec Harrison Ford.
Je savais que c’était une secte étrange, vaguement anabaptiste, vivant dans le dépouillement, au rythme de la nature et des moissons.
Alors voilà. De retour à Des Moines, et en attendant de reprendre ma route en direction de la côte californienne, je me mets en quête de ces fameux « Amish », les « plain people », les « hommes simples », dont nul ne sait me dire avec précision où je les trouverai.
Commencer par Pella, ce « village historique », garanti 100 % faux et ouvert de 9 heures à 18 heures : « non, nous ne sommes pas Amish, me dit, un peu vexé, le responsable de la vingtaine de maisonnettes du XVIIIe rebâties à l’identique, du Vermeer Mill certifié conforme à un moulin hollandais de 1850 et du bureau du père fondateur, plus ancien encore, où l’on a poussé le souci de la reconstitution jusqu’à poser une canne contre la table à l’endroit exact où il la posait ; nous ne sommes pas Amish, on vous a mal orientés... »
Continuer avec les Amana et leurs sept villages fondés, à l’est de Des Moines, au milieu du XIXe siècle, par une secte de « True Inspirationists » allemands persécutés par les luthériens classiques : « nous ne sommes pas Amish, me répète Meg Merckens, l’actrice qui, tous les après-midi, en robe bleue et coiffe blanche, joue Home in Iowa, un long monologue contant les histoires du bon vieux temps des Amana; les gens font souvent la confusion, mais nous n’avons, malgré la proximité des noms, rien à voir avec les Amish que vous trouverez plus loin, à soixante kilomètres, à Kalona. »
Pousser donc jusqu’à Kalona, autre village Potemkine, vide à nouveau, avec sa poste d’époque, son saloon, son magasin général, toujours le même trompe-l’œil, encore le même décor : sauf que le décor, cette fois, n’est pas juste un décor et qu’il y a bien, dans les fermes avoisinantes, cachés aux regards, coupés du monde, des hommes et des femmes vivant selon l’ancestrale loi des Amish.
Amish, ces paysans que je vois, de loin, travaillant avec des charrues d’il y a cinq cents ans.
Amish, ces routes à dessein non goudronnées où les carrioles – car les Amish ne roulent qu’en carriole – soulèvent, devant ma voiture, d’aveuglants nuages de poussière.
Amish, ces hommes en pantalon marron et larges bretelles qui semblent sortis d’un tableau de Le Nain – et Amish ces femmes en robe de bure et coiffe blanche qui ne se coupent jamais les cheveux.
Amish, le refus de l’électricité, sinon pour les grands malades.
Amish, le refus des études secondaires et, en fait, des études en général – tout, pour les « plain people », est dans la Bible; l’existence doit pouvoir être, d’un bout à l’autre, rythmée par la lecture de la Bible.
Amish, ces autres paysans, retour des champs, qui fuient devant ma caméra : Dieu a dit tu ne feras ni idoles ni images ; à plus forte raison, n’est-ce pas, des images du visage et du regard ?
Amish, enfin, le Community County Store où l’on vend des pains Amish, des sucres d’orge Amish, des canettes Amish (inoxydables), des emballages Amish (artisanaux).
« Vous vous servez d’une machine à calculer, dis-je à la vieille Amish bossue qui tient la caisse ?
— Oui, lâche-t-elle d’une voix étonnamment vive et flûtée; car elle est à piles, elle n’a pas besoin d’électricité. »
Et quand j’essaie d’en savoir plus long sur la difficulté d’être Amish dans l’Amérique contemporaine, quand j’entreprends de l’interroger sur l’espèce de citoyen qu’on est lorsqu’on est Amish, si on vote et pour qui, si on lit les journaux et lesquels, comment on a vécu l’attaque du 11 septembre, si on se sent concerné, et comment, par la menace terroriste, une brève conversation s’engage, trop vite interrompue, hélas, par son neveu qui, lui, se méfie : non, les Amish ne votent pas ; oui, les Amish sont mauvais patriotes et mauvais citoyens; un Amish ne sert ni dans la fonction publique ni dans l’armée; être Amish c’est se foutre du 11 septembre, d’Al Qaïda, de la sécurité des Américains et du reste.
La vieille dame, d’ailleurs, ne dit pas « les Américains » mais « les Anglais ».
Pour les Amish, les Etats-Unis ne sont pas un pays mais une abstraction, une fiction.
Qui sont les Amish, alors ? Qui sont ces hommes et ces femmes qui vivent en autarcie économique, l’œil fixé sur l’éternité ?
Une contre-société ? Une anti-Amérique en Amérique ? Le cas, unique en Occident, d’une communauté a-communautaire, appliquant le précepte biblique de camper à part, séparée ? Des Chouans non exterminés? Des sécessionnistes définitifs? Je me souviens comment, dans les années 60, l’on disait des hippies qu’ils s’étaient modelés sur les Indiens : peut-être pas, au fond ; peut-être le modèle était-il les Amish...
A moins qu’il ne faille prendre la chose encore autrement. A moins qu’il ne faille mettre l’entêtement des « Hommes Simples » en regard de cette philosophie politique, disons « exceptionnaliste », dont je sais qu’elle n’est pas moins présente, dans les têtes américaines, qu’à l’époque de Tocqueville. Un supplément au pacte social. Une pièce additionnelle au contrat. Cette clause de plus, cet article de trop, que n’avaient pas prévus les Pères fondateurs mais qui entrent dans leur intention : le premier logicien venu sait que telle est la condition pour qu’un Tout ne soit pas saturé et qu’une société, ayant du jeu, réalise mieux son concept et ses desseins.
Ou bien l’inverse, encore. Les témoins, non de Dieu, mais de l’Amérique. Ses vrais et ses derniers pionniers. Les seuls à n’avoir pas cédé et à ne pas résumer leur religion au « in God we trust » des billets de banque. Les sourciers de la pureté perdue. Les héritiers du Mayflower. Les témoins muets, mais vraiment muets, car, contrairement aux Indiens, ou aux Noirs, eux ne disent rien, ne réclament rien et n’ont aucun grief vis-à-vis de quiconque, les témoins muets, donc, des valeurs qui furent celles de l’Amérique mais auxquelles celle-ci tourne le dos depuis qu’elle s’est vendue à la religion de la marchandise.
Non plus l’anti-Amérique, mais l’hyper-Amérique. Son conservatoire. Son Reste au sens de la Bible. Sa mauvaise conscience vivante mais, encore une fois, silencieuse. Vous avez trahi l’idéal des Pères fondateurs ? Tourné le dos à vos principes ? L'Amérique est un pays raté ? Une utopie non réalisée ? Eh bien voilà. Nous sommes là. Juste là. Nous ne vous reprochons rien. Mais nous sommes les Amish. La vérité profonde, enfouie, oubliée, déniée, mais vivante en nous, de l’Amérique.
Mystère – et grandeur – d’un pays qui tolère cela. J’imagine les Amish en France. J’imagine ces deux cent mille hommes et femmes, leur démographie positive, leur persévérance, leur témoignage, leur irrédentisme définitif, dans mon vieux pays jacobin, si sourcilleux sur les rites de sa propre religion nationale.
Tocqueville à Minneapolis
C'est un centre commercial. Le plus grand des Etats-Unis. Le deuxième au monde après celui d’Edmonton, au Canada. C'est un bloc de cinq cents magasins, posé à l’entrée de la ville et où j’ai vu, soit dit en passant, des battes de base-ball « made in Honduras », des t-shirts « made in Peru », des nains de jardin et des articles de plage « made in Bangladesh », des poupées « made in Mexico » à l’effigie de Reagan, Kennedy et Clinton, toutes sortes d’« Americanas » faits au Sri Lanka, en Egypte, en Jamaïque, aux Philippines, au Chili, en Inde, en Corée, en Indonésie, mais aucun produit, ou quasiment aucun, « made in America ». C'est un temple de la consommation new age. C'est une église – une autre! – à la gloire du capitalisme triomphant et de l’être-pour-le-commerce du néo-Américain. Sauf – et c’est là que les choses deviennent intéressantes ! – que c’est un lieu qui se veut aussi de convivialité et de vie. C'est, m’expliquent John Wheeler et Anna Lewicki, respectivement vice-président et chargée des relations publiques de ce Mall of America, le lieu de Minneapolis, et presque du Minnesota, où les humains esseulés, désocialisés, drogués à internet et aux prestiges du virtuel, viennent tâter du réel et se refaire une piqûre de communauté. On y trouve des crèches. Des restaurants. Des salles de cinéma projetant le meilleur de Hollywood. Une banque où l’on dépose son argent avant de le dépenser. Des lieux de culte. Un parc d’attractions, Camp Snoopy, avec des dinosaures en Lego, des bacs à sable, des rocades artificielles et une fausse odeur de piscine censée ravir le cortex des enfants sans danger de tomber dans le bassin. Une école de commerce, la National American University, pour les adolescents travailleurs. Des espaces verts. Une clinique. Une bibliothèque qui ressemble à un Lunapark. Une entreprise de pompes funèbres. A quoi les concepteurs du Mall n’ont-ils pas pensé ? Quelle est la circonstance de l’existence qui ne trouve un cadre possible dans cette bulle, ce Metropolis rose, cette Megachurch de la marchandise, où l’on pourrait, en droit, passer sa vie ?
On y vient le matin, avant l’ouverture, pour le plaisir. Le midi, au lieu de déjeuner, pour marcher. Il y a des « Mall walkers », des marcheurs du Mall, deux cents par jour environ, qui viennent là, sans acheter, juste pour jogguer, parce que c’est gratuit, qu’il y fait bon, jamais trop chaud, jamais trop froid, et que, surtout, c’est safe, sans danger, surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on a même fini par y interdire, les vendredi et samedi soir, après six heures, les mineurs non accompagnés car le bruit avait couru que des bandes d’enfants sauvages se préparaient, tels des loups, à y semer la terreur. De là, les patrouilles de « Mighty Moms » et de « Dedicated Dads », de « sacrées mamans » et de « dévoués papas », volontaires pour, les week-ends, surveiller et chaperonner les enfants méchants. De là qu’il faille attendre le jour de ses 15 ans pour avoir le privilège d’accéder au saint des saints et d’être, vraiment, « de Mall ». L'idéal est de les fêter là ses 18 ans. Il y a toute une population, dans les villes jumelles de Minneapolis et Saint Paul, dont le rêve est, pour les grandes occasions de la vie, d’être ici, dans ces longs boyaux sans fenêtres, sans air pur, pleins de chiens espions, truffés de caméras de surveillance, bruyants, étouffants. On y vient pour draguer. Flirter. Se remonter le moral quand ça ne va pas. Passer le temps. S'offrir une lune de miel festive. Se marier. Très important, oui, le mariage. Il y a un endroit, au dernier étage, où une femme toute ronde, au débit de mitraillette, vous offre le choix, dans sa chapelle minuscule mais attenante à un magasin de robes et accessoires de mariée, entre un « wedding Premiere » (cérémonie d’une heure, musique, champagne, consultation prénuptiale, le tout pour 669 dollars les lundi et mardi, 699 les autres jours, 799 le samedi), un « Petite Plus wedding » (une demi-heure ; cinquante invités au lieu de soixante-dix; 569, 599, 699 dollars), un « Petite wedding » (trente invités ; 469, 499, 599 dollars) un « Dream wedding » (vingt minutes ; deux invités ; 269, 299, 399 dollars) ou un « Dream Plus wedding » (même chose, mais douze invités et prix qui, du coup, remontent à 369, 399 et 499 dollars).
C'est une aventure, le Mall ! Une grande aventure urbaine, moderne, totale! C'est, si j’en juge par l’affluence aux abords de la boutique de souvenirs où l’on vend des tasses, des verres, des chopes de bière, des t-shirts et autres fanfreluches marqués aux armes et couleurs du Mall lui-même, une expérience en soi et, pour ceux qui la découvrent, un moment exceptionnel! Ce qu’elle dit, cette expérience? Ce que nous raconte de la civilisation américaine ce tombeau de la marchandise, cette accumulation pyramidale de faux biens et de non-désirs dans un décor de fin du monde? Effet, sur les humains américains d’aujourd’hui, de cet espace confiné, de cette serre, où semble ne subsister qu’un ersatz de vie? On songe au visage grégaire, presque animalisé, dont Kojève disait qu’il serait celui de l’humanité au temps, selon lui imminent, de la venue de la fin de l’Histoire. On songe à ce pouvoir « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » annoncé par Tocqueville et dont le trait dominant devait être un état de « perpétuelle enfance » où le maître serait « parfaitement content que les gens puissent se réjouir pourvu qu’ils ne pensent qu’à se réjouir ». Et l’on est, dans les deux cas, saisi d’une épouvante obscure. Comme si l’on découvrait, soudain, le vrai visage de Big Brother : enveloppant et séduisant, pur amour – et d’autant plus menaçant, dangereux.
Qui a tué Ernest Hemingway ?
Cent cinquante kilomètres plus au sud. A Rochester, Minnesota, cette ville ingrate, infestée de moustiques l’été et, j’imagine, glacée l’hiver, équidistante de Boston et de Los Angeles et, donc, centrale pour le voyageur « coast to coast », c’est à Ernest Hemingway que je pense tout de suite. N’est-ce pas ici, juste au-dessus de la ville, qu’en 1959, en pleine dépression maniaque, il manque se jeter de son avion-taxi ? Et n’est-ce pas à Mayo même, dans cette clinique de pointe qui est le but de ma visite, qu’il est admis le 30 novembre 1960 puis, à nouveau, en mai 1961 : officiellement pour diabète sucré et hypertension, en réalité pour y subir, sous le nom d’emprunt de George Saviers, dans le service dit des « suicide watch », des malades suicidaires et à surveiller de près, la double série d’électrochocs dont nombre d’hemingwayens croient, aujourd’hui encore, qu’elle a précipité sa perte? La clinique, je m’en aperçois vite, a le choix entre deux mémoires. Cette mémoire littéraire qu’elle ne semble pas particulièrement chérir : pas de trace du docteur Howard Rome qui fut à l’origine de la double décision, d’abord de traiter psychiatriquement, puis de laisser sortir, l’auteur de Paris est une fête ; pas de portrait de lui dans le Plummer Building où sont les photos de tous les médecins qui ont marqué l’établissement; pas de photo non plus du suicidé de Ketchum, Idaho ; pas de document de tout cela quand tout, d’habitude, fait document; embarras quand j’évoque le sujet; grands yeux incrédules de Jessica, l’attachée de presse de la clinique, quand je lui cite le mot de Martha Gelhorn, l’une de ses ex-femmes, murmurant, après la mort de « Papa », que « la clinique Mayo a fait des erreurs terribles » et que la première de ces erreurs fut de laisser filtrer l’identité réelle du faux George Saviers; stupeur, apparemment non feinte, quand j’évoque les soupçons récurrents, chez les hemingwayens les plus dévots, d’une possible connivence entre le bon docteur Howard Rome et le FBI d’Edgar Hoover qui a longtemps passé pour acharné, dans ces années, à la perte du vieux Rouge, ancien de la guerre d’Espagne et ami de Fidel Castro ; dossier inaccessible, de toute façon, finit-on par me répondre ; vieille histoire ; affaire classée ; rideau. Et puis l’autre légende, plus heureuse, de William Worrall Mayo, ce médecin recruteur de la guerre de Sécession qui, seul d’abord, puis avec William James et Charles Horace, ses fils, pose, il y a un siècle et demi, la première pierre d’une clinique qui reste, jusqu’à aujourd’hui, pour toutes les cliniques du pays, un modèle de technicité, de transversalité en même temps que d’humanité dans la relation avec les malades : traitement de pointe pour certains cancers du poumon; nouveau médicament, le Donepezil, pour certains cas de maladie d’Alzheimer ; systèmes de check-up sophistiqués, « benchmarqués », mathématisés, qui attirent une clientèle venue du monde entier et séjournant dans les suites du Kahler Grand Hotel, relié à la clinique, comme les autres hôtels de la ville, par un système de galeries aériennes et de souterrains qui font de tout Rochester un gigantesque complexe hospitalier; constitution, avec IBM, d’une banque de données génomique riche de six millions de noms ; archives de la maladie ; cellules souches ; recherche sur les cellules souches ; bien sûr que Bush est contre; bien sûr qu’elles sont au cœur, ces cellules souches, de la campagne électorale et qu’il y a bataille autour de l’allocation ou non de fonds fédéraux à une recherche dont Ron Reagan semblait dire, l’autre soir, à Boston, qu’elle aurait pu sauver son père ; mais Mayo est une clinique privée; Mayo est une institution académique, donc privée, qui met un point d’honneur à ne compter que sur elle-même et à ne pas demander un sou au pouvoir fédéral ou régional; Mayo est un lieu exemplaire; Mayo est une clinique éthique ; Mayo est un établissement où les médecins sont payés comme dans un kibboutz et où la volonté de guérir n’a égal que le désir de savoir; et non, par conséquent, on n’a pas attendu, à Mayo, l’issue de la bataille politique pour se porter en première ligne de cette recherche sur les cellules souches... Bon. Vu l’état de délabrement du système de santé américain, vu tout ce que j’entends, depuis que je suis ici, sur les médecins paralysés par la peur des procès ou sur les cliniques qui dégraissent faute de profits suffisants, vu, ce matin, l’article du Spokesman Review racontant comment le Sacred Heart Medical Center de Spokane vient de licencier 174 personnes, dont nombre de ses infirmières les plus qualifiées, parce qu’il n’était pas sûr d’atteindre les 3 % de croissance des résultats promis par le management aux actionnaires, vu qu’il y a là l’un des problèmes majeurs du pays, l’une de ses plaies ouvertes et ouvertement purulentes, vu que la réforme de la santé publique est l’un des défis les plus redoutables qu’il devra relever dans les prochaines années, je choisis, légende pour légende, d’oublier exceptionnellement la légende littéraire et de m’intéresser à la légende médicale. Vive Mayo. Vive ses toubibs consultants. Vive sa philosophie de l’éternel salariat et ses buts si fièrement non lucratifs. Vive sa culture de l’excellence et son culte de la performance. Vive ses chercheurs de génie qui semblent le portrait des savants tocquevilliens mettant la même « énergie sans pareil » (Livre II, Première Partie, Chapitre X) à la « pratique des sciences » que les savants d’une « nation aristocratique » à leur « théorie ». Vive la douce folie de ces hommes des Lumières qui ont déclaré la guerre à la maladie et qui, l’œil rivé sur leur ordinateur, leur capital d’observations et de malades, leurs protocoles chaque jour plus affinés, savent qu’ils sont les plus forts, qu’ils ne laissent aucune chance à l’ennemi et que, pour cela, ils gagneront. Puisse Mayo faire école. Puisse le modèle Mayo l’emporter sur l’antimodèle dominant. Face à leur système de santé en ruines, et où semblent se cumuler les vices, en principe incompatibles, du néolibéralisme déchaîné et de l’irresponsabilité des médecines assistées, puissent les Etats-Unis se donner les moyens de créer deux, trois, dix nouveaux Mayo.
Danse avec un loup
Je suis, depuis Sioux Falls, entré dans le Sud Dakota. La plaine. Les motards. Des bandes de « Hell’s Angels » filant vers Rapid City avec leurs blousons, leurs cuissardes lacées, leurs écussons de métal dans le dos, leurs bandanas dans les cheveux, leurs lunettes d’aviateurs. Mitchell et son musée du maïs. Chamberlain et sa St Joseph Indian School où l’on a longtemps « rééduqué » les enfants indiens. La plaine encore. Le désert. Nuages longs et nets. Descente, en fin de journée, après dix heures de route, vers la réserve de Lower Brule. Végétation de ronces et d’arbustes. Route mal carrossée. Guimbardes. Ecriteaux indiquant le nombre d’accidents mortels survenus au virage. Bêtes étiques dans des enclos de fortune. Troupeau de bisons dans le lointain. Ivrognes écroulés sur le bas-côté. Petits lacs. Et puis Lower Brule enfin. Lower Brule proprement dite. J’attendais un village. Mais non. Maisons éparses. Roulottes fixes. Un côté campement militaire ou camp de réfugiés qui fait plus Sud Soudan que Sud Dakota. Une dernière mare, infestée de moustiques. Un pauvre casino, le Golden Buffalo. Rien à voir avec les temples kitsch dont les tribus indiennes ont, paraît-il, le monopole. Juste des machines à sous crasseuses dans un décor de saloon. Juste une poignée de petits Blancs alcoolisés et tristes qui errent entre les tables en serrant bien fort leurs jetons. Et puis, quelques kilomètres plus loin, en plein champ, après une sorte de check-point où le numéro d’immatriculation de notre voiture a été visiblement annoncé, un cercle balisé comme pour un rodéo, des tentes, des chaises de plastique et des gradins de bois sous les tentes : c’est là que doit avoir lieu le powwow, la danse sacrée, où l’on a, honneur insigne, admis aujourd’hui deux groupes de Blancs – outre mon équipe, le sénateur du Sud Dakota, Tom Daschle, accompagné de sa famille.
Conversation avec John Yellowbird Steele, le président de l’« agence tribale », petit homme bedonnant et prospère, casquette et blouson de supporter d’équipe de base-ball, ray-bans, à qui je demande pourquoi les Indiens d’Amérique ne songent pas à un Mémorial sur le modèle de ce qu’ont fait les juifs : « la mémoire est ici, me répond-il en se frappant la poitrine; ici; au-dedans de nous; un Mémorial ne ferait que durcir les choses, braquer et énerver les Blancs, alors qu’il est tellement plus astucieux d’instrumentaliser la souffrance indienne, oui, j’ai bien dit instrumentaliser, attendez le sénateur, vous verrez. »
Réponse de Linda Vargas, travailleur social à Lower Brule, taille de danseuse, sexy, joli chignon gris sous le chapeau de cow-boy, très Bardot dans Viva Maria, qui a écouté la fin de la conversation et explose : « corruption ; trahison ; maudits soient ceux qui bradent, ainsi, le malheur indien ; il y a une raison de refuser votre idée de Mémorial mais elle n’a rien à voir avec ce que vous dit ce vendu ; on fait un Mémorial pour signifier que la guerre est finie; or, cette guerre n’est pas finie; regardez les expropriations qui continuent, les traités rompus, le génocide qui se poursuit ; la guerre n’est pas finie, et le Mémorial n’a pas lieu d’être. »
Remplissage, pendant ce temps, des gradins et des rangées de chaises en plastique ; centaines de pauvres gens, venus de toute la réserve, qui se mettent sagement en rond; enfants trop maigres et chafouins; femmes prématurément vieillies; hommes en jeans et blousons que seuls leurs cheveux tirés en catogan ainsi, hélas, que leurs gueules cassées, dévastées par l’alcool et la misère, distinguent du fermier américain moyen; il y a là le bureau des affaires indiennes au grand complet, les employés de la Wells Fargo et de l’usine de pop-corn, les gens des Services indiens de santé et du casino, les chômeurs, les clodos ; il y a, à Lower Brule, 1362 Indiens recensés, dont un bon tiers de nécessiteux ; à vue de nez, tout le monde est là.
Et puis frémissement de la foule enfin : c’est le sénateur Tom Daschle qui est arrivé, bien coiffé, propre sur lui, pantalon beige un peu court, chemise à carreaux rouges sans veste, sosie démocrate de George W. Bush, accompagné de sa femme, sa fille, son fils – photos, autographes, légère imposition des mains aux malades et aux paralytiques, embrassade avec Yellowbird, baisers aux jeunes Indiennes en polo jaune, pas trop typées, qui brandissent les pancartes « Tom Daschle, une voix forte pour le pays indien », la mascarade peut commencer.
Je ne pense évidemment pas, quand je dis mascarade, à la danse elle-même, très belle, très émouvante, avec sa centaine de femmes couvertes de bijoux, ses guerriers au visage peint et empreint de béatitude, ses sorciers nus et portant dans le dos des grandes ailes d’ange, ses anciens en tête de cortège frappant le sol en cadence avec leur lance, ses flûtes emplumées, ses tambours, ses mélopées suaves et graves aux aigus montant soudain très haut, « Je suis un Lakota, je souffre pour mon peuple » – c’est le chant de Crazy Horse, me souffle mon voisin, ému aux larmes, c’est aussi celui de Kills Enemy et de Burgess Red Cloud...
Non. Je pense à la famille Daschle. Je pense à l’image pitoyable de Linda, sa femme, pull noué sur les épaules comme pour un week-end à Newport, très First Lady de province se trémoussant à contre-rythme. Je pense à son dadais de fils, Nathan, la tête ailleurs, raide, tapant mollement du pied, sans se donner la peine de suivre la cadence. Je pense à Lindsay, sa fille, tout sourire à mon cameraman, agitant gracieusement la main entre deux Indiennes en transe. Et je pense à lui, Daschle, se poussant, pour la photo, entre les danseurs de tête : ballet étrange, un peu macabre, mais qui, sans lui, eût été beau, d’un guerrier lakota brandissant le drapeau US et d’un autre, en uniforme de l’armée de Custer, portant une bannière lakota – longs pas glissants, génuflexions, cris modulés, puis tête rejetée vers le ciel en signe d’extase ou de désespoir, et lui, Daschle, content de lui, oh ! si manifestement content de son pauvre coup politique !
Comment ne pas songer, là, à ce qu’ont signifié ces danses et que, peut-être, elles signifient encore ? Comment ne pas se dire que ce sont les mêmes danses des spectres qui suscitaient, il y a un siècle, chez les ancêtres de Daschle, une terreur si vive qu’ils les interdisaient sous peine de mort? Comment ne pas songer à Wounded Knee et à la fin de Sitting Bull ? Comment ne pas avoir à l’esprit ces milliers d’Indiens massacrés parce qu’ils s’adonnaient à ces danses que singent aujourd’hui Tom Daschle et sa famille? Quand je dis mascarade, je pense aussi aux Indiens qui consentent à cette singerie; je pense au Chef qui, ensuite, debout aux côtés du sénateur, pérorera que le peuple lakota a pris le drapeau des mains de Custer et que, maintenant, le drapeau est à lui ; je pense à la distribution de soupe, par les majorettes du sénateur, en t-shirt et casquette orange, à la fin de la cérémonie.
Déception de Tocqueville lorsqu’il arrive à Buffalo et que, au lieu de ces « sauvages sur la figure desquels la nature aurait laissé la trace de quelques-unes de ces vertus hautaines qu’enfante l’esprit de liberté », il rencontre des hommes à la « petite stature », aux membres « grêles et un peu nerveux », à la « figure ignoble et méchante », marqués des « vices » et « dépravations » conjoints de leur civilisation et de la nôtre. Mélancolie de Chateaubriand, puis de Fenimore Cooper, face aux « derniers des Mohicans » qu’ils décrivent en des termes à peine plus flatteurs. Qu’auraient-ils dit, les uns et les autres, de cette cérémonie sacrée qui, à Lower Brule, tourne à la distribution de jeux et de pain ?
Rushmore comme un mythe
Trois faits dont je ne suis pas sûr que soient conscients les innombrables touristes qui viennent, chaque année, en pèlerinage au mont Rushmore et que, moi, en tout cas, j’ignorais.
L'architecte d’abord. Ce fameux Gutzon de la Motte Borglum à qui l’on doit la conception, puis l’essentiel de la construction, des quatre figures de pierre qui sont, dans le monde entier et, plus encore, depuis Hitchcock, le symbole de la démocratie américaine. Je découvre à Wounded Knee, de la bouche d’une vieille Indienne rencontrée au seuil du monument construit sur l’emplacement du massacre de 1890, qu’il fut un membre éminent du Ku Klux Klan; que son premier grand projet fut, en Géorgie, à l’initiative du Klan, un mémorial confédéré à la gloire des trois héros sudistes Robert E. Lee, Jefferson Davis et Stonewall Jackson; et que ce n’est qu’après l’échec de ce premier projet, après sa rupture donc avec les très douteuses United Daughters of Confederacy, qu’il se rabattit sur Rushmore.
Le site ensuite. Ce site magnifique sans doute, choisi pour la direction de sa lumière, la profondeur de sa roche granitique et sa faible érosion à travers les âges, mais dont l’autre caractéristique est d’être placé au cœur de ces Black Hills qui sont un lieu saint pour les Indiens et, en particulier, pour la nation lakota à qui il avait été garanti aux termes du Traité de Fort Laramie. Il y avait d’autres options possibles. Les Rocheuses, et même les Appalaches, ne manquaient pas de lieux superbes où le disciple de Rodin eût pu donner corps à son rêve. Or il a choisi celui-ci. Lui et ses commanditaires, à commencer par le patron de la South Dakota Historical Society, Doane Robinson, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de ficher leur monument dans cette zone éminemment disputée, au cœur de ce que la nation indienne a de plus sacré. Etrange.
Et puis le nom enfin. Ce nom de mont Rushmore qui semble aller de soi et dont j’ai toujours pensé, comme tout le monde, qu’il était immémorial. Eh bien justement non. Rien de moins immémorial que ce nom de mont Rushmore. Car voici le plus énorme, que je vais découvrir, plus tard, en surfant sur les sites internet consacrés au tourisme dans la région. C'est le nom de Charles E. Rushmore, un avocat qui, en 1885, en pleine ruée vers l’or, au moment où l’on cherchait tous les moyens militaires et légaux d’exproprier les derniers Indiens, sillonnait les Black Hills pour le compte de compagnies aurifères américaines. Comment s’appelle cette belle et riche montagne ? aurait-il demandé à son guide. Pas de nom, lui aurait répondu celui-ci. C'est une vieille montagne indienne sans nom. Donnez-lui donc le vôtre et cet acte de nomination vaudra expropriation.
S'ajoute à cela le caractère pathétique du Mémorial de Wounded Knee, planté au milieu de nulle part, à l’intersection des deux routes, là où se dressait jadis le village du même nom et où j’ai rencontré ma vieille Indienne : un simple bloc de ciment, tout rond, très sommaire, atmosphère de pénombre et de chapelle ardente, où il n’y avait, le jour de mon passage, que deux jeunes du voisinage venus acheter des calicots « Vote for Russel Means ».
S'y ajoute l’impression de malaise que laisse, un peu plus loin, sur la même route, l’autre Mémorial indien, le vrai, dédié à Crazy Horse, et qui, dans l’esprit de ses promoteurs, dans celui, en tout cas, de Chief Henry Standing Bear, le leader lakota qui, en 1947, en passa commande au sculpteur polonais Korczak Ziolkowski, était supposé faire pièce à Rushmore (Ziolkowski fut lui-même assistant de Borglum, donc passé par le chantier Rushmore) : monumental, certes, cet hommage à Crazy Horse; lyrique; soutenant donc, en principe, la comparaison ; mais sous-financé ; inachevé; le corps glorieux du héros indien, celui de son cheval ailé, encore pris dans la pierre non taillée; et l’absurdité, enfin, du musée, attenant à la statue équestre, et dont le clou, l’attraction la plus courue, celle qui, cet après-midi, suscitait le seul attroupement, est une vieille maquette de carton jauni, non pas du monument lui-même, ni même de ce qu’il sera au jour de son achèvement, mais de ce que l’on pensait, il y a vingt ans, qu’il finirait par devenir lorsqu’il serait un jour achevé – nouvelle variante dans le délire muséographique américain! autre version du syndrome de l’assiette de fromage de John Kerry! et pathétique aveu, surtout, de la virtualité définitive où, à l’inverse de Rushmore, l’Amérique a installé son mémorial indien ! D’un côté un monument fini, une cathédrale de pierre. De l’autre cette ébauche, ce travail bâclé, ce haut-relief en souffrance dont tout le dispositif ambiant est fait pour nous accoutumer à l’idée que la souffrance, qui dure depuis vingt ans, pourrait durer jusqu’à la fin des temps.
Le moins que l’on puisse dire est que tout cela est bien gênant. Bien triste, bien gênant et, pour la mise en scène de la mémoire américaine, finalement embarrassant. Pour en revenir à Rushmore, une chose, au moins, est sûre. Ce temple de l’Idée, ce quasi-sanctuaire où viennent en pèlerinage des millions d’Américains croyant y trouver l’expression même de la destinée manifeste de leur pays, ce symbole, dans le monde entier, de la démocratie, ce bouquet d’icônes que sculpta, sur une terre volée aux Indiens et baptisée par un chercheur d’or, un ancien du Ku Klux Klan dont j’ai découvert, depuis, qu’il n’a, après sa rupture, jamais complètement renoncé ni à son antisémitisme ni à ses idées sur la suprématie de la race blanche, tout cela est un outrage en même temps qu’un mémorial. Les Américains le savent-ils ? Sentent-ils, ne serait-ce qu’obscurément, que leurs Pères fondateurs sont, ici, des pères profanateurs ? Et est-ce la raison pour laquelle le mémorial qui avait, à l’origine, vocation à s’étendre, à sculpter et honorer d’autres figures, à aller, par exemple, jusqu’à l’autre Roosevelt ou jusqu’à Kennedy, en est, finalement, resté là? Tout ce que je peux dire c’est que l’Idée américaine est une idée trop sérieuse, trop belle et trop indispensable, aussi, à l’économie symbolique du monde, pour être laissée à la garde des fétichistes de Rushmore.
Un héros indien frappé par l’antisémitisme
Question de cours : le statut de victime, ou de porte-parole de victimes, donne-t-il tous les droits ?
Travaux pratiques : rencontre avec Russel Means, l’activiste fameux, vétéran de Wounded Knee, ami de Marlon Brando, avocat infatigable de la cause et du malheur indiens, icône, héros, figure haute en couleur et légendaire, que je suis heureux et fier de rencontrer.
Lieu de l’action : au cœur de la réserve de Pine Ridge, au milieu d’un terrain vague entre Potatoe Creek et Porcupine, une roulotte montée sur pilotis, à laquelle on accède par un sentier d’herbes folles, puis de planches délabrées, qui enjambent un ruisseau d’eaux usées – sa maison ? sa maison.
Décor : cuisine en désordre ; longue table autour de laquelle nous prendrons place lorsque commencera l’interview; livres par terre; gros fax d’il y a vingt ans ; aquarelles que je prends d’abord pour des vitraux mais dont il m’expliquera qu’elles sont de lui; photos des films où, comme jadis Chief Big Tree ou Chief Thundercloud, il a tourné ; affiche « ne m’en veuillez pas, je vote pour Russel Means »; tracts de la campagne en cours, pour la présidence de l’agence tribale, contre le chef sortant, l’homme du powwow d’hier, John Yellowbird Steele; tracts de soutien à George W. Bush auquel je savais qu’il s’était, en effet, rallié.
Première phrase, debout encore, sur le seuil de la roulotte, très grand dans la lumière raide de plein midi, très imposant, cheveux noirs et longs noués en queue de cheval jusqu’au milieu du dos, short et maillot de corps bleu pétrole, baskets, biceps puissants sous la peau nue, énergie, charisme, bagues à tous les doigts, bracelets et colliers de corne – phrase, donc, de bienvenue accompagnée d’un éclat de rire : « vous ici, monsieur Lévy ? pas encore en Israël ? j’ai pourtant entendu à la radio que Sharon avait demandé à tous les juifs de France d’émigrer à Tel-Aviv ! – ah ! ah ! ah ! »
Et comme je sursaute, comme je lui signifie que je n’ai pas fait toute cette route pour écouter ce genre de mauvaises blagues et comme je lui signale aussi qu’il tombe mal, que je suis un juif, non seulement universaliste, humaniste, etc., mais solidaire de la cause indienne et venu l’interroger sur l’opportunité de créer, au lieu de ces casinos qui ne veulent rien dire et sont un venin à effet lent, un Yad Vashem de la douleur indienne, cette réponse, terrible, dont chaque mot est pesé, martelé, sur un ton de colère contenue : « je n’ai pas de leçon à recevoir des sionistes; vous m’entendez, pas de leçon; quand j’ai eu besoin d’eux, ils n’étaient pas là ; je suis allé les voir, je suis allé chercher les juifs de Cleveland, et j’ai attendu, oh ! tellement attendu, et personne, vous m’entendez personne, n’a répondu; alors pas de leçon, hein ! un peu de décence, pas de leçon ! quoi ? la secte Moon ? mais oui, monsieur, la secte Moon ; ce n’est pas une rumeur, c’est la vérité; il est exact que j’ai fait une tournée de conférences sous l’égide de la secte Moon ; ils m’ont fait moins de mal que les catholiques; contrairement à vous, les juifs, ils m’ont, eux, tendu la main ; quand on est dans notre situation, monsieur Lévy, quand on a le monde entier contre nous, on ne fait pas de détail, on prend ce qui vient... »
La suite de l’entretien restera baroque, véhémente, parfois loufoque, mais, tout de même, plus maîtrisée. Russel Means, à qui je raconterai l’épisode du powwow, me répondra que « Tom Daschle est un serpent », le « pire être humain de toute l’Amérique » et que c’est la raison pour laquelle il est « un leader du parti démocrate ». Il m’expliquera que la « politique indienne » telle qu’elle s’est formalisée dans le Indian Reorganization Act de 1934, a réalisé le tour de force d’être le « modèle secret d’Hitler » dans son traitement des « indésirables », la « photocopie », avec soixante ans d’avance, du Bantu Development Act d’Afrique du Sud et, aujourd’hui, début du XXIe siècle, le dernier cas au monde de « pur et simple communisme ». Il m’avertira, œil de feu, voix de stentor, que « chaque officiel indien que je rencontrerai dans ce pays » est un corrompu, un collabo, vous entendez, un collabo (il dit exactement, en forçant sur l’accent français, « un Vichy »), un « apple Indian, rouge dehors et blanc dedans ». Il évoquera, non sans éloquence, ces Indiens, son peuple, qui sont assis sur « 40 % des ressources naturelles du pays » mais restent « les plus pauvres d’entre les pauvres », dotés de « l’espérance de vie » la plus faible d’Amérique, « le peuple le plus abîmé, le plus détruit, de toute la part occidentale de la planète ». J’aurai droit à un développement cocasse, mais sincère, sur la nécessité de « jeter l’homme blanc dehors », autrement dit de faire sécession, et, en même temps, sans que la contradiction semble le moins du monde lui apparaître, sur le fait que l’on pourrait, pour y attirer les entreprises, profiter de ce que les réserves indiennes ont un statut privilégié qui fait qu’elles « n’ont pas à se soucier de salaire minimum », qu’elles n’ont pas le problème des « systèmes de sécurité sociale et de santé » et, surtout, que l’on n’y connaît guère les syndicats. Il me dira de belles choses sur les langues indiennes oubliées, de moins en moins parlées et, pourtant, magnifiques. Il me chantera la grandeur de cette culture qui, comme celle des anciens Grecs, mettait et met encore l’héroïsme au poste de commande : ne pas parler des Indiens au passé, tonnera-t-il; ne pas tenir pour acquise la mort de leur monde et de leurs valeurs ; ce fut la grande erreur de calcul des Blancs ; ils partaient, les Blancs, du principe que la nature prendrait le relais et que cette sale race d’Indiens allait s’éteindre doucement; eh non; c’est la surprise; « nous sommes la communauté d’Amérique qui a le plus fort taux de croissance; nous étions 250 000 il y a un siècle, nous sommes plus de deux millions aujourd’hui; voilà notre réponse, monsieur, à la politique génocidaire... » Rien, pourtant, ne me fera oublier ses phrases terribles du début. Rien, aucune belle parole ni émotion, n’effacera, à mes yeux, la brutalité fétide de son accueil.
A qui la palme du martyre ? Qui dans le rôle terrible du roi de la souffrance ? Et est-ce que les juifs, avec leur Shoah, leur mémoire obsessionnelle, leurs lobbys, ne nous font pas un tort irrémédiable ? C'est, en gros, ce qu’il m’a dit. Et tant qu’il y aura des leaders indiens pour tenir, comme lui, ce type de langage, tant qu’ils n’auront pas clairement rompu avec la logique de la concurrence victimaire et de la guerre des mémoires et des souffrances, tant que, par conséquent, ils céderont à un antisémitisme qui a toujours trouvé dans cette guerre ses arguments les plus faciles, il y aura comme une ombre sur la légitimité de la cause qu’ils défendent.
Rencontre avec Jim Harrison
En voilà un que la réaction de Russel Means n’a pas l’air de beaucoup surprendre.
La rencontre a lieu le lendemain, au Chathman’s Livingstone Bar and Grill, à Livingstone, au cœur de ce Montana où il s’est installé parce qu’il en avait assez de voir son Michigan envahi par les Républicains et les gens de Bourse.
Dieu sait s’il les a aimés, les Indiens... Dieu sait s’il les aime encore quand ils ont le visage de Louis Owens, Ron Querry, Sherman Alexie, ses écrivains amis. Mais Russel Means... Il ne connaît pas Russel Means. Mais il devine. Il sait les ravages que fait la culture blanche quand elle va au bout de sa logique de corruption des âmes et des cœurs. Il sait comme elle peut transformer les meilleurs en clowns, pantins, fantômes d’eux-mêmes. Un mémorial ? Bon, un mémorial. On peut même, si j’y tiens, lancer un Comité international pour le Mémorial. Mais ce n’est pas un mémorial qui rendra son âme à Crazy Horse et à ses guerriers mystiques. Ce n’est pas un mémorial qui sauvera l’héritage sublime de Sitting Bull et de Dava. Est-ce que j’ai lu, au fait, le livre de James Welch sur la bataille de Little Big Horn ? Et est-ce que j’ai senti, puisque j’en arrive, l’atmosphère étrange, électrique, encore magique, qui règne à Wounded Knee ? Non, bien sûr, je n’ai rien senti. La cause est perdue, on ne sent plus rien. Restent les écrivains, ces gardiens des morts – mais bye bye les âmes vives, adieu la culture indienne.
Big Jim est triste. Il me regarde de son œil unique, puis regarde la bouteille de côtes-du-rhône déjà vide que son ami Chathman, selon un rituel sans parole mais bien réglé, lui remplace illico, et il est triste. Il retrouve un peu d’éloquence lorsqu’il me parle de sa maison, dans la montagne, où il entend le chant de la nature. Ou quand il évoque le retour des loups dans le Montana et le fait que jamais, vous m’entendez, jamais, l’on n’a enregistré un cas de loup qui s’en soit pris à un humain. Ou quand il dit son goût pour Faulkner qu’il préfère à Hemingway : c’est agaçant, à la fin, cette façon qu’ont les journalistes pressés de toujours le comparer à Hemingway alors que c’est Faulkner le vrai frère, Faulkner le vrai écrivain – n’est-ce pas votre Tocqueville qui dit que l’Amérique n’a pas de poètes? et n’est-ce pas la raison pour laquelle on a si souvent tendance, chez vous, à sous-estimer Faulkner? Il retrouve de l’enthousiasme, aussi, lorsqu’il parle de la France qui lui a tant donné à l’époque où l’Amérique le traitait comme un vaurien. Il s’échauffe quand il se met à faire l’éloge du décalage horaire, cet état délicieux où l’on est, non seulement entre deux espaces, mais entre deux temps, plus tôt ou plus tard, crépuscule ou matin du monde – il faudrait un poème pour dire, quand on est à Paris, Hôtel de Suède, ou chez l’ami Bourgois, ou chez Michel Le Bris, la grâce de cet entre-deux ! Mais il suffit que la conversation revienne vers l’Amérique, non seulement les Indiens, mais l’Amérique en général, cette Amérique qui, dit-il, n’a jamais été si pauvre, ni si vulgaire, ni si liberticide depuis Nixon, il suffit que l’on revienne à ça pour que, sur sa trogne de vieux flibustier, marbrée, à mesure qu’il boit, de plaques rouges ou tirant sur le mauve, achève de s’imprimer un air de lassitude accablée.
Bien, je lui dis. Mais l’Amérique de Nixon ce fut aussi, n’est-ce pas, celle de la révolte des sixties. Est-ce qu’on ne peut pas imaginer la même chose ? Est-ce qu’il ne sent pas, dans les tréfonds de son pays, un sursaut de liberté de la même espèce ? Et est-ce qu’il ne devrait pas mettre sa gloire, sa légende, au service de... ?
Il me regarde, là, comme si je me fichais de lui. M’intime, du geste, l’ordre de ne pas en dire davantage. Vide son verre. Redemande une autre bouteille. Regarde le plafond de l’air d’un aveugle qui voudrait se souvenir de la lumière. Puis part d’un rire énorme, et complètement inattendu, qui fait se retourner, dans l’autre pièce, les clients du restaurant.
Arrêtez avec la légende, il me dit. C'est ce qui n’était pas supportable, justement, chez Hemingway. Et c’est ce qui a fini par le tuer. Alors que moi... Je mourrai de quelque chose, forcément... Peut-être de ça (il montre la nouvelle bouteille, déjà bien entamée)... Ou d’autre chose (il regarde Anika, mon assistante)... Mais sûrement pas de cette foutue légende qui m’est complètement étrangère !
Et puis rien de comparable, il me dit aussi. Car la situation, il insiste, est bien pire que sous Nixon. Il y a les Républicains à droite, les politiquement corrects à gauche. Les affamés des marchés financiers, d’un côté; les crétins qui, de l’autre, veulent nous empêcher, mon pote Nicholson et moi, de fumer, de boire et (nouveau regard à mon assistante) d’apprécier la beauté du monde. Le problème, je vais vous dire, c’est Yale. Oui, Yale. L'école de Bush et de Kerry. L'école aussi, notez-le, de mon David Burkett III. Je savais bien qu’un jour Yale prendrait le pouvoir. Eh bien voilà. On y est. Ce n’est plus le « grand forestier » mais le « grand prédateur ». Et ce triomphe du grand prédateur, cette victoire des goinfres, des avides, sur les hommes de progrès, c’est la vraie vérité de l’Amérique. Savez-vous que j’ai envoyé Hollywood se faire foutre le jour où j’ai estimé que le système devenait fou et, en me payant trop cher, allait me transformer, moi aussi, en un salaud insatiable et goulu ? Reste à refuser, oui. Et à rire. Et à faire de la littérature. Et, comme les Indiens, à sauver les morts. Et, puisqu’on en est aux Indiens, reste à sauver, chacun, la part d’Indien qui est en soi.
L'Indien, catégorie de l'âme ? Région de l’être et de l’esprit? Harrison, à cet instant, parle comme Bohumil Hrabal, dans son appartement de Prague, en 1989. Il parle, toutes proportions gardées, comme mes amis dissidents, dans la Russie des années de granit, qui ne voulaient plus croire qu’en une résistance morale, nichée au cœur de chacun. Il se veut écrivain et dissident. Ecrivain, donc dissident. L'histoire qu’il me raconte est celle d’un homme, découragé mais intraitable, sans illusions mais offensif, qui, tant qu’il y aura des hommes libres, c’est-à-dire des écrivains et des Indiens, fussent-ils, comme lui, des Indiens blancs, ne désespérera ni de la vie ni de l’Amérique. Je ne suis plus très sûr, à cet instant, de le suivre. Je suis même certain de ne pas trop aimer cette idée d’une Amérique comparée à un pays totalitaire qui ne laisserait d’autre issue aux âmes que le retrait. Mais voilà. Je suis trop passionné pour l’interrompre. Trop captivé pour polémiquer. Et, donc, je le laisse dire – je l’écoute et je le laisse dire.
Pauvre Israël
C'est la journée à laquelle j’aurais préféré pouvoir échapper.
Je suis revenu à Washington, puis à New York, pour la Convention républicaine. Et, ayant un peu de temps, j’ai décidé de le passer à Brooklyn, quatrième ville des Etats-Unis – oui, c’est une chose que l’on a tendance à oublier en Europe et que, moi, en tout cas, j’oublie toujours : la ville d’Arthur et Henry Miller, Barbra Streisand, Mel Brooks, Hubert Selby Jr, Spike Lee, la ville qui symbolise, vue de France, la vitalité du judaïsme américain, est, avec ses deux millions et demi d’habitants, la quatrième ville des Etats-Unis.
Enseignes en yiddish. Paysage de garages et entrepôts jouxtant des restaurants kasher. Hommes en noir. Tefilin. Lourd appareillage, malgré la chaleur de l’été, de la kippa, du chapeau, de la redingote et, pour les femmes, de la jupe longue et du fichu. Temps immobile. Recueillement. Seule note d’affairement dans ce monde inhabituellement silencieux et dont je ne connais d’autre équivalent que le quartier de Mea Shearim à Jérusalem, le passage, toutes sirènes dehors, de la nouvelle ambulance des Hazdaleh, ce service de volontaires juifs qui consacrent un tiers ou une moitié de leur semaine à secourir les laissés-pour-compte du système de santé public. Et les deux événements, enfin, pour lesquels je suis venu. Une réunion du bureau de l’Ohel Children’s Home and Family Services où tout, depuis les lambris de bois écaillé, les photos en noir et blanc de l’époque des pionniers d’Israël, les casquettes style ghetto de Varsovie de la plupart des hommes, les chapeaux-cloches des femmes, leur maquillage démodé, leur air de sortir d’un plan d’Exodus, jusqu’aux silhouettes et aux gestes, semble témoigner d’un temps révolu mais, ici, en plein New York, mystérieusement retrouvé. Et puis, à la yeshiva voisine, au coin de la 47e Rue et de la 6e Avenue, dans un décor plus austère encore et qui rappelle les salles d’études de Lituanie, la réunion du Conseil des Sages de la Torah : assis autour d’une longue table où trône un maître à barbe blanche, Rabbi Yaakov Perlow, Rebbe de Novominsk et chef spirituel de l’Agudath Israel of America, une assemblée de rabbins, très belle, très poétique, je ne crois pas en avoir jamais vu de semblable, qui semble surgie, cette fois, d’un roman de Isaac Bashevis Singer et où débarquent deux étranges personnages venus, disons le mot, négocier le soutien des juifs orthodoxes à Bush et à son camp.
L'un, Norm Coleman, candidat républicain – et juif – au siège de sénateur du Minnesota, est un yuppie blond aux dents trop blanches et au sourire de loup.
L'autre, Rick Santorum, sénateur républicain et catholique de Pennsylvanie, je l’interviewerai, plus tard, en marge de la Convention et il m’expliquera que c’est en tant que catholique, parce que juifs et catholiques révèrent le même Dieu, parce qu’ils voient le monde et la société d’une façon similaire et, aussi, parce que les catholiques ont besoin d’un Israël paisible, fidèle et, surtout, juif pour le jour du Jugement, qu’il soutient l’Etat hébreu.
Merci, commence en substance le premier, sous l’œil méfiant et imperceptiblement amusé des rabbins... Merci, non d’être là, mais d’être tout court et d’exister... Je suis né pas loin d’ici et vous incarnez pourtant un autre monde... Ce monde est un exemple... Votre monde est un modèle... Votez pour moi.
Votre foi, renchérit le second, plus mielleux encore, plus flatteur, cherchant désespérément à croiser le regard du rabbin Perlow qui, dans son grand manteau noir satiné qu’il ne quittera pas de la séance, visage fermé, œil dans le vague, semble définitivement absent... Votre foi et la mienne... L'image de votre foi et de votre appartenance est ce qui m’aide à vivre et à croire.... Demain, je dois m’adresser à une assemblée de chrétiens très pieux; eh bien sachez que, quand je leur parlerai de la foi, des pouvoirs et de la grandeur de l’espérance, c’est à vous que je penserai, c’est votre exemple que j’aurai à l’esprit.
Et les rabbins, méfiants donc, ironiques, air d’insondable dédain, écoute flottante de ceux qui ont tout vu, tout entendu et qui observent ce ballet du boniment depuis leurs millénaires d’histoire et de sagesse, s’ennuient en silence, posent quelques questions, se consultent du regard et finissent par dire, mais comme ça, sans insister, sans se départir de leur ostensible détachement à l’endroit de tout ce qui n’est pas, directement ou indirectement, lié à leur souci du ciel : « voilà, puisque vous y tenez, les besoins de notre communauté... voilà ce qu’il nous faut en matière d’écoles, de synagogues, de services de santé et de soutien à Israël dans sa lutte contre le terrorisme. »
De cette scène, de ce face-à-face pénible entre la foi et l’appétit, la plus haute exigence de l’esprit et l’indifférence carnassière des pêcheurs de voix, je ne sais qui il faut blâmer le plus ; et peut-être n’y a-t-il lieu, d’ailleurs, de ne blâmer personne et suis-je juste en présence de l’une de ces opérations de marchandage ou de lobbying qui sont l’ordinaire du « pragmatisme civique » dont parle Tocqueville et qui ont au moins le mérite, par rapport à l’hypocrisie européenne, de jouer cartes sur table. Mais d’une chose, néanmoins, je suis sûr. J’ai mes propres radars. J’ai mon tableau de bord personnel où clignotent, sur les sujets sensibles, les signes annonciateurs du meilleur et du pire. Eh bien je n’ai pas senti, en Rick Santorum et Norm Coleman, les amis sincères qu’ils prétendent être et qui sont supposés faire de ce pays l’indéfectible soutien d’Israël. Je les ai entendus. Observés. J’ai vu, chez l’un comme chez l’autre, la considération obligée pour une communauté puissante, soudée, et qui tenait, pour partie, leur destin politique entre ses mains. Mais qu’adviendrait-il d’une situation où ladite communauté se trouverait soudain moins puissante ? Que se passera-t-il le jour (dont nul ne peut exclure qu’il finisse par arriver) où une autre communauté, qui fera de la haine des juifs le cœur de son programme, acquerra une puissance supérieure ? Et quant à la brillante idée, chez Santorum, d’un Etat juif qui doit rester juif pour mieux devenir, un jour, catholique, quant à l’argument (que l’on trouve plutôt, d’habitude, chez les nouveaux Evangélistes) selon lequel il est capital que la Palestine soit juive au moment où auront lieu la bataille de l’Armageddon et le retour triomphal du Christ, comment ne pas sentir que c’est le type de raisonnement qui dure ce que durent les malentendus ? Je me trompe peut-être. Mais je ne donnerais pas cher du soutien américain aux rescapés de la Shoah s’il venait à dépendre, vraiment, de personnages de cet acabit.
Retour de l’idéologie
Qu’est-ce qu’un Républicain ? Qu’est-ce qui, dans l’Amérique d’aujourd’hui, le distingue d’un Démocrate ? Existe-t-il, ce partage des deux Amériques, la bleue et la rouge, la progressiste et la conservatrice, que récusait Barack Obama mais auquel Jim Harrison, lui, semble croire ?
D’un côté, il est vrai, je ne cesse de rencontrer des Démocrates qui pensent comme des Républicains et vont, sans état d’âme, sans songer une seule seconde à quitter leur parti d’origine, voter pour George Bush (l’ancien maire de New York Ed Koch; l’ancien directeur de la CIA James Woolsley).
De la même façon, je ne cesse de voir des Républicains qui, sans état d’âme non plus et sans même comprendre le sens de mon étonnement, s’apprêtent soit à voter Kerry (Ron Reagan, fils du Président Reagan et apôtre du soutien fédéral à la recherche sur les cellules souches), soit à s’abstenir (cette association d’homosexuels conservateurs dont j’ai interviewé, à Washington, l’un des animateurs, Chris Barron, et qui ne peut ni ne veut soutenir la prise de position du candidat Bush en faveur d’un amendement constitutionnel proscrivant les mariages gays).
D’un côté, donc, un régime d’appartenance original, sans comparaison avec ce que nous connaissons, nous, en Europe, et où le lien avec le parti est à la fois très fort et très flou, terriblement tenace et, en fin de compte, assez vide : un lien essentiel, si l’on veut (Koch, par exemple, n’y renoncerait à aucun prix et c’est avec fierté qu’il me montre, dans son bureau de la 5e Avenue surplombant sa chère New York, tout près des images sacrées de Sadate, Dizzie Gillespie, Teddy Kollek ou Mère Teresa, ses photos avec Hillary), mais dénué de toute espèce de contenu et même de prescription (quand je lui demande ce que cela veut encore dire, quand on vote républicain, de se déclarer démocrate, il hésite, se trouble un peu, regarde la photo d’Hillary comme si elle allait lui souffler la réponse et finit par lâcher : « entêtement et nostalgie – un mélange d’entêtement et de mémoire, d’habitude et de fidélité, c’est tout »...).
Mais de l’autre côté, en revanche, j’ai suivi, depuis trois jours, la Convention républicaine de New York. J’ai écouté les discours de Giuliani et du gouverneur Pataki. J’ai écouté Bush. J’ai vu Arnold Schwarzenegger raconter, avec une émotion qui ne m’a pas semblé entièrement jouée, son expérience d’immigrant venu – sic – d’un pays communiste pour découvrir cette Amérique qui lui a ouvert les bras. J’ai interviewé, surtout, des foultitudes de délégués du Wyoming, de l’Idaho, du Nevada, du Kansas ou de l’Arkansas à qui j’ai, chaque fois, posé la même question de ce que signifiait, pour eux, le fait d’être républicains et d’être là. Et la surprise, la très très grande surprise, c’est que les réponses qui m’ont été données n’ont rien à voir avec le cliché français mais aussi américain d’une politique spectacle réduite à sa pure dimension festive, joueuse, carnavalesque et, donc, sans enjeux.
Les uns m’ont parlé avortement et mariage gay... D’autres m’ont expliqué que rien ne leur semblait plus important que de renforcer le rôle des Eglises ou de réduire celui des élites urbaines... D’autres, que le retour à Main Street contre Wall Street, la réhabilitation des valeurs de l’Amérique rurale contre celles de l’Amérique interventionniste et cosmopolite, la défense d’une conception des droits de l’homme allant jusqu’au droit de posséder une arme de guerre pour défendre sa liberté et ses biens, étaient les seuls combats qui vaillent... Pour d’autres, la haine des Clinton tenait lieu de programme... Et, pour d’autres encore, c’était le procès d’une France assimilée à un mélange instable de « féminité », d’« immoralité décadente », d’« intellectualisme snob » et de « radicalisme chic » dont le sénateur du Massachusetts et Teresa, sa ploutocrate de femme, seraient l’incarnation...
On peut penser ce que l’on veut de ces thèmes. On peut les juger naïfs, rétrogrades, insupportables, contradictoires. On peut trouver plaisant d’entendre les mêmes vertueux conspuer les milliards de Teresa pour défendre, finalement, les hedge funds contre le welfare State. La seule chose que l’on ne puisse pas dire c’est qu’il s’agisse d’un discours faible. Ou mou. Ou purement pragmatique, et réduisant le gouvernement des Etats-Unis à un conseil d’administration amélioré. La seule chose que l’on ne puisse pas prétendre c’est que l’on ait assisté là à une autre kermesse, une autre étape d’un identique Barnum, un second sommet du même nihilisme ayant décliné, des Démocrates aux Républicains, ses deux versions symétriquement ordinaires – la seule chose que l’on ne puisse, sans mauvaise foi, soutenir c’est qu’entre le discours de ces gens et celui des délégués qui, à Boston, ovationnaient Michael Moore ou le sénateur Ted Kennedy, il n’y ait pas de différence de contenu et d’idéologie.
Car on peut prendre le mot dans le sens que l’on voudra. On peut l’entendre au sens banal de représentation du monde. On peut l’entendre au sens d’illusion masquant aux acteurs sociaux la réalité de leur condition. On peut penser aux « systèmes » et autres « utopies » dont Tocqueville, au chapitre X, déjà cité, sur « la pratique des sciences », estimait que les Américains « se défient ». Ou on peut encore prendre, à l’inverse, cette manie des « causes générales » dont il redoute, au chapitre XX de la même section, que les historiens des nations démocratiques n’inoculent le goût à leurs lecteurs car cela ne peut, prévient-il, que « paralyser le mouvement des sociétés nouvelles » et transformer leurs membres « en Turcs ». Eh bien voilà. Nous y sommes. Ces gens qui disent « l’essentiel, c’est les valeurs », ces militants pour qui la lutte contre Darwin est une cause sacrée qui devrait être plaidée dans les écoles, ce col-blanc de Buffalo à qui j’explique que l’engagement du Président sortant à réduire les impôts fédéraux aura pour effet mécanique d’appauvrir encore sa ville et qui me répond qu’il s’en fiche car ce qui compte, pour lui, c’est le problème posé par l’inflation d’un Etat devenu quasi soviétique, ces hommes et femmes qui sont prêts, en un mot, à faire passer les questions qui les touchent directement après des questions de principe qui, dans le cas, par exemple, de la légalisation du mariage gay dans le Vermont, n’ont et n’auront jamais aucune espèce d’incidence sur leur existence concrète, est-ce qu’ils ne réagissent pas en idéologues et en fonction de critères qu’il faut bien appeler idéologiques ?
Drôle d’histoire. Et étrange renversement. Il me surprend, moi, Français, venu d’un pays qui a vécu plus qu’aucun autre sous l’empire de la passion idéologique chauffée à blanc et qui en est revenu. Mais je vois bien qu’il déconcerte tout autant, ici, les analystes les plus fins de l’évolution d’une société où l’appréciation, par chacun, des justes dividendes qu’il peut tirer du contrat social semblait être le premier et dernier mot de la politique. What’s the matter with Kansas? Qu’est-ce qui se passe avec l’Amérique profonde? Depuis quand la politique n’obéit-elle plus au franc calcul des intérêts et, à la rigueur, des ambitions? Comment des hommes éclairés, raisonnables, pragmatiques, peuvent-ils travailler à leur servitude en croyant lutter pour leur liberté ? Eh oui, Thomas Frank. Cela s’appelle l’idéologie. C'est très exactement le mécanisme qu’ont décrit, en Europe, un La Boétie, un Karl Marx, et dont nous n’avons, nous, hélas, que trop souvent fait l’expérience. A votre tour, amis. Et, comme nous disons, en France : à votre santé.