CHAPITRE 6

Vous voulez savoir comment les clones se reconnaissent entre eux ? Qu’importe ! Ils sont là pour se battre, pas pour socialiser.

Sergent Kal Skirata

— Sortez ! cria Birhan. Et ne revenez pas ! Tout ça est de votre faute. Allez, partez !

Le fermier lança une motte de terre sur Etain, qui l’esquiva. La vieille femme – qui n’était pas l’épouse de Birhan, avait-elle découvert – arriva par-derrière et lui saisit le bras.

— Ne sois pas idiot, dit-elle. Si nous prenons soin des Jedi, ils nous rendront la pareille quand la République arrivera.

Birhan regardait toujours Etain comme s’il se demandait s’il devait avoir recours à sa fourche.

— République, mon œil, dit-il. Ils ne sont pas différents des Néimoïdiens à ce sujet. Nous serons toujours en bas de l’échelle, qui que ce soit qui dirige !

Etain resta les bras croisés, se demandant comment la vieille femme, Jinart, avait réussi à se faire accepter dans la vaste famille de Birhan. Elle cuisinait horriblement mal, et ne devait pas être d’une grande aide dans les travaux des champs. Etain imaginait qu’elle gagnait sa vie en filant de la laine de merlie, comme les autres Qiiluriens âgés qu’elle avait rencontrés.

Pour le moment, Etain doutait que les pouvoirs de persuasion de Jinart soient suffisants. Elle décida d’essayer les siens.

— Birhan, vous voulez que je reste, dit-elle lentement, se concentrant comme Maître Fulier lui avait appris. Vous voulez coopérer avec moi.

— Je ne veux diantre pas coopérer avec vous, jeune dame, et vous pourriez dire s’il vous plaît.

Elle n’avait jamais maîtrisé la persuasion Jedi en situation de stress. Et c’était toujours à ces moments-là qu’elle en avait besoin…

Jinart poussa durement Birhan, un exploit considérable vu sa petite taille.

— Si les Jedi ont atterri, idiot, elle les amènera ici pour te secouer les puces. Ce n’est pas le moment de nous faire de nouveaux ennemis. Et s’ils ne sont pas là… Tout ça se tassera et tu auras quelqu’un qui peut faire pousser les cultures. C’est vrai, n’est-ce pas, petite ? Vous pouvez faire pousser les cultures ?

Etain regarda l’étalage de logique rustique avec une admiration croissante.

— Nous pouvons utiliser la Force pour alimenter les plantes, oui.

Ce n’était que trop vrai. Elle avait entendu parler des Padawans qui se joignaient au Corps Agricole quand ils n’étaient pas bons à l’entraînement. C’était vraiment ce qu’il lui fallait ! La vie sur une planète reculée, parlant à des champs de grain… Ce n’étaient pas seulement les renseignements qu’elle cachait dans son manteau qui la poussaient à quitter la planète le plus vite possible. L’agriculture, c’était synonyme d’échec, dans son cas. Elle n’avait pas besoin qu’on lui rappelle ses défauts.

— Ouais, cracha Birhan, et il partit, marmonnant des injures.

— Nous devenons tous nerveux quand les gros bras de Hokan commencent à brûler des fermes, dit Jinart.

Elle prit le bras d’Etain et la ramena vers la grange qui était devenue son foyer. Non, pas son foyer. Une telle chose n’existerait jamais pour elle. Pas d’amour, pas d’attachement, pas d’engagement hormis la Force. Bon, au moins, ça ne serait pas dur de quitter cet endroit.

— Et à tuer des fermiers, bien sûr, continua Jinart.

— Alors, pourquoi n’êtes-vous pas nerveuse ? demanda Etain.

— Vous êtes une gamine prudente.

— J’ai un Maître mort. Quelque part, ça encourage à la prudence.

— J’ai une vision plus large de la vie, dit Jinart, ne parlant pas du tout comme une vieille fileuse de laine. Maintenant, restez à l’abri et n’allez pas vadrouiller.

Etain commençait à développer une paranoïa néimoïdienne et se demanda si ses instincts la trompaient. Elle avait toujours été capable de percevoir les émotions et les motivations des gens.

— Donc, ils savent où me trouver ? demanda-t-elle à titre de test.

Jinart se raidit.

— Tout dépend de qui ils sont. Je ne m’intéresse pas à l’urrqal, et à mon âge il reste peu de choses à épargner…

— Vous avez dit qu’ils arrivaient.

— Je l’ai dit, effectivement.

— Je n’ai aucune patience pour les devinettes.

— Vous devriez. Et être rassurée, aussi, parce qu’ils sont là et qu’ils vous aideront. Mais vous devrez les aider aussi.

L’esprit d’Etain bouillonna et son estomac se noua. Non ! Elle se laissait avoir par des astuces de diseuse de bonne aventure. Ajoutant ce qu’elle savait, elle voyait un sens là où il n’y en avait pas. Bien sûr, Jinart savait que des étrangers étaient arrivés ! Tout Imbraani était au courant, pour Maître Fulier. C’était difficile de ne pas savoir quelque chose quand des vaisseaux atterrissaient en catastrophe sur votre ferme, et quand les miliciens de Hokan fouillaient le moindre recoin dans les environs. Pour une raison qui échappait à Etain, Jinart jouait aux devinettes, elle aussi.

— Quand vous me direz quelque chose de spécifique, je vous prendrai au sérieux.

— Vous devriez être moins suspicieuse, dit lentement Jinart. Et vous devriez mieux examiner ce que vous croyez avoir devant les yeux.

Etain ouvrit la porte de la grange, et l’odeur de la paille et du barq en sortit, presque solide. Elle se sentait soudain plus calme, et même pleine d’espoir. Mais elle ignorait pourquoi. Jinart était naturellement rassurante, aussi réconfortante qu’une grand-mère, malgré ses paroles bizarres.

Etain ne se souvenait pas d’une grand-mère, ni de personne de sa famille biologique, bien entendu. La famille n’avait rien de rassurant ou de familier pour elle, car elle avait grandi dans une commune de novices Jedi, élevée et éduquée par sa propre espèce, mais ça ne signifiait pas espèce humaine dans son esprit.

Mais soudain, la famille, le peu qu’elle en avait vu auprès des fermiers querelleurs, lui semblait désirable. C’était dur d’être seule, en ce moment précis.

— J’aurais aimé avoir le temps de vous éduquer à la survie, dit Jinart. Mais quelqu’un d’autre devra s’en charger. Soyez prête à venir avec moi dès qu’il fera nuit.

Jinart parlait de manière de plus en plus élaborée. Elle était plus que ce qu’elle semblait être. Etain décida de faire confiance à la vieille femme, parce qu’elle était ce qui se rapprochait le plus d’une alliée.

Et elle avait toujours son sabre laser, après tout !

Darman arriva à la lisière du bois et se trouva devant un champ à découvert aussi grand que les océans de Kamino.

Ça en avait l’air, en tout cas ! Il ne voyait pas les limites de chaque côté, seulement une en face, quand les arbres recommençaient. Les rangées de grain – gris acier, luisant, frémissant dans le vent – arrivaient seulement à la ceinture. Il était à trente klicks à l’est du RV Gamma, et il avait hâte d’y arriver et de dormir un peu en attendant le reste de son escouade.

Rester à couvert de la bordure – où qu’elle le mène – prendrait beaucoup de temps. Il décida de prendre le chemin direct. Il enleva un des trois micro-observateurs de sa ceinture et l’activa. Le dispositif de visualisation était de la taille d’un oiseau-mouche, assez petit pour qu’il le garde à la main. Il régla l’appareil pour examiner les lieux sur cinq kilomètres à la ronde. Il n’aimait pas utiliser ces appareils sans y être obligé. Sur une planète comme celle-ci, leur boîtier métallique luisant n’était pas très discret. Et ils avaient aussi la désagréable habitude de se perdre. Et comme ils enregistraient en même temps qu’ils émettaient, ils étaient la dernière chose qu’il voulait voir tomber entre les mains de l’ennemi.

Mais lui-même n’était pas exactement invisible, non plus… Il regarda son armure, couverte de boue séchée et de mousse, conscient d’être un grand objet industriel en plastoïde et alliage dans un environnement rural…

Il se mit à quatre pattes, équilibrant les paquetages sur son dos pour qu’ils glissent vers l’arrière. Son genou lui faisait toujours mal. Ramper à travers un champ ne lui ferait pas grand bien. Plus vite tu arriveras au RV, plus vite tu pourras te reposer.

L’observateur grimpa à la verticale dans le ciel, lui transmettant une vue du champ rétrécissant rapidement, puis le paysage autour, des fermes et des bois, projetant les images sur l’affichage du casque de Darman. Pas de bâtiment en vue. Mais ça ne voulait pas forcément dire que la zone était déserte.

Ramper avec ses paquetages lui donnait très chaud, mais sa combinaison régulait la température au fur et à mesure. L’armure avait plus de points positifs que négatifs. Il n’avait pas besoin de se soucier des animaux qui voulaient le mordre, des insectes, des piqûres ou des infections.

Mais c’était lent. Il avait dû faire une large boucle pour éviter la petite ville d’Imbraani. En fait, la journée entière avait été à progression lente. Son seul impératif était ses camarades, et le temps qu’il leur faudrait pour arriver au RV Gamma. S’il n’arrivait pas au moment prévu, ils continueraient. Après ça, il n’y avait plus rien de sûr, il leur faudrait se regrouper et réunir assez d’informations pour pouvoir prendre leur cible.

Darman se doutait qu’il leur faudrait plus que quelques jours. Bien plus ! Il avait commencé à noter quelles espèces de plantes locales pourraient être comestibles, et la position des cours d’eaux et des rivières qui ne se voyaient pas sur l’enregistrement à haute altitude. Il se demanda si les gdans étaient bons à manger. Il se doutait que ça ne valait pas la peine d’essayer.

De temps en temps, il s’arrêtait, s’agenouillait et buvait un peu d’eau à sa bouteille. Ses rêves alimentaires n’étaient plus un steak de nerf bien saignant, mais un gâteau uj doux et qui tenait bien au corps. C’était une friandise rare. Son sergent d’entraînement avait autorisé son escouade – son escouade d’origine – à en goûter, enfreignant pour une fois la règle kaminoéenne de nourrir les clones d’un mélange soigneusement équilibré.

« Vous êtes encore des gamins, leur avait-il dit. Allez-y, faites-vous péter la sous-ventrière, pour une fois. » Ils avaient obéi. Brave vieux Kal.

Mentalement, Darman en sentait toujours le goût. Il se demanda quelles autres douceurs de la vie civile il apprécierait, s’il y avait accès.

Il repoussa violemment cette idée. Sa discipline était tout pour lui. Il était un professionnel.

Pourtant, il pensait toujours au gâteau uj…

— Allez, bouge-toi, dit-il, fatigué par l’absence de voix de camarades, et cherchant du réconfort dans la sienne.

Il serait son propre officier supérieur, pour se motiver.

L’observateur continua à lui transmettre des images prévisibles de paix bucolique, des étendues nettes de champs entrecoupées de bois enchevêtrés. Les moissonneuses droïdes géantes n’étaient pas encore là. À un moment, il crut voir une forme noire sur un côté, mais il n’y avait rien.

Puis il y eut soudain l’obscurité dans sa visière.

Darman s’arrêta net. L’observateur était en panne ! Mais l’image revint, rouge et étincelante, humide, et il comprit qu’il regardait le système digestif d’une créature vivante.

Quelque chose avait avalé l’observateur.

Un moment plus tard, il vit passer au-dessus de lui un grand oiseau, battant lentement de ses quatre ailes. C’était probablement la même sorte d’oiseau qui était entré en collision avec les moteurs atmosphériques du Narsh.

— J’espère que ça te filera la colique, saleté, dit-il.

Il attendit que l’animal soit devenu une petite tache noire pour repartir.

Il lui fallut plus d’une demi-heure pour atteindre l’autre côté du champ, et il lui restait vingt-cinq klicks pour arriver au point de RV. Il avait décidé de prendre par le nord de la ville, même s’il savait qu’il n’aurait pas dû courir le risque de se déplacer de jour.

Je dois arriver en avance. Les attendre. Au cas où ils décident que je suis mort et qu’ils ne m’attendent pas. Il se coula dans les buissons, éparpillant des petites créatures qu’il entendait mais ne voyait pas, et se demanda s’il n’allait pas enlever ses paquetages un moment pour se reposer.

Mais ça servirait seulement à lui rendre plus difficile de repartir. Epuisé, il farfouilla dans ses poches pour trouver un cube de ration et le mâcha, espérant que les éléments nutritifs arriveraient le plus vite possible dans son sang avant qu’il s’affale, endormi, et ne se relève pas. Des lueurs dansaient devant ses yeux. La fatigue lui concoctait un « affichage » bien à elle !

Le reste du cube fondit dans sa bouche.

— Allez, soldat, bouge-toi.

Se motiver avec des jeux mentaux marchait. L’astuce était de savoir quand revenir à la réalité. À cet instant précis, il décida de laisser son alter ego commandant le galvaniser.

— Monsieur ! cria-t-il en se levant d’un bond. Il tituba un peu quand son genou se grippa, mais il resta debout, appuyé contre un arbre. Il fit une note mentale : se garder mieux hydraté.

Il faisait si sombre dans les bois que sa vision nocturne s’enclenchait de temps en temps, superposant des images vertes fantomatiques aux troncs et aux branches. Il s’était habitué aux bruits d’animaux, au murmure des feuilles ou au craquement des brindilles que son cerveau cataloguait automatiquement comme NPQ – normal pour Qiilura. De temps en temps, un bruit légèrement différent le faisait tomber en arrêt, le fusil levé, mais tout allait bien.

Il suivit la rivière de sa holocarte la plupart du temps. C’était plutôt un ruisseau, d’ailleurs. Le bruit léger de l’eau coulant sur les rochers était rassurant comme l’eau l’était toujours. Après une heure, il arriva à une clairière qui laissait passer le soleil et illuminait le ruisseau. Des insectes colorés dansaient au-dessus de sa surface.

Darman n’avait jamais rien vu de pareil. Il savait tout sur les formations géologiques et leur impact sur les soldats : les sources d’eau, les pierrailles dangereuses, les risques de glissement de terrain, les cavernes pour s’abriter, les promontoires pour la défense, les cols pour bloquer l’ennemi. L’apprentissage accéléré avait fait du monde vivant un tout et lui avait expliqué comment l’utiliser pour des buts militaires.

Mais personne ne lui avait jamais dit que ça pouvait être si… beau. Il n’avait pas de mots pour ça. Comme le gâteau uj, c’était un aperçu d’un autre monde, qui n’était pas le sien.

Assieds-toi et repose-toi. Tu es trop fatigué. Tu vas commencer à faire des erreurs fatales.

C’était sa faiblesse qui parlait. Il secoua la tête. Pas de stims. Pas encore. Il devait continuer. Les insectes passaient et repassaient à la surface de l’eau, comme s’ils faisaient des reconnaissances.

Tu as des heures d’avance. Arrête-toi. Le manque de sommeil te rend imprudent. Tu ne peux pas te permettre d’être imprudent.

Ça semblait raisonnable. Ce n’était pas la voix mentale, celle du commandant imaginaire, qui lui donnait des ordres. C’était un instinct, et il était juste. Il allait de plus en plus lentement et devait se concentrer pour mettre un pied devant l’autre.

Il s’arrêta et défit un paquetage, puis l’autre. C’était un endroit convenable pour dresser son camp. Il remplit sa bouteille d’eau et ramassa quelques souches à moitié pourries pour se construire une barricade défensive, comme le sergent Kal leur avait appris. C’était seulement un cercle bas de rocher ou de bois, ce qu’on trouvait, mais ça faisait une différence sur un champ de bataille quand on ne pouvait pas creuser. Il s’assit dans le creux qu’il avait fait, regardant l’eau.

Puis il ouvrit le joint de son casque, respirant de l’air non filtré pour la première fois depuis des heures.

L’odeur était complexe. Ni l’air conditionné de Tipoca City, ni l’air inerte et lourd de Géonosis. C’était un air vivant. Darman ouvrit les plaques de son armure et les rangea dans le cercle de la barricade, puis il régla son casque pour détecter les mouvements. Enfin, il enleva sa combinaison section par section et la rinça dans le ruisseau.

La journée était étonnamment chaude. Il n’avait pas pu le déterminer tant qu’il portait son armure, excepté par les données d’environnement de son affichage.

Mais l’eau était froide quand il y entra. Il se lava rapidement et s’assit dans la mare de soleil pour sécher. Puis il remit les panneaux de sa combinaison. Ils avaient séché beaucoup plus vite que lui.

Avant de s’autoriser à somnoler, il remit son armure. C’était idiot de s’habituer à la sensation agréable de ne pas la porter. C’était un réflexe si inné qu’il fut étonné d’avoir un instant pensé à ne pas le faire. En territoire ennemi, on dormait tout habillé, le blaster prêt. Le fusil dans les bras, il s’appuya sur ses paquetages et regarda les insectes danser au-dessus de l’eau illuminée de soleil.

Ils étaient d’une beauté à couper le souffle, avec des ailes bleu électrique ou vermillon brillant. Puis, un par un, ils tombèrent à la surface de l’eau où ils furent emportés par le courant, toujours aussi beaux, mais apparemment morts.

Darman réagit aussitôt. Une toxine aéroportée. Il exhala l’air de ses poumons, ferma les yeux et remit son casque en place. Il respira de nouveau une fois le joint scellé, quand son masque de filtration se remit à fonctionner. Mais aucune donnée sur son écran n’indiquait de contamination. L’air était toujours propre.

Il se pencha et ramassa quelques insectes pris dans un tourbillon. L’un d’eux gigota un peu, puis s’immobilisa. Quand il leva la tête, il n’en restait plus aucun en vol. C’était triste. Et, ce qui l’inquiétait plus, c’était inexplicable.

Curieux, il prit un cube de ration vide et y mit les insectes pour les étudier plus tard. Puis il ferma les yeux et essaya de somnoler, le fusil prêt.

Mais le sommeil fut difficile. Son casque détectait des mouvements et le réveillait toutes les cinq minutes pour lui signaler des petites créatures qui n’étaient pas une menace. Une ou deux fois, il repéra un gdan. Ouvrant les yeux, il vit deux petits points lumineux qui le regardaient.

Le système détecta une ombre plus grande à un moment, mais pas autant que les humanoïdes de la base de données. Elle resta à distance avant de disparaître.

Dors un peu. Tu vas en avoir besoin, fiston.

Darman se demanda si c’était sa propre voix, ou celle de son commandant imaginaire, mais peu importait. C’était un ordre auquel il n’était que trop content d’obéir.

Ghez Hokan n’aimait pas être appelé, mais Ovolot Quail Uthan savait être aimable. Elle l’avait invité à venir la rejoindre dans le laboratoire de recherches. Et elle avait même envoyé un membre de son équipe avec un speeder pour venir le chercher dans son bureau.

Hokan apprécia le geste. Cette femme savait comment utiliser le pouvoir et l’influence. L’épicier néimoïdien avait encore tout à apprendre…

Uthan n’était pas particulièrement jolie, mais elle savait s’habiller – en robes sombres et simples – et elle se comportait comme une impératrice. Ça équilibrait. Ce que Hokan appréciait le plus à son sujet, c’était que même en sachant qu’il ne se laisserait pas submerger par le charme féminin, elle n’abandonnait jamais sa façade de charme raisonnable. Elle était une professionnelle, et le respect mutuel marchait bien avec lui. Qu’elle soit une scientifique avec de subtils dons politiques l’impressionnait encore plus. Il pouvait presque en oublier l’acte contre nature de se battre sans arme digne de ce nom.

L’extérieur trompeur de bâtiment de ferme délabré laissa la place à des portes en alliage renforcé et des couloirs avec des cloisons de sécurité. Hokan portait son casque sous le bras, ne voulant pas le laisser – ni son arme – au serviteur. Le vieil homme avait l’air d’un natif, et les natifs étaient tous des voleurs.

— Vous vous attendez à un feu de silo ? demanda-t-il en touchant la cloison renforcée noire du bout du doigt.

Uthan lâcha un petit rire de gorge qui pouvait aisément devenir un ton de commandement capable de figer une patrouille.

— Je suis ravie que vous ayez pu trouver le temps de me rencontrer, général Hokan, dit-elle. En temps normal, je ne passerais jamais par-dessus quelqu’un avec qui j’ai un contrat pour parler à un de ses… sous-traitants. C’est très impoli, ne trouvez-vous pas ? Mais je suis un peu inquiète.

Ah. Ankkit ne faisait pas partie de l’entretien. Hokan commençait à comprendre. Et elle y allait un peu fort avec la brosse à reluire.

— Je suis simplement Hokan, un citoyen. Parlons de vos soucis, Madame… Maîtresse Uthan ?

— Docteur conviendra, merci.

— Que puis-je faire pour vous, docteur ?

Elle l’amena à une salle où elle montra trois chaises beiges visiblement importées de Coruscant. Il hésita à s’asseoir dans un siège aussi décadent, mais le fit pour ne pas rester debout devant elle comme un serviteur.

— Vous avez une idée de l’importance des travaux que je conduis ici ?

— Pas en détail. Des virus, d’après les spécifications du bâtiment.

Si Uthan fut surprise, elle ne le montra pas.

— Exactement. Et je suis troublée par les événements des derniers jours. Lik Ankkit m’assure que ma sécurité est garantie, mais j’aimerais avoir votre avis sur la situation. Ce projet est-il menacé ? Pouvez-vous assurer sa sécurité ?

Hokan n’hésita pas.

— Je pense que votre installation est vulnérable. Et je ne peux rien garantir avec le niveau de qualité de mon équipe.

Uthan sursauta.

— N’avez-vous pas de ressources suffisantes ? Le contrat d’Ankkit est très généreux.

— Cette générosité n’est pas arrivée jusqu’à moi.

— Ah. Peut-être devrions-nous diminuer les intermédiaires, dans l’intérêt de la rentabilité ?

— Je n’ai pas d’opinion là-dessus. Ankkit peut avoir sa part, tant que j’ai les outils pour faire correctement le boulot.

Elle sourit, mais sans chaleur.

— Et vous pensez que les incursions récentes sont liées à ces installations ?

— Oui, de toute évidence.

Hokan lui rendit son sourire – en encore plus froid. Si elle était prête à lâcher Ankkit, elle pourrait lui faire la même chose.

— C’est une grande planète. Sinon, pourquoi envoyer des Jedi à Imbraani ?

— Avez-vous localisé des troupes ?

— Non. Mais j’ai identifié au moins deux cas de contacts rapprochés et un vaisseau écrasé.

— Des contacts rapprochés ?

— Des situations où les soldats se battent les uns contre les autres. J’ignore leur nombre.

Non pas que sa racaille de mercenaires méritât le titre de soldat…

— Si je m’arrangeais pour que vous ayez sous vos ordres une compagnie de droïdes séparatistes et leurs officiers, cela vous faciliterait-il la tâche ?

— Je ne m’allie à personne. Je ne veux pas vous mentir en prétendant soutenir votre cause.

— Vous avez une expérience militaire, bien entendu. Il n’y a pas de honte à être un mercenaire.

— Je suis Mandalorien. C’est dans mon âme en même temps que dans mon éducation. Non, il n’y a aucune honte à ça tant qu’on fait de son mieux.

Uthan esquissa un demi-sourire presque empreint de sympathie pour lui.

— Je voudrais partager quelque chose avec vous. Je vous préviens, ça vous paraîtra peut-être perturbant. La République a créé une armée de soldats clonés. Des millions. Ils ont été élevés pour se battre et servir les généraux Jedi sans discuter. On les a modifiés pour qu’ils deviennent leurs serviteurs. Ils n’ont jamais connu de vie normale et ils vieillissent très rapidement, en supposant qu’ils survivent aux batailles idiotes qu’on leur fait livrer. Savez-vous quel matériel génétique a été utilisé pour créer ces esclaves infortunés ?

— Non, je l’ignore. (Hokan n’avait jamais honte d’avouer son ignorance. C’était bon pour les petits esprits.) Dites-moi.

— Jango Fett.

— Quoi ?

— Oui. Le meilleur guerrier mandalorien de son époque a été utilisé pour produire de la chair à canons au bénéfice des Jedi.

Il n’aurait pas été plus horrifié si elle lui avait craché au visage. Il savait qu’elle avait conscience de l’effet que ça lui ferait, de la colère qu’il éprouverait. Elle avait utilisé le mot guerrier, plus émotionnel que chasseur de primes. Elle savait que cette révélation froisserait sa fierté culturelle. Mais elle avait bien fait de le lui dire. C’était une question d’honneur, et pas seulement le sien. Il ne voulait pas qu’on utilise son héritage pour cette parodie de guerre.

— J’accepterais ce contrat même si vous ne me payez pas, dit-il.

Uthan sembla se détendre.

— Nous vous fournirons cent droïdes pour commencer. Demandez si vous en voulez davantage. C’est une petite garnison, car nous ne voulions pas attirer l’attention, mais comme c’est fait, nous pouvons la renforcer si besoin est. Et votre milice actuelle ?

— Un licenciement s’impose. Peut-être vos troupes pourraient-elles commencer par m’aider à mettre ça en œuvre…

Uthan mit quelques secondes à comprendre de quoi il parlait. Mais elle avait saisi le message : je peux être aussi impitoyable que vous. Elle y réfléchirait à deux fois avant de le doubler comme elle venait de doubler Ankkit.

— Oui, ça semble un bon début, dit-elle.

Hokan se leva, tenant son casque à deux mains. Il avait toujours été fier de cette tradition, fier qu’elle n’ait pas changé au cours des milliers d’années, à part une amélioration technique ici ou là. Ce qui importait vraiment était ce qu’il y avait sous l’armure mandalorienne – un cœur de guerrier.

— Aimeriez-vous savoir quel virus nous développons ici, major Hokan ?

Il avait un vrai rang maintenant, et plus l’extravagant et ridicule général.

 Ai-je besoin de le savoir ?

— Je le pense. C’est un virus prévu pour les clones.

— Voyons… Pour en faire des hommes normaux ?

— Rien ne peut accomplir ça. Il est destiné à les tuer.

Hokan remit soigneusement son casque.

— La solution la plus humaine, dit-il avec sincérité.