CHAPITRE 7
Bal kote, darasuum kote,
Jorso’ran kando a tome
Sa kyr’am Nau tracyn ad,
Vode an.
(Et la gloire, la gloire
éternelle
Nous en porterons le poids ensemble.
Forgés comme le sabre dans les feux de la mort,
tous frères.)
Chant de guerre traditionnel mandalorien
Il aurait été bien plus facile de se battre dans un environnement différent.
Neuf décida qu’en rentrant à la base, il demanderait qu’on modifie le manuel sur la guerre non urbaine, pour tenir compte que les opérations standards sur un terrain rural tempéré n’étaient pas similaires aux opérations dans la jungle.
Le problème, c’étaient les champs. Il y avait trop de terrain à découvert entre les zones où ils pouvaient s’abriter. Neuf était resté assis si longtemps à la fourche d’un arbre qu’il en avait le postérieur engourdi. Et les miliciens étaient toujours étalés dans l’herbe au bord d’un champ récemment moissonné, se passant des bouteilles d’urrqal.
Neuf ne bougea pas sous son camouflage de feuilles. C’était presque l’automne, et ils ne pourraient pas se servir longtemps de cette astuce, car presque tous les arbres étaient à feuilles caduques. Mais ils avaient prévu d’être sortis de là bien avant…
— Il se passe quelque chose, sergent ? demanda la voix de Fi, un murmure dans son casque. Mieux valait parler doucement, au cas où. Ils picolent toujours ?
— Ouais. On pourrait toujours attendre qu’ils meurent d’une cirrhose. Ça nous économiserait les munitions.
— Ça va ?
— Oui. J’ai la vessie un peu pleine, mais à part ça, ça va.
— Atin déchiquette l’ordinateur de bord de ce speeder.
— J’espère qu’il le fait silencieusement.
— Il s’est éloigné dans les bois. Il a téléchargé quelques cartes à haute résolution, mais le reste est probablement grillé. Il travaille sur les fichiers de codage, en ce moment.
— Tant qu’il est content…
Fi lâcha un rire bref.
— Oui, il est content.
J’ai été Darman.
Neuf n’avait toujours pas idée de ce qu’Atin avait voulu dire par là. Il faudrait qu’il le lui demande à un moment plus approprié. Pour le moment, il voulait seulement que les types de Hokan se lèvent et partent pour qu’ils puissent rallier le rendez-vous Bêta, à seulement quatre klicks de là. Il aurait été facile de les descendre de là où il était, mais ça aurait fait une sacrée pile de « cartes de visites », et l’équipe n’en avait déjà que trop laissées. Neuf voulait, tant que possible, éviter tout contact rapproché.
Ils vont forcément tomber bientôt à court d’urrqal !
Et ils ne prennent pas Ghez Hokan très au sérieux.
Neuf regardait le groupe à travers le viseur de son fusil, se demandant pourquoi il comportait surtout des Weequays, quand ils levèrent tous les yeux. Mais pas vers lui. Ils regardaient tous vers la droite.
— Cinq cibles de plus en approche, dit Fi.
Neuf bougea très doucement vers la droite.
— Je les ai.
Ce n’étaient pas des miliciens. Il y avait un Umbarien, très élégant dans l’uniforme gris pâle assorti à sa peau, et quatre droïdes de combat. Certains des miliciens se levèrent.
Les seuls mots que Neuf entendit furent « Hokan demande… contact… »
Ils ont des renforts, pensa Neuf. Et d’un tout autre calibre…
Puis les droïdes de renfort levèrent leurs blasters intégrés et ouvrirent le feu sur le groupe de milicien, sans avertissement. Ils tirèrent quelques salves puis s’arrêtèrent, regardant leurs victimes comme s’ils vérifiaient quelque chose. L’Umbarien – le sergent ou l’officier du groupe – avança et tira à bout portant sur un Weequay. Puis, ayant fait leur travail, ils rassemblèrent les aimes, fouillèrent les corps – cherchant leurs plaques d’identité, supposa Neuf, et repartirent tranquillement par là où ils étaient arrivés.
— Tu peux vider ta vessie, maintenant, dit Fi dans le casque de Neuf.
Neuf descendit de l’arbre et ses jambes se dérobèrent sous lui. Il enleva les plaques et se frotta les cuisses pour rétablir la circulation.
— C’était quoi ce cirque, à ton avis ?
— Hokan n’aime pas qu’ils boivent en service ?
Atin arriva, un paquet de circuits et de fils à la main.
— On dirait que les casseroles sont arrivées pour prendre le relais. Mais pourquoi avoir tué ces types ?
— Les casseroles ? dit Fi.
— Comment vous les appeliez, dans ton escouade ?
— Des droïdes.
Neuf poussa Fi du coude.
— Le général Zey nous a dit que Hokan était violent et imprévisible. Il a fait tuer ses propres miliciens de sang-froid. Souvenons-nous de ça.
Ils ramassèrent leurs affaires. Cette fois, c’était le tour de Neuf et d’Atin de porter le matériel qu’ils avaient attaché à un poteau. Fi ouvrait la marche.
— Je n’ai pas encore tiré un seul coup de feu, dit-il.
— Dans ce genre de mission, ça vaut mieux, dit Atin.
Neuf prit sa remarque comme une indication qu’il se joignait à l’escouade. Il n’avait pas un ton défensif. Les gens normaux disaient qu’ils ne pouvaient pas reconnaître un clone de l’autre, n’est-ce pas ? C’est parce qu’ils passaient trop de temps à regarder les visages, et pas assez à se demander ce qui formait un individu et se passait dans sa tête.
— Garde-les pour plus tard, dit Neuf. Je crois que nous aurons besoin de la moindre cartouche…
Je dois avoir perdu la tête.
Etain regardait la ferme à travers les planches disjointes de la grange. Deux lampes éclairaient le porche, pour éloigner les gdans du trajet menant à la salle d’eau extérieure. Un des terriers de ces petits prédateurs s’était effondré, laissant un trou dans la cour, que les pluies comblaient peu à peu. Birhan n’était pas très doué, question entretien.
Ce qui rendait certaines choses plus faciles. Voyant que personne n’approchait, elle retourna défaire des planches à l’arrière du bâtiment. Il n’y avait pas d’autre sortie en cas d’embuscade. Elle s’en fabriquait une.
Elle se concentra sur les planches, fixant leur position et leur forme dans son esprit. Puis elle les visualisa en train de se séparer, de créer une ouverture. Bougez, pensa-t-elle. Et les planches bougèrent ! Elle répéta plusieurs fois le mouvement, puis les laissa retomber doucement en place.
Oui, elle pouvait utiliser la Force. Quand elle était confiante et qu’elle se contrôlait, elle pouvait maîtriser tout ce que Fulier lui avait enseigné, mais ces jours-là se comptaient sur les doigts d’une main. Elle luttait contre un caractère qui ne convenait pas à une Jedi. Elle regardait ceux qui acceptaient sereinement la Force et enviait leur certitude. Elle se demandait souvent pourquoi le sang Jedi s’était manifesté chez quelqu’un d’aussi faillible qu’elle.
Etain espérait qu’elle pourrait se débrouiller pour utiliser la Force pour quelque chose de plus important que de bouger des planches, si la situation l’exigeait. Elle était sûre que les quelques jours à venir l’amèneraient facilement au-delà de ses limites…
Jinart arriva dès qu’il fit complètement nuit. Bien qu’elle l’ait attendue, le sabre laser prêt, elle ne la vit pas approcher, n’entendit rien avant que la porte s’ouvre.
Mais elle la percevait. Elle se demanda pourquoi elle ne l’avait pas perçue avant.
— Prête, petite ? demanda Jinart.
Elle était enveloppée dans un châle raide de crasse. C’était un déguisement des plus convaincants…
— Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? demanda Etain.
— Dit quoi ?
— Je ne suis peut-être pas la Padawan idéale, mais je perçois toujours un autre Jedi. Je veux savoir pourquoi.
— Vous vous trompez. Je ne suis pas du tout ça. Mais nous servons la même cause, c’est vrai.
Jinart regarda autour d’elle et ramassa un bout de pain qu’Etain n’avait pas fini. Elle le fourra sous son châle.
— Ça n’était pas une explication, dit Etain.
Elle suivit la femme dehors. Il n’y avait pas de gdans en vue. Si cette femme était puissante dans la Force mais n’était pas une Jedi, elle devait savoir pourquoi.
— J’ai besoin de savoir ce que vous êtes.
— Non, vous n’en avez pas besoin.
— Comment puis-je savoir que vous n’appartenez pas au côté obscur ?
Jinart s’arrêta et pivota, soudain plus rapide et plus droite qu’une vieille femme aurait dû l’être.
— Je peux choisir d’être détectée ou pas. Et, étant donné vos compétences, c’est moi qui cours le plus grand risque. Et maintenant, silence.
Ce n’était pas la réponse qu’Etain attendait. Elle sentit la même autorité qu’en présence de Fulier, mais là où son maître avait montré des creux et des pics de la Force, elle sentait chez Jinart une grande stabilité.
Elle était la stabilité incarnée, ce qu’Etain enviait.
Jinart la conduisit dans les bois qui entouraient Imbraani vers l’est. Elle allait à vive allure. Etain décida de ne pas poser d’autres questions pour le moment. Jinart dévia du chemin à plusieurs endroits.
— Faites attention aux terriers, dit-elle.
Etain évita des trous et dépressions indiquant que des colonies de gdans s’étaient affairées sous la surface.
Elles s’arrêtèrent une demi-heure plus tard, après avoir couvert un arc qui les amena au nord, près de la rivière Braan, plutôt un grand ruisseau qu’une rivière. Jinart resta un moment immobile, regardant l’eau, puis elle se tourna vers l’ouest et exhala lentement.
— Marchez vers l’amont, dit-elle. Suivez la rive, et faites attention. Votre soldat est toujours là, et il a besoin de ces plans.
— Un soldat. Un seul ?
— C’est ce que j’ai dit. Il ne restera pas là très longtemps.
— Pas un groupe…
— Exact. Il y en a d’autres, mais ils sont à une certaine distance d’ici. Allez-y.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai des plans ?
— Si vous n’en aviez pas, je ne me serais pas mise en danger pour vous amener à votre contact ! J’ai d’autres choses à faire, maintenant. Quand vous trouverez votre soldat, j’essaierai de persuader Birhan de le cacher aussi, pendant un moment. Il aura besoin d’un endroit où se réfugier. Allez-y. Il ne restera plus très longtemps.
Etain vit Jinart repartir vers la ville. Elle regarda une seule fois en arrière. La Padawan sortit son sabre laser et essaya de percevoir ce qu’il y avait à l’ouest de la rive. Elle entendit des petits bruits de pas autour d’elle. Ce qui avait tenu les gdans à l’écart pendant que Jinart était avec elle avait bel et bien disparu. Elle espéra que ses bottes étaient assez épaisses.
Si elle retournait à la ferme, rien n’aurait changé et elle ne serait pas plus près d’une solution. Elle n’avait pas le choix : elle devait continuer.
La rive était encombrée de plantes, et elle entra dans la rivière, sachant qu’elle était peu profonde. Patauger dans l’eau avec des bottes trempées n’était pas agréable, mais c’était un chemin sûr, et ça empêchait les gdans de tenter leur chance avec elle.
Ils se méfiaient de Jinart. Etain se demanda pourquoi la Force ne les empêchait pas de s’attacher à ses pas. Une confirmation de plus qu’elle n’était pas une Jedi bien accomplie quand il s’agissait d’utiliser la Force. Elle devait se concentrer. Elle devait trouver ce sentiment d’acceptation et de but qui lui échappait depuis si longtemps…
Mais, même si Etain ne maîtrisait pas encore la Force, elle voyait et sentait des choses au-delà de l’univers matériel. Elle percevait les créatures nocturnes autour d’elle ; elle sentait même les anguilles argentées passer de chaque côté de ses bottes en avançant dans l’eau.
Puis elle perçut quelque chose qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer dans les bois d’Imbraani, la nuit.
Un enfant.
Il y avait un enfant tout près. Il avait quelque chose d’inhabituel, mais c’était un être jeune, et il semblait perdu. Elle n’imaginait pas que les gens de la ville puissent laisser un enfant sortir la nuit, avec les gdans qui rôdaient.
Ignore-le. Il n’est pas ton problème.
Mais c’était un enfant. Il n’avait pas peur. Il était anxieux, mais pas terrifié comme aurait dû l’être tout enfant raisonnable, errant tout seul la nuit.
Soudain, quelque chose toucha son front. Elle fit le geste de chasser un insecte, mais il n’y avait rien. La sensation descendit brièvement sur sa poitrine, puis remonta sur son front. Soudain, elle fut aveuglée par un rayon de lumière intense qui jaillit des ténèbres.
Elle n’avait rien à perdre. Elle sortit son sabre laser et se prépara à mourir en combattant s’il le fallait. Elle n’avait pas besoin de voir son adversaire.
Elle entendit un ah léger. La lumière s’éteignit. Elle percevait toujours l’enfant devant elle.
— Désolé, Madame, dit une voix d’homme. Je ne vous avais pas reconnue.
Elle détectait toujours un enfant, si près qu’il devait être juste à côté de l’homme. Pour une raison quelconque, elle ne percevait pas du tout l’adulte dans la Force.
Quand ses yeux eurent récupéré, elle vit qui lui faisait face, et elle comprit que Jinart l’avait trahie.
Elle avait probablement trahi Fulier, aussi.
Etain voyait clairement le casque mandalorien reconnaissable de Ghez Hokan.
La sinistre fente en forme de T lui dit tout ce qu’elle avait besoin de savoir. Elle leva son sabre laser. Il avait les deux mains posées sur son fusil. Peut-être l’enfant – invisible – était-il un appât projeté par Jinart.
— Madame ? Baissez votre arme, je vous prie.
— Hokan, ça c’est pour Maître Fulier, siffla-t-elle.
Elle attaqua.
Hokan sauta en arrière avec une agilité étonnante. Elle ne reconnut pas sa voix. Elle était plus jeune, presque sans accent. Il ne leva même pas son fusil. Le monstre jouait avec elle. Elle pivota et faillit lui couper un bras. Une rage soudaine lui noua la gorge. Elle frappa de nouveau, rencontrant de l’air.
— Madame, je vous en prie, ne m’obligez pas à vous désarmer.
— Essayez donc ! Vous voulez mon sabre laser ? Venez le chercher !
Il se jeta sur elle, la renversant dans la rivière. L’enfant était toujours là ! Où ? Et comment ? Puis Hokan la fit basculer dans la rivière et la tint sous l’eau, et elle lâcha le sabre laser, toussant et crachant, ne comprenant pas pourquoi elle ne parvenait pas à maîtriser plus facilement un simple humain.
Il la sortit de l’eau et la lâcha sur la rive, à plat dos sur la végétation, lui tenant les bras.
— Madame, doucement, maintenant.
Mais elle n’avait pas terminé. Avec un grognement animal, elle enfonça son genou dans son entrejambe, aussi fort qu’elle pouvait, et quand elle avait peur, c’était vraiment fort. Elle l’ignorait jusqu’à cet instant.
Elle gémit quand son genou craqua. Ça lui fit mal, mais ça ne sembla pas le gêner, lui.
— Madame, avec le respect que je vous dois, je vous en prie, taisez-vous. Vous allez nous faire tuer tous les deux. (Le masque sinistre descendit plus près d’elle.) Je ne suis pas Hokan. Je ne suis pas lui ! Si vous vous calmez un instant, je vous montrerai.
Il desserra sa prise et elle parvint presque à se libérer. Il eut l’air surpris.
— Madame, arrêtez, je vous en prie. Je vais vous lâcher, et vous allez me laisser vous expliquer qui je suis.
Elle haletait et crachait de l’eau. L’enfant toujours présent la désorientait à un tel point qu’elle laissa l’homme se remettre debout.
Etain le voyait maintenant clairement. Elle voyait mieux qu’un humain ordinaire dans l’obscurité. Elle regardait une immense créature ressemblant à un droïde, portant une armure gris pâle, sans visage et sans marques. Et il avait un blaster. L’homme – la créature – tendit la main comme pour l’aider à se relever.
Non, ce n’était pas Ghez Hokan. De ça, elle était sûre. Elle prit sa main gantée et se releva.
— Au nom de la création, qu’êtes-vous ? demanda-t-elle enfin.
— Madame, je vous présente mes excuses. D’abord, je ne vous ai pas reconnue. Je suis responsable de ne pas m’être correctement identifié. Commando de la Grande Armée un-un-trois-six, Madame. J’attends vos ordres, mon général.
— Général ?
Il inclina la tête.
— Mes excuses, je n’avais pas vu le galon. Commandant…
— Et qu’est-ce que la Grande Armée ?
— L’armée de la République, Madame. Désolé, j’aurais dû réaliser que vous êtes hors de contact avec Coruscant depuis un moment, et…
— Depuis quand avons-nous une Grande Armée ?
— Depuis environ dix ans. (Il montra les buissons, non loin.) Pourrions-nous discuter de ça à un endroit moins public ? Vous faites une bonne cible pour quelqu’un avec un scope de nuit. Même les miliciens locaux risqueraient de vous atteindre…
— J’ai laissé tomber mon sabre laser dans la rivière.
— Je vais le récupérer, Madame.
Il entra dans la rivière et alluma sa lampe de casque. Il se pencha et farfouilla dans l’eau illuminée, puis il se releva, le sabre à la main.
— Je vous en prie, ne l’utilisez plus contre moi.
Etain repoussa sa chevelure trempée de son front, les doigts glacés. Elle prit le sabre laser.
— Je crois que ça ne me servirait pas à grand-chose de toute façon, dit-elle. Dites, pourquoi m’avez-vous appelée « Commandant » ?
— Madame, les Jedi sont tous des officiers, maintenant. Vous êtes bien une Jedi, n’est-ce pas ?
— Difficile à croire, hein ?
— Sans vouloir vous offenser, Madame…
— J’aurais posé la même question à votre place.
Commandant. Commandant ?
— Je suis la Padawan Etain Tur-Mukan. Maître Kast Fulier est mort. Il semble que vous soyez le soldat que je dois aider. Quel est votre nom ?
— Madame, commando un-…
— Votre nom. Votre vrai nom.
Il hésita.
— Darman, dit-il comme si ce nom l’embarrassait. Nous devons partir d’ici. Ils me recherchent.
— Ils n’auront pas beaucoup de mal à vous trouver avec cette tenue, dit-elle sarcastiquement.
— La boue est partie à l’eau, dit-il. Avez-vous des ordres pour moi, Madame ? Je dois arriver au point de RV Gamma et trouver le reste de mon escouade.
Du jargon de l’armée.
— Quand ? Maintenant ?
— Dans les douze heures standards.
— Donc, nous avons du temps devant nous. J’ai des plans à vous montrer. Revenez avec moi et réfléchissons à ce que nous ferons ensuite.
Elle prit son sabre laser.
— Je vais vous aider à porter ce que je peux.
— C’est lourd, Madame.
— Je suis une Jedi. Peut-être pas très compétente comme Jedi, mais je suis physiquement forte. Même si vous m’avez battue.
— Un peu d’entraînement réglerait ce problème, Madame. Vous êtes un commandant.
Il enleva son terrible casque mandalorien, qui s’ouvrit avec un petit plop.
C’était un jeune homme, dans les vingt ans, avec des cheveux noirs coupés courts et des yeux noirs. Malgré les plans durs de son visage, il avait une expression si innocente et confiante que cela la sidéra. Il n’avait pas confiance en lui-même, comprit-elle, mais en elle.
— Vous êtes probablement un peu rouillée, Madame. Nous vous remettrons en forme en moins de deux.
— Êtes-vous en forme, Darman ? (Il l’avait vaincue. Ça n’était pas supposé marcher comme ça…) Quel est votre niveau de compétence ?
— Je suis un commando, Madame. Élevé pour être le meilleur. Élevé pour vous servir.
Il ne plaisantait pas.
— Quel âge avez-vous, Darman ?
Il ne cilla même pas. Elle voyait les muscles durs de son visage, où ne paraissait pas un atome de graisse. Il avait l’air en pleine forme, un vrai soldat modèle.
— J’ai dix ans, Madame, dit Darman.
Les droïdes ne buvaient pas et ne pourchassaient pas les femmes, et ils ne s’intéressaient pas au travail au noir. Ils n’étaient pas de vrais soldats, avec de la fierté et de l’honneur, mais au moins Ghez Hokan était sûr qu’on ne les trouverait pas vautrés dans le caniveau avec une bouteille d’urrqal vide, le matin venu.
Et ils étaient vraiment magnifiques quand ils avançaient au pas.
Ce qu’ils faisaient en ce moment, avançant vers l’entrée de la villa de Lik Ankkit. Hokan marchait à côté d’eux, et par moments derrière eux, se déplaçant parce qu’il était fasciné par leurs mouvements et leur totale similarité de taille et d’attitude. On aurait dit des briques dans un mur que personne ne pourrait jamais entamer.
Les machines pouvaient être fabriquées toutes à l’identique, et c’était bon pour elles. Mais c’était un anathème de faire pareil pour l’être humain – surtout des Mandaloriens.
Le lieutenant Umbarien leva un bras, signalant à sa section de s’arrêter à dix mètres des marches de la véranda. Lik Ankkit était déjà là, en haut des marches, les regardant, portant la coiffure ridicule et les robes décadentes de l’épicier faiblard qu’il était.
Hokan avança, le casque sous le bras, et hocha poliment la tête.
— Bonjour, Hokan, dit Ankkit. Je vois que vous vous êtes enfin fait des amis.
— J’aimerais vous les présenter, dit Hokan. Parce qu’à partir de maintenant, vous les verrez beaucoup. (Il se tourna vers le lieutenant.) Allez-y, Cuvin.
L’Umbarien salua.
— Section – marche !
C’était du théâtre assez vulgaire, mais Hokan attendait ce moment depuis si longtemps ! Et c’était aussi nécessaire. Il devait cantonner quelques soldats près des installations d’Uthan, pour pouvoir les déployer rapidement. Ils ne lui serviraient pas à grand-chose dans la base, à trente kilomètres de là.
Ankkit avança quand les droïdes arrivèrent en bas des marches.
— C’est honteux, dit-il. La Fédération du Commerce ne tolérera pas…
Mais le Néimoïdien s’effaça quand la première rangée de deux droïdes arriva aux portes complexes en bois de kuvara marqueté.
Hokan ne s’attendait pas à une résistance héroïque, et il n’y en eut pas.
— C’est très gentil à vous de me permettre de cantonner mes troupes ici, dit Hokan. Un excellent usage pour tout cet espace perdu. Les Séparatistes vous sont reconnaissants des sacrifices personnels que vous avez faits pour assurer la sécurité du projet du docteur Uthan.
Ankkit descendit les marches aussi vite que sa coiffure extravagante et ses longues robes le lui permettaient. Même pour un Néimoïdien, il avait l’air terriblement perturbé. Il tremblait. Il faisait une bonne tête de plus que Hokan, sans sa coiffure, qui frémissait comme si une créature vivante avait atterri au milieu et essayait de se libérer.
— J’ai un contrat avec le docteur Uthan et son gouvernement.
— Et vous n’avez pas honoré la clause qui garantissait des ressources adéquates pour la sécurité. La notification de pénalités du docteur Uthan devrait être en route pour votre bureau.
— Je n’apprécie pas beaucoup la trahison.
— Ce n’est pas une manière de parler à un officier nommé à un commandement des forces séparatistes.
— Un officier ?
— Promotion de terrain.
Hokan sourit, sincèrement heureux.
— Je n’ai plus besoin de vous, maintenant, Ankkit. Soyez content d’être encore en vie. Au fait, le docteur Uthan a payé une prime directement à la Fédération du Commerce pour s’assurer que je puisse travailler sans entraves. Des troupes ennemies ont atterri. Cette région est désormais soumise à la loi martiale.
La bouche mince d’Ankkit était serrée de colère. Au moins, il ne geignait pas pour avoir la vie sauve. Hokan aurait été obligé de le tuer s’il avait supplié. Il détestait les pleurnicheries.
— Et je suppose que ça veut dire vous, Hokan, dit Ankkit.
— Major Hokan, je vous prie. Si vous voyez un de mes anciens employés dans le coin, ne l’abritez pas, d’accord ? Certains d’entre eux ne se sont pas montrés pour toucher leur prime de licenciement. J’aimerais m’occuper personnellement de tout ça.
— Vous êtes le paradigme de la gestion efficace, pour nous tous, dit Ankkit.
Hokan savoura un instant sa vengeance, puis la mit de côté comme la babiole sans valeur qu’elle était. Ankkit n’était plus une menace. On ne peut pas soudoyer des droïdes. Les officiers umbarien et aqualish savaient maintenant ce qui arrivait aux soldats négligents, puisqu’ils avaient exécuté ses ordres de « licenciement ». Hokan prenait grand soin que chacun sache ce qui arrivait quand on quittait son service avec l’insatisfaction du patron.
— Et moi, je vais habiter où ? demanda Ankkit.
— Oh, il y a plein de place ici, répondit Hokan. Je suis sûr que vous ne serez pas dans leur chemin.
Il y eut un bruit d’écrasement, puis celui de verre brisé. Les droïdes étaient parfois si maladroits !
Hokan effleura son casque d’un doigt et partit.
Il manquait toujours à l’appel quelques membres de son ancienne troupe. L’un d’eux était le Weequay Guta-Nay. Il avait très envie de le localiser, car il voulait montrer à ses nouveaux officiers qu’il ne répugnait pas à faire lui-même son sale boulot. Il voulait que cette image soit fermement présente à leur esprit si Ankkit essayait de les soudoyer.
Il suivit le chemin menant à la moto speeder. Un fermier avait trouvé des débris de circuit sur ses terres et avait voulu savoir si révéler son emplacement lui vaudrait une bouteille d’urrqal.
Hokan avait décidé d’aller lui rendre visite personnellement, pour lui montrer que l’information valait bien plus que ça.
Elle valait la vie d’un fermier…
Le point de RV Bêta aurait dû être un taillis en haut d’un escarpement, à l’ouest d’Imbraani. Mais quand Neuf arriva à portée visuelle, il n’y avait pas trace d’arbres.
— Les coordonnées sont justes, ou alors ma visière est en rideau, dit Atin, penchant la tête de côté et d’autre. Non, la position est bonne. Je confirme qu’il n’y a pas d’arbres. Dois-je déployer un observateur pour vérifier ?
— Non, dit Neuf. Gardons-les en réserve en cas de besoin. Ils sont trop visibles ici. Nous devrons approcher autant que possible et nous fier à nos mirettes pour repérer Darman s’il se montre. Où est l’endroit à couvert le plus proche ?
— Environ un klick à l’est.
— Il faudra que ça fasse l’affaire.
Atin revint, restant à couvert des arbres et retraçant leurs pas pour éviter qu’on les repère. Son armure était maintenant couverte de mousse, et Neuf fut content de ne pas être sous le vent. La chose à travers laquelle il avait rampé sentait décidément la campagne. Fi et Neuf suivirent, portant le matériel supplémentaire entre eux, un assortiment d’équipement d’entrée qui comprenait trois marteaux dynamiques, un bélier hydraulique, et une clé à rochet pour les portes vraiment difficiles. Ils avaient transféré toute l’artillerie explosive à leurs paquetages. S’ils entraient en contact rapproché et devaient abandonner leur chargement, Neuf n’avait pas envie de se retrouver avec un bélier hydraulique et des rations de nourriture pour toute défense. Un tas de grenades était bien plus utile.
— Exploitation forestière, dit Fi doucement.
— Pardon ?
— Le taillis manquant. On arrive en automne. Depuis la reconnaissance, ils ont coupé des arbres pour l’hiver.
— C’est le problème des renseignements, dit Neuf. Ils se démodent vite.
— Ce n’est pas comme à l’exercice.
— Non. Voilà une info de grande valeur pour la mise à jour des exercices, quand nous rentrerons.
Il y eut un soupçon de soupir. C’était un des effets de la liaison par comlink de casque : on en venait à écouter les moindres nuances de la respiration et même les différentes façons de déglutir des compagnons. Ils ne voyaient pas leurs expressions faciales, ils se contentaient donc de les écouter. C’était sans doute un peu comme être aveugle. Neuf n’avait jamais connu de personne aveugle, mais il avait entendu parler de certains clones dont la vue n’était pas de 10/10, et qui avaient disparu après la première série d’exercices. Les Kaminoéens étaient obsédés par le contrôle de la qualité.
Il avait été élevé pour être obéissant, mais il n’était pas stupide. Les techniciens kaminoéens étaient la seule chose qui le terrifiait vraiment. Ce qu’il éprouvait en obéissant à leurs ordres n’était pas identique à l’impression que ça lui faisait d’obéir à un Jedi. Il se demanda si Fi et Atin éprouvaient la même chose.
— Tu ne penses pas que nous allons y arriver, n’est-ce pas, Fi ?
— Je n’ai pas peur de mourir. Pas au combat, en tout cas.
— Je n’ai pas dit que tu avais peur.
— C’est seulement…
— Portée de dix mètres, fiston. Pas de Kaminoéens dans les environs.
— C’est seulement si inefficace. Tu l’as dit toi-même. Un gâchis.
— Je parlais de Géonosis.
— Ils mettent tellement de temps et d’efforts à nous rendre parfaits, puis ils ne nous donnent pas ce qu’il faut pour faire correctement le boulot. Tu te souviens de ce que disait le sergent Kal ?
— Il jurait beaucoup, ça je m’en souviens.
— Non, quand il disait qu’il ferait de nous des meilleurs soldats si nous avions le temps de sortir un peu à l’extérieur et de vivre. Quand il avait bu un verre ou deux, ça le chagrinait. Riches en données, pauvres en expérience, voilà ce qu’il disait.
— Il bafouillait pas mal, aussi. Et il n’aimait pas les clones.
— C’était de la poudre aux yeux. Et tu le sais.
Oui, Kal Skirata disait des trucs horribles sur les clones, mais on n’avait jamais l’impression qu’il voulait vraiment dire ça. Il ramenait du gâteau uj de chez lui, et ce n’était pas facile sur Kamino, un monde fermé, et le partageait avec les commandos qu’il formait. Il les appelait les Hommes Morts, les Droïdes Humides, et bien d’autres choses pires. Mais quand on le coinçait hors service dans sa cabane, il luttait parfois contre les larmes et vous donnait une friandise à manger, ou vous encourageait à lire un de ses textes illicites qui n’étaient pas sur le programme de formation accélérée. Ils contenaient souvent des histoires sur des soldats qui auraient pu faire d’autres choses, mais avaient choisi de combattre. Le sergent Kal les poussait surtout à lire des textes sur une culture appelée mandalorienne. Il admirait Jango Fett. « Voilà qui vous êtes, pour de bon, disait-il. Soyez fiers, même si ces minables créatures grisâtres vous traitent comme du bétail. »
Non, Kal Skirata n’aimait pas beaucoup les Kaminoéens.
Une fois qu’il s’était engagé avec les Kaminoéens, disait-il, ils avaient refusé de le laisser rentrer chez lui. Mais il avait dit à Neuf qu’il n’en avait pas envie. Il ne pouvait pas abandonner ses garçons, pas maintenant qu’il savait.
Neuf était décidé à découvrir ce que Kal Skirata avait compris, et pourquoi ça le perturbait tant.
— Personne n’a toutes les réponses, dit Neuf. L’ennui de s’habituer à être puissant, c’est qu’on risque d’oublier le petit détail qui peut faire tout capoter.
Fi émit le petit sifflement qui semblait indiquer un début de rire.
— Je sais qui tu cites, dit-il.
Neuf n’avait même pas eu conscience de prononcer ces mots. Oui, c’était bien le sergent Skirata. Il s’était même surpris à utiliser le mot « fiston » un peu plus tôt.
Il lui manquait.
Puis le signal d’avertissement de comlink de son casque l’interrompit. Moyenne portée. Que faisait Atin ?
— Contact, à cinq cents mètres, à six heures, dit la voix d’Atin. Des droïdes. Dix, un humanoïde – dix casseroles, un humide, on dirait un officier. (Il y eut une explosion violente derrière eux.) Correction. Contact rapproché.
Neuf connaissait la situation par cœur. Fi ne lui posa même pas la question. Ils lâchèrent l’équipement et retournèrent sur leurs pas, les fusils levés, les sécurités enlevées. À cinquante mètres d’Atin, ils se laissèrent tomber sur le sol pour se mettre en position de tir.
Atin était coincé au pied d’un arbre, ils virent un droïde couché sur le côté, un panache de fumée sortant de son corps de métal, mais les autres étaient en rang, couvrant deux d’entre eux qui avançaient par petits bonds, en zigzaguant. Atin tirait de temps en temps. S’ils avaient voulu le tuer, ils en avaient le pouvoir.
Ils voulaient Atin vivant.
— Je vois l’humide, dit Fi, à la gauche de Neuf. Un capitaine aqualish, en fait.
— D’accord. Descends-le dès que tu es prêt.
Neuf épaula son lance-grenades et visa la rangée de droïdes. Ils étaient espacés sur une quarantaine de mètres. Il lui faudrait deux tirs pour les avoir tous, s’ils ne s’éparpillaient pas. Les droïdes étaient bons à la bataille, mais ils n’étaient pas faits pour ce qui demandait de la réflexion, et si leur officier était éliminé…
Crac.
L’air se dilata instantanément avec la chaleur et l’énergie libérées. C’était ce qui donnait leur son particulièrement satisfaisant aux rayons de plasma. L’Aqualish tomba, son armure de poitrine fracassée. Des objets ressemblant à des mottes de terre humide, mais qui n’en étaient pas, sortirent de son corps et volèrent dans tous les sens. Les droïdes s’arrêtèrent un instant puis continuèrent sur leur lancée, comme s’ils n’avaient pas de meilleure idée.
Fi quitta rapidement sa position, puis il fit une roulade.
Non, ils ne valaient rien en combat rapproché, pas sans un humide pour les diriger. Mais ils étaient toujours nombreux, et ils retournaient le feu aussi bien que les formes de vie organiques. Trois des sept droïdes restant se tournèrent dans la direction du rayon de Fi.
Les buissons d’où Fi avait tiré explosèrent en une gerbe de flammes. Neuf eut l’impression que tout arrivait lentement, mais ce n’était pas le cas. Il visa et tira, une fois, deux. Les deux explosions n’en firent presque qu’une. De la terre, de l’herbe et des fragments de métal tombèrent en pluie autour de lui. À courte portée, les droïdes étaient presque aussi dangereux quand on leur tirait dessus que quand ils vous tiraient dessus : ils devenaient des projectiles en explosant.
Le feu cessa. De la fumée dérivait d’au moins cinq points d’impact. Neuf ne voyait plus rien bouger.
— Une casserole intacte mais immobile, dit Fit.
— Je la vois, dit Neuf.
Il tira encore une fois, pour être sûr.
— Tout à l’air réglé ici, dit Fi, baissant son fusil. Atin, tout va bien ?
— Rien ne me manque que je ne puisse pas boulonner en place.
— Tu es marrant à crever, dit Neuf.
Il commença à se redresser. C’était curieux comme il oubliait facilement le poids de son paquetage quand il s’agissait de sauver sa vie.
— Et maintenant, comment…
— À terre ! hurla Atin.
Un rayon passa à un mètre de la tête de Neuf, qui se laissa retomber à plat ventre. Deux coups de feu. Puis le silence.
— Maintenant, tout est réglé, dit Atin. Que quelqu’un m’aide à me relever, d’accord ?
Quand Neuf se mit en position agenouillée, il vit une pile de droïde démantibulés. Il avait bien entendu deux coups. Un était dirigé vers lui, et l’autre venait d’Atin, pour s’assurer qu’il n’y en aurait pas d’autre contre lui.
— J’arrive, mon frère, dit Neuf.
La plaque de poitrine d’Atin, couverte de boue, avait aussi changé de couleur. Elle était noir mat avec des rayons venant du centre.
— Je n’arrive pas à respirer correctement, dit Atin d’une voix calme, comme font souvent les hommes gravement blessés.
Il inspira à fond.
— Ma poitrine me fait mal.
Fi l’appuya à un tronc et lui enleva son casque. Il ne saignait pas de la bouche. Il était livide, et la cicatrice encore fraîche ressortait sur sa pâleur, mais il ne saignait pas. Ses pupilles semblaient réagir normalement. Il n’était pas en état de choc. Fi enleva les fermetures de la plaque de poitrine et lui ôta la plaque d’armure.
Sa combinaison était intacte.
— Tu es sûr que c’est seulement ta poitrine ? demanda Fi.
Il n’avait pas de scan médical pour vérifier l’état d’Atin. On n’enlevait pas des morceaux d’armure ou des objets incrustés avant de savoir de quoi il retournait. Parfois, l’armure était tout ce qui tenait le type encore debout. Atin hocha la tête. Fi enleva cette section de combinaison, en commençant par le col.
— Ouh là ! Tu vas avoir un sacré bleu !
Il y avait une zone décolorée sur son sternum, qui descendait le long de sa poitrine.
— Tu fais collection de signes particuliers, ou quoi ? demanda Fi.
— Il m’a frappé de plein fouet, dit Atin, haletant. Ce n’était pas une cartouche standard. Mais ça prouve que l’armure est efficace, non ?
Fi enleva son casque et écouta la respiration d’Atin, une oreille collée sur sa poitrine.
— Ouille.
— Tais-toi et respire.
Atin inspira par petits coups, sursautant à chaque souffle.
Fi se releva.
— Je n’entends pas de pneumothorax, dit-il, mais gardons quand même un œil sur lui. L’air emprisonné à l’intérieur peut augmenter. Il pourrait avoir des côtes cassées, ou seulement un méchant bleu.
Sortant un vaporisateur de bacta, il aspergea le bleu qui se formait rapidement. Atin leva les bras, comme s’il les testait.
Fi lui remit la combinaison et l’armure.
— Je prendrai ton paquetage, dit Neuf.
C’était le moins qu’il pouvait faire.
— Je crois qu’on peut sauter le RV Bêta maintenant. Laissons quelques souvenirs derrière nous, que Darman sache que nous sommes passés par là. On ignore si d’autres casseroles ne vont pas arriver. Ce ne sont pas des penseurs très originaux.
Ils avaient sans doute quelques minutes devant eux, même si un des droïdes avait réussi à prévenir la base. Fi sprinta vers le lieu de rendez-vous et laissa quelques débris sur place. Neuf fouilla la dépouille de l’officier aqualish et prit tout ce qui ressemblait à une clé, un support de données ou une preuve d’identité. Puis il traîna le paquetage d’Atin derrière lui par une poignée, allant à l’endroit où ils avaient laissé l’équipement d’entrée.
Ce serait un voyage difficile jusqu’au rendez-vous Gamma, du moins tant qu’Atin ne pourrait pas reprendre son paquetage.
L’engagement avait duré cinq minutes et huit secondes, du premier coup de feu au dernier. Il ignorait si ça avait duré une seconde ou une heure. C’était bizarre, la perception du temps sous le feu de l’ennemi. Les bottes de Neuf écrasèrent des débris métalliques d’un droïde, et il se demanda comment ils percevaient la durée pendant un combat…
— C’est comme ça qu’ils nous voient ? demanda Neuf. Les gens ordinaires, je veux dire. Ils nous considèrent comme des droïdes ?
— Non, dit Atin. En pièces détachées, nous ne valons rien.
Il éclata de rire et s’arrêta net, haletant. Ses côtes devaient lui faire mal.
— Je vais vous ralentir.
— N’essaie pas d’être noble. Tu viens avec nous, parce que je refuse de porter ça sur tout le chemin qui reste. J’ai besoin d’un peu de repos de temps en temps.
— D’accord.
— Et merci. Je te dois une fière chandelle.
— Non, tu ne me dois rien.
— Merci quand même. Tu veux bien m’expliquer pourquoi tu as été Darman ?
— J’ai été le dernier homme debout, dans deux escouades, maintenant.
— Oh.
Silence. Neuf insista.
— Tu veux me dire comment ça s’est passé ?
— La première escouade a essayé de me sauver lors d’un exercice à vraies munitions. Je n’avais pas besoin d’être sauvé. Pas à ce point, en tout cas.
— Ah.
Neuf se sentit honteux d’avoir pensé qu’Atin ne se souciait pas de ce qui était arrivé à Darman. Au contraire, il s’en souciait trop.
— Mon sergent d’entraînement m’a dit qu’il existait un sentiment appelé la « honte du survivant ». Il a ajouté que dans ce cas, survivre, c’était ce que mon escouade avait attendu de moi.
— Ils se sont débrouillés pour supprimer pas mal de choses de nos esprits. Pourquoi pas ça ?
Neuf cessa de tirer le sac d’Atin. Il le souleva et le mit sur son dos, après avoir pendu son fusil à son épaule. Il fut content de le porter.
— S’ils l’avaient fait, je ne serais sans doute pas ici en ce moment, dit-il.
Et il sut que Darman les attendrait, le lendemain.
Ghez Hokan examina la pile de débris qui avait été, quelques heures plus tôt, une section de droïdes opérationnelle. Ce qui les avait frappés n’avait pas fait de détail. Et, à en juger par le coup de feu de sniper bien placé et les traces d’explosion de deux grenades seulement, ils avaient été éliminés par des experts.
Un homme ou une section ? Normalement, on ne pouvait pas tendre une embuscade à des droïdes de combat avec seulement quelques hommes, mais tout dépendait de qui étaient les hommes. Dommage que le capitaine n’ait pas appelé pour faire son rapport comme il l’aurait dû. S’il n’avait pas été tué, Hokan l’aurait fait fusiller pour avoir désobéi aux procédures opérationnelles. Il regarda les droïdes de son escorte, alignés près des motos speeders, et se demanda s’ils éprouvaient quelque chose quand ils voyaient des collègues démantelés.
— Pas de signe de camp, Monsieur, dit le lieutenant Cuvin, revenant au trot des bois de l’autre côté de la clairière.
C’était curieux de voir la complexion livide de l’Umbarien colorée par l’exercice.
— Il y a quelques branches brisées à hauteur des genoux, et des herbes écrasées par des soldats tirant à plat ventre, mais je ne saurais honnêtement dire combien d’hommes il y avait.
— Vous ne savez pas grand-chose, lieutenant…, dit Hokan.
— Monsieur, je vais vérifier de nouveau.
L’Umbarien était encore plus livide que d’habitude.
— Monsieur, Monsieur ! cria le second lieutenant Hurati, enthousiaste.
Il avait sans doute hâte de prendre la place de Cuvin. Il vint à la course rejoindre son commandant, une attitude que Hokan appréciait.
— J’ai trouvé quelque chose d’extraordinaire.
— Je suis content qu’un de vous ait trouvé quelque chose. Qu’est-ce que c’est ?
— Une pile de pièces de droïdes.
— Et c’est extraordinaire parce que… ?
— Non, Monsieur, elles sont à une certaine distance d’ici, et elles sont disposées.
— Montrez-moi.
Les arbres avaient été coupés quelques jours plus tôt, car des champignons klol commençaient à repousser partout. Sur une grande souche plate reposaient les restes d’un droïde.
Les morceaux avaient été arrangés dans l’ordre, les bras et les jambes à la bonne place, et la plaque de visage levée vers le ciel, comme si elle regardait en l’air.
— C’est aussi comme ça qu’on a retrouvé le pilote droïde, Monsieur. Je pense que c’est un signal.
Hurati était un type compétent. Il avait étudié les rapports faits par les miliciens, en dépit du désordre de leur présentation.
C’était un long chemin pour déplacer des restes de droïdes. Il n’y avait pas de marques sur le sol. C’était un lourd fardeau à porter à la main. Ils avaient peut-être un transporteur, bien qu’il ne vît aucun signe du passage d’un engin à répulseur sur le sol. Hokan regarda les morceaux de droïdes et se demanda qui pourrait vouloir envoyer un message aux Séparatistes, et ce qu’il pouvait bien signifier.
— C’est un trophée, dit Hokan. Ils nous narguent. Ils nous montrent à quel point tout ça est facile pour eux.
Ce qui le rendait furieux. Il était Mandalorien. Ce n’était pas dans ses habitudes de faciliter la tâche des ennemis.
— Un couvre-feu, Hurati. Déclarez un couvre-feu permanent sur tous les véhicules à moteur, jusqu’à plus ample information. Tout véhicule se déplaçant avec de l’énergie est à nous, ou il est à l’ennemi. Vous vous êtes bien assuré que tous nos véhicules sont équipés de transpondeurs ?
— Oui, Monsieur.
— Pourquoi n’agissez-vous pas, alors ?
— C’est… l’époque de la moisson, Monsieur. Comment les fermiers feront-ils parvenir leurs produits à Teklet pour l’expédition ?
— J’imagine qu’ils ont des charrettes à bras, dit Hokan.
Il enfourcha la moto speeder.
— Ankkit devra trouver un autre moyen de faire transporter ses moissons.
Hokan réfléchit aux morceaux de droïde soigneusement disposés jusqu’à son retour à son nouveau quartier général, dans la villa d’Ankkit. Ayant peur de se laisser ramollir par l’ambiance décadente de cet antre à Hutt, il avait installé son bureau dans un bâtiment extérieur. Peu lui importaient les tentures décoratives et les ornements inutiles. Mais la villa était située à un bon endroit, près du laboratoire de recherche et pratique pour ses troupes.
Qui la République avait-elle envoyé pour viser les travaux d’Uthan ? C’étaient des hommes hardis, visiblement, qui avaient éliminé une patrouille aérienne, puis une section de droïdes et leur capitaine. Ils semblaient choisir leurs cibles au hasard. L’armée de clones devait être terriblement importante pour la stratégie de la République, pour qu’ils envoient des troupes comme ça. Où étaient les armées conventionnelles ? Où étaient les généraux Jedi ? Quand arriveraient-ils ?
C’était une nouvelle sorte de guerre, il le sentait.
Il détestait ne pas savoir qui était là, se préparant à le combattre. S’il n’avait pas su que cet homme était mort, il aurait juré que c’était Jango Fett en personne.