CHAPITRE 4
C’est là que réside l’art de la sélection et de la manipulation génétique. Un humain est naturellement un être capable d’apprendre, mais il est aussi violent, égoïste, concupiscent et indiscipliné. Nous devons garder l’équilibre entre la suppression des facteurs menant à la désobéissance et la destruction de la capacité positive d’appliquer l’intelligence et l’agressivité.
Hali Ke, généticien de recherche en chef de Kamino
Neuf repliait son parachute quand l’explosion le fit sursauter. Une colonne de feu blanc grimpa dans le ciel obscur, au-dessus des arbres. Il comprit aussitôt ce que c’était, parce que le filtre de sa visière s’activa pour éviter que son dispositif de vision nocturne soit débordé.
Même s’il savait que ça devait arriver, il se sentit découragé. Darman ne s’en était probablement pas tiré.
Il avait désobéi aux ordres. Il n’avait pas sauté quand il le lui avait dit.
Bon, tu as peut-être perdu un frère. Peut-être pas. De toute façon, tu en perdras deux de plus si tu ne reprends pas tes esprits très vite.
Neuf triangula la position de l’explosion, puis il continua à replier le parachute, récupérant les cordes avant d’enterrer le reste. Avec une résistance à la traction de cinq cents kilos, les cordes pouvaient s’avérer utiles. Il les noua en huit autour de son pouce et de son petit doigt et glissa les écheveaux dans une poche de ceinture. Puis il se mit à la recherche de son paquetage supplémentaire.
Il n’était pas tombé loin de lui. La technique d’ouverture à basse altitude marchait bien si on avait besoin de précision. Neuf trouva le paquetage au bord d’un champ, couvert de petits animaux à fourrure sombre qui semblaient le trouver fascinant, et mâchouillaient le rembourrage d’un côté. Il alluma sa lampe pour éloigner les animaux, mais ils ne se laissèrent pas impressionner. Ils se jetèrent sur lui.
C’était exaspérant, sans plus. Leurs petites dents ne pouvaient rien contre son armure. Il resta immobile, observant les créatures. Sa banque de données les identifia : des gdans, répertoriés comme une forme de vie alien hostile. Tous les non-humains que Neuf avait vus, à part les Kaminoéens et quelques instructeurs, étaient sur Géonosis, à travers le viseur d’un blaster. Il dépendait totalement des informations stockées dans sa base de données. Ou alors, il devait les trouver en personne…
Tous les gdans sauf un décidèrent qu’il était immangeable et disparurent dans le grain, qui arrivait à la hauteur de la taille. La dernière créature continua à essayer de grignoter sa botte gauche, prouvant qu’elle était tenace mais par forcément très intelligente. Ces bottes résistaient à tout, le vide total, l’acide ou le métal en fusion. La petite créature avait visiblement de grandes espérances.
Il était sûr que Darman l’aurait trouvée fascinante. Quel dommage de l’avoir perdu. Il aurait fait un excellent camarade.
— Allez, file, dit Neuf, poussant la créature avec la crosse de son blaster. J’ai du boulot !
Le gdan, dont les mâchoires étaient serrées autour d’une boucle, leva la tête et rencontra son regard. Du moins, il eut cette impression. La créature devait voir seulement une faible lueur bleue. Elle lâcha la boucle et partit en trottinant vers le champ. Elle le regarda une dernière fois puis plongea dans un trou avec grâce et fluidité.
Neuf sortit son databloc et calcula sa position. Il ne pouvait pas essayer de se brancher sur un GPS sans que les Néimoïdiens le détectent, mais il pouvait au moins naviguer à l’estime, d’après la dernière position connue, de la moissonneuse, en comparant les éléments du paysage avec ceux de la carte. C’était la façon ancienne de procéder, et il aimait ça. Il devait pouvoir s’en sortir quand la technique ne suivait pas, même si ça voulait dire se servir seulement d’un couteau trandoshien.
Si vous poignardez quelqu’un en plein cœur, il peut encore courir. J’ai vu un homme faire cent mètres comme ça. Et crier ! Il faut viser le cou. Comme ça ! Le sergent Skirata leur avait appris un tas de choses sur les couteaux. Et mets un peu de poids dans ton geste, fiston !
Mais la technique avait sa place. Il aurait bien aimé avoir une moto speeder sous la main, même s’ils n’auraient pas pensé en avoir besoin. Le point d’insertion était censé être à cinq klicks de la cible…
Tant pis, se dit-il. Ça m’aurait rendu trop visible, de toute façon. L’équipement le ralentirait pour arriver au lieu de rendez-vous préétabli, mais il y arriverait. Si Fi et Atin avaient atterri sains et saufs, ils iraient aussi vers le RV Alpha.
Il partit, essayant de faire dix klicks à l’heure, évitant les pistes tracées et le terrain découvert. Finalement, il fut obligé de tirer le paquetage supplémentaire derrière lui par des lanières, comme un traîneau. L’avance tactique vers la bataille, comme l’appelait Skirata, voulait dire qu’on marchait à une vitesse de six à dix klicks à l’heure avec un paquetage de vingt-cinq kilos. « Mais ça, c’est pour les hommes ordinaires », disait l’instructeur, comme si les non-clones étaient des sous-humains. « Vous êtes des commandos clones. Vous ferez mieux, parce que vous êtes mieux ! »
Neuf traînait maintenant près de trois fois cette charge. Et il ne se sentait pas plus surhumain pour autant. Il décida d’ajouter un répulseur portable à la liste de matériel qu’il demanderait à son retour.
La lune de Qiilura était dans son premier croissant, et il lui en fut reconnaissant. Dans son armure gris clair, il se serait fait remarquer de loin, si la lune avait été pleine. Les huiles n’ont pas pensé à ça, non plus ? Il étouffa cette opinion critique de ses supérieurs, inhabituelle pour lui, et décida qu’il y avait sans doute des choses qu’ils savaient à ce sujet et lui, non. Il avait ses ordres.
Malgré tout, il fit un petit détour pour passer à côté d’une rivière que montrait l’holocarte et s’arrêta le temps de couvrir son armure et son équipement de boue. Il était inutile de tenter le diable.
À quatre cents mètres du RV alpha, il ralentit, et pas parce que le poids se faisait trop lourd. Une approche silencieuse était nécessaire. Il cacha le paquetage qu’il traînait derrière lui au fond d’un fourré et nota sa position pour le récupérer plus tard. Fi et Atin avaient peut-être été suivis. Ou bien ils ne s’en étaient pas sortis. Il y avait toujours la possibilité d’une embuscade. Il ne prendrait aucun risque.
Pendant les deux cents derniers mètres, il se mit à plat ventre dans l’herbe et rampa.
Mais ils étaient là, et seuls.
Neuf se retrouva en train de regarder le rayon du casque de Fi, et il savait que le système de visée infrarouge était braqué sur le joint entre son masque de filtration et le haut de son blindage de poitrine. C’était un endroit vulnérable, si on était assez près. Mais peu d’êtres hostiles pouvaient approcher autant d’un commando.
— Vous m’avez fait sursauter, Sergent, dit Fi, baissant son blaster et examinant son supérieur.
Il éteignit le rayon et montra la plaque de blindage.
— Les grands esprits…
L’armure de Fi n’était plus impeccable, elle non plus. Neuf se demanda ce qu’il avait passé dessus, mais ça brouillait bien sa silhouette. Cette idée leur était venue à tous. Atin aussi était couvert de quelque chose de sombre et de mat.
— La forme, la brillance, l’ombre, la silhouette, l’odeur, le son et le mouvement, dit Neuf, répétant les règles de base du camouflage.
Sans l’absence de Darman, il aurait même trouvé la situation drôle.
— Des nouvelles de Darman ? demanda Atin.
Ils étaient à quarante kilomètres du point où Neuf avait atterri.
— J’ai vu l’explosion. Il a été le dernier à partir.
— Vous l’avez vu sauter ?
— Non. Il ramassait tout le matériel qu’il pouvait, dit Neuf, sentant le besoin d’expliquer. Il m’a poussé hors de l’écoutille avant lui. J’aurais dû me méfier, et l’empêcher de faire ça. Mais je ne l’ai pas abandonné.
Atin haussa les épaules.
— Alors, où en sommes-nous ?
— Nous avons un frère disparu.
— Je parlais des ressources. Il avait la plus grande partie du matériel de démolition.
— Je sais ce que tu voulais dire, et je ne veux pas l’entendre.
S’il éprouvait de l’inquiétude – du chagrin, même – pour Darman, pourquoi Atin ne ressentait-il rien ? Mais ce n’était pas le moment de se quereller. Ils devaient rester unis. Une mission pour quatre hommes, avec trois hommes. Leurs chances de succès étaient déjà compromises.
— Nous sommes une escouade, maintenant. Il faut t’y habituer.
Fi intervint. Il semblait avoir le truc pour désamorcer les situations potentiellement explosives.
— Tout notre équipement est intact. Nous pouvons encore leur faire des dégâts, si nécessaire.
Mais faire des dégâts à quoi, exactement ? Ils avaient des rapports de reconnaissance à grande altitude du bâtiment cible, mais aucune idée de la nature des murs : placoplâtre ou alliage anti-choc ? Il y avait peut-être la trentaine de gardes vus sur les holos, ou des centaines d’autres cachés dans des baraquements souterrains. Sans autres renseignements, ils ignoraient quelle quantité d’équipement suffirait pour faire le boulot.
B pour beaucoup, c’était sûr… Mais c’était la seule chose sûre…
— Combien de temps allons-nous le chercher ? demanda Atin. Ils savent que nous sommes là, maintenant. Ce n’était pas une insertion silencieuse…
— Procédure standard, dit Neuf.
C’était comme ça que fonctionnaient les commandos.
— Nous allons à chaque point de RV et nous y restons le délai convenu. S’il ne se montre pas, nous rallierons la position de l’explosion et nous verrons ce qu’il reste. Ensuite nous déciderons s’il y a lieu de le considérer comme disparu au combat.
— Si c’était toi, tu apprécierais qu’on te recherche, dit Fi à Atin. Il ne peut pas nous appeler. C’est trop risqué.
— Je n’attendrais pas que vous mettiez la mission en péril pour moi, dit Atin, acide.
— Il est seul ! Tout seul !
— Taisez-vous, d’accord ? ordonna Neuf.
Le point positif des casques à comlink à ultracourte portée était de pouvoir se disputer tranquillement sans que personne à l’extérieur n’entende rien.
— Le retrouver n’est pas seulement la chose correcte à faire, c’est aussi la plus intelligente. Si on le trouve, on trouve son équipement. D’accord ?
— Oui, sergent, dit Fi.
— Compris, dit Atin. Mais il doit y avoir un moment ou nous le considérerons comme mort.
— Sans cadavre, ça sera quand Géonosis gèlera, dit Neuf, toujours furieux sans savoir pourquoi. Jusque-là, on fera tout notre possible pour le trouver, à condition que ça ne compromette pas la mission. Maintenant, voyons si nous pouvons accrocher cet équipement entre deux poteaux, ou quelque chose du genre. Nous ne garderons pas l’allure sur plusieurs dizaines de kilomètres si nous ne trouvons pas un meilleur moyen de le transporter.
Neuf régla le comlink de son casque pour recevoir les comm à longue distance. Écouter ne ferait pas de mal. Si Darman était dans le secteur, Neuf n’avait pas l’intention de l’abandonner.
La clairière n’était pas là la veille.
Etain avança à travers les jeunes arbres kuvara aplatis et dans un cercle de végétation brûlée, derrière Birhan. L’air sentait la fumée et le barq grillé.
L’homme jurait abondamment. Pas besoin de comprendre le qiilurien pour le savoir…
— Ce sont encore vos pareils qui ont fait ça, dit Birhan.
Il regarda le champ, les mains sur le front pour se protéger des rayons du soleil levant. Maintenant qu’il faisait jour, ils voyaient clairement l’étendue des dégâts provoqués par l’explosion de la nuit précédente.
— Que vais-je faire ? Que va-t-il arriver à notre contrat ?
Ce n’était pas vraiment une question. Les Néimoïdiens n’étaient pas connus pour être très compréhensifs devant les désastres naturels qui menaçaient sans cesse l’existence précaire des communautés de fermiers. Et ça n’était pas un désastre naturel, en plus.
La zone d’impact faisait cinq cents mètres de rayon, avec un cratère central d’une quinzaine de mètres de large. Etain ignorait quelle profondeur il avait, mais un Trandoshien et un Ubese se tenaient sur le bord, blaster en mains, comme s’ils cherchaient quelque chose. Ils ne prêtèrent pas la moindre attention à Birhan ou Etain. Elle devait avoir l’air suffisamment minable et affamée pour passer pour une fermière.
C’était sans doute trop tard pour les convaincre que le cratère avait été provoqué par un météore. Mais Etain n’en savait pas plus qu’eux, pour le moment.
— Pourquoi dites-vous que ce sont mes pareils ? demanda-t-elle.
— C’est évident, dit sombrement Birhan. J’ai vu des tas de speeders, de cargos et de moissonneuses s’écraser au sol. Ils ne font pas de cratère. Ils tombent sur le sol et brûlent, d’accord, mais ils ne font pas sauter la moitié d’un champ. Ça vient de l’extérieur de la planète. Ce sont des soldats. (Il flanqua un coup de pied dans un amas de tiges calcinées.) Vous ne pourriez pas vous battre sur la planète de quelqu’un d’autre ? Vous croyez que je n’ai pas assez de problèmes comme ça ?
Elle se demanda un moment s’il envisageait de la livrer aux hommes de Hokan pour quelques crédits, pour compenser la perte du précieux barq. Elle représentait déjà une bouche de plus à nourrir, alors qu’une bonne partie de l’argent sur lequel il comptait était partie en fumée… Il lui fallait trouver une autre cachette, et élaborer un autre plan pour faire quitter Qiilura aux informations qu’elle détenait.
Elle regardait toujours la moisson brûlée quand l’Ubese et le Trandoshien se relevèrent et partirent au trot vers le chemin de terre qui longeait le champ. L’Ubese avait une main appuyée contre le côté de son casque comme s’il écoutait quelque chose, probablement un comlink. L’appel était assez urgent pour les obliger à courir. Ça lui confirmait aussi qu’il ne s’agissait pas d’un banal accident d’appareil agricole.
Etain avança au bord du cratère pour voir ce qui les avait tellement fascinés.
L’explosion avait été considérable. Les côtés du cratère étaient presque lisses, et il y avait des débris partout. Pour un petit vaisseau, c’était un impact plutôt important.
Elle avança et marcha autour du cratère, inspectant le sol, pas sûre de ce qu’elle cherchait. Elle était presque arrivée au verger de kuvara quand elle le vit.
Le soleil levant se reflétait sur quelque chose, profondément enfoncé dans le sol par l’explosion. Etain s’accroupit, l’air le plus innocent possible, et enleva la terre avec ses doigts. Il lui fallut quelques minutes pour dégager suffisamment l’objet pour voir de quoi il s’agissait, et comprendre pourquoi les couleurs étaient si familières. Le métal était tordu par la force de l’explosion, mais elle avait déjà vu la même chose avant, intacte.
Une plaque d’astromech droïde R5. Avec une inscription de la République.
Ils arrivent.
Elle espéra qu’ils étaient arrivés vivants, qui qu’ils soient.
Darman savait que c’était risqué de se déplacer de jour. Ce qui n’arrangeait rien était sa jambe droite, qui le lançait violemment chaque fois qu’il faisait reposer son poids dessus.
Il avait mis deux heures à creuser un trou peu profond dans un fourré, à une centaine de mètres du semblant de route. Les racines et les cailloux l’avaient ralenti, ainsi que les bleus qu’il avait récoltés en passant entre les arbres pendant son atterrissage. Mais il avait fini, et il resta immobile sous un camouflage de branches et de feuilles, surveillant la route, parfois à travers le viseur de son fusil et parfois avec les jumelles électroniques de son casque.
Une bonne chose : les petits animaux qui s’étaient jetés sur lui la nuit dernière avaient disparu. Il avait fini par cesser d’essayer de les repousser. Ils avaient exploré son armure pendant un moment, puis ils avaient reculé et l’avaient regardé de loin. Maintenant qu’il faisait jour, il n’y avait plus d’yeux étincelants dans les broussailles…
Il ignorait toujours quelle était sa position. Il ne pouvait pas se brancher sur un réseau de GPS sans être repéré. Il devait aller faire une reconnaissance s’il voulait pouvoir comparer les caractéristiques du terrain avec l’holocarte.
Il savait qu’il faisait face au nord. Le cercle de petites pierres qu’il avait plantées autour d’une branche mince repérait l’avancée du soleil, et lui donnait la direction est ouest. Si son databloc avait correctement calculé la vitesse et la distance, il était environ à quarante ou cinquante klicks au nord-est du premier point de RV. Il ne couvrirait jamais une telle distance à pied dans le temps alloué, surtout avec l’équipement supplémentaire et sa jambe dans cet état. Et s’il tirait l’équipement derrière lui, autant écrire suivez-moi sur le sol !
Darman se tourna sur le dos, retira la plaque de blindage de sa jambe et ouvrit sa combinaison au genou. Il pensait s’être déchiré un muscle ou un tendon au-dessus de l’articulation. Il mouilla son bandage de fortune avec du bacta et replaça la combinaison et les plaques avant de se remettre en position.
Il était grand temps de manger quelque chose, mais il décida qu’il pouvait attendre encore un peu.
Il examina la route à travers les croix de son scope électromagnétique DC-17. La première fois qu’il avait porté le casque avec l’affichage intégré scintillant devant ses yeux, il avait été submergé et désorienté par toutes ces informations dans son champ de vision. Le scope du fusil rendait le tout encore plus chaotique. Des lumières partout ! C’était comme regarder la nuit par les fenêtres de Tipoca City avec les lampes et les surfaces réfléchissantes du réfectoire derrière soi – tant d’images différentes qu’il était impossible de se concentrer sur ce qu’il y avait de l’autre côté du verre à l’épreuve des tempêtes.
Le moment venu, il s’y était habitué. Ce moment fut le matin court et désespéré où les escouades Kilo et Delta portèrent le casque HUD à affichage pour la première fois avec des munitions réelles. Ceux qui ne s’y habituaient pas rapidement ne revenaient pas de l’exercice. Il avait appris à voir – sans voir. Il avait conscience en permanence des affichages de statut qui lui indiquaient quand ses armes étaient chargées, si son armure avait été compromise, et ce qui arrivait autour de lui.
Pour le moment, il se concentrait sur un tube clair délimité par des parties bleues, avec une zone éclairée pour indiquer quand il avait une solution de tir optimale pour sa cible. Les autres informations sur la portée, l’environnement, et les autres options étaient toujours là. Il les assimilait sans les voir consciemment. Il voyait seulement sa cible.
Un faible bourdonnement le fit se raidir. Des voix. Elles approchaient vers sa droite. Puis elles s’arrêtèrent.
Il attendit. Les voix recommencèrent et deux Weequays arrivèrent dans son champ de vision, trop lentement à son goût. Ils observaient les bas-côtés de la route ; avec un peu trop de zèle. L’un d’eux s’arrêta et regarda le sol, apparemment excité par sa découverte, d’après ses grands gestes des bras.
Puis il leva les yeux et avança presque directement vers Darman.
Il ne peut pas me voir, pensa Darman. J’ai fait ça suivant les règles. Pas de reflet, pas de mouvement, pas d’odeurs, rien !
Mais le Weequay continua à avancer. Il entra dans les buissons, s’arrêta comme s’il avait perdu une piste, regarda autour de lui et repartit. Il était à dix mètres de Darman.
Darman s’arrêta quasiment de respirer. Son casque étouffait les sons, il le savait, mais il avait du mal à le croire. Le Weequay était si près que Darman sentit son odeur distinctive et vit les détails de son arme – un KYD-21 avec un canon en hadrium – et la vibrolame qu’il portait à la main. Darman ne pouvait même plus déglutir.
On a le droit d’avoir peur.
Le Weequay fit un pas de côté, puis avança encore. Il était au-dessus de lui. Darman sentit ses bottes toucher les branches qui le dissimulaient. Puis la créature regarda vers le bas et dit gah.
On a le droit d’avoir peur, tant qu’on s’en sert.
Darman lança son poing sous la mâchoire du Weequay, lui enfonçant sa vibrolame dans la gorge et tordant la main pour couper les vaisseaux sanguins. Il soutint le poids du Weequay d’un bras, jusqu’à ce qu’il cesse de bouger. Puis il baissa le bras, tremblant sous l’effort, et laissa le corps tomber à terre aussi silencieusement que possible.
— Qu’est-ce que tu as trouvé ? Gar-ul ? cria l’autre Weequay. Gar ?
Pas de réponse.
Bon, on y va.
Darman visa avec son DC-17 et attendit.
Le deuxième Weequay partit à la course, en droite ligne vers les buissons. C’était stupide de sa part, alors qu’il ignorait ce qui était arrivé à son camarade. Les Weequays faisaient la loi depuis trop longtemps sur des fermiers. Ils étaient devenus imprudents. Il commit aussi l’erreur de tirer son blaster.
Darman tira à la tête, sans réfléchir. Le Weequay tomba silencieusement, de la fumée montant de son crâne.
— Génial, soupira Darman.
Maintenant, il lui faudrait sortir de sa cachette pour récupérer le corps et le cacher. Il attendit quelques minutes, écoutant, puis il se hissa sur sa mauvaise jambe et boitilla jusqu’au cadavre. Il tira le Weequay dans les buissons.
Là il vit ce que le premier Weequay avait vu : une série de petites empreintes d’animaux. Les gdans curieux avaient indiqué le chemin ! Il ressortit, et effaça avec une branche les traces qu’il avait faites en traînant le corps.
Pas de gaspillage. Les Weequays n’auraient plus besoin de leurs blasters ou de leurs vibrolames. Darman, le pouls revenant à la normale, fouilla les corps et empocha les cartes de données et les objets de valeur. Il ne se considérait pas comme un voleur : toutes ses affaires appartenaient à la Grande Armée, et il ne sentait pas le besoin d’en acquérir d’autres. Mais les cartes contenaient peut-être des informations exploitables, et les pièces et les perles seraient utiles s’il devait acheter quelque chose ou donner un pot-de-vin à quelqu’un.
Il trouva un endroit adéquat où cacher les corps. Il n’avait pas le temps de les enterrer. Il entendit des bruits dans le sous-bois. Puis des petites têtes apparurent, reniflant avec curiosité.
— Encore vous ? dit Darman, bien que les gdans ne puissent pas l’entendre hors du casque.
Ils avancèrent, se jetèrent sur le Weequay à la tête fracassée et entreprirent de le dévorer avec leurs minuscules mâchoires. Darman n’avait pas besoin de se faire du souci pour les obsèques…
Un gargouillis le fit se tourner vers l’autre Weequay, qui n’était pas tout à fait mort. Cela perturba Darman plus que de raison.
Il avait tué plusieurs fois sur Géonosis, démoli des droïdes avec des lance-grenades et des canons, de loin, poussé par la peur et le désir de survivre pour continuer à se battre.
Ici, c’était différent, et les restes de la tuerie n’étaient pas des morceaux de métal. Le sang du Weequay tachait toujours son gant et son bras droit. Et il n’avait pas réussi à le tuer proprement. C’était mal.
On l’avait formé pour tuer, tuer et tuer, mais personne n’avait pensé à lui dire ce qu’il était censé éprouver après. Il ressentait quelque chose, et il ne savait pas ce que c’était.
Il y réfléchirait plus tard.
Abaissant son fusil, il corrigea son erreur avant que la petite troupe de carnivore s’attaque à son deuxième repas.