Chapitre trois

— Tu ne portes habituellement pas ce genre de vêtements, quand tu vas jogger, dit Carlos tandis que Robby marchait à grands pas à travers la salle de séjour.

Robby grogna et se dirigea vers la cuisine. Il avait déjà bu une bouteille de sang à son réveil et n’avait donc pas vraiment faim. Ce n’était seulement qu’une précaution au cas où il rencontrerait la déesse grecque. Il arrivait parfois que le bon vieux désir parvienne à déclencher son désir de sang, et il ne voulait pas que ses canines bondissent de ses gencives et viennent l’effrayer. Il remplit un verre à moitié et en fit réchauffer le contenu dans le four à micro-ondes.

Carlos entra dans la cuisine.

— Tes cheveux sont humides. Tu as pris une douche avant ton jogging ?

Il n’allait pas faire du jogging, ce soir. Il ne voulait pas se pointer à sa demeure tout en sueur, d’autant plus que la sueur des vampires avait tendance à avoir une teinte rosâtre, tout comme leurs larmes. Cela était sans doute attribuable à leur régime exclusivement composé de sang, supposa-t-il.

— Je vais aller faire une promenade.

— Oh. Une promenade de minuit. Ça me semble fabuleux.

Carlos le regarda avec un petit sourire en coin.

— Je pense que je vais t’accompagner.

— Non.

— J’aime marcher sur la plage.

— Oublie ça.

Carlos éclata de rire.

— Je sais que tu espères la revoir.

— Je sais que tu le sais.

Robby retira son verre à moitié plein du four à micro-ondes et le vida d’un trait.

— Je sais aussi qu’une rose rouge a disparu du jardin.

Robby arqua un sourcil.

— Tu as fait l’inventaire de toutes les fleurs ?

Carlos rit sous cape.

— J’avais un œil sur cette rose. J’avais l’intention de la donner à quelqu’un, mais tu m’as devancé.

Robby se demanda brièvement ce que Carlos tramait, mais s’abstint de lui demander. Toni prétendait qu’il était gai, mais Ian n’était pas d’accord avec elle. Lors de leur séjour sur l’île, Robby les avait entendus se disputer sur cette question pendant 10 minutes avant de filer dans leur chambre à coucher pour se réconcilier. Il était alors parti faire du jogging pendant deux heures, puis remarqua à son retour qu’ils se réconciliaient toujours.

Il gémit intérieurement. Ses amis vampires, soit Ian, Jean-Luc et Jack, étaient follement heureux avec leurs femmes mortelles. Il doutait cependant de pouvoir un jour éprouver un tel bonheur. Il y avait d’abord le problème de trouver une femme qui pourrait aimer une créature de la nuit.

Puis, il y avait la question de la confiance. Comment saurait-il ce qu’elle faisait pendant le jour ? Il ne pouvait pas supporter l’idée de se faire trahir à nouveau par une femme qu’il aimait. Et si elle en avait assez de lui et qu’elle décidait de lui planter un pieu dans le cœur pendant son sommeil mortel ?

Et il y avait enfin le dernier problème, celui qui le dérangeait le plus. Le fait d’aimer un vampire était une condamnation à mort. Il ne savait pas comment ses amis pouvaient simplement supporter l’idée qu’ils devraient un jour littéralement tuer leurs femmes pour les transformer. Quel genre d’amour était-ce ?

Que diable faisait-il donc, dans ce cas ? Il déposa son verre vide dans levier.

— C’était une mauvaise idée.

— Mec, ne te dégonfle pas maintenant.

Il regarda Carlos d’un air ennuyé.

— Ce n’est pas la trouille qui me fait reculer. C’est une mortelle innocente. Elle mérite mieux que moi.

— Bien sûr. Tu es une bête répugnante à la gueule dégoulinante de bave qui lui déchirera la gorge et qui jettera son cadavre à la mer.

Robby se raidit.

— Cherches-tu un coup de poing sur le museau ? je ne lui ferais pas de mal.

— Précisément. Va donc la voir, muchacho.

Robby jeta un coup d’œil à ses vêtements. Ça lui avait pris 15 minutes pour les choisir. Il avait finalement arrêté son choix sur une paire de jeans usés, un t-shirt vert foncé et un tricot à capuchon marine doublé avec le tissu écossais MacKay vert et bleu. Ses cheveux étaient attachés derrière sa tête avec une bande en cuir.

— Je n’ai pas l’air trop décontracté ?

— Tu as l’air très bien. Va la voir, cœur de lion.

Robby poussa un petit grognement. C’était des mots bien étranges, de la part d’une personne capable de se transformer en panthère. Il quitta la maison en marchant à grands pas avant d’avoir le temps de changer d’avis. Plutôt que de descendre l’escalier avec ses marches en pierre, il décida simplement de sauter du bord de la falaise rocheuse et atterrit avec aisance sur la plage de galets en bas. La lune gibbeuse éclairait faiblement la scène, mais il put tout de même voir le rocher connu sous le nom de Petra à environ un demi-mile au nord. Il s’y téléporta, le contourna, puis posa le pied sur la plage de Grikos.

Qu’allait-il lui dire ? Il doutait qu’elle ait envie de l’entendre parler de son sujet préféré, à savoir quelles étaient les épées qui convenaient le mieux à chaque situation donnée. Merde. Il manquait déplorablement de pratique, quand venait le temps de parler aux femmes.

Pendant 15 minutes, Olivia se demanda ce qu’elle devait porter, même si ses options étaient sévèrement limitées aux quelques articles qu’elle avait pu glisser dans ses bagages. Elle opta finalement pour une paire de jeans et un tricot au tissu doux, avant de coincer ses cheveux rebelles à l’arrière de sa tête avec une pince à cheveux.

Sa grand-mère était profondément endormie au moment où elle s’installa confortablement dans la cour. Elle alluma un trio de bougies sur la table sous la charmille où poussaient les vignes, puis déposa sur une chaise une vieille batte de cricket dont Yia Yia se servait pour battre les tapis.

Elle espérait qu’elle n’en aurait pas besoin pour se défendre, mais son travail au Bureau fédéral d’investigation lui avait appris qui les apparences pouvaient être trompeuses. Elle avait été étonnée de constater à quel point Otis Crump pouvait avoir l’air inoffensif et bien ordinaire la première fois qu’elle l’avait rencontré. Sous cette apparence plaisante se cachait un monstre qui avait violé, torturé et assassiné 13 femmes.

Elle le chassa de ses pensées. Il était temps pour elle de récupérer et de guérir. Il n’avait été qu’un dossier à traiter, rien de plus, et elle en avait fini avec ce dossier. Elle en avait fini avec lui.

Elle pouvait seulement prier pour qu’il en ait fini avec elle.

Elle retourna dans la maison en marchant à grands pas, pour se préparer une tasse de thé chaud. Puis, elle quitta la cuisine en s’emparant de la rose. De retour dans la cour, elle attendit. Et attendit. Elle finit son thé et déposa sa tasse sur la table.

Elle revint près du mur et glissa ses doigts sur les pétales de rose à la texture veloutée. Les épines avaient été enlevées de la tige. Son admirateur secret semblait donc être prévenant. Elle espérait qu’il s’agissait du joggeur mystérieux. Mais où était-il ?

Peut-être était-elle trop tôt, ou peut-être avait-il quitté l’île et que cette rose était sa façon de lui dire au revoir. Après tout, la dernière semaine du mois de novembre était bien après la fin de la saison touristique. Peut-être aussi qu’elle s’était imaginé l’avoir vu sur la plage. Après avoir dû composer avec la lie suprême de l’humanité en la personne d’Otis Crump, son subconscient avait peut-être essayé de compenser en fabriquant de toutes pièces un beau héros honorable.

Elle soupira. Ses trop nombreuses années dans des cours de psychologie avaient fait en sorte qu’elle tendait maintenant à tout analyser à l’extrême. Elle avait seulement besoin de se détendre et de s’arrêter pour apprécier le parfum des roses. Ou d’une rose, en particulier. Elle l’approcha de son nez et sourit.

Son attention fut subitement attirée par une silhouette qui provenait du sud. Elle jeta un coup d’œil dans le télescope, et son cœur vacilla dans sa poitrine. C’était lui ! Il était réel.

Il ne faisait pas de jogging, cette nuit. Il marchait plutôt vers elle d’un pas décidé et rapide. Il souleva une main pour la saluer, et son cœur eut un battement irrégulier. Grâce au télescope, elle savait qu’il lui consacrait toute son attention. Il avait certainement une excellente vision.

Elle fit quelques pas vers le mur et lui fit un signe de la main pour lui montrer qu’elle avait vu sa salutation. Il se mit aussitôt à courir, et son cœur martelait à chaque pas qui le rapprochait d’elle. Il ne semblait jamais la quitter des yeux. Il la détaillait du regard, et cela lui réchauffait les joues. Était-il excité et attiré, ou regrettait-il déjà ses actions ? Elle ouvrit ses sens, pour détecter ses sentiments.

Rien. Il s’agissait de la toute première personne qu’elle ne pouvait pas lire en 24 années d’existence. Elle ferma les yeux et plissa le front tout en se concentrant.

Rien.

Elle ouvrit les yeux, pour s’assurer qu’il était réel. Oui. Il était presque devant elle. Pourquoi ne parvenait-elle pas à le deviner ? Elle savait toujours comment les gens se sentaient. Elle savait toujours quand les gens mentaient.

Bon Dieu, c’était terrible. Comment saurait-elle où elle se positionnait face à cet homme ? Comment pourrait-elle avoir confiance en tout ce qu’il pourrait lui dire ? Un sentiment de panique s’empara d’elle, et elle pensa à se réfugier dans la maison.

Puis, elle vit son visage. Il s’était arrêté sur la plage en dessous d’elle et il levait les yeux vers elle, son regard intense et pénétrant se posant sur elle comme s’il ne savait pas ce qu’il devait penser. Eh bien, ils étaient donc deux dans cette position.

Elle croisa son regard, et une vague de désir la submergea aussitôt. Elle fut prise au dépourvu, et ses genoux cédèrent presque sous son poids. Oh. Elle agrippa le bord du mur, pour se stabiliser. Elle ne réagissait habituellement pas comme ça.

En fait, elle n’était pas certaine de comment elle réagissait d’habitude. Elle se concentrait toujours sur les sentiments des autres, afin de savoir comment elle devait les aider à travers ça.

C’était une première, pour elle. Elle était en compagnie d’une autre personne, mais se retrouvait seule avec ses propres sentiments. Elle ne s’était jamais rendu compte que ses sentiments pouvaient être aussi… forts. Peut-être qu’ils semblaient être puissants parce qu’ils étaient isolés, ou parce que cette situation était nouvelle pour elle.

Ou peut-être qu’il en était la cause.

Elle avala sa salive avec difficulté. Il lui faudrait faire preuve de prudence. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il ressentait, et ne savait pas davantage si elle pouvait lui faire confiance. Comment les femmes normales pouvaient-elles survivre comme cela ? C’était terrifiant.

Et incroyablement excitant.

Il leva une main.

— Bonsoir.

Sa voix basse s’éleva jusqu’à elle avec une brise légère qui chatouilla son cou. Elle se sentit enivrée par l’excitation. Comme si elle allait se mettre à rire pour rien.

— Parlez-vous français, jeune femme ?

Elle se mordit la lèvre, pour s’empêcher d’éclater de rire. Son accent était adorable.

— Vous êtes écossais ?

— Oui. Vous êtes… américaine ?

Elle hocha la tête avec un sourire grandissant. Il sourit en retour, et elle commença à avoir des papillons dans l’estomac.

« Sois prudente. Tu ne sais pas si on peut lui faire confiance. »

— Je suis Robert Alexander MacKay.

Il hocha la tête et se pencha vers l’avant.

Il lui faisait la révérence ? Elle étouffa un rire bébête et se demanda ce que cet Écossais magnifique ferait par la suite.

Il la regarda avec l’air d’attendre quelque chose. Vert, remarqua-t-elle avec une grande satisfaction. Ses yeux étaient verts comme elle l’avait espéré. Et bien que ses cheveux étaient d’un riche roux foncé, ses sourcils et sa barbe semblaient plus brunâtres.

— Et vous ? demanda-t-il.

— Oui ?

Sa bouche se tordit en un demi-sourire.

— Pardonnez cette supposition audacieuse, mais j’ai pensé que vous pourriez être en possession d’un prénom que je pourrais utiliser pour vous nommer.

Elle éclata de rire. Plusieurs suggestions voletèrent dans son esprit.

« Bien-aimée, amour de ma vie, centre de mon univers. »

Elle avait été si occupée à l’admirer qu’elle en avait oublié de se présenter.

— Je m’appelle Olivia. Olivia Sotiris.

— Oh. Alors, j’ai eu tort, à votre sujet.

— De quelle façon ?

— Je pensais que vous étiez une déesse grecque.

Elle poussa un petit grognement. Quel beau parleur. Et comme il était dommage qu’elle ne puisse dire s’il mentait. Elle souleva la rose.

— Cette rose vient-elle de vous ?

— Oui.

— Où l’aviez-vous laissée ?

Ses sourcils s’arquèrent.

— Je l’avais laissée sur les marches, coincée sous une pierre. Pourquoi me posez-vous cette question ?

Parce qu’elle avait besoin de savoir s’il était un homme honnête. Elle aimait sa façon de parler, mais elle serait bien bête de tomber amoureuse d’un homme uniquement parce que sa voix était de la musique à ses oreilles et que son visage et son corps ressemblaient à une belle sculpture.

Elle huma la rose.

— Elle est superbe. Merci.

— Aimeriez-vous venir marcher un peu avec moi ?

Son rythme cardiaque s’accéléra.

— Je… je préférerais demeurer ici. Vous pouvez venir me rejoindre, si vous le voulez.

Son regard se posa au-dessus de la falaise rocheuse qui les séparait, puis sa bouche eut un tic.

— Je vais emprunter l’escalier.

— Soyez prudent. L’escalier est abrupte. Et sombre.

Son cœur accéléra de nouveau la cadence, lorsqu’elle le vit disparaître dans l’étroit escalier. Il arrivait !

Elle jeta un coup d’œil à la porte arrière. Sa grand-mère était seule et endormie. Et si elle venait d’inviter un meurtrier à la rejoindre ? Elle déposa la rose sur la table et s’empara de la batte de cricket. Ce n’était pas seulement son travail au Bureau fédéral d’investigation qui l’avait rendue soupçonneuse. Elle avait appris très jeune à être méfiante lorsqu’elle avait découvert à quel point les gens mentaient souvent.

Il parvint en haut de l’escalier et s’arrêta en pointant du doigt la batte de cricket qu’elle tenait dans ses mains.

— Avez-vous l’intention de me frapper, maintenant ?

Il était plus grand qu’elle se l’était imaginée. Et ses épaules étaient plus larges. Elle fit bouger ses doigts sur la batte.

— Je ne parle habituellement pas aux étrangers. Je devrais également vous informer que je suis ceinture noire en taekwondo.

Sa mâchoire se serra.

— Je ne vous ferai pas de mal, jeune femme.

— Je sais. Je ne vous en donnerai pas l’occasion.

Il l’examina pendant un moment, puis sa bouche se détendit en laissant naître un sourire.

— Vous êtes aussi courageuse que vous êtes belle. C’est une combinaison plutôt rare.

Pendant un instant, son cœur cessa de battre. Courageuse et belle. C’est ce que son grand-père avait dit à Yia Yia, le jour où ils s’étaient rencontrés.

— Je n’ai pas l’intention d’être grossière, M. MacKay. Une femme doit être prudente, de nos jours.

— Oui, vous avez raison.

Son regard longea lentement son corps jusqu’à ses pieds. Les coins de sa bouche se relevèrent en un demi-sourire tandis que son regard se posait de nouveau sur son visage.

Merde. Elle ne savait pas si elle devait le frapper ou simplement laisser son cœur fondre. Une partie d’elle était troublée et flattée. Sa peau avait picoté, quand il l’avait examinée avec ses magnifiques yeux verts, mais une autre partie d’elle était nerveuse. Elle resserra sa poigne sur la batte au cas où il ferait un mouvement brusque vers l’avant. C’était vraiment difficile pour elle d’être incapable de deviner ses émotions. Tout à coup, elle pensa que ses yeux s’obscurcissaient, mais il se tourna vers le télescope et plaça son œil sur le cercle oculaire.

— Alors, Olivia, qu’est-ce qui vous emmène à Patmos ?

Elle aimait entendre son prénom ainsi prononcé avec son accent.

— Je suis venue rendre visite… à ma famille. Quatre oncles. Ils sont… imposants. Des lutteurs professionnels.

Elle vit sa bouche avoir un tic et se douta qu’il ne gobait pas son histoire.

— Et vous ?

— Je suis ici en vacances, et également pour me rétablir. J’étais… blessé, alors j’ai tenté de retrouver la forme.

Elle jeta un coup d’œil à son corps musclé.

— Je dirais que vous avez certainement réussi.

— Merci de le remarquer.

Son visage se réchauffa et adopta un teint coloré.

— Comment avez-vous été blessé ?

Il devint silencieux, puis regarda le plancher carrelé en fronçant les sourcils.

— Désolée.

Elle appuya la batte contre une colonne en bois de la charmille.

— Vous n’avez pas à en parler…

— Ça s’est simplement produit. Mon travail peut être dangereux.

— Que faites-vous comme travail ?

Elle vit son froncement de sourcils s’accentuer et ressentit soudainement le besoin de le consoler, de le faire sourire à nouveau.

— Je sais ! Vous êtes un matador.

Il la regarda d’un air dubitatif.

— Un matador écossais ?

— Ouais, avec une cape en tissu écossais rouge et de petites paillettes sur votre kilt. Cela rend les taureaux écossais fou furieux.

Il rit sous cape.

— Non.

Son cœur se gonfla dans sa poitrine. Elle se sentait vraiment bien d’avoir pu chasser son froncement de sourcils. Elle s’approcha tranquillement du mur blanchi, pour se retrouver à côté de lui.

— Vous êtes donc un dresseur de lions ?

Il secoua la tête, et elle continua.

— Un clown de rodéo ? Un charmeur de serpent ?

— Non.

Il sourit, et ses yeux verts brillèrent.

— D’accord. Je pense donc à une force spéciale. Vous pourriez être membre d’un corps d’élite viril qui protège l’humanité des forces maléfiques sous toutes ses formes, y compris le hamburger au fromage triple au bacon.

— Je peux vous dire avec certitude que je n’ai jamais combattu un hamburger au fromage.

— Bien sûr, mais avez-vous combattu le mal ?

Il se raidit et regarda vers la mer en fronçant les sourcils de nouveau.

Elle ressentit un frisson sur sa nuque.

— Vous êtes un genre de soldat.

Sa poitrine bougea tandis qu’il inhalait profondément.

— Oui.

— C’est ultrasecret ? chuchota-t-elle. Vous battez-vous contre des terroristes ?

Il hésita un moment, avant de répondre.

— On pourrait dire ça.

Elle hocha la tête. Sa réticence à parler de ce sujet lui permettait de croire presque avec certitude qu’il disait la vérité.

— Vous êtes en congé, en ce moment ?

— Oui.

Il planta les mains sur le dessus du mur, puis tambourina des doigts sur le plâtre avec ses longs doigts avant de poursuivre.

— Mon patron a insisté pour que je prenne congé.

Elle cligna des yeux.

— Vous n’êtes pas sérieux ! C’est également pour cela que je suis ici. Mon patron voulait aussi que je prenne congé.

Il se tourna vers elle et la regarda avec curiosité.

— Pourquoi ? Que faites-vous comme travail ?

Elle ne voulait pas discuter de son travail avec les criminels. Elle était ici pour s’éloigner de tout cela. Qui plus est, elle aimait faire sourire cet homme magnifique.

— Vous aviez raison dès le début. Je suis une déesse grecque. Zeus m’a dit de prendre congé pour un millénaire ou deux.

Sa bouche bougea et ses yeux scintillèrent.

— Je le savais. Il me suffirait de regarder vos yeux, pour que je tombe à vos pieds.

Ses joues devinrent chaudes. Elle ne flirtait pas habituellement comme cela. Elle était normalement trop occupée à analyser les sentiments des gens. Elle réalisa soudainement qu’elle avait toujours été une observatrice, et jamais une participante. C’était nouveau et effrayant, mais c’était si amusant.

Elle souleva son menton.

— Il est interdit de ramper devant moi. Les déesses considèrent cela comme étant très ennuyeux.

Il sourit lentement.

— Si je tombe un jour sur mes genoux, je trouverai mieux à faire que de ramper devant vous.

Son visage s’enflamma. Cela devenait trop chaud à manipuler.

— Je travaille pour le Bureau fédéral d’investigation, dit-elle à brûle-pourpoint.

Ses sourcils s’arquèrent.

— Vraiment ?

— Oui. Nous sommes dans le même domaine, M. MacKay. Nous attrapons les méchants.

Il inclina la tête sur le côté en l’examinant.

— Où êtes-vous postée ?

— À Kansas City. Et vous ?

— Je vais partout où ils ont besoin de moi. Vous êtes donc réellement ceinture noire en taekwondo ?

Doutait-il d’elle ? Elle planta une main sur sa hanche.

— J’ai été formée à fond en autodéfense, M. MacKay.

Un coin de sa bouche se releva en faisant apparaître une fossette.

— Mes amis m’appellent Robby.

Son cœur se mit à battre très fort.

— Me considérez-vous comme une amie ?

— Oui.

Il tendit la main et toucha une mèche de ses cheveux qui s’était échappée de sa pince à l’arrière de sa tête.

— Vos cheveux frisent-ils comme cela de façon naturelle ?

— J’ai bien peur que oui. Il m’est impossible de les contrôler.

— J’aime ça.

Il tira sur sa mèche jusqu’à ce qu’elle soit tendue, puis il la relâcha. Sa mèche rebondit et reprit aussitôt sa forme tire-bouchonnée normale. Il sourit.

— Un homme pourrait jouer avec vos cheveux pendant des heures.

Il toucha sa tempe.

Elle déglutit et recula.

— Je… je devrais aller jeter un coup d’œil à mes oncles. Voudriez-vous quelque chose à boire ? Du thé chaud ?

Il baissa la main.

— Non, merci.

— Je reviens tout de suite.

Elle fonça dans la maison et fit rapidement bouillir de l’eau sur le fourneau. Poule mouillée, se réprimanda-t-elle. Elle aurait dû le laisser la toucher, et peut-être même l’embrasser. Mais comment pouvait-elle avoir confiance en lui ? Elle était vraiment attirée par lui, mais d’après ce qu’elle en savait, il recherchait simplement un peu d’aventure pour épicer ses vacances.

Elle n’avait jamais été du genre à se laisser tenter par des aventures. Le fait de grandir avec la capacité de détecter les mensonges avait fait en sorte qu’elle avait évité tout ce qui sentait l’hypocrisie. Qui plus est, elle allait seulement être sur l’île pendant deux semaines. Était-ce une période de temps suffisante pour forger une relation honnête et significative ? Est-ce qu’elle avait seulement le courage de tenter cela avec un homme qu’elle ne pouvait pas deviner ? L’inconnu pouvait être effrayant, mais aussi très passionnant.

Elle jeta un coup d’œil par le carreau de la porte arrière. Il était toujours dans la cour à s’amuser en regardant dans le télescope.

Robby MacKay, un soldat en congé. Elle se demanda à quel point il avait été blessé.

Elle prépara sa tasse de thé et retourna dans la cour avec elle. Il hui sourit, et son cœur se mit à bégayer. Elle tombait rapidement sous son charme.

Elle s’assit à la table et lui fit signe de venir la rejoindre.

— Êtes-vous certain de ne rien vouloir à boire ou à manger ?

— J’ai mangé avant de venir ici.

Il s’assit à côté d’elle.

Elle aimait le reflet de ses cheveux roux à la lueur des bougies. Ils semblaient plutôt longs, pour des cheveux de soldat, mais ils étaient bien attachés à l’arrière.

— Combien de temps serez-vous sur l’île de Patmos ?

— J’y serai encore pendant environ trois semaines.

Il hésita un moment, puis continua.

— Je suis prêt à retourner travailler, maintenant, mais mon patron n’est pas d’accord. Il pense que j’ai été traumatisé ou quelque chose du genre.

— C’est le syndrome de stress post-traumatique.

Olivia but de petites gorgées de son thé chaud.

— C’est très commun, chez les soldats.

Il haussa une épaule.

— C’est beaucoup de bruit pour rien. Je sais que la vie est injuste. Il ne sert à rien de s’en plaindre.

Elle le regarda d’un air inquiet.

— Il est parfois plus sain de parler de ces choses. Le fait de les refouler peut mener à de sérieux effets secondaires par la suite, et je ne parle pas seulement de crises émotionnelles. Cela peut affecter la santé physique.

Il lui jeta un regard ennuyé.

— Je vais très bien, et les poules auront des dents avant que je ne parle à un fichu psychologue.

Elle inspira en vitesse et retint son souffle. Sa tasse vacilla dans sa main, et elle la déposa sur la table.

Il la regarda en fronçant les sourcils.

— Quelque chose ne va pas ?

Rien n’allait. Son cœur eut du plomb dans l’aile. Elle aurait dû savoir que cela ne pouvait pas durer.

Ses yeux se plissèrent avec méfiance. Il se leva d’un bond et traversa la cour.

— Maudit enfer, chuchota-t-il.

Il se tourna pour lui faire face et la regarda d’un air horrifié.

— Vous êtes une psychologue ?

Elle hocha lentement la tête.

— Je pense que les poules commencent à avoir des dents.

Et c’était valable pour tous les deux.