Chapitre un

Animé d’intentions meurtrières, Robby MacKay s’approchait du lieu de rendez-vous convenu à Central Park. L’atmosphère paisible qui y régnait n’atténua pas vraiment ses pensées violentes. Le clair de lune miroitait sur l’eau calme du lac et faisait reluire les coques en aluminium des bateaux à rames disposés à l’envers le long de la rive. L’abri à bateaux se dressait tout près de lui, vide et tranquille. Robby remarqua seulement qu’il en était ainsi parce qu’il était à la recherche des signes annonciateurs d’une embuscade.

Ses compagnons et lui firent halte devant une série de marches qui descendaient dans un ravin profond. Là, au bas du ravin, se trouvait un tunnel à l’intérieur duquel attendait un Mécontent. Si la suite des événements avait uniquement dépendu de Robby, ce Mécontent aurait été dans l’attente de sa mort.

Il commença à descendre les marches de l’escalier en compagnie de Zoltan et de Phineas. Angus MacKay et sa femme, Emma, foncèrent de l’autre côté de la colline à la vitesse vampirique, afin de pouvoir examiner le côté éloigné du tunnel.

— Je vous avais dit de… venir seul, chuchota une voix teintée d’un accent russe depuis l’intérieur très sombre du tunnel.

Phineas s’arrêta sur un palier à mi-chemin de l’escalier tout en refermant sa main autour de la poignée de son épée.

— Cela fait des mois que tu tentes de me tuer, Stan. Je me suis donc fait accompagner de quelques mecs implacables et dangereux. Un seul faux mouvement de ta part, et ils te feront ressembler à du bœuf Stroganoff(1).

Cela faisait près de 300 ans que Robby survivait en se nourrissant exclusivement de sang. Il ne savait donc pas précisément à quoi ressemblait le bœuf Stroganoff, mais il prenait un malin plaisir à se faire qualifier de mec implacable et dangereux.

En ce moment même, il était malheureusement davantage un gringalet maladroit qu’autre chose. Il avait l’impression de s’enfoncer dans des sables mouvants détrempés à chacun de ses pas. On lui avait retiré les plâtres et les bandages qui recouvraient ses mains et ses pieds, la nuit dernière, et il avait prétendu être prêt à renouer avec l’action dès ce soir. C’était une duperie qui pourrait être couronnée de succès seulement s’il ne chutait pas dans l’escalier.

Pendant ce temps, l’autre mec implacable et dangereux, Zoltan Czakvar, avait filé au bas de l’escalier à la vitesse vampirique, avant de se positionner contre le mur de brique à la droite de l’entrée de tunnel.

Un peu plus tôt en soirée, le Russe avait affirmé au téléphone qu’il se présenterait seul à la rencontre avec Phineas. Robby et ses autres compagnons vampires soupçonnèrent un piège, mais la question était de savoir où il serait tendu. Les Mécontents s’imaginaient sans doute que Phineas serait accompagné par un groupe de vampires à Central Park. Les Mécontents avaient-ils l’intention de passer à l’attaque au parc, ou espéraient-ils que les vampires laissent leur quartier général des Industries Romatech à court de personnel et en position vulnérable ? D’une façon ou d’une autre, les vampires savaient qu’ils n’avaient d’autre choix que de se séparer et de protéger Phineas ainsi que Romatech.

Robby avait demandé à se joindre au groupe qui se rendrait à Central Park, pensant que c’était là sa meilleure chance de tuer un Mécontent. Un seul Mécontent à embrocher ne serait pas suffisant, mais ce serait un bon début. Il parvint enfin au bas de l’escalier et se posta à la gauche de l’entrée.

— Salut Stan, dit Phineas au Russe. Verses-tu un loyer pour habiter dans ce tunnel ou quoi ?

Il tira son épée et adopta une voix de bandit.

— Sors de là et viens faire connaissance avec ma petite amie.

Le vampire russe, tout de noir vêtu avec ses pantalons cargos et son survêtement en molleton, se glissa lentement hors du tunnel. Le capuchon du survêtement, qui recouvrait sa tête, laissait son visage dans l’ombre, mais ses yeux bleu glace scintillaient tout de même tandis qu’il jetait des regards nerveux autour de lui. Il tressaillit lorsque Zoltan tira brusquement son épée et que sa lame brilla au clair de lune à quelques pouces de l’épaule du Russe.

Robby passa ensuite à l’action en ramenant sa main derrière sa tête pour tirer sa claymore du fourreau qu’il portait sur son dos. Sa prise faiblit, et il agrippa aussitôt la poignée de ses deux mains pour éviter de laisser tomber son arme et que celle-ci lui fasse une entaille dans son crâne d’idiot. Merdouille. Il aurait dû apporter une épée plus légère. Il baissa l’épée et appuya son extrémité contre le sol.

Le Russe leva les mains en signe de reddition.

— Je ne suis pas venu pour me battre. Je ne suis pas armé.

— Et il n’est pas accompagné.

Emma sortit du tunnel, grimpa les marches de l’escalier en vitesse, puis s’arrêta sur le palier où se trouvait Phineas.

— Le tunnel est sans danger.

Angus quitta le tunnel, puis glissa sa claymore dans le fourreau qu’il portait sur son dos. Il donna une petite tape au Russe par-derrière, puis se déplaça face à lui et lui en donna une autre. Il retira brusquement le capuchon de la tête du Russe, puis recula et lui lança un regard noir.

— Stanislav Serpukhov. Que mijotes-tu ?

Robby se raidit en voyant les cheveux platine en brosse du Russe. Il avait déjà vu ces cheveux-là. Ses doigts nouvellement guéris se refermèrent par saccades autour de la poignée de son épée.

— Tu étais là. Dans la caverne.

Stanislav se tourna vers lui en vitesse, et ses yeux s’agrandirent.

— Toi ?

Il recula de quelques pas et trébucha contre la première marche de l’escalier.

— Tu es vivant ?

Des souvenirs traversèrent l’esprit de Robby. Des images de ses tortionnaires avec leurs visages tordus et joyeux. La puanteur de sa chair brûlée. Le craquement de ses os brisés.

— Espèce de maudit bâtard. Tu étais là.

De ses deux mains, il souleva son épée.

— Robby, arrête ! ordonna Angus.

— Il était là !

Robby s’avança en tanguant vers le Russe, qui se précipita en haut des marches jusqu’au palier.

— J’ai dit arrête.

Angus planta une main contre la poitrine de Robby et son autre main sur le bras de Robby, abaissant son épée.

Robby lança un regard furieux à son arrière-arrière-grand-père, qui avait seulement l’air âgé de quelques années de plus que lui.

— J’exige ma vengeance. Vous ne pouvez pas m’arrêter.

Angus lui rendit son regard.

— Je m’attends à ce que tu suives les ordres.

Robby se libéra de la prise d’Angus, puis se concentra sur le Russe.

— Je sais qui tu es, à présent, et où je peux te trouver.

— Je ne veux pas d’ennuis.

Stanislav s’approcha furtivement de Phineas.

Le jeune vampire noir le regarda d’un air incrédule.

— Que diable fais-tu là, mec ? Tu penses que je vais te protéger ? Tu as tenté de me tuer.

— Je ne voulais pas te tuer, bougonna Stan. Jedrek disait que je devais te tuer…, sinon il me tuerait. Il est toutefois mort, maintenant. Toutes les personnes qui avaient entendu son ordre sont mortes. Je ne ressens donc plus l’obligation de te tuer, désormais.

Phineas s’en moqua.

— C’est très généreux de ta part.

Stan regarda Robby avec méfiance.

— Je n’ai pas aimé ce que Casimir t’a fait…

— Cela ne t’a pas empêché de rester là et de me regarder, gronda Robby. Tu m’as attaché à la chaise avec des chaînes en argent. Aimais-tu l’odeur de ma chair brûlée ?

La mâchoire de Stan se serra.

— Niet. Je te dis toutefois ceci. S’ils me trouvent ici en train de parler avec l’ennemi, ils me feront des choses qui donneront à ta torture l’allure d’une… promenade au parc. Au lieu de 30 pièces en argent, ils me prendront 30 pièces de chair, et le premier morceau sera ma langue.

— Alors, laisse-moi te tuer maintenant et t’épargner toutes ces souffrances !

Robby bondit vers l’escalier, mais se heurta au bras tendu d’Angus.

— Ça suffit, mon gars, siffla doucement Angus.

Il se tourna vers le Russe.

— As-tu l’intention de trahir ton maître ?

— Si vous parlez de Casimir, sachez que je ne l’avais jamais rencontré avant son arrivée en Amérique, où il nous a alors dit qu’il était notre maître. Je ne suis pas un tueur. Je ne l’ai jamais été. J’étais un… fermier. Je me suis joint aux vampires russes parce que je suis russe, et ils m’ont aidé à apprendre comment vivre ici.

— Et tu as appris comment tuer des mortels, bougonna Robby.

— Je n’en ai jamais tué, insista Stan. Je me nourris des mortels, c’est un fait, mais je ne les tue jamais.

Zoltan poussa un petit grognement.

— S’attend-il à ce que nous le croyions ?

Stan se raidit.

— Tu peux bien parler. Tu as tué mon meilleur ami, lors de la bataille du RTNV. J’ai perdu un autre ami, au Dakota du Sud. Vous, les vampires, agissez comme si vous étiez… moralement supérieurs, mais en temps de guerre, c’est vous qui commettez le plus de meurtres.

Phineas inclina la tête sur le côté, puis fit une grimace.

— Il a un point. Nous leur avons botté le cul.

Angus haussa les épaules.

— Ce sont de maudits démons. Ils méritent de mourir.

— Je peux donc le tuer, maintenant ? murmura Robby.

Angus l’ignora.

— Tu as deux minutes, Stan. Parle.

— Et je pourrai ensuite le tuer ? demanda Robby d’une voix un peu plus forte.

Angus lui jeta un regard ennuyé.

— Je suis venu en Amérique il y a sept ans, commença Stanislav. Avec trois amis vampires de Moscou. Nous voulions… une nouvelle vie, exempte de tyrannie et de terreur. Nous nous sommes rendus au repaire de la bande de vampires de Brooklyn, afin de pouvoir apprendre l’anglais. Nous espérions obtenir des emplois un jour ainsi que notre propre maison…

— Le rêve américain.

Phineas fit mine d’essuyer une larme.

— Je commence à être étranglé par l’émotion.

Stan le regarda en fronçant les sourcils.

— Nous n’avons cependant trouvé ici que davantage de tyrannie. Ivan Petrovsky aimait capturer des femmes mortelles pour se nourrir et pour baiser. Il les aurait tuées, si nous n’avions pas suivi ses ordres. Il en a tué plusieurs, et il a même abusé des femmes vampires. Je fus heureux, lorsque Katya et Galina l’ont assassiné.

— Tu es seulement tombé sur le mauvais groupe de personnes.

Phineas roula des yeux.

— Où ai-je entendu dire cela, auparavant ?

— Mes amis et moi détestions suivre les ordres de ceux que vous appelez les Mécontents, mais nous savions qu’ils allaient nous tuer, si nous tentions de nous échapper. J’ai perdu deux amis, au combat, et la nuit dernière…

Stan regarda au loin, et ses yeux se remplirent d’eau.

— Mon dernier ami est mort. Nadia l’a tué parce qu’il était blond.

Phineas grimaça.

— Quelle déveine !

— N’est-ce pas elle qui avait poignardé Toni ? demanda Emma à Zoltan.

Ce dernier hocha la tête.

— Nadia est totalement cinglée, gronda Stan. Et Casimir vient de la désigner comme maîtresse de la bande de vampires.

— Quelle malchance ! Que veux-tu donc de nous ?

Phineas désigna ses cheveux platine du doigt.

— Des produits de coloration pour cheveux de L’Oréal ? Je ne suis pas sûr que tu le vailles bien.

— Je veux l’asile. Si vous pouvez me cacher des Mécontents, je vous dirai tout ce que je sais.

Les vampires devinrent silencieux tandis que la demande du Russe faisait son chemin dans leurs esprits.

— Ne lui faites pas confiance, chuchota Robby. Il n’a rien fait tandis qu’ils me torturaient.

— Robby a un point, dit Angus en le regardant d’un air sévère. Tu ne nous as jamais donné de raison d’avoir confiance en toi.

Stan jeta un coup d’œil nerveux autour de lui.

— Vous avez vérifié le secteur ? Il n’y a personne.

— Oui, répondit Emma. Que peux-tu nous dire ? Sais-tu où Casimir se cache ?

Stan se lécha les lèvres.

— Vous lui avez fait vraiment peur. Il croyait que le complexe d’Apollon était secret, mais vous étiez au courant de son existence. Il croyait également que son camp au Dakota du Sud était sans danger, mais vous l’avez attaqué sans avertissement. Je ne comprends pas comment vous avez pu le découvrir.

Robby poussa un petit grognement.

— Il cherche à dénicher des renseignements. Il travaille encore pour eux. Laissez-moi le tuer maintenant.

— Non !

Stan souleva les mains.

— Je vous en prie. Je peux voir où tout ça s’en va. Ivan, Katya, Galina, Jedrek. Ils sont tous morts. Vous avez tué plus de 60 Mécontents, au Dakota du Sud. Casimir perdra. Il doit perdre. Il est maléfique.

— Joli discours, dit Zoltan. Où est Casimir ?

— Il craignait que vous le trouviez, s’il demeurait en Amérique. Il est donc retourné en Russie. Il est très fâché et il réclame vengeance. Il reviendra.

— Quand ? demanda Angus.

Stan secoua la tête.

— Je ne sais pas. Il a perdu trop d’hommes, au Dakota du Sud, puis il en a tué d’autres lui-même parce qu’il pensait qu’un de ses hommes l’avait trahi et vous avait révélé notre emplacement. Il est maintenant… paranoïaque. Il ne fait confiance à personne, et plusieurs de ses disciples se sont enfuis pour se cacher. Il est et sera en très mauvaise posture tant qu’il n’aura pas trouvé le moyen de reconstruire son armée.

Robby se pencha près d’Angus.

— Nous devrions nous lancer à ses trousses et l’achever tandis qu’il est en position de faiblesse.

Angus hocha la tête, puis s’adressa au Russe.

— Nous apprécions ces renseignements. Nous devrons d’abord les vérifier, bien évidemment…

— Ensuite, vous me donnerez asile ? demanda Stan.

— Éventuellement, peut-être.

Angus croisa les bras.

— Pour le moment, je veux que tu retournes auprès de la bande de vampires de Brooklyn et que tu continues à nous fournir des renseignements.

Stan devint pâle.

— Vous voulez que j’espionne pour vous.

Il glissa une main dans ses cheveux platine.

— Savez-vous à quel point c’est dangereux ? S’ils découvrent…

— Nous ne te demandons pas de mourir, coupa Angus.

— Parlez pour vous-même, murmura Robby.

— Si tu commences à te douter du moindre danger, tu dois te téléporter au loin sur-le-champ, continua Angus. Appelle-nous, et nous t’emmènerons dans un endroit sûr. Phineas va te donner son numéro de téléphone portable. Retiens-le. Qu’en dis-tu ?

Stan respira à fond.

— Ça va. Je le ferai.

— C’est bien.

Angus se tourna vers Phineas.

— C’est à toi qu’il rendra des comptes. Va avec lui, et établissez votre stratégie.

— Oui, monsieur.

Phineas s’empara du bras de Stan.

— Allons-y.

Il se téléporta au loin avec lui.

Robby secoua la tête.

— J’aurais dû le tuer.

— Non, dit Angus. Il a beaucoup plus de valeur en tant qu’espion.

— Nous ne pouvons lui faire confiance, argumenta Robby. Casimir a bien pu l’envoyer en tant qu’agent double. J’aurais dû le tuer.

— Robby.

Emma descendit les marches de l’escalier en fronçant les sourcils.

— Ça ne te ressemble pas de parler de meurtre comme ça. Je sais qu’ils t’ont fait des choses épouvantables, et cela me brise le cœur, mais…

— Je ne veux pas de ta pitié, gronda Robby. Et je ne suis pas désolé de ce qui s’est passé. Cela m’a ouvert les yeux, une fois pour toutes. Nous aurions dû tuer tous les Mécontents il y a des années. Je dis que nous devrions nous téléporter à Moscou immédiatement et pourchasser Casimir.

— Nous le ferons.

Angus fit signe à Zoltan.

— Communique avec Mikhail, à Moscou. Tente de découvrir s’il y a des renseignements à propos de Casimir.

— Je m’en occupe.

Zoltan se dirigea vers le haut de l’escalier en sortant un téléphone portable de la poche de sa veste en cuir noir.

— Nous allons nous téléporter à Moscou directement, s’il fait encore nuit, dit Angus à sa femme. Si le jour est levé, nous irons jusqu’à notre château, en Écosse.

Emma hocha la tête.

— J’espère que Stanislav disait la vérité.

— Il sera pratiquement impossible de retrouver Casimir en Russie, bougonna Robby. Ce pays est énorme, et il le connaît bien mieux que nous. Je pense que nous devrions nous séparer…

— Robby, l’interrompit Angus. Mon gars, tu ne viens pas.

Il se raidit.

— Bien sûr que si. Mes mains et mes pieds sont guéris…

— Non, dit doucement Angus. Je peux voir que tu as de la difficulté, mon gars. Tu es lent et faible.

Une poussée de colère se manifesta en lui.

— Merde, Angus. Je guérirai rapidement, vous le savez. Je serai prêt au moment où nous trouverons Casimir…

— J’ai dit que tu ne venais pas.

Robby serra la poignée de son épée si fortement que ses doigts nouvellement guéris lui firent mal.

— Vous ne pouvez me faire ça. J’ai le droit de me venger.

— Tu ne penses qu’à ça, mon gars. Tu es obsédé.

— Et tu es trop fâché, ajouta Emma.

— Bien sûr que je suis fâché ! cria Robby. Ces maudits bâtards m’ont torturé pendant deux nuits.

— Tu dois outrepasser ta colère, dit doucement Emma.

Robby s’en moqua.

— Croyez-moi, ma colère sera miraculeusement guérie, une fois que j’aurai tué ces bâtards.

Angus soupira.

— Mon gars, tu es un élément imprévisible. Je t’ordonne de prendre des vacances.

Robby lança un regard noir à son arrière-arrière-grand-père. En tant que PDG de MacKay Sécurité et Enquête, Angus était son patron. Il était aussi son créateur. Angus l’avait transformé sur le champ de bataille de Culloden alors qu’il avait un rendez-vous confirmé avec la mort. En ce sens, Robby se sentait extrêmement proche de lui. Son farouche sens de la loyauté lui avait donné de la force tandis qu’il se faisait torturer en captivité. Il était parvenu à supporter la douleur sans trahir sa famille et ses amis.

Il avait également amplement d’argent de côté. Il n’avait pas besoin de travailler pour le compte de MacKay Sécurité et Enquête. Il pourrait se lancer à la recherche de Casimir par ses propres moyens.

— Je peux deviner à quoi tu penses, mon gars, dit Angus avec douceur. N’y songe pas. Il y a trop de colère en toi, pour que tu partes en solitaire. Tu es également trop faible. C’est une combinaison mortelle. Tu te feras tuer.

— Votre confiance en moi est touchante.

— Robby.

Emma toucha son bras.

— Nous croyons vraiment en toi. Tu as simplement besoin d’un peu de temps pour te remettre sur pieds. C’est tout ce que nous te demandons.

Il gémit intérieurement. Il avait horreur de l’admettre, mais ils avaient un point. Peut-être qu’une semaine de congé ne ferait pas de tort. Il pourrait soulever des poids, récupérer sa force, puis se lancer aux trousses de Casimir et le transformer en poussière.

— D’accord. Je vais… y penser.

— Excellent.

Emma sourit.

— Je connais un endroit parfait pour toi. Le maître de la bande de vampires de la côte ouest t’a invité à séjourner dans leur lieu de villégiature, à Palm Springs. C’est une station thermale de luxe réservée aux vampires.

Robby cligna des yeux.

— Une… station thermale ?

— Oui. La station est dotée de l’équipement dernier cri en la matière. Les spas feront des merveilles pour tes mains et tes pieds. Il y a également des kinésithérapeutes entièrement formés. Une piscine chauffée de dimension olympique. Une énorme salle d’exercice…

— Font-ils de l’escrime et des arts martiaux ? demanda Robby.

Il pourrait bénéficier d’un peu d’entraînement à l’épée.

— En fait, ils sont davantage spécialisés dans le Pilâtes et le yoga.

Robby poussa un petit grognement, puis Emma souleva une main dans les airs pour contrer son objection.

— Maintenant, écoute-moi. Ce sont de très bons exercices pour améliorer la flexibilité et l’équilibre. Tu as besoin de ça, en ce moment.

— Et tu t’attends à ce que je tue Casimir en maintenant une pose de yoga pendant 30 secondes ?

Emma fronça les sourcils.

— Et voilà que tu recommences à parler de meurtre. C’est une obsession malsaine, Robby. Tu es chanceux d’être en vie. Tu dois réapprendre à cueillir les roses de la vie. Le yoga t’aidera à te détendre et à te recentrer.

— Je ne pense pas avoir jamais perdu mon centre, dit-il en touchant son ventre plat.

— Si tu ne veux pas faire de yoga, n’en fais pas, dit-elle. J’ai examiné attentivement leur dépliant, et j’ai remarqué qu’ils ont plusieurs moyens de t’aider à atteindre la paix intérieure. Il y a les soins de massage hydrothermaux dans la grotte tropicale de la tranquillité ou l’enveloppement corporel rajeunissant avec des huiles essentielles. Quand t’es-tu fait exfolier pour la dernière fois ?

Robby regarda Angus.

— Parle-t-elle encore français ?

Angus poussa un petit grognement.

— Tu dois respecter tes aînés, mon gars.

— Vous voulez plaisanter ? Je suis âgé de quelques centaines d’années de plus qu’elle.

— C’est vrai.

La bouche d’Emma eut un tic.

— Je suis toutefois devenu ton arrière-arrière-grand-mère, quand j’ai épousé Angus.

— Belle-grand-mère, la corrigea Robby avant d’arquer un sourcil. Enfin, maléfique belle-grand-mère.

Elle éclata de rire.

— Peut-être bien que oui, car je m’attends à ce que tu séjournes dans cette station thermale pendant au moins trois mois.

— Quoi ?

Robby regarda Emma et Angus d’un air incrédule.

— Vous ne pouvez pas être sérieux. Si je ne m’exerce pas à l’épée pendant trois mois, je ne serai plus armé pour occuper mes fonctions.

— Ils ont également un excellent psychologue pour vampires…

— Non ! l’interrompit Robby.

Il savait maintenant pourquoi ils lui proposaient cette station thermale avec tant de ferveur.

— Je n’irai pas consulter un psychologue.

— Mon gars, commença Angus. Tu souffres du syndrome de stress post-traumatique…

— Je sais très bien ce dont j’ai souffert. Je n’ai pas besoin d’aller m’en plaindre à un thérapeute. C’est une véritable perte de temps.

Il était hors de question pour lui de parler de ce qui lui était arrivé. Pourquoi diable décrirait-il tous les détails humiliants et douloureux ? Ce serait encore de la torture. Non. Il était beaucoup plus profitable de simplement laisser toute cette épreuve désagréable derrière lui. Et de tuer les bâtards.

Emma respira à fond.

— Et si nous en faisons un ordre…

— Alors, je démissionnerai, l’interrompit de nouveau Robby.

Il pourrait alors pourchasser Casimir par lui-même.

Angus regarda sa femme d’un air bienveillant.

— Je savais qu’il ne serait pas d’accord avec ton idée de station thermale dernier cri, mais tu as tout de même fait une très belle tentative.

Il jeta un coup d’œil à Robby.

— Nous ne voulons pas que tu démissionnes, mon gars. Nous voulons seulement que tu prennes du mieux, autant physiquement que mentalement.

— Je ne suis pas fou, gronda Robby.

— Non, mais tu es trop furieux, et cela te rend trop instable pour le travail. Tu risquerais non seulement ta propre vie, mais également celles de quiconque travaillerait avec toi.

Merdouille. Robby frotta l’extrémité de son épée contre le sentier pavé. Angus savait exactement quoi dire, pour l’atteindre. Il ne pourrait jamais mettre la vie de ses amis en danger.

— Je pourrais accepter de prendre quelques jours de congé. C’est tout.

— C’est bien.

Angus hocha la tête.

— Tu peux profiter de notre château, en Écosse. Jean-Luc t’offre également sa maison, à Paris.

— J’y suis déjà allé, marmonna Robby.

Il avait été le chef de la sécurité de Jean-Luc, à Paris, pendant dix ans.

— Jack a aussi dit que tu pourrais séjourner dans son palazzo, à Venise, continua Angus.

— Vous voulez tous vous débarrasser de moi ? bougonna Robby.

— Nous voulons tous que tu prennes du mieux, insista Emma. Roman t’offre aussi sa villa en Toscane, ou sa nouvelle villa à Patmos.

— Patmos ?

Il n’avait jamais été là, auparavant.

— C’est une île grecque, expliqua Angus. J’ai entendu dire que c’était un très bel endroit.

— C’est là où Saint-Jean a écrit l’Apocalypse et la fin du monde, ajouta Emma.

— Eh bien, voilà qui est réconfortant.

Robby haussa une épaule.

— Bon. Comme vous voulez. Je vais aller y passer une semaine ou deux.

— Quatre mois, dit Angus.

Robby fut bouche bée.

— Quoi ? Le séjour à la station thermale n’était que pour trois mois.

— Il y avait un psychologue, à la station thermale, lui rappela Angus. Nous pensons que tu auras besoin de plus de temps, si tu es seul. Tu pourrais bien sûr changer d’idée, à propos de la thérapie…

— Non. Par l’enfer, c’est non.

— Alors, tu y seras donc pendant quatre mois, dit Angus. Toutes dépenses payées, en plus de ton salaire habituel. Tu ne pourras pas avoir une meilleure offre, mon gars.

Emma sourit.

— Nous te verrons à Noël, et tu iras bien mieux.

Mieux, quelle foutaise ! Ce n’était pas des vacances. C’était un fichu exil. Emprisonné dans une île comme Napoléon. Ce dernier s’était toutefois évadé de sa première île. Robby s’imagina qu’il pourrait faire de même. Ce serait facile pour un vampire possédant des capacités de téléportation. Et personne ne le saurait jamais.