Tess sentit tout le sang de son corps affluer à ses tempes.
Il ne se trouvait plus qu’à quelques pas. Et il s’approchait.
Elle se transforma littéralement en pierre. Chaque muscle de son corps était tendu à se rompre. Pas question de bouger un doigt. Ni même un cil. Toute sa tension se concentrait dans ses mâchoires, serrées à lui faire mal. Elle s’attendait à ce qu’il cherche à l’impressionner, à l’effrayer. Cela n’allait pas tarder, elle le savait. Et il n’était pas question qu’elle tombe dans son piège une fois de plus.
Elle attendit, chaque seconde s’étirant comme des heures. Il se rapprochait encore, si proche maintenant qu’elle pouvait l’entendre respirer. Un souffle imperceptible, parfaitement contrôlé : il savait y faire. Il devait respirer par la bouche. Comme elle. Cela faisait moins de bruit. Mais elle l’entendait malgré tout, à la limite de sa perception. Une respiration gênée, presque laborieuse. Peut-être à cause de sa rencontre douloureuse avec cette colonne, tout à l’heure, se prit-elle à espérer.
Ce qui ne l’empêchait pas d’être morte de terreur.
Et puis maintenant elle le sentait. Bizarrement, alors même qu’ils ne se touchaient pas, elle pouvait sentir sa présence. Comme si son corps était équipé d’un sonar qui l’aurait détecté. Elle entendit les doigts de son ennemi se poser sur le mur, au-dessus de la cavité dans laquelle elle était tapie, infime grattement d’ongles contre la roche poreuse. Il se tenait pile devant elle, tâtant la paroi, à quelques centimètres à peine, sa taille plus ou moins au niveau de sa tête à elle.
Le cœur de Tess battait follement, lui semblant sur le point de s’échapper de sa cage thoracique. Le bruit dans ses oreilles était assourdissant et elle avait du mal à comprendre qu’il ne l’entende pas. Elle savait que, s’il descendait la main un tant soit peu, il trouverait la niche, et elle par la même occasion.
Pas question d’attendre que cela arrive.
Elle n’avait pas le choix : il fallait qu’elle passe la première à l’action.
Ramassée sur elle-même, elle bondit hors de sa niche tel un diable de sa boîte, le percutant au niveau de la cuisse, toutes ses forces mobilisées, ses mains serrées autour de sa lampe torche et s’en servant comme d’une massue miniature, dans l’espoir de lui faire le plus de mal possible. Elle l’entendit émettre un grognement sourd lorsqu’elle le frappa et se dit qu’elle avait touché un endroit stratégique. Il perdit l’équilibre sous cet assaut inattendu, tomba en arrière. Tess trébucha sur lui mais demeura sur ses pieds. L’Iranien fit alors de violents moulinets avec ses bras, cherchant à la frapper, l’un d’eux la touchant à la joue, mais elle avait l’avantage de se trouver au-dessus de lui et se dégagea rapidement.
Dans la seconde suivante, elle se rua hors de la pièce. Elle devait se sortir de là au plus vite, sans pour autant courir le risque de se cogner contre un obstacle quelconque. Elle fut donc contrainte de se servir de sa lampe, l’allumant rapidement puis l’éteignant tout aussi vite afin de se repérer dans le dédale souterrain, sans perdre des yeux le câble électrique qui lui servait de guide, volant de salle en salle, se faisant la plus petite possible dans les étroits tunnels, la poitrine se soulevant et s’abaissant comme un soufflet sous l’effet de la panique. Elle faisait trop de bruit pour être en mesure de l’entendre, derrière elle, mais elle n’en avait cure. Une seule chose l’intéressait, couvrir le maximum de terrain le plus vite possible, de façon à mettre un maximum de distance entre elle et son poursuivant.
Elle venait de franchir les quelques marches d’un étroit passage quand deux bras la saisirent et l’attirèrent vers eux. Elle était sur le point de pousser un cri perçant quand une main se plaqua contre sa bouche, très fort, étouffant dans l’œuf son hurlement.
— Chut, boucle-la, souffla une voix, basse et pressante. C’est moi.
Son cœur bondit dans sa poitrine.
De joie, cette fois.
Reilly.
Celui-ci la tenait serrée contre lui, en retrait de l’ouverture par laquelle elle avait surgi.
Sa main bâillonnant toujours la jeune femme, il tendit l’oreille dans la direction d’où elle venait. Pas un bruit. Mais il savait que l’Iranien les rejoindrait avant longtemps.
— Comment tu m’as retrouvée ? chuchota-t-elle.
— Grâce à l’écran de mon BlackBerry et à ces câbles, lui expliqua-t-il. Je les ai suivis et j’ai vu de brefs éclats de lumière. Tu as une lampe torche ?
— Oui, murmura-t-elle. Il est juste derrière moi. Et il n’est pas content.
Reilly réfléchit un instant, ses cellules grises fonctionnant à plein régime.
— OK, dit-il enfin. Continue à courir. Moi je reste là. Il ne doit pas être bien loin. Il tient coûte que coûte à te rattraper et on va le laisser croire qu’il est sur le point de réussir. Je le choperai quand il passera ici.
— Tu es sûr que…
— Vas-y, fais ce que je te dis, insista-t-il en la repoussant légèrement.
Elle revint vers Reilly, trouva son visage à tâtons, l’embrassa rapidement sur les lèvres avant de détaler.
Il glissa son pistolet sous sa ceinture, dans son dos, et se colla contre la paroi près de l’ouverture, sentant la fraîcheur de la sueur qui lui coulait dans le dos quand celui-ci entra en contact avec la roche volcanique. Inutile de gaspiller ses munitions dans l’obscurité. D’ailleurs, il préférait de loin le prendre vivant.
Il vit les éclats intermittents de la lampe torche de Tess diminuer d’intensité puis disparaître avec elle dans les boyaux de la citadelle.
Alors, il entendit l’ennemi.
Des mouvements désordonnés, qui se rapprochaient.
Reilly se raidit.
Les raclements se firent plus fort, les halètements plus intenses. L’Iranien fonçait droit devant lui, comme un taureau furieux. Reilly pouvait pratiquement percevoir la rage qui l’animait.
Il attendit, le corps tendu en prévision de l’affrontement qui allait suivre, ses mains se serrant pour devenir des poings, son cerveau transformant chaque bruit en images et les projetant dans l’obscurité impénétrable environnante. Puis il entendit l’homme sortir du passage et bondit.
Il le percuta de plein fouet, le projetant contre le mur. Il savait que son adversaire était armé, et ses mains plongèrent immédiatement vers l’endroit où il pensait pouvoir trouver celle de l’Iranien qui tenait le pistolet. Il agrippa son poignet droit au moment précis où le terroriste tirait un coup de feu assourdissant qui illumina la salle d’un bref éclat de lumière blanche et froide. Serrant toujours dans l’étau de sa main gauche celle de l’Iranien qui était armée, il la cogna encore et encore contre la roche, tandis que son poing droit martelait au jugé la tête de son adversaire. Il le frappa avec violence une fois, deux fois, entendit les cartilages céder et le sang gargouiller, s’attendant à sentir la main de l’homme lâcher le pistolet, mais l’Iranien s’y accrochait obstinément, comme à une bouée. Il s’apprêtait à lui asséner un troisième direct du droit quand un genou vint le toucher rudement à l’aine, suivi d’un puissant uppercut à la pointe du menton. Le premier coup lui coupa le souffle, le second lui brouilla les idées et lui fit relâcher sa prise l’espace d’une seconde, suffisant pour permettre à l’Iranien de le repousser avec un cri de rage.
L’homme tenait toujours son arme à la main.
Reilly plongea à terre et roula sur lui-même tandis qu’une volée de balles s’enfonçait dans le sol, tout près de lui. Des éclats de tuf l’écorchèrent tandis que, sortant son propre pistolet, il tirait plusieurs coups de feu en direction de son adversaire, apparemment sans qu’aucun l’atteigne. Les oreilles bourdonnantes sous l’effet du feu roulant, il crut entendre l’Iranien s’enfuir et lâcha deux balles supplémentaires vers l’endroit où il était censé se trouver, mais sans percevoir le bruit caractéristique des projectiles traversant la peau, puis la chair et l’os d’un homme, ni le hurlement de douleur consécutif.
Mais le pire, c’est que le salopard se dirigeait vers l’endroit où se trouvait Tess.
Ayant retrouvé le câble électrique, Reilly se remit à avancer avec une hâte frénétique, une main sur le câble, l’autre fermement serrée sur la crosse de son automatique, les oreilles à l’écoute au cas où l’Iranien se serait arrêté pour lui tendre une embuscade.
Il marqua un arrêt à l’entrée d’un nouveau tunnel.
— Je n’irais pas plus loin, à votre place ! cria-t-il dans les ténèbres, espérant pouvoir repérer l’endroit où se trouvait son adversaire et détourner son attention de son objectif premier : Tess. La Jandarma va bientôt investir cet endroit, si ça n’est déjà fait, et ils n’ont sans doute pas l’intention de vous en laisser sortir vivant !
Il attendit une réponse, qui ne vint pas, avant d’ajouter :
— Si vous voulez sauver votre peau, je vous conseillerais vivement de sortir de là avec moi. Ce que vous savez peut être pour nous d’une grande valeur.
Rien.
Il suivit le tunnel, à pas de loup, traversa une autre salle souterraine, s’arrêta de nouveau à l’entrée de la galerie suivante.
— Tu veux crever, connard ? C’est ça que tu veux ?
Toujours rien. L’Iranien n’était pas un débutant. Mais cela, il le savait depuis déjà un certain temps.
Il continua d’aller de l’avant, contourna un escalier pour pénétrer dans une autre salle et était sur le point d’emprunter un boyau particulièrement exigu lorsqu’il entendit un bruit.
— Par ici, chuchota Tess, sur sa droite.
Elle tendit le bras et l’attira vers elle.
— Il est passé devant toi ?
— Oui. Quand tu l’as appelé. Il s’est arrêté pour écouter ce que tu disais, mais il ne m’a pas vue.
— Tu as une idée de l’endroit où nous sommes ?
— Aucune. Mais on s’est enfoncés assez profond. Je dirais à deux étages au-dessous du sol, à vue de nez.
— Tirons-nous d’ici, fit Reilly. Inutile d’essayer de le choper dans cet endroit. Trop dangereux.
Il s’apprêtait à repartir mais s’arrêta en sentant la main de Tess sur son bras.
— Je ne peux pas sortir d’ici, chuchota-t-elle. Regarde.
Elle saisit la main de son compagnon et la posa sur la ceinture de toile qui lui ceignait la taille.
— Il m’a obligée à mettre ce truc. C’est une ceinture piégée. Déclenchée par son téléphone. C’est pour cette raison que je me suis réfugiée là-dedans. Aucun signal ne peut y parvenir.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Je n’en ai guère eu l’occasion, répondit Tess en posant une main sur le visage de Reilly. Je ne peux pas sortir. Pas tant que je porte ça.
Reilly sentit ses entrailles se nouer.
— Comment est-elle fermée ?
— Par un cadenas. Derrière.
Elle guida la main de son compagnon vers son dos. Il tâta le système de fermeture, qui semblait lourd. Solide. Il tira dessus, plus pour manifester sa frustration que dans l’espoir qu’il céderait.
— Tu peux tourner ta ceinture de sorte que ce foutu cadenas soit sur le côté ?
— Bien sûr, elle n’est pas si serrée que ça. Pourquoi ?
— Je peux essayer de tirer une balle dedans pour le faire sauter. Mais pour ça j’ai besoin de lumière.
Tess poussa un grand soupir.
— Tu es sûr de ton coup ?
— Si tu te tiens bien droite juste au bord de l’ouverture de ce tunnel, je peux faire en sorte que mon coup de feu ne t’atteigne pas mais se perde dans le tunnel. Même si la balle rebondit sur le métal, elle ne te touchera pas.
— Tu en es sûr ? répéta-t-elle, pas vraiment convaincue.
— Je veux te débarrasser de ce truc, insista Reilly. Fais-moi confiance. Mais j’aurai besoin que tu allumes ta lampe. Rien qu’une seconde. Tu l’allumes et tu l’éteins tout de suite, c’est tout. D’accord ?
Il ne l’avait vue avoir peur que très exceptionnellement. Et encore… Elle était du genre intrépide.
Mais cette fois, elle était terrifiée.
Il l’aida à se placer très précisément contre le bord de l’ouverture du tunnel suivant. Puis elle se pencha au maximum sur le côté et mit ses mains dans son dos, hors de vue. Reilly prit alors le cadenas et le tira afin qu’il dépasse le plus possible de la paroi. Ensuite, il colla le canon de son pistolet contre le boîtier, désormais relativement éloigné du corps de Tess.
— Prête ? lança-t-il.
— Tu as déjà fait ça avant ?
— Pas vraiment.
Elle haussa les épaules.
— Ce n’est pas exactement la réponse que j’espérais.
— A trois. Un, deux…
A trois, elle appuya sur le bouton de la lampe torche et Reilly pressa la détente. Le cadenas explosa dans un bruit assourdissant accompagné d’une pluie d’étincelles. Et, simultanément, plusieurs balles vinrent s’enfoncer dans le tuf non loin d’eux.
— En arrière ! cria Reilly, éloignant Tess de l’ouverture du tunnel, tandis que des éclats de roc volaient en tous sens autour d’eux.
C’est alors qu’il l’entendit… Le doux bruit de la culasse du pistolet se remettant en place, à vide, après avoir craché son dernier projectile.
— Son chargeur est vide ! hurla Reilly en ôtant la ceinture de la taille de Tess et en la jetant dans un coin, aussi loin que possible, avant de s’emparer de la lampe torche et de courir sus à l’ennemi. Viens, suis-moi !
Il pressa le bouton et le faisceau éclaira faiblement l’Iranien. Celui-ci venait de quitter le tunnel, le dos courbé, et était en train de traverser une autre salle.
Reilly se lança à sa poursuite, s’approchant de plus en plus de sa proie, électrisé par l’idée de sa capture, imminente.
Les dents serrées, Zahed fonçait à toutes jambes dans le dédale de la ville souterraine.
Il maudissait cette satanée Américaine – qui l’avait attiré dans ce guêpier, lui avait piqué son sac à dos, l’avait laissé à court de munitions.
Il était temps de mettre les pouces et de se tirer de là, si tant est qu’il le puisse. Il ignorait ce qui l’attendait là-haut. Il pensait que Reilly bluffait en prétendant que le canyon grouillait de policiers et de soldats, sans en avoir toutefois la certitude. Même si les touristes n’étaient pas vraiment légion dans le coin, quelqu’un avait sans doute entendu leurs échanges de coups de feu. Auquel cas ce quelqu’un avait certainement alerté les flics. Les environs risquaient fort de lui être hostiles et jouer la fille de l’air ne serait pas chose facile, d’autant que les voies permettant d’accéder à la gorge comme d’en sortir étaient en nombre limité.
Il allait devoir composer avec les moyens du bord.
Après avoir traversé en trombe une vaste salle commune, il s’engouffra dans un passage assez large, éclairé par intermittence par le faisceau de la lampe de ses poursuivants. Celle-ci l’aidait bien, en fin de compte, se réverbérant sur les parois, éclairant tel ou tel passage, lui offrant quelques secondes de clarté. Cela étant, il n’en demeurait pas moins le gibier poursuivi par la meute. Il fallait absolument qu’il sorte de ce piège. Il courait comme un fou, aussi vite que ses jambes le lui permettaient, sans savoir où il allait. Aucune importance d’ailleurs, désormais. Il ne pouvait que suivre les câbles électriques, dans l’espoir qu’ils le ramèneraient à l’entrée de ce fichu labyrinthe.
Il entendait Reilly galoper derrière lui, pas bien loin. Il devait à tout prix le semer. Il aperçut un étroit escalier, l’emprunta, gravissant les marches quatre à quatre. Sur le palier, deux ouvertures, l’une menant à droite, l’autre à gauche. Il s’engouffra dans celle de droite, rentrant la tête dans les épaules, progressant à un rythme plus lent et sans faire de bruit, dans l’espoir de troubler son poursuivant et de se donner un petit répit.
Il devait faire quelque chose. Le retarder, d’une façon ou d’une autre.
C’est alors qu’il eut une illumination.
Au bout de l’étroit tunnel. Une masse ronde faisait saillie sur le côté de la paroi.
Le bord d’une pierre à moulin, ce dispositif circulaire taillé dans le roc, lourd d’une tonne, d’un bon mètre de diamètre, destiné à empêcher les envahisseurs de faire irruption, et que l’on pouvait mettre en place très rapidement, en ôtant simplement les deux gros coins de bois qui le retenaient.
— Arrête-toi, connard.
Zahed se retourna.
Reilly était là, à l’autre extrémité du tunnel. L’Américain tenait son pistolet d’une main, la lampe torche de l’autre. Tous deux étaient braqués sur lui. Le faisceau lumineux le fit cligner des yeux.
Il vit Tess apparaître derrière l’Américain. Chercha la ceinture, à sa taille, mais celle-ci semblait avoir disparu, et en voyant la lueur de défi qui brillait dans ses yeux, il comprit qu’elle s’en était en effet débarrassée.
— J’aurais dû te tuer, à Rome, lança Zahed, histoire de gagner un peu de temps.
— Trop tard, tête de nœud. Pose ton flingue.
Zahed regarda rapidement la base de la pierre à moulin. Les coins de bois avaient disparu depuis longtemps. En lieu et place, une tige de fer rouillée dépassait du mur latéral et la maintenait dans sa loge. Un dispositif assez primitif, sans doute installé quelques décennies plus tôt, avant que les gorges soient évacuées et condamnées. Le nombre de touristes visitant la Cappadoce était des plus limités à l’époque, et la sécurité n’était sans doute pas la préoccupation majeure des gardiens, sans doute autoproclamés, des cités souterraines.
Ce qui était tout aussi bien.
— Je ne peux pas sortir de là avec toi, et tu le sais ! cria-t-il tout en jetant de rapides coups d’œil à la tige de fer, calculant ses options, évaluant ses chances.
— A toi de choisir, mon pote. Tu sors de là avec moi, sur tes jambes, ou sans moi, mais dans un grand sac noir à fermeture à glissière, répliqua Reilly. Les deux me vont.
— A la réflexion, tu sais quoi ? fit Zahed, s’arrêtant une seconde avant de vociférer : Va te faire foutre !
Jouissant brièvement de la surprise qu’il lut dans le regard de l’Américain, il passa à l’action. Rapide comme l’éclair, il se précipita sur sa droite, le rebord de la pierre à moulin le protégeant d’un éventuel tir de son adversaire, et passa son arme dans sa main droite de façon à utiliser la crosse comme marteau.
Il l’abattit contre la base de la tige de fer.
Il avait calculé son coup à la perfection.
La tigelle bougea, écrasant la roche tendre qui l’abritait. Un deuxième coup la déplaça un peu plus.
Tess cria quelque chose, et déjà Reilly se ruait sur lui, tirant un coup de feu.
La troisième tentative de Zahed fut la bonne ; la tige sauta au moment précis où la seconde balle de Reilly lui transperçait la main, un instant exposée.
Reilly vit l’Iranien plonger sur le côté et se servir de son arme comme d’un marteau.
Ce qu’il cherchait à faire lui échappait, mais il comprit que ça ne sentait pas bon. Impossible de tirer avec une chance de le toucher, à cause de ce gros disque de pierre qui le cachait. Tout ce qu’il voyait de lui, c’était sa main, serrant le pistolet vide.
— La pierre à moulin ! cria Tess. C’est un piège.
Reilly fonça, tira un coup de feu tout en avançant. Il entendit Zahed taper sur quelque chose, chaque coup résonnant en lui, son cœur battant à tout rompre. Il vit le flot de sang qui jaillissait de la main de son adversaire et l’entendit lâcher un grognement de douleur. Il ne se trouvait plus qu’à quelques pas de lui quand l’énorme disque de pierre sortit en roulant de son logement. Il sentit le sol trembler sous ses pieds tandis que la pierre à moulin allait heurter avec fracas l’autre côté du tunnel au moment précis où il l’atteignait, ses mains se tendant instinctivement pour l’arrêter avant qu’il les retire, conscient de la futilité de son geste.
Le tunnel était obstrué. Totalement, parfaitement obstrué.
Reilly essaya bien de repousser la pierre à moulin, mais elle ne bougea pas d’un pouce. Elle avait été conçue pour se mettre en place en suivant un plan incliné et était beaucoup trop lourde pour reprendre aisément sa position antérieure. En désespoir de cause, il la tâta sur toute sa surface, à grand renfort de jurons. Son centre était percé d’un petit trou, de huit centimètres de diamètre environ. Il y risqua un œil, sans trop d’illusion : impossible de voir quoi que ce soit de l’autre côté. Tout était plongé dans le noir. C’est alors qu’il l’entendit. Gémissant, jurant. Ce qui faisait du bien à entendre. L’Iranien semblait sérieusement souffrir.
Au bout de quelques secondes, la voix du blessé retentit de l’autre côté du piège antique :
— Ça va, Reilly ? Tu es à l’aise là-dedans ?
L’Américain leva son pistolet vers le trou creusé dans la pierre et répliqua :
— Et ta main, espèce de branleur, comment va-t-elle ? J’espère que je n’ai pas porté un coup fatal à ta vie amoureuse.
Sur quoi il glissa le canon de son arme dans l’ouverture et tira à quatre reprises. Le bruit des détonations se répercuta sur les parois du souterrain avant de s’atténuer puis de disparaître. La voix de l’Iranien se fit alors entendre de nouveau :
— Arrête de gaspiller tes munitions et commence plutôt à chercher le chemin de la sortie.
Il parlait fort, mais pas au point de pouvoir dissimuler la douleur qui, à l’évidence, le tenaillait.
— Ça ne va pas être simple. Ça pourrait même être impossible, si tu veux mon avis. Mais essaie quand même. Fais ça pour moi. Débrouille-toi pour que l’impossible ne le soit plus. Et si tu y arrives, dis-toi bien une chose : tu n’en as pas fini avec moi. Quelque part, d’une façon ou d’une autre, je te retrouverai. Où que tu sois. Je reviendrai vous chercher, toi et Tess… et on règlera cette affaire comme il convient. Ça te va ?
Reilly enfonça une fois de plus le canon de son pistolet dans l’orifice de la pierre à moulin et vida fiévreusement son chargeur, hurlant sa fureur, espérant sans trop y croire que l’une de ses balles trouverait de la chair et des os. Et quand l’écho des détonations s’éteignit, il n’entendit plus que les murmures rageurs et les pas de l’Iranien qui s’éloignait. Jusqu’à ce que ne demeure plus que le silence. Le silence du tombeau.