Pas de réseau pour les téléphones portables. La remarque de Sully embrasa les neurones de Simmons.
Pas de signal.
Pas de réseau.
Pas de détonateur.
Pas de bombe.
C’était maintenant ou jamais – il en eut d’autant plus la certitude quand il vit son ravisseur plonger la main droite dans son sac à dos, où Simmons savait qu’il avait fourré un pistolet.
— Il a une arme ! cria-t-il en se ruant sur Zahed.
Il percuta l’Iranien au moment précis où celui-ci sortait son pistolet. Saisissant de sa main gauche le poignet droit de l’Iranien, il parvint à repousser l’arme. Le fracas de la détonation explosa dans les tympans de l’archéologue, se réverbérant sur la falaise, dans leur dos, sans pour autant l’empêcher d’expédier son coude droit dans le visage du tueur. Des années d’entraînement permirent à l’Iranien de limiter l’impact au maximum en se jetant en arrière, mais le coude de l’archéologue le heurta dans un craquement sinistre qui se répercuta dans l’épaule de Simmons.
Sous le choc, les deux hommes dégringolèrent du surplomb, Simmons serrant toujours la main de Zahed qui tenait le pistolet et essayant désespérément de le lui arracher. Inextricablement enchevêtrés, ils roulèrent ainsi jusqu’à heurter rudement le sol.
La tête de l’Iranien percuta avec force un des rochers disséminés un peu partout, et il poussa un hurlement de douleur. Galvanisé, Simmons, agrippant maintenant des deux mains le poignet de son adversaire, l’abattait avec force, une fois, deux fois, et encore, contre les cailloux. Il sentit la prise de l’homme se relâcher encore un peu plus… et aussitôt après une douleur intense irradier dans son flanc droit : le poing de Zahed venait de le frapper avec la force d’un marteau-pilon. Un coup d’une puissance terrible. Sous l’impact, Simmons poussa un grognement sourd mais parvint à frapper une fois encore le poignet de son adversaire contre le sol. Le pistolet jaillit de la main de l’Iranien, dévalant la pente qui s’ouvrait juste derrière eux.
Simmons crut que son cœur s’arrêtait de battre à la vue de l’arme glissant hors de portée. Les ongles profondément enfoncés dans le poignet de Zahed, plaqué contre les rochers, cette vision le désarçonna complètement et il se demanda ce qu’il devait faire. Apercevant au-dessus de lui le visage abasourdi de Sully, il se mit à hurler, « Faites quelque chose, aidez-moi à récupérer le pist… », quand une intense douleur éclata dans sa poitrine : ses poumons expirèrent violemment l’air qu’ils contenaient, tandis que Zahed lui assénait un nouveau coup, cette fois du tranchant de sa main libre. Simmons fit un bond en arrière, essayant de retrouver son souffle, avec l’impression que sa cage thoracique avait été remplie de napalm et qu’on venait d’y mettre le feu. Tandis qu’il chancelait, Zahed se releva, prit son élan et se jeta sur lui avec un hurlement de fureur à glacer les sangs. Ses doigts se tendirent vers la gorge de son adversaire, tels les crocs d’un cobra, l’enserrant avec une force bestiale. L’Américain secoua violemment la tête, de gauche à droite, pour tenter d’échapper à l’étreinte mortelle de Zahed, agitant les bras en tous sens pour lui donner des coups qui se soldaient par des tapes insignifiantes. L’Iranien avait maintenant réussi à plaquer une joue de son adversaire contre le sol, écrasant son orbite gauche contre le rebord aigu d’un rocher, décidé à en finir. Simmons sentit sa vision s’assombrir et ce qui lui restait de forces le quitter peu à peu. Il en était à se dire que, à tout prendre, mieux valait peut-être mourir de cette manière plutôt qu’en regardant ses boyaux s’échapper d’un trou béant dans son ventre, quand quelque chose attira vaguement son attention, quelque chose sur le sol, à portée de main : une pierre, de la taille d’une mangue, juste à la périphérie de son champ de vision. Il avait presque perdu toute sensation dans les membres, mais parvint néanmoins à lancer son bras en direction de la pierre, à convaincre ses doigts de se serrer autour et à ordonner à ses muscles d’asséner à son adversaire un ultime coup.
Celui-ci atteignit Zahed au-dessous de l’oreille. Sous le choc, les lèvres de l’Iranien frémirent et s’ouvrirent, crachant de la salive rougie de sang. Les poumons en feu, Simmons le repoussa loin de lui. Zahed tomba en arrière, sur le côté, puis inspira une grosse goulée d’air, secouant la tête, les paupières mi-closes, sa main rouge de sang pressant la blessure que l’Américain venait de lui infliger. Ses yeux se fixèrent sur son adversaire avec une lueur de rage bestiale, et il se releva presque d’un bond, comme possédé.
Simmons recula, le souffle court, toutes sortes d’alarmes résonnant dans sa tête, lui intimant l’ordre de ne surtout pas insister, ni de tenter d’engager un nouveau mano a mano. Pas avec un homme comme celui-là.
Lui suggérant de se tirer au plus vite, tant qu’il était encore en mesure de le faire.
Il se lança dans la pente pour rejoindre Sully qui, de là-haut, regardait toujours ce qui se passait en contrebas, stupéfait, le visage luisant d’une suée soudaine, les yeux reflétant un mélange d’horreur et de désarroi.
— Qu’est-ce que vous f… commença le guide.
Ses mots s’arrêtèrent dans sa gorge quand il vit que Simmons n’écoutait pas. Le cerveau de l’archéologue tournait autour d’une unique pensée : ses yeux parcouraient le sol frénétiquement, il devait à tout prix le retrouver… Jusqu’au moment où il le repéra, là où il l’avait vu pour la dernière fois. Toujours dans la main du guide.
Le couteau multifonction.
— Passez-moi votre couteau, dit-il d’une voix rauque.
Sans même attendre une réaction, il sauta sur Sully et le lui arracha.
Il regarda autour de lui, essayant de se repérer, puis, sentant quelque chose bouger sur sa droite, se tourna pour voir Zahed apparaître en bas de l’éboulis.
L’Iranien tenait quelque chose à la main. Son pistolet. Ce salopard avait réussi à remettre la main dessus.
— Courez ! cria-t-il au guide en l’attrapant par le collet et en l’entraînant vers le côté de l’éboulis le plus éloigné du monastère.
Zahed sentait sa tête résonner encore sous l’effet du coup qu’il avait reçu, mais il savait comment oublier la douleur jusqu’à ce qu’il en ait terminé avec ce qu’il avait à faire. Pas question qu’un petit archéologue de merde vienne gâcher ses plans. Il allait le dresser, lui montrer de quel bois il se chauffait, lui apprendre le respect et veiller à ce qu’il n’oublie pas de sitôt la leçon.
Mais il devait d’abord lui mettre la main dessus.
Il arriva en haut de l’éboulis juste à temps pour voir Simmons commencer à dévaler la pente à une centaine de mètres de là, essayant de ne pas trébucher sur ce terrain glissant. Le guide le talonnait de près, mais ses mouvements semblaient moins assurés. Et puis il y avait autre chose : il perdait du temps à regarder sans arrêt derrière lui, pour voir si Zahed les suivait. A la différence de Simmons, tout ce qui se passait était nouveau pour lui, la scène qui venait de se dérouler l’avait pris complètement au dépourvu ; de surcroît, il n’était pas encore bien sûr de ce qu’il fallait en penser, et cette hésitation, pour minime qu’elle fût, contribuait également à le freiner.
Pour Zahed, c’était là plus qu’il n’en fallait.
Il s’empara de son sac à dos, y fourra son arme et le jeta sur son épaule avant de se mettre à courir aussi vite que possible dans leur direction, scrutant avec attention le terrain, veillant à choisir pour ses pieds les appuis les plus appropriés tandis qu’il dévalait la pente à leur poursuite. Son cerveau était focalisé sur les tâches immédiates, essentielles, à accomplir dans l’instant : veiller à ne pas faire de faux pas au risque de se fouler une cheville, respirer profondément, régulièrement, pour conserver au maximum son énergie, observer les changements de parcours de ses adversaires et ajuster au mieux sa direction pour gagner sur eux de précieuses secondes.
Une stratégie efficace.
Alors que les deux hommes franchissaient à grand-peine une zone caillouteuse, puis dégringolaient en diagonale une pente assez raide avant de rejoindre une large crête recouverte d’herbe, il grignotait du terrain à chaque enjambée. Sully se trouvait maintenant à une dizaine de mètres derrière Simmons et, lorsqu’il se retourna une énième fois pour regarder derrière lui, Zahed se trouvait assez près pour pouvoir lire la peur dans ses yeux. Il en tira une bouffée d’adrénaline supplémentaire qui lui permit d’accélérer encore le rythme, au point que le guide se retrouva bientôt à sa portée.
Il le fit tomber dans un creux de l’éboulis. Les deux hommes roulèrent dans la pente, Zahed enserrant le cou de Sully. Il maintint son étreinte jusqu’à ce qu’ils arrivent tous les deux en bas. Là, l’Iranien modifia rapidement la position de ses mains autour de la tête du guide, puis effectua un brutal mouvement de torsion afin de lui rompre le cou. Celui-ci céda aussitôt, dans un craquement sonore d’os et de cartilages. La tête du guide pencha sur le côté tandis que son corps sans vie s’effondrait sur le sol caillouteux.
Sans perdre une seconde, Zahed fouilla rapidement les poches du Turc, trouva son téléphone portable et le mit dans son sac à dos. Il s’empara également de ses clefs et de son portefeuille. Il regarda ensuite autour de lui et, apercevant un amas de rochers à une dizaine de mètres, y tira par les chevilles le corps sans vie, d’où il serait moins facilement repérable. Les secondes qu’il perdait augmenteraient la distance qui le séparait de Simmons, mais il était certain d’être en mesure de le rattraper à temps. Et comme il lui restait par ailleurs pas mal de choses à faire en Turquie, il estimait préférable de ne pas laisser trop de cadavres visibles dans son sillage.
Puis il reprit sa course.
Simmons n’était plus désormais qu’une petite silhouette, au loin, mais cela n’avait pas d’importance. Il n’était pas vraiment pressé de le rattraper. L’endroit où ils avaient laissé les voitures se trouvait encore à plusieurs heures et, pour sa part, plus vite ils y parviendraient, mieux cela vaudrait. Il lui suffirait pour cela de ne pas perdre de vue sa proie et de la motiver assez pour qu’elle coure le plus vite possible. Ce qu’il fit en lui donnant la chasse tout en maintenant entre eux une distance raisonnable.
Au bout d’une heure de course, Zahed estima qu’il était temps de passer à la curée. Simmons avait ralenti, ses mouvements manquaient maintenant de coordination, et l’Iranien devina ce qu’il avait l’intention de faire.
Il le rattrapa près d’un petit col dominant une vallée. Constatant qu’il allait être rejoint, Simmons cessa de courir. Le couteau de Sully à la main, il était penché sur sa ceinture explosive, s’efforçant de la couper avec l’énergie du désespoir.
Zahed se contenta de le regarder faire, sans un geste, à une dizaine de mètres de distance, respirant profondément afin de faire baisser son rythme cardiaque, s’essuyant le front.
Simmons leva les yeux vers lui, haletant. Les mouvements de ses mains s’accélérèrent encore, frénétiques.
Rien à faire. Le tissu était trop solide.
— Inutile de vous obstiner ! lui cria Zahed. C’est de la toile à voile. En kevlar. Impossible de la couper. Pas avec ça, en tout cas.
Simmons lui jeta un regard furieux, la sueur dégoulinant sur son visage, une lueur d’affolement au fond des yeux. Il se laissa brusquement tomber à genoux, essayant désespérément de trancher le tissu avec des efforts décuplés.
— Et d’ailleurs, vous savez quoi ? lança Zahed en tirant son téléphone du sac à dos et en le regardant d’un air entendu avant de le tendre en direction de l’archéologue, sachant pertinemment que ce dernier était trop éloigné pour distinguer ce qu’il y avait sur l’écran, mais appréciant fort sa petite plaisanterie. J’ai de nouveau du réseau.
Simmons le regarda, hors d’haleine, les traits déformés par l’épuisement et la détresse.
— A vous de voir, reprit Zahed. Vous voulez rester en vie, ou vous êtes prêt à passer l’arme à gauche ?
L’archéologue ferma les yeux et s’immobilisa. Puis il lâcha son couteau, qui tomba en cliquetant sur les cailloux. Sans ouvrir les yeux, il demeura pétrifié, effondré, tête basse, menton rentré dans la poitrine, bras serrés autour de lui, tremblant de tout son corps.
— Ça c’est un bon garçon, fit Zahed en s’approchant de lui.
Il le fixa un moment, tel un torero dominant sa victime résignée, puis il tendit le bras en arrière et, du revers de la main, asséna à Simmons une gifle magistrale, qui le souleva de terre et l’envoya bouler un peu plus loin.