14

Bail était coincé dans la réunion d’une sous-commission financière lorsque l’information éclata sur le réseau d’HoloNet.

La ville de Hanna, sur Chandrila, vient de subir l’attaque dévastatrice d’une arme biologique.

L’appareil sénatorial s’immobilisa brusquement. Les Sénateurs et leurs assistants, leur personnel et le personnel du personnel, tout le monde fut frappé de stupeur par la férocité de l’assaut inattendu. Dans un silence hébété, ils se rassemblèrent devant les immenses écrans plats et les holo-imageurs du Sénat pour regarder, horrifiés, les images diffusées dans toute la République par les droïdes-cams. Des images de souffrance telle qu’elles reléguaient les séquences de guerre au rang de simples jeux d’enfants.

Debout avec ses collègues dans une des salles de réunion ouverte proche de son bureau, Bail éprouvait une peine profonde et glaçante. L’arme biologique des Séparatistes était une monstruosité qu’il avait du mal à comprendre, même s’il en voyait à présent les résultats – des êtres sensibles d’au moins sept espèces différentes, de tous âges, transformés en bave et en écume sanglantes. À côté de lui, son assistante personnelle ne put contenir plus longtemps ses larmes.

Oubliant le protocole, il posa son bras sur les épaules de Minala qui cacha son visage contre lui. Depuis toutes ces années qu’il la connaissait, et malgré toutes les crises qu’ils avaient traversées, jamais elle n’avait versé la moindre larme devant lui. Mais cette attaque était sans précédent.

Et puis son comlink sonna. C’était Mas Amedda qui, de sa voix platement autocratique, l’enjoignait de gagner immédiatement le bureau du Chancelier Suprême.

— Minala, dit-il doucement, je vais devoir vous laisser. Mais j’ai des instructions à vous donner avant.

Elle se ressaisit aussitôt, redevenant avec chaque inspiration la femme sur laquelle il savait pouvoir compter chaque jour : l’efficace, la rigoureuse et très réservée Minala Lodilyn.

— Bien sûr, Sénateur.

Tous deux retournèrent à leurs bureaux. Une fois la porte close et les écrans d’isolement mis en place, il se tourna vers elle dont le douloureux chagrin cédait rapidement la place à une rage mal contenue.

— Top secret pour l’agent Varrak, dit-il. Je veux qu’elle se mette immédiatement au travail. Je veux savoir comment tout cela s’est passé, et avant ce soir. Ensuite, contactez Flinn à la Brigade des Opérations Spéciales. Je veux les enregistrements de sécurité de tous les spatioports de Chandrila et de toutes les baies d’amarrage privées – quels que soient les propriétaires –, ainsi que ceux de toutes les rues dans un rayon de cinq klicks autour de la zone touchée. Et je les veux décomposés, image par image.

Minala hocha la tête.

— Et pour les chutes des enregistrements d’HoloNet ?

— Ça aussi. Et c’est un décret-loi. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, Minala. Je ne veux bousculer personne, ni jouer les gros bras, mais s’il le faut, je n’hésiterai pas.

Il s’arrêta une seconde pour prendre une profonde inspiration et tenter de ralentir le flux trop rapide de ses pensées.

— Dites à Flinn que j’aurai besoin de ses meilleurs analystes sur le matériel vidéo. Je veux qu’ils traquent jusqu’au plus petit détail, aussi insignifiant soit-il. Dites-leur, à lui et à l’agent Varrak, de se contacter par l’intermédiaire du bureau de la Sécurité de Chandrila de manière régulière – le bureau qui devra étendre son entière coopération au Conseil de Sécurité du Sénat et à toutes ses agences ou représentants désignés, par ordre du bureau du Chancelier Suprême.

Les sourcils parfaitement dessinés de Minala grimpèrent légèrement sur son front.

— J’obtiendrai l’autorisation, ajouta-t-il. Ne vous inquiétez pas pour ça. Oh… Et dites à Varrak qu’elle pourrait être contactée par quelqu’un du Temple Jedi. Cette conversation reste totalement entre nous.

— Sénateur, dit-elle avec un nouveau hochement de tête bref et sec.

Bail parvint à esquisser un petit sourire crispé pour elle.

— Et une fois que vous en aurez terminé avec Varrak et Flinn, et moi avec le Chancelier Suprême, le Comité de Sécurité devra se réunir. Je compte sur vous pour organiser cela aussi. Disons d’ici trois heures. Je vous informerai si l’horaire devait changer.

— Bien, monsieur, dit Minala.

Son esprit fonctionnait comme un cristal de données réglé en mode enregistrement permanent. S’il lui demandait, elle serait capable de lui répéter ses instructions Verbatim.

Si elle décide un jour de quitter la politique, je coule.

Quoi d’autre ? Hanté par les abominables holo-images, la tête lui tournait presque.

Réfléchis, Organa. Réfléchis.

— D’accord, dit-il. Et quand vous serez venue à bout de tout cela, je veux que vous alertiez le corps expéditionnaire Or et Vert. Je veux que tous les indices de nos informateurs soient étudiés à la loupe. Le succès de cette infiltration va rendre quelqu’un très, très impudent. Ils vont retenter l’expérience. Mais cette fois-ci, nous les attendrons de pied ferme.

— Or et Vert, répéta Minala. Oui, monsieur. Sénateur… Le Dr Netzl est-il au courant de ce qui s’est passé ?

Oh, bon sang.

— Je l’ignore. Maître Yoda l’en a peut-être informé. Autrement… sans doute que non ; il ne met pas le nez en dehors de son labo. Il faudra que j’aille le lui apprendre.

Il sentit son cœur se soulever à cette idée. Tryn allait se sentir coupable.

— D’accord, soupira-t-il. Reportez la réunion du Comité de Sécurité d’une demi-heure.

— Bien sûr, monsieur, dit-elle.

Et soudain son attitude très professionnelle se fissura de nouveau.

— Sénateur… Est-ce que cela signifie que Maître Kenobi est mort ?

J’espère bien que non.

— Je n’en sais rien non plus. Et je ne tiens pas du tout à tirer des conclusions hâtives et déplaisantes.

Les lèvres de Minala tremblèrent légèrement.

— Mais il est difficile de rester optimiste, n’est-ce pas ? dit-elle. Parce que si lui et le jeune Skywalker avaient pu empêcher cette terrible attaque, ils l’auraient fait.

Il ne pouvait se résoudre à rencontrer son regard.

— Je sais. Mais le fait qu’ils ne l’aient pas fait ne signifie pas pour autant qu’ils sont morts.

Elle le connaissait trop bien. Tout autant que Breha et que Padmé.

— Bien sûr que non. Excusez-moi. Je vais commencer à passer mes appels maintenant.

— Et si vous rencontrez des problèmes, des résistances, ne vous laissez pas faire. Soyez coriace. Bousculez et écrasez tous ceux qui vous mettront des bâtons dans les roues en vous appuyant sur tout le poids de ce bureau. Je ne suis pas d’humeur à faire des ronds de jambe aujourd’hui.

Quand il arriva dans le bureau directorial de Palpatine, Mas Amedda lui ordonna d’attendre dans l’antichambre où régnait une incroyable agitation – des allées et venues incessantes de droïdes et d’êtres sensibles. À présent que le premier choc s’était quelque peu dissipé, il se sentait si écœuré qu’il en avait le tournis.

Est-ce ma faute ?

Il ne pouvait pas s’asseoir ; il devait rester debout, combattre le besoin d’arpenter la pièce. Son comlink sécurisé du Sénat bourdonna. C’était Padmé, toujours embourbée dans ses négociations sur Bonadan.

— L’information vient juste d’arriver ici. Ça va ? demanda-t-elle.

C’était tout à fait elle, cela, de penser avant tout à son état émotionnel. Il avait déjà brièvement parlé à Breha qui lui avait posé la même question. Et il donna à Padmé la même réponse.

— Pas trop, non.

— Je rentre, annonça-t-elle d’une voix tendue par l’inquiétude. Je ne peux rien faire de plus ici. Bail, quoi que les autres puissent en dire, même s’il s’agit de Palpatine, ce n’est pas votre faute.

Breha lui avait dit la même chose. Son épouse et son amie étaient des femmes réellement exceptionnelles. Parfois, il se demandait ce qu’il avait pu faire pour les mériter.

— Ce n’est pas ce que j’éprouve pour l’instant, dit-il, ce qui n’était pas ce qu’il avait répondu à Breha. Vous avez vu la séquence ? Padmé… Ça va très mal.

— Oui, je l’ai vue. Est-ce que votre ami… Il a avancé ?

— Pas suffisamment. Mais il y arrivera, je le sais. Padmé…

Il se retourna alors que les portes de l’antichambre s’ouvraient pour laisser entrer Mon Mothma dont la silhouette longiligne ondulait dans sa tenue de synthésoie anthracite. En apparence, elle semblait très calme eu égard à l’attaque de sa planète natale, mais il pouvait voir dans son regard vide la profondeur de son désarroi.

— Désolé, Padmé, il faut que je vous laisse, dit-il. Venez me trouver dès votre retour sur Coruscant. À n’importe quelle heure.

— Je pars dès maintenant. Bail, nous viendrons à bout de cette crise. À bientôt.

Rangeant son comlink dans la poche arrière de sa tunique, il se fraya un chemin parmi le personnel de Palpatine jusqu’à la sénatrice de Chandrila. Le voyant, elle écarquilla les yeux et leva une main en un geste qui semblait à s’y méprendre à une supplique.

— Mon Mothma, dit-il en arrivant près d’elle. Je suis tellement, tellement désolé. Etes-vous seule ? Où sont vos collègues ?

— Hors planète, dit-elle à voix basse. Ils sont immédiatement partis pour Chandrila. Je les rejoindrai moi-même dès que j’aurai parlé à Palpatine – si toutefois il ne me demande pas de rester.

Sous son attitude digne vibrait une insoutenable douleur.

— Etes-vous personnellement touchée ? demanda-t-il avant de se reprendre aussitôt. Excusez-moi. Je voulais dire, avez-vous des amis, des parents qui ont…

Elle secoua la tête.

— J’ignore si des membres de ma famille ou des amis ont été directement affectés. Mais la femme de Ran Harva…

Sa phrase resta en suspens. Le Sénateur Harva était le plus jeune de ses collègues. Un homme brusque, pas très sympathique… et qui, aujourd’hui, se retrouvait veuf. Bail prit une forte inspiration. S’habituerait-il jamais aux caprices de la vie ? La veille au soir, Mon Mothma et lui avait célébré devant un dîner le succès de leurs discrètes et tortueuses manigances pour maintenir Umgul dans la grande famille de la République. Et à présent ce plaisir était réduit en cendres.

Quand elle apprendra mon rôle dans cette histoire, elle ne me pardonnera pas. Comment ai-je pu me tromper à ce point ?

Comment Yoda a-t-il pu commettre une telle erreur ?

Comme s’il l’avait fait apparaître rien qu’en pensant à lui, les portes de l’antichambre s’ouvrirent sur le plus ancien, le plus révéré Maître du Temple Jedi qui fit son entrée dans la pièce, lourdement appuyé sur son bâton de gimer, son visage attentif et ridé totalement impassible.

Les conversations se turent. Les mouvements nerveux et désordonnés s’apaisèrent. Le doute frissonna dans la salle bondée, avec un cri muet brûlant et unanime.

Comment vous, les Jedi, n’avez-vous pas vu venir cela ? Pourquoi n’avons-nous pas été avertis ?

Si Yoda sentait les regards et les accusations silencieuses, rien dans son attitude ne révélait son accablement ou son anxiété.

— Sénateurs, dit-il en se joignant à eux. Nos condoléances à vous en ce jour terrible, sénatrice Mothma. Les Jedi à votre peine et à votre deuil se joignent.

Un peu sur ses gardes, mais rigidement maîtresse d’elle-même. Mon Mothma inclina la tête.

— Merci, Maître Yoda.

Sentant le regard de Yoda sur lui, Bail baissa les yeux, conscient de toutes ses émotions bouillonnantes – chagrin, colère, déception, détresse.

C’est nous qui avons fait cela, Yoda. Vous et moi. Nous avons permis que cela arrive. Et maintenant, qu’allons-nous faire pour réparer l’irréparable ?

Yoda rencontra calmement son regard accablé. Il était impossible de dire si le Jedi ressentait quoi que ce soit quant aux événements de Chandrila. Sa maîtrise était totale.

Mas Amedda releva les yeux de son large bureau, avec sa rangée de consoles qui, chacune, clignotaient furieusement et impatiemment.

— Vous pouvez entrer, maintenant, Sénateurs, Maître Yoda.

Les portes du sanctuaire de Palpatine s’ouvrirent. Bail et Mon Mothma restèrent en arrière, attendant que Yoda les précède.

Palpatine se tenait devant la baie en transparacier de son bureau, contemplant le panorama toujours mouvant, toujours constant de Coruscant. Vêtu de sa tenue pourpre sombre d’un luxe discret, les mains fermement serrées dans le dos, il offrait un profil qui, à la vive lumière de midi, était une gravure austère de tristesse.

Les portes de la suite se refermèrent derrière eux et ils attendirent en silence qu’il prenne la parole. Finalement, le Chancelier Suprême se retourna vers eux et les considéra en silence un instant, son affliction, de sobre gravure, devenant un riche portrait.

— Avant tout, dit-il, la voix grave et contrôlée, sénatrice Mothma, permettez-moi de vous présenter les plus sincères et douloureuses condoléances de ce bureau. La souffrance des habitants de Chandrila est presque trop forte à supporter. Et je ne peux qu’imaginer ce que vous devez éprouver. Naturellement, vous aurez toute l’aide dont vous pourrez avoir besoin. Vous n’aurez qu’à le demander, et quoi que vous puissiez nécessiter, cela vous sera accordé sans hésitation.

Mon Mothma hocha la tête.

— Chancelier Suprême, Chandrila vous remercie.

Palpatine pressa une main sur son cœur.

— En ce moment même, Sénatrice, une séance extraordinaire du Sénat est convoquée, dit-il gravement. Je m’y exprimerai, naturellement, dans l’espoir d’apaiser la panique engendrée par cette attaque lâche et honteuse. Je me demandais, cependant, si vous souhaitiez vous aussi vous adresser à nos collègues ? J’ai cru comprendre que vous alliez partir sans délai pour Chandrila, et naturellement rien ne vous oblige à prendre la parole, mais étant donné que vous êtes la seule représentante de Chandrila présente à cet instant à Coruscant, je pensais que vos compatriotes seraient réconfortés de vous voir accepter les condoléances du Sénat – et que la République aimerait vous entendre exprimer la douleur de Chandrila.

Mon Mothma hésita, puis hocha de nouveau la tête.

— Merci, Chancelier Suprême. Il est vrai que j’avais pensé rentrer immédiatement, mais peut-être ce léger retard pourra se révéler profitable. Ce sera sans doute une grande consolation pour mes compatriotes de savoir que la République est avec eux pour cette terrible épreuve.

Le regard de Palpatine s’adoucit très légèrement.

— Je n’en doute pas. Ils seront réconfortés, tout comme l’a été la population de Naboo quand ils ont subi une violence gratuite et que la Reine Amidala s’est exprimée en leur nom.

— Chancelier Suprême, savez-vous si les Séparatistes sont derrière cette atrocité ?

Bail se sentit tressaillir lorsque le regard de Palpatine se fit plus froid encore puis se tourna vers lui avant de s’immobiliser un bref instant, de passer à Yoda, pour finalement revenir sur Mon Mothma.

— Hélas, Sénateur, si c’est ce qui semble le plus évident, je crains que nous n’ayons encore aucune preuve venant à l’appui de cette théorie, répondit-il. Et comme vous le supposez déjà, probablement, aucun groupe ne s’est encore avancé pour revendiquer la responsabilité de cet acte odieux. Mais je ne doute pas que les services de la Sécurité de la République sont en ce moment même en train de débusquer la vérité – et les auteurs de cette horreur. N’est-ce pas, Sénateur Organa ?

Bail s’éclaircit la gorge.

— En effet, Chancelier Suprême. J’ai mis tous les services concernés en état d’alerte, et je dois rencontrer leurs dirigeants et le Comité de Sécurité dans la journée. Je peux vous assurer, monsieur, que l’arrestation des responsables de cette attaque est notre priorité absolue.

— Oui, dit Palpatine.

Ses yeux étaient froids et durs.

— J’étais certain que vous diriez cela. Sénatrice Mothma, vous souhaiterez sans doute avoir quelques moments pour vous ressaisir avant de vous exprimer au Sénat. Si vous le désirez, vous pouvez retourner dans l’antichambre, et Mas Amedda vous conduira dans ma retraite privée ; je vous y rejoindrai dans un instant. Je veux d’abord régler un petit problème avec le Sénateur Organa et Maître Yoda.

— Naturellement, Chancelier Suprême, murmura Mon Mothma. Sénateur. Maître Yoda.

Dès que la porte se fut refermée sur elle, Palpatine se tourna de nouveau vers la baie panoramique. Bail échangea un coup d’œil avec Yoda qui pinça les lèvres et secoua discrètement la tête. Et donc, une fois encore, ils attendirent que Palpatine s’exprime.

— J’ai appris que le bilan devrait dépasser les dix mille morts, dit-il enfin sans se retourner. J’ai vu les vidéos, que vous avez vues aussi j’en suis certain.

Il fit brusquement volte-face, et cette fois la colère était gravée sur ses traits.

— Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je connais la brutalité. La cruauté. Mais je n’avais encore jamais…

Il prit une profonde inspiration.

— Ceci ne peut pas… ne doit pas… se reproduire. Vos agents de la Sécurité, Sénateur Organa, et vos Jedi, Maître Yoda, ne peuvent pas laisser cette horreur se reproduire. Vous ne devriez jamais avoir permis que cela arrive.

Bail ouvrit la bouche pour répondre, pour s’excuser, mais Yoda leva la main pour l’arrêter.

— Chancelier Suprême, une tragédie c’est, reconnut le vieux Jedi. Une grande tristesse nous ressentons tous face à la perte de vies innocentes. Mais c’est d’une guerre qu’il s’agit, et de la faire nous n’avons pas choisi. Sans compassion ni scrupules est notre ennemi. Condamnés pour sa cruauté nous ne pouvons pas être.

— Non, dit Palpatine. Mais vous pouvez l’être pour votre silence, et vous le serez. Si vous m’aviez averti dès que vous l’aviez su que cette arme abominable était en préparation…

— Les empêcher de l’utiliser comment auriez-vous fait, Chancelier Suprême ?

Choqué, Bail le regarda. À quoi pensait-il ? Personne n’interrompait Palpatine. Il attendit la réponse furieuse du Chancelier Suprême… qui ne vint pas. Au lieu de cela, Palpatine pinça les lèvres.

Yoda soupira.

— La réponse nous connaissons tous les deux. Convoqué vous m’auriez. Demandé que les Jedi cette arme détruisent vous m’auriez. Tenté de prévenir cette tragédie nous aurions. Tenté de la prévenir nous avons.

— Et vous avez échoué, Maître Yoda ! rétorqua Palpatine. Vous avez échoué et, à présent, des milliers de Chandrilans et d’autres citoyens de la République gisent morts dans les rues, leurs corps si horriblement mutilés qu’ils ne seront peut-être jamais identifiés. Et le mal que cela fera au moral de la République… la peur qui se répandra comme une traînée de poudre de monde en monde… Je ne suis pas certain que vous compreniez, Maître Yoda. La peur peut être une peste, et je redoute une véritable pandémie. Maintenant dites-moi… Que comptez-vous faire pour cela ?

Yoda se redressa et leva le menton.

— À croire je continuerai que de terminer leur mission Maître Kenobi et le jeune Skywalker sont capables.

Palpatine le fixa avec étonnement.

— Vous pensez qu’ils sont encore vivants ?

— Je le sais, Chancelier Suprême, dit Yoda. Leurs morts je sentirais. Le croire vous le devez.

— Alors c’est sans doute la seule bonne nouvelle qui peut venir de cette catastrophe, murmura Palpatine. Et à partir de maintenant, je vais m’intéresser de très près à cette affaire. J’avais espéré qu’Anakin et Maître Kenobi pourraient contrarier les projets de Lok Durd, mais je péchais de toute évidence par excès d’optimisme. Et aussi difficile qu’il me soit de le reconnaître – et sans pour autant mettre en question la valeur d’Anakin ou celle de Maître Kenobi –, je n’ai d’autre choix que d’admettre que cette fois ils n’étaient pas de taille à sauver la situation. En conséquence, nous devons intervenir. Seuls les vaisseaux de guerre protégeant Kholis ne sont pas destinés à être redéployés ; cette situation demeure trop instable pour que l’on prenne le risque de la mettre en péril.

Bail croisa les mains devant lui, s’assurant d’adopter une attitude convenablement respectueuse.

— Chancelier Suprême, croyez que je comprends votre inquiétude. Nous voulons tous éviter que ce qui vient de se passer sur Chandrila se reproduise. Mais je ne suis pas certain que ce que vous souhaitez soit possible. En dehors des perturbations que cela apporterait à tout combat en cours, les communications de la flotte sont encore compromises et…

— Ça m’est égal ! le coupa Palpatine. Sénateur Organa, ne saisissez-vous pas la gravité de notre situation ? Vous saviez que cette arme était prête et vous n’avez pas pu empêcher Lok Durd de l’utiliser. Vous n’avez même pas pu le garder en captivité. Et à cause de votre incapacité à mener ces missions à bien, je me retrouve aujourd’hui avec la tâche de devoir calmer une République qui vient de voir des milliers de ses citoyens mourir après une épouvantable agonie. Pire, je dois aller affronter le Sénat et mentir. Je dois leur dire qu’ils n’ont rien à craindre parce que j’ai la certitude que les Jedi poursuivront et arrêteront les auteurs de ce crime monstrueux.

— Nous les arrêterons, Chancelier Suprême, dit Yoda, imperturbable. Un mensonge ce n’est pas.

— Je suis certain que vous essaierez, oui, répondit Palpatine d’un ton rien moins que convaincu. Mais sauf à vous entendre m’affirmer que vous avez vu un dénouement heureux dans la Force, je continuerai à supposer que votre échec persistant est aussi – sinon plus – probable que votre victoire. Pouvez-vous me garantir la victoire. Maître Yoda ?

Bail baissa les yeux sur la moquette. Jamais il n’avait entendu Palpatine réprimander ainsi Yoda. Fallait-il qu’il soit perturbé pour s’en prendre à son allié le plus important et le plus sûr dans leur combat désespéré pour la survie de la République. Fallait-il que la confiance qu’il avait en lui soit ébranlée…

Et la confiance qu’il avait en moi…

Yoda raffermit sa prise sur son bâton de gimer.

— Vu dans la Force l’issue de ces événements je n’ai pas. Chancelier Suprême. Mais la foi en notre capacité à l’emporter je garde.

— La foi, c’est très bien, Maître Yoda, dit Palpatine, intraitable, mais je ne peux pas l’agiter devant les droïdes-cams d’HoloNet pour calmer les citoyens affolés de la République. Pas plus que je ne peux l’exhiber devant le Sénat pour prouver que nous accomplissons bien notre travail. En conséquence, ma décision est prise : je veux que cette planète soit ôtée des mains des Séparatistes, quels que soient les moyens nécessaires pour y parvenir. Suis-je assez clair ?

Yoda hocha la tête.

— Oui, Chancelier Suprême.

— Quant à vous, Sénateur Organa, ajouta sèchement Palpatine, puis-je me fier à vous pour faire tout ce qui est nécessaire du point de vue de la sécurité afin qu’aucun autre monde ne subisse le même destin que Chandrila ?

— Oui, Chancelier Suprême, répondit-il. Nous n’aurons pas de repos tant que Lok Durd ne sera pas de nouveau entre les mains des autorités de la République et que cette arme biologique ne sera pas totalement détruite.

Palpatine pinça les lèvres.

— Je m’assurerai que vous respectiez ce serment, Sénateur. Et qu’en est-il de votre ami scientifique ? Le Dr Netzl ? Je suppose qu’il a eu le temps maintenant de concocter un antidote contre l’arme de Durd ?

— Je crains qu’il ne soit pas encore prêt, Chancelier Suprême.

— Pas encore, répéta Palpatine. Alors peut-être n’est-il pas l’homme de la situation ? Peut-être votre confiance en lui est-elle imméritée ? Il y a d’innombrables scientifiques dans notre grande République, Sénateur Organa. Et peut-être le temps est-il venu de…

— Pardonnez-moi, Chancelier Suprême, mais non, l’interrompit Bail, catégorique. Tryn Netzl est notre meilleur choix. Il est très proche du but maintenant. Il devrait parvenir très bientôt à ses fins.

Palpatine l’observa sévèrement.

— Êtes-vous d’accord avec le Sénateur, Maître Yoda ?

— D’accord je suis, dit Yoda. En le Dr Netzl je ressens une grande intégrité et un grand dévouement. Aucun repos il ne s’accordera tant que la solution il n’aura pas trouvé.

De façon presque imperceptible, Palpatine s’adoucit.

— Vous l’aimez bien.

— Sans importance sont mes sentiments, dit Yoda. Seul importe ce que je sais.

— Sincèrement, Chancelier Suprême, le Dr Netzl est le scientifique tout désigné pour cette tâche, ajouta Bail. Il sait que des millions d’êtres comptent sur le succès de ses recherches.

— Et je compte sur son succès, Sénateur, dit Palpatine. Dites-le-lui la prochaine fois que vous le verrez.

— Je n’y manquerai pas, monsieur.

Palpatine les considéra en silence, lui et Yoda. Tellement plus fatigués maintenant que le jour de son élection. Plus fatigués, plus tristes et plus anxieux, aussi. La guerre prélevait un lourd et douloureux tribut.

— Vous pensez que je suis dur, dit-il enfin. Vous pensez que je ne reconnais pas le mal que vous vous donnez tous les deux pour protéger notre précieuse République. Vous vous trompez. Mais vous avez sous-estimé cette situation dès le début, mes amis, et Chandrila en a payé le prix. Je doute qu’aucun de nous puisse se permettre une autre erreur de jugement. Maître Yoda… ?

Affaissé sur son bâton de gimer, accusant plus que jamais ses neuf cents ans d’âge, Yoda soupira.

— Réglée cette affaire sera. Sur cela ma parole de Jedi vous avez.

— Et je l’accepte, dit Palpatine. Je ne nie pas que vous m’avez déçu. Maître Yoda – mais je ne suis pas homme à garder rancune. Nous devons aller au-delà de ce faux pas malheureux et vers la victoire. Car la victoire est à mon sens plus proche que nous le pensons. En fait, je suis convaincu que le futur que je m’efforce avec opiniâtreté de construire verra le jour.

— Attristé je suis d’apprendre que déçu je vous ai, Chancelier Suprême, dit Yoda, la tête baissée.

— Je sais, répondit Palpatine. Et je sais aussi que cela ne se reproduira pas. En vérité, je ne crains qu’une chose… Dites-moi, Maître Yoda, si vous pensez pouvoir ramener Anakin sain et sauf ? J’avoue que l’idée de le perdre m’est totalement insupportable.

— La Force est avec lui, et avec Obi-Wan, dit Yoda après un long silence. Si à Coruscant ils sont destinés à revenir, alors ils reviendront.

Palpatine s’assit à son grand bureau poli.

— Et cela, je suppose, est ce que je peux espérer de mieux.

Brièvement, il pressa une main sur ses yeux.

— Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Vous avez beaucoup de choses à faire et… moi aussi.

Comme il raccompagnait Yoda au Temple en slalomant sur les voies encombrées de Coruscant, Bail osa une question personnelle :

— Vous vous sentez bien, Maître ?

— Cette attaque sur Chandrila… répondit le vieux Jedi à voix presque basse, en se frottant la tempe. Une grande perturbation dans la Force elle a créé. Beaucoup de peur, de douleur et de tristesse je ressens.

Il n’était pas le seul.

— Je savais que Palpatine serait bouleversé, mais je ne m’attendais pas à une telle agressivité de sa part. Et vous ?

— L’espoir de milliards de personnes il est devenu, répondit Yoda. Maintenant vers lui des milliards de regards se tourneront et se demanderont si bien investi leur espoir est.

Tel était le risque incontournable d’être un dirigeant populaire.

— Vous n’avez pas protesté quand il nous a reproché sa décision de s’en remettre uniquement à Obi-Wan et à Anakin.

Yoda eut un bref ricanement.

— Vous non plus.

— La politique ?

— La politique, acquiesça Yoda qui ricana de nouveau, Amateur de politique je ne suis pas.

Et des jours comme aujourd’hui, Maître Yoda, je ne le suis pas non plus.

Bail hésita.

— Je n’ai pas parlé à Tryn de l’attaque. L’avez-vous fait ?

— Non, dit Yoda. De cette attaque je ne lui ai rien dit. Mais l’en informer je peux, si le voir vous n’avez pas le temps.

— Si, je vais y aller, dit-il, se sentant mal à cette perspective. Je l’ai inclus dans mon programme. C’est le moins que je puisse faire.

Tassé au fond du siège du passager, Yoda esquissa une moue.

— Responsable de cette calamité vous n’êtes pas, Sénateur. De votre mieux vous avez fait à chaque étape. Exiger plus que cela personne ne peut. Ni Palpatine, ni moi, ni Obi-Wan Kenobi. Exiger davantage de vous-même vous ne devriez pas.

C’était un conseil avisé. Il déplorait toutefois que cela ne lui permette pas de mieux accepter les décisions qu’il avait prises. Ils arrivaient à présent aux abords du Temple Jedi, et il ralentit pour se glisser dans une voie déserte de Priorité Alpha. Les puces de sécurité bipèrent alors que les senseurs enregistraient leur changement de position.

— Vous savez, dit-il, presque pour lui-même, pas une seule fois, en grandissant, je n’ai imaginé qu’un jour viendrait où je tiendrais la vie d’hommes dans le creux de ma main. Où je pourrais dire à un Jedi : Allez risquer votre vie ici, et où il irait parce qu’il a confiance en moi. Nous avons été en paix pendant si longtemps… La guerre relevait de l’impensable. Et aujourd’hui, je ne peux penser à rien d’autre, Maître Yoda. J’ai vu des choses – et j’ai fait des choses – qui ont changé ma vie. Je ne suis plus l’homme que ma femme a épousé. L’homme qui est entré dans notre bâtiment du Sénat pour sa première séance.

Il dut se racler la gorge.

— J’ai peur.

— De quoi ? demanda Yoda avec une douceur inattendue alors que l’ombre de l’énorme Temple Jedi les engloutissait.

— D’oublier l’homme que j’étais. De devenir quelqu’un qui ne saura plus penser à autre chose qu’à la guerre.

Yoda secoua la tête.

— Redouter cela vous ne devriez pas, Sénateur. Perdu cet homme n’est pas. Ecarté, oui, pendant ces temps sombres. Mais perdu ? De vous aimer votre femme et vos amis qui vous connaissent n’ont pas cessé. Cet homme quitter le droit chemin ils ne laisseront pas.

Et le vieux Jedi soudain sourit.

— Et quitter le droit chemin je ne le laisserai pas. Car une grande estime j’ai pour ce Bail Organa-là.

Réduit au silence par cet aveu surprenant. Bail guida le speeder vers les étages supérieurs où se trouvait la plate-forme d’atterrissage privée de Yoda. Puis le Maître Jedi et lui entrèrent dans le Temple.

— Bientôt, en route pour Lanteeb un groupe de combat se mettra, dit Yoda. Dès que organisé avec le Commandement Stratégique de la GAR. Informé je vous tiendrai. Sénateur, de l’assaut sur la planète.

— Je vous en serai reconnaissant, Maître, dit-il en s’inclinant. Et naturellement, tout ce que les enquêtes de mes services secrets pourront découvrir vous sera immédiatement transmis.

Yoda s’éloigna pour vaquer à ses occupations urgentes, et Bail descendit jusqu’au laboratoire souterrain de Tryn.

— BAIL !

Tryn dansait presque dans son labo. Le scientifique avait abandonné sa blouse fétiche sur un tabouret, révélant une tenue vert fluo. Ses cheveux longs étaient grossièrement attachés avec un bout de ficelle et ses yeux étaient d’un bleu délavé – leur couleur naturelle. Il était clair que ses joues n’avaient pas vu de rasoir depuis plusieurs jours, et d’après son excitation désordonnée, Bail devina sans mal que le régime alimentaire de son ami avait dû consister en des litres de caf très costaud. Et à quand remontait la dernière fois où il s’était autorisé à dormir, ça…

— Bail, tu arrives pile-poil au bon moment ! annonça-t-il, la voix rauque de fatigue. Parce que ça y est, j’y suis. Enfin presque. J’ai identifié la séquence moléculaire manquante et repéré les propriétés essentielles exigées pour compléter l’antidote. Maintenant, tout ce qu’il me reste à faire, c’est identifier une source pour ces propriétés et…

Il recula. La lueur passionnée dans ses yeux s’éteignit et son enthousiasme avec.

— Bail ? Qu’y a-t-il ?

— Tryn…

Il ne voulait pas évoquer de nouveau l’horreur ni détruire le triomphe fragile de son ami. Il ne voulait pas être l’homme par qui le monde de Tryn allait s’effondrer.

Mais je suis cet homme. C’est mon rôle, maintenant. Pour faire mes omelettes, je casse les œufs des autres.

— Durd a utilisé son arme biologique sur Chandrila. Le bilan est estimé à une dizaine de milliers de victimes.

— Oh, fit Tryn, l’air ahuri. Oh.

C’était le moment où il était censé dire quelque chose d’encourageant, de réconfortant. Tu n’as rien à te reprocher, Tryn. Tu fais de ton mieux. Continue à travailler. Nous finirons par l’emporter. Mais les vieilles platitudes usées se coincèrent dans sa gorge. Et s’il comprenait que Tryn n’ait pas encore prononcé un mot, tout de même…

Et puis dans une explosion de rage incontrôlée, Tryn attrapa soudain un datapad sur la paillasse et le lança à travers le labo.

— Pourquoi est-ce que tu viens me dire ça, Bail ? hurla-t-il, hors de lui. Ça fait des jours que tu m’ignores, et tu descends me voir rien que pour m’annoncer que des milliers de personnes sont mortes ? Qu’est-ce que… Tu imaginais peut-être que j’avais besoin d’une petite dose supplémentaire de motivation ? Tu pensais que je ne prenais pas ce job suffisamment au sérieux ? Tu croyais me surprendre les doigts de pied en éventail, en train de siroter un cocktail avec un cigare au bec tout en planifiant mes prochaines vacances sur Umgul ?

Le lourd datapad avait percuté le mur et gisait à présent en miettes sur le sol de ferrobéton. Choqué, Bail releva les yeux de l’appareil bousillé vers son ami.

— Tryn… non… Bien sûr que ce n’est pas ce que je…

— Je n’avais pas besoin d’être au courant de cette attaque sur Chandrila !

Furibond, Tryn se mit à arpenter rageusement son labo.

— Stang, Bail, le boulot que tu m’as confié est déjà assez dur comme ça sans que tu fasses monter la pression !

Il se retourna brusquement, le souffle court, oppressé.

— Et comment est-ce que je vais pouvoir continuer à travailler, moi, hein ? Comment est-ce que je vais pouvoir m’acharner à jouer au scientifique qui accepte les limites de la science et ses tâtonnements vers la vérité, alors que maintenant, chaque fois que mes tentatives pour faire ce lien final et crucial échoueront, je t’entendrai m’annoncer que dix mille personnes sont mortes !

Bail sentait les battements de son cœur résonner dans chacun de ses os.

— Ça n’a jamais été mon intention, Tryn. Ce n’est pas pour cela que je te l’ai dit.

— Alors pourquoi, Bail. Pourquoi ?

— Parce que… Parce que j’ai pensé que tu voudrais le savoir.

— Eh bien, devine quoi, Organa ? cria Tryn. Tu t’es planté !

— Tryn, je suis désolé. Qu’est-ce que je peux faire pour réparer mon erreur ? Comment est-ce que je peux… ?

— Tu ne peux pas, cracha Tryn, s’appuyant contre une paillasse où une collection étonnante d’éprouvettes, de vases à bec, de tubes et de moniteurs bouillonnaient et bipaient calmement.

— Il n’y a rien que tu puisses faire, Bail, sauf… sortir d’ici. Alors pourquoi ne pas débarrasser le plancher le plus vite possible, hein ? Et ne m’appelle pas. Je t’appellerai.

Bail toussota pour éclaircir sa gorge nouée.

— D’accord. Sauf que… il y a encore une chose.

Tryn releva la tête, toujours furieux et hostile.

— Quoi ?

— Nous allons lancer un assaut sur Lanteeb. Nous reprenons la planète aux Séparatistes.

— Vraiment ? C’est super. Dommage que vous n’y ayez pas pensé avant que dix mille personnes y passent… n’est-ce pas ?

Et qu’était-il censé répondre à cela ? Rien. Aussi laissa-t-il Tryn à ses éprouvettes en prenant garde de refermer sans bruit la porte du laboratoire derrière lui.