ATTENTE

Pendant quelques secondes, c’est la stupeur muette. Les mots ont du mal à passer, à s’infiltrer dans les esprits, à y acquérir leur terrible signification. Et puis les questions fusent, ou même pas des questions, seulement des exclamations stupéfiées, incrédules, indignées. Ce n’est pas possible, c’est des conneries – on ne peut pas leur faire ça, pas à eux… pas à nous !

— Fermez vos gueules ! hurle Gary en bousculant ce qui fait rempart entre sa grande carcasse et son patron.

Il tente de lui arracher le combiné, mais Ponçon se tasse contre le pilier, l’écouteur à nouveau vissé à l’oreille. Là-haut, on lui parle.

— Je vous en prie… mesdames… messieurs… restons calmes, voyons, dit inutilement Boisgonthier.

— Écoutez… souffle Ponçon d’une voix plus que blanche, incolore, en tournant l’écouteur vers le groupe.

Dans l’écouteur, ça grésille. Cuccioli a dû plaquer son téléphone contre le diffuseur de son transistor. Au milieu des grésillements, une voix pressée se fait entendre.

— Selon les informations fragmentaires qui nous parviennent, il semblerait… ceci étant naturellement au conditionnel… que plusieurs impacts aient été enregistrés sur le territoire… On a même parlé de plusieurs dizaines d’impacts… Mais il est impossible de savoir pour l’instant avec précision quelles villes ou quelles régions ont été touchées… Attendez ! Nous recevons à l’instant… Oui ?… Comment ? J’entends mal… Ah ?… Une autre information à mettre au conditionnel : on parle maintenant des centrales nucléaires, oui, d’explosions dans au moins certaines centrales, comme Cruas et Creys-Malville… Se pourrait-il alors qu’il n’y ait pas eu véritablement d’actes de guerre comme on l’a cru en ces premières minutes de… Mais d’une série de… Al… Oui ? Oui ?

La voix s’éloigne, le reporter doit parler hors antenne. Les parasites crépitent, toutes les têtes sont collées les unes aux autres près de l’écouteur. Mais il ne diffuse plus rien. Si, d’autres voix à la limite de l’audible, celle des ouvriers de l’équipe, là-haut, près de la surface, des voix qui ne se décident pas à se rapprocher de toutes ces oreilles, des voix qui s’éteignent inexorablement, des voix que personne ne parvient plus à rattraper, même pas Germain Ponçon qui s’égosille.

— Cuccioli ! Cuccioli ! Répondez, voyons ! Cuccioli ! Qu’est-ce que vous foutez ? Cuccioli ! Répondez, merde ! Cuccioli ? Allô ? Allô ?

Le patron d’entreprise fait un geste qui exprime à la fois son angoisse et sa rage. Gary tape du pied, tandis que ses lèvres modèlent un juron inaudible et que sa Véronique s’accroche à son bras. Jean-Charles Boisgonthier rectifie une mèche sur sa tempe, Mme Ponçon a croisé ses mains sur sa poitrine menue, les deux journalistes se regardent dans les yeux ; ils pensent peut-être qu’ils viennent de plonger dans l’événement majeur qui peut décider de leur carrière, mais qu’ils ne peuvent rien faire, seulement essayer de garder la tête hors de l’eau.

— Cuccioli ! Allô, allô ! Cuccioli ! s’obstine Germain Ponçon.

Mais sa voix baisse d’intensité, ses « Cuccioli » ! et ses « allô » finissent sur des murmures. Il y a longtemps qu’il sent, qu’il sait que Cuccioli n’est plus à l’autre bout du fil. Cuccioli s’est sauvé, il s’est barré avec ses deux ouvriers, il est allé plonger la tête la première dans la fin du monde, là-bas hors de la grotte, là-bas à trois cents mètres au-dessus des profondeurs… Et ceux qui sont pendus aux lèvres de Ponçon le savent aussi bien que lui.

— Allô… fait encore le P.-D.G., mais si doucement que les deux syllabes meurent dans la tombe mouillée de sa bouche.

Il n’a plus qu’à laisser le combiné pendre au bout de son fil et se balancer un peu, à gauche, à droite, à gauche, à droite. Celui d’en haut fait sûrement pareil.

Germain Ponçon enlève son chapeau. Il a le front luisant. On découvre sa calvitie, qui le vieillit, lui donne un air encore plus égaré, pitoyable.

— Ils nous ont laissé tomber… ils nous ont laissé tomber, ces salopards… halète-t-il en sortant un mouchoir de sa poche et en n’arrêtant plus d’éponger son crâne.

— Bon… la situation est grave mais, après tout, nous ne savons pas exactement ce qui est arrivé, n’est-ce pas ? tente le maire adjoint. Ces informations paraissaient très incertaines. Il faut aller nous rendre compte par nous-mêmes. Nous nous faisons peut-être des idées sur ce qui a pu se passer. Allons… remontons !

Il a pris place sur la plate-forme. Il tend la main vers Germain Ponçon. Le patron de la SBTTP le regarde avec une drôle de lueur dans les yeux. Il continue de s’éponger le front. Il ne répond rien. C’est Gary qui le fait à sa place.

— Y a un petit détail qui cloche, dans votre plan. La benne, c’est de là-haut qu’elle se manœuvre. Si Cuccioli et les autres se sont tirés, nous, on est coincés ici.

Véronique Jeandrot s’est mise à pleurer. Ou plutôt à hoqueter en silence, les bras croisés sous ses gros seins que ses épaules tressautantes projettent de manière bandante contre la toile tendue de sa robe rouge. Mais personne n’a envie de bander, ni son amant qui marche de long en large en mâchant du chewing-gum (ça lui arrive), ni Germain Ponçon dont les précédents émois se sont transformés en glaçons dans toute sa moelle, et qui n’a rien su répondre à sa femme quand elle lui a dit :

— C’est vraiment une riche idée de ta part de m’avoir emmenée. Je te remercie…

Elle a parlé à voix basse, mais tout le monde a entendu. À cause des échos qui jouent à la balle avec le moindre murmure, tout le monde entend tout, les hoquets sec de Véronique, les « putain de putain » que Gary mâchonne en même temps que son chewing-gum, la discussion peu amène que poursuivent Gérard Lefrançois et Michel Suscillon. C’est bien sûr le journaliste qui a attaqué.

— Ben voilà… On y est jusqu’au cou, monsieur l’ingénieur. L’atome, c’est vraiment une belle invention…

— Vous croyez que c’est le moment d’entamer le débat ? Sincèrement ? D’abord, M. Boisgonthier a raison, personne ici ne peut savoir ce qui s’est passé exactement. Ensuite, il ne faut pas confondre l’atome civil et l’atome militaire…

— Ça, mon vieux, c’est un argument que j’entends depuis vingt ans. On sait bien que c’est le plutonium fabriqué dans les centrales civiles qui alimente les bombes des militaires…

— L’argument, justement, est un peu court…

— Et puis qu’est-ce qu’ils ont dit, à la radio ? Des centrales ont explosé, non ? Creys-Malville et son surgénérateur !

— Écoutez, il faut choisir ! C’est l’atome pacifique, ou l’atome militaire, que vous accusez ?

— Les deux, précisément. C’est à cause des deux que nous sommes ici. Et si ça se trouve, nous allons y rester !

— Messieurs… je vous en prie. Vous pensez que c’est le moment pour une discussion de ce genre ? Il y a des dames, ici, dont les nerfs ont été mis à rude épreuve. Il est nécessaire que tout le monde garde son sang-froid. Ce n’est naturellement pas la magistrat communal qui parle, seulement l’homme, le citoyen…

L’intervention de Boisgonthier coupe la chique au journaliste. Il contemple le petit bonhomme avec autant d’ahurissement qu’une poule qui a trouvé un rasoir électrique. Les nerfs à « rude épreuve », le « sang-froid à garder », le magistrat, l’homme et le citoyen, tout ça dans le même caleçon. Bon Dieu ! tous ces clichés ! C’est la fin du monde, c’est l’Apocalypse, et voilà que ce tocard parfumé comme une « dame » ne trouve rien de mieux que tartiner des clichés à la pelle. Lefrançois est sur le point de ricaner ouvertement, et puis au dernier moment quelque chose, il ne sait quoi, le retient. Il veut bien faire, ce type, après tout. Et en plus, il a raison. Est-ce que c’est le moment de s’engueuler ?

Le journaliste secoue la tête et s’excuse tout bas. Suscillon approuve. Éliane Ponçon en a profité pour s’approcher du trio. Elle tripote une de ses boucles d’oreille.

— Ce n’est de la faute à personne, vous savez, fait-elle d’une voix que le journaliste n’aurait pas imaginée si posée. Ou alors c’est la faute à tout le monde… Je veux dire : tous les humains. Alors…

Elle hausse les épaules, un mouvement charmant, qu’elle doit avoir dans les salons où l’on cause. Gérard Lefrançois a été surpris de sa réflexion. La faute aux humains. Est-ce que cette petite bourgeoise en aurait un peu plus dans la tête qu’il n’y paraîtrait ? Mais c’est le maire adjoint qui lui vole la parole qu’il était peut-être prêt à reprendre.

— Vous avez tout à fait raison, madame Ponçon. Il faut garder notre calme. Et puis, pensez à une chose… Si votre mari ne vous avait pas emmenée avec lui, vous seriez sans doute morte, à l’heure qu’il est. Je veux dire…

Le petit homme parfumé se tait, incertain, pensant probablement qu’il est allé trop loin, que ce mot terrible, morte, n’aurait pas dû sortir de ses lèvres. Morte. C’est qu’il a résonné loin dans la caverne, ce mot. C’est qu’il a pénétré dans toutes oreilles, dans tous les esprits. Et combien de fantômes n’a-t-il pas fait lever ? Le mot a figé les hoquets de Véronique, stoppé les pas nerveux de Gary. Et le silence s’installe dans la caverne.

Ils sont tous assis, par deux, chacun ayant cru trouver dans la proximité d’un de ses semblables un peu de réconfort. Mais les couples ainsi formés, bizarrement ou pas, ne sont pas ceux que la logique aurait réclamés. Germain Ponçon est à côté de Gary, ils sont presque dos à dos, contre un pilier que le ruissellement figé du calcaire fait ressembler à une bougie qui n’en finirait plus de couler. Le P.-D.G. fume une cigarette sur l’autre, il a remis son feutre, a fermé jusqu’au menton son blouson de cuir. Il ne fait pas chaud, là-dedans. Gary a cessé de mâcher, il se ronge les ongles et se gratte le nez, il a tout à fait l’air d’un acteur de cinéma, précisément d’un comédien style actor’s studio, qui en fait des tonnes pour bien montrer son angoisse.

La femme du P.-D.G. s’est assise contre une paroi, après avoir pris la précaution d’étaler son imper sous ses petites fesses. Elle est blême sous ses fards, elle paraît avoir sacrément froid. C’est Véronique qui s’est installée près d’elle, tout près, les deux femmes ensemble, solidarité du sexe dit faible. Véronique aussi s’est mise à fumer, des Pall Mall à filtre, dont elle ne tire qu’une bouffée lasse de temps à autre. Le petit magistrat est en face d’eux contre un bec monolithique, un os de seiche grand comme une proue de navire. Lui s’est collé avec Luc Lagardère. Il lui parle par phrases brèves, à l’oreille, des phrases qui ne se répandent dans la caverne que sous la taie d’un chuchotis suintant. Lagardère ne répond rien, parfois sa bouche aux dents irrégulières bâille sur un sourire sarcastique.

Mais le comble de ces îlotages humains, c’est bien sûr Gérard Lefrançois. Parce que l’atomiste, le nucléocrate, l’ineffable Suscillon, s’est coincé à côté de lui ! Il ne manquait plus que ça. Et lui aussi a commencé à fumer. Des gauloises toutes connes. Trois fumeurs sur huit, c’est sûrement moins que la moyenne nationale, quand même. Suscillon tire sur sa tige, l’odeur monte, chatouille les narines de Lefrançois, agréablement. Agréablement ? Ben oui : pour un peu il se mettrait à saliver, à réclamer sa part. Quand il était plus jeune il fumait, mais ses convictions écolos, aidées par la peur du cancer, l’ont fait cesser, grâce à l’acupuncture.

— Tu en veux une ? murmure l’ingénieur.

Lefrançois sursaute. L’autre l’a pris en traître. Il a failli répondre oui, sans réfléchir. Il s’est retenu à temps. En plus, Suscillon s’est permis de le tutoyer. Ils n’ont pas gardé les neutrons ensemble, à ce qu’il sait ! Il a envie de le rembarrer. Mais, dans la pauvre lumière de soufre, le visage de l’ingénieur est neutre, amical même. Il sourit, les verres de ses lunettes reflètent en double la lune jaune de l’ampoule la plus proche. Le journaliste se contente de soupirer.

— Laisse tomber… J’ai arrêté depuis des années, j’aime mieux pas recommencer.

— Oui, je comprends. Ça me fait penser à l’histoire du condamné à mort qui refuse son verre de rhum parce qu’il craint la cirrhose…

— Tu te crois drôle ? jette Lefrançois tout haut.

Mais il ne peut s’empêcher de sourire à son tour.

Pourtant l’ébauche de conversation cesse, par épuisement réciproque des deux combattants. C’est la voix de Gary qui, un peu plus tard, rompt le silence.

— J’vais pisser, moi !

Personne ne bronche à l’énoncé de cette information vitale, mais personne non plus ne peut se retenir de suivre des yeux la haute silhouette en battle-dress qui s’éloigne dans la forêt de stalagmites. Personne ne peut s’empêcher d’écouter attentivement le bruit de rigole, au loin dans l’ombre.

— J’y vais aussi… fait Boisgonthier avec un petit rire contrit, alors que Gary est de retour, jouant avec ses fermetures Éclair. Cette sacrée vessie, vous savez, ajoute-t-il dans la maussaderie générale.

Glou-glou-glou, le petit homme.

Ensuite c’est le tour de Véronique, qui se lève sans rien dire. Elle ne va pas loin, le bruit du jet sur le sol calcaire est très perceptible. Gérard Lefrançois imagine la grosse fille accroupie, la robe rouge relevée sur les fesses, la culotte tirée à mi-cuisses, la cascade jaune perlant sous la motte sûrement touffue. Il imagine, mais ça ne lui fait aucun effet particulier, il n’a pas la tête à ça, pas à autre chose surtout. Véronique revient, les yeux baissés. Les ampoules clignotent toutes en même temps, des regards anxieux se tournent vers les piteuses étoiles de verre qui ont repris leur densité normale. Véronique s’est rassise, Éliane Ponçon lui chuchote une phrase brève à l’oreille. En même temps elle lance un long regard à son mari, mais lui ne la regarde pas, lui, il fume. Elle se lève, elle marche dignement vers le fond de la grotte, en regardant encore le P.-D.G., toujours absent derrière son rideau de fumée.

— C’est comme à l’armée, tous les uns après les autres ! souffle Suscillon, décidément en grande forme pour la bulle.

Les lampes clignotent encore. Lagardère lance un « Hooo ! » agacé. Mme Ponçon a disparu derrière les colonnes. Cette fois les ampoules ne reprennent pas leur intensité habituelle, elles restent orangées, assourdies. Les sept prisonniers de la caverne les fixent de toutes leurs prunelles, comme s’ils imaginaient pouvoir retenir de leur seul regard cette lumière qui fout le camp. Parce qu’elle fout le camp : les ampoules tressautent, charbonnent, rougissent, s’assombrissent. Un dernier clignotement, et elles s’éteignent, toutes ensemble.

Un cri retentit quelque part, démultiplié par les échos. Éliane Ponçon, isolée par la nuit.

Le cri s’étouffe sur un hoquet. C’est le noir. C’est la nuit.

Ici, là, des allumettes flamboient, les fumeurs. Dans les cercles fluctuants des briquets et des allumettes, de hagardes têtes rouges surgissent de l’obscurité, comme détachées de leur corps, puis retournent au néant quand une flamme d’allumette a atteint un index.

— Je suis perdue… Au secours ! calme Éliane Ponçon.

— Mais non, mais non ! Vous devez bien voir nos lumières… chevrote vaillamment le maire adjoint.

Elle doit finir par les apercevoir car elle ne tarde pas à débouler à pas de souris, trébuchant sur ses talons trop hauts. Gérard Lefrançois la voit courir vers son mari, hésiter, ralentir, s’immobiliser tête basse à quelques mètres du P.-D.G. qui lui tourne carrément le dos. Un gentil petit couple, pense le journaliste qui dit tout haut :

— On peut savoir ce qui nous arrive encore, cette fois ?

— Le groupe électrogène… se décide à répondre Ponçon. Il fonctionne au fuel, naturellement ! Et comme ces salopards ont foutu le camp, le moteur n’est plus alimenté…

— Ça veut dire qu’on va rester dans le noir ? fait une toute petite voix, celle de Véronique.

Dans un flamboiement furtif, son visage de belle fille sans problème paraît décomposé. Les autres la voient s’accrocher au bras de son mec, dont la bouche tombe vilainement.

— Nous avons du feu… tente Boisgonthier. Il faut…

— Il faut le ménager, coupe Suscillon. Nous possédons quoi ? Deux ou trois briquets, deux ou trois boîtes d’allumettes. Ça ne va pas durer éternellement…

Comme pour le contredire, le chef de chantier fait fuser de son briquet à gaz une longue flamme violette. Il regarde l’ingénieur méchamment, la lippe plissée. Véronique est collée contre lui des pieds à la tête, à croire qu’elle voudrait mêler ses atomes à ceux de Gary.

— Et nous, on va durer éternellement ?

Personne ne relève la réflexion. Gary hausse les épaules, finit par lâcher la molette du briquet, qui ravale sa flamme. L’obscurité retombe, percée par deux minuscules points rouges, les cigarettes que fument Ponçon et Suscillon. Gérard Lefrançois a quand même eu le temps de regarder sa montre avant que la dernière flamme ne s’étouffe. Midi, presque juste. Incroyable ! Ça fait pas plus de deux heures qu’ils marinent dans ce trou. Pas plus de deux heures, et il lui semble qu’il y a déjà des jours qu’ils sont au fond. Ou des siècles. Des siècles ? Éternellement, ont prononcé Suscillon et Gary. Mais l’éternité sera courte, pour eux. Quelques jours, et puis la soif, ou la folie… Le journaliste se secoue, au moins mentalement. Allons ! Il ne s’agit pas de paniquer. D’ailleurs il lui semble qu’il ne fait plus si sombre, dans cette foutue grotte. Pourtant personne n’a rallumé un éphémère luminaire. Et puis la lueur indécise qui nimbe faiblement la grotte a la couleur du lait qui se répand sur du goudron.

Le journaliste lève la tête, avance de quelques pas. Les autres ont fait comme lui. Ils sont tous à nouveau au coude à coude, la caverne s’emplit de respirations lourdes. Elle vient de là-haut, bien sûr, la lueur. Les yeux se sont accoutumés à l’obscurité, ils ont maintenant l’acuité nécessaire pour percevoir la pénombre blanche, le fantôme de lumière qui vient de l’ouverture du puits. Eh oui, là-haut, là-haut, immensément loin, à trois cents mètres, on peut apercevoir une flaque de clarté inaccessible. Trois cents mètres ! La tour Eiffel ? La lune, oui, la galaxie la plus lointaine dans l’univers infini.

— Putain de merde… souffle une voix que personne ne cherche à identifier.

Et personne n’ajoute mot. Cette flaque de lumière, là-haut, ce symbole, cette abstraction, a fait toucher du doigt à tous, plus que tout ce qui a précédé, leur terrible isolement, leur emprisonnement sans espoir. Ils savent qu’ils n’ont plus qu’à attendre. Ils savent aussi que l’attente sera longue et, pire, qu’elle n’a pas de but.