- Màme ainsi, c'Çtait nÇcessaire, ami Giskard.

- Mais le risque de lui nuire n'Çtait pas nÇgligeable, en l'occurrence. Si tu

imagines une force antagoniste comme une mince corde Çlastique - l'image est bien pauvre, mais je n'en vois pas d'autre car ce que je perçois dans un esprit est sans analogie avec quoi que ce soit d'extÇrieur Ö l'esprit -, les inhibitions ordinaires auxquelles je me trouve confrontÇ

sont si minces et si peu substantielles qu'elles disparaissent Ö mon contact. En revanche, une solide force antagoniste claque, se brise et provoque un recul en se rompant.

Et le recul risque alors

d'en briser d'autres sans aucune commune mesure avec les forces antagonistes. Ou encore, en frappant d'autres forces comme un fouet et en s'y enroulant, elle peut considÇrablement les renforcer. Dans les deux cas peuvent se produire des changements

involontaires dans les Çmotions d'un àtre humain et dans ses attitudes et cela risque fort d'entraåner de graves ennuis.

- As-tu l'impression d'avoir fait du mal Ö

Mme Gladia, ami Giskard? demanda Daneel un peu plus fort.

- Je ne le pense pas. Je me suis montrÇ träs prudent. J'ai agi pendant tout le temps que tu lui parlais. J'ai bien pris soin de te faire supporter le poids de la conversation et j'ai couru le risque d'àtre pris entre une vÇritÇ gànante et une contrevÇritÇ. Mais malgrÇ

toutes

mes prÇcautions, ami

Daneel, j'ai pris un risque et je suis conscient d'avoir souhaitÇ prendre ce risque. J'en suis arrivÇ

si präs de violer la Premiäre Loi qu'il m'a fallu un effort extraordinaire pour y parvenir. Je suis sñr que je n'aurais pu le faire...

- Oui, ami Giskard?

159

- Si tu n'avais pas exposÇ ta notion de la Loi ZÇro.

- Tu l'acceptes donc?

- Non, je ne peux pas. Et toi? ConfrontÇ au risque de nuire Ö un individu ou de permettre qu'on lui nuise, pourrais-tu nuire ou laisser nuire au nom d'une humanitÇ abstraite? RÇflÇchis!

- Je n'en suis pas certain, dit Daneel dont la voix trembla dans le silence. ( Apräs un effort, il ajouta : ) Je le pourrais peut-àtre. Le seul concept m'y pousse... et toi aussi. Il t'a aidÇ Ö prendre le risque d'intervenir sur l'esprit de Mme Gladia.

- En effet, convint Giskard. Et plus nous pensons Ö la Loi ZÇro, plus cela peut nous aider. Mais je me demande si cela pourrait aller au delÖ d'un cas unique et exceptionnel. Cela ne nous permettrait-il pas seulement de prendre des risques Ö peine un peu plus grands que d'ordinaire?

- Oui, je suis convaincu de la justesse de la Loi ZÇro, ami Giskard.

- Je pourrais Çgalement en àtre convaincu si nous parvenions Ö dÇfinir ce qu'on entend par Æ humanitÇ Ø.

Apräs un instant, Daneel demanda

- N'as-tu pas admis la Loi ZÇro, au moins, lorsque tu as arràtÇ les robots de Mme Vasilia et effacÇ de son esprit la connaissance de tes pouvoirs mentaux?

- Non, ami Daneel. Pas vraiment. J'ai ÇtÇ tentÇ de l'accepter, mais pas vraiment.

- Cependant, ce que tu as fait...

- M'a ÇtÇ dictÇ par divers motifs. Tu m'as parlÇ

de ton concept de la Loi ZÇro et j'y ai trouvÇ une certaine justesse mais insuffisante pour neutraliser la Premiäre Loi ou màme l'usage abusif que faisait Mme Vasilia de la Deuxiäme dans les ordres qu'elle a donnÇs. Ensuite, lorsque tu as appelÇ mon attention 160

sur l'application de la Loi ZÇro Ö la psychohistoire, j'ai senti s'Çlever ma tension positronomotrice, mais pas assez cependant pour faire fi de la Premiäre Loi ou màme de la Deuxiäme Loi interprÇtÇe abusivement.

- Cependant, tu as terrassÇ Mme Vasilia, ami Giskard.

- Lorsqu'elle a ordonnÇ aux robots de te dÇmanteler, ami Daneel, et qu'elle a

clairement manifestÇ

du plaisir Ö cette idÇe, la situation critique dans laquelle tu te trouvais, ajoutÇe Ö ce que le concept de Loi ZÇro avait dÇjÖ fait, l'ont emportÇ sur la Deuxiäme Loi et se sont opposÇs Ö la Premiäre. Ce fut la combinaison de la Loi ZÇro, de la psychohistoire, de ma loyautÇ

envers

Mme Gladia et de la

situation critique dans laquelle tu te trouvais qui ont dictÇ mon action.

- Le fait que je me trouve dans une situation critique ne pouvait tellement te toucher, ami Giskard. Je ne suis qu'un robot, et bien que

cette situation eñt pu m'affecter du fait de la Troisiäme Loi, elle ne pouvait

t'affecter. Tu as dÇtruit

sans hÇsitation le rÇgisseur sur Solaria; tu aurais assistÇ Ö ma destruction sans àtre poussÇ Ö intervenir.

- Oui, ami Daneel, c'est ce qui aurait pu se passer, normalement. Mais lorsque tu as parlÇ de la Loi ZÇro, la force de la Premiäre Loi s'est trouvÇe anormalement diminuÇe. La nÇcessitÇ de te sauver a ÇtÇ suffisante pour faire disparaåtre ce qui pouvait en rester et... j'ai agi comme je l'ai fait.

- Non, ami Giskard. La pensÇe de la destruction d'un robot n'aurait pas dñ te toucher le moins du monde. En aucun cas elle n'aurait dñ contribuer Ö

passer avant la Premiäre Loi, si faible fñt-elle devenue!

C'est bien Çtrange, ami Daneel. Je ne sais comment 161

cela est arrivÇ. Peut-àtre parce que j'ai remarquÇ que tu continuais Ö

penser de plus en plus

comme un humain, mais...

- Oui, ami Giskard?

- Au moment oî les robots se sont avancÇs vers toi et oî Mme Vasilia a exprimÇ son dÇsir sauvage, mon circuit positronique s'est anormalement modifiÇ. Un instant, j'ai pensÇ

Ö

toi... comme Ö un àtre humain... et j'ai rÇagi en consÇquence.

- Tu as eu tort.

- Je le sais. Et cependant... cependant, si cela devait se reproduire, je crois que se reproduirait aussi le màme changement anormal.

- C'est curieux, mais Ö t'entendre exposer ainsi la situation, j'ai le sentiment que tu as bien fait. Dans le cas d'une situation inverse, j'en arrive presque Ö

penser que moi aussi je... je ferais de màme... que je penserais Ö toi comme Ö... Ö un àtre humain.

Lentement, avec hÇsitation, Daneel tendit sa main et Giskard la regarda, hÇsitant lui aussi. Puis, träs doucement, il tendit la sienne. Les doigts se touchaient presque et alors, peu

Ö peu, chacun prit la

main de l'autre et la serra - presque comme s'ils Çtaient des amis, ainsi qu'ils s'appelaient.

CHAPITRE

Gladia regarda autour d'elle, dissimulant sa curiositÇ. Elle se trouvait dans

la cabine de D.G. pour la

premiäre fois, une cabine manifestement plus

luxueuse que la nouvelle cabine conçue pour elle.

Celle de D.G. possÇdait un Çcran d'observation beaucoup plus ÇlaborÇ et une console complexe de lumiäres et de boutons qui, pensa-t-elle, permettaient Ö D.G. de demeurer en

contact avec le reste du vaisseau, màme ici.

162

- Je ne vous ai pas beaucoup vu depuis que nous avons quittÇ Aurora, D.G., dit-elle.

- Je suis flattÇ que vous l'ayez remarquÇ, rÇpondit D.G. avec un sourire.

Et,

Ö vrai dire, Gladia, j'en

ai eu moi-màme conscience. Avec un Çquipage

exclusivement masculin, cela saute aux yeux.

- La raison n'est pas particuliärement flatteuse.

Avec un Çquipage exclusivement humain, j'imagine que la diffÇrence entre Giskard et Daneel saute Çgalement aux yeux. Est-ce qu'ils vous ont manquÇ

autant que je vous ai manquÇ?

- En fait, rÇpondit D.G. en regardant autour de lui, ils me manquent si peu que c'est seulement maintenant que je me rends compte de leur absence. Oî sont-ils?

- Dans ma cabine. Il m'a semblÇ idiot de les traåner avec moi dans l'espace confinÇ de ce vaisseau. Ils ont paru admettre

que je sois seule, ce qui

m'a surprise... Non, rectifia-t-elle, j'ai dñ leur ordonner plutìt vivement de

demeurer Ö l'Çcart avant

qu'ils y consentent.

- N'est-ce pas plutìt bizarre? On ne voit jamais les Aurorains sans leurs robots, ai-je cru comprendre.

- Et alors? Une fois, il y a bien longtemps, lors de mon arrivÇe sur Aurora, j'ai dñ apprendre Ö supporter la prÇsence effective d'àtres humains, ce Ö quoi

ne m'avait guäre prÇparÇe mon Çducation solarienne. Il me sera probablement moins difficile d'apprendre Ö me passer de mes robots, Ö l'occasion, alors que

je me trouve parmi des Coloniens.

- Bien. Träs bien. Je dois admettre que je vous prÇfäre sans les yeux brillants de Giskard fixÇs sur moi... et plus encore sans le petit sourire de Daneel.

Il ne sourit pas.

163

- Pour moi, on dirait qu'il arbore un petit sourire entendu et lubrique.

Vous àtes fou. Daneel ignore totalement cela.

Vous ne le regardez pas comme moi. Sa prÇsence est träs gànante. Elle m'oblige

Ö me surveiller.

- Mais, je l'espäre bien!

- Inutile de l'espÇrer avec tant d'insistance. Mais, peu importe... je voudrais m'excuser de vous avoir si peu vue depuis notre dÇpart d'Aurora.

- C'est tout Ö fait inutile.

- Je pensais qu'il Çtait de mon devoir de le faire, puisque vous en avez parlÇ. Mais laissez-moi tout de meme vous expliquer. Nous sommes sur le pied de guerre. Nous Çtions certains, compte tenu des conditions de notre dÇpart, que des vaisseaux aurorains allaient nous poursuivre.

- J'aurais cru qu'ils seraient heureux d'àtre dÇbarrassÇs d'une bande de Coloniens.

- Bien sñr, mais vous n'àtes pas colonienne et c'est peut-àtre vous qu'ils veulent. Ils ont suffisamment montrÇ leur impatience de vous voir revenir de Baleyworld.

- Ils m'ont rÇcupÇrÇe. J'ai fait mon rapport, un point c'est tout.

- Ils ne souhaitaient rien de plus que votre rapport?

- Non.

Gladia demeura un instant silencieuse, fronçant les sourcils comme si quelque chose s'agitait vaguement dans sa mÇmoire.

quoi

que ce fñt, cela disparut et elle rÇpÇta, indiffÇrente

- Non.

- C'est assez curieux, dit D.G. avec un haussement d'Çpaules, mais ils n'ont

pas tentÇ de nous arràter alors que nous nous trouvions sur Aurora, vous et moi. Pas plus qu'ensuite lorsque nous sommes 164

montÇs Ö bord et que nous nous appràtions Ö

quitter l'orbite. Je ne m'en plaindrai pas. Nous n'allons pas tarder Ö faire le Bond, maintenant... et apräs cela, rien ne devrait plus nous inquiÇter.

- Au fait, pourquoi avez-vous un Çquipage entiärement masculin? Les vaisseaux

aurorains ont toujours des Çquipages mixtes.

- Tout comme les vaisseaux coloniens. Les vaisseaux coloniens ordinaires.

Celui-ci est un vaisseau commercien.

- qu'est-ce que cela change?

- qui dit commerce dit danger. C'est une vie Plutìt fruste. Nous aurions des ennuis avec des femmes Ö bord.

- C'est stupide! quels ennuis?

- Je ne tiens pas Ö en discuter. En outre, c'est la tradition. Les hommes ne le tolÇreraient pas.

- qu'en savez-vous? demanda Gladia en riant.

Avez-vous jamais essayÇ?

- Non. Mais d'un autre cìtÇ les femmes ne se bousculent pas pour revendiquer une couchette Ö

bord de mon vaisseau.

- J'y suis bien, moi. Et cela me plaåt.

- Vous jouissez d'un statut particulier... et si ce n'Çtait ce que vous avez fait sur Solaria, nous aurions bien pu avoir pas mal d'ennuis. En fait, nous en avons eu. Mais peu importe. ( Il appuya sur l'un des boutons de la console et un compte Ö

rebours apparut fugitivement. ) Nous allons faire le Bond dans deux minutes exactement. Vous n'àtes jamais allÇe sur la Terre, n'est-ce pas, Gladia?

- Non, bien sñr.

- Et vous n'avez jamais vu le Soleil, non pas simplement un soleil.

- Non... bien que je l'aie vu dans des dramatiques historiques Ö l'hyper-vision, mais j'imagine que ce 165

qu'ils montrent dans les dramatiques n'est pas vraiment le Soleil.

- Je suis certain que non. Si vous voulez bien, nous allons baisser les lumiäres de la cabine.

Ils baissärent presque complätement les lumiäres et Gladia put distinguer le champ stellaire sur l'Çcran, avec des Çtoiles plus brillantes et plus denses que dans le ciel d'Aurora.

- Est-ce une vue tÇlescopique? demanda-t-elle Ö voix basse.

- A peine. Puissance rÇduite... quinze secondes.

Il compta Ö rebours. Un changement se produisit dans le champ stellaire et une Çtoile particuliärement brillante apparut presque au centre. D.G.

appuya sur un autre bouton et dit :

- Nous sommes bien Ö l'extÇrieur du plan planÇtaire. Parfait! Un peu risquÇ.

Nous aurions dñ nous

trouver plus loin de l'Çtoile auroraine avant le Bond, mais nous Çtions quelque peu pressÇs... VoilÖ le Soleil.

- Vous voulez dire cette Çtoile brillante?

- Oui... qu'est-ce que vous en pensez?

- Elle est träs brillante, observa Gladia, se demandant quel genre de rÇponse il pouvait bien attendre.

Il appuya sur un autre bouton et l'image se fit nettement plus sombre.

- Oui... et cela n'arrangera pas vos yeux si vous le fixez. Mais ce n'est pas l'Çclat qui compte. Ce n'est qu'une Çtoile - apparemment - mais rÇflÇchissez.

C'Çtait le Soleil originel, l'Çtoile dont la lumiäre tombait sur une planäte qui Çtait la seule planäte oî

existaient des àtres humains. Il a brillÇ sur une planäte oî les àtres humains Çvoluaient lentement, sur une planäte oî la vie est nÇe il y a des milliards d'annÇes, une vie qui allait se dÇvelopper pour donner des àtres humains.

Il

existe trois cents milliards

166

d'Çtoiles dans la Galaxie et cent milliards de Galaxies dans l'Univers et une seule parmi toutes ces Çtoiles a prÇsidÇ Ö la naissance de l'homme et c'est lÖ cette Çtoile.

Gladia allait faire observer : Æ Ma foi, il en fallait bien une Ø, mais elle prÇfÇra dire, sans grande conviction :

- Träs impressionnant.

- Ce n'est pas seulement impressionnant, corrigea D.G. Il n'est pas un seul

Colonien dans la galaxie qui ne considäre cette Çtoile comme la sienne. Le rayonnement des Çtoiles qui brillent sur nos diverses planätes est un rayonnement empruntÇ, un rayonnement qui ne nous

appartient pas.

C'est lÖ - exactement lÖ - que se trouve le rayonnement qui nous a donnÇ la vie

C'est cette Çtoile, et la planäte qui tourne autour - la Terre - qui nous lient

tous d'un lien solide. Si nous n'avions rien d'autre en commun, nous aurions cette lumiäre, lÖ sur l'Çcran, et cela suffirait... Vous, les Spatiens, vous l'avez oubliÇe et c'est Pourquoi vous vous sÇparez les uns des autres et c'est pourquoi, au bout du compte, vous ne survivrez pas.

- Il y a de la place pour nous tous, commandant, souffla doucement Gladia.

- Oui, bien sñr. Je ne ferais rien qui pousse les Spatiens Ö ne pas survivre. Je crois seulement que c'est ce qui va se produire et qui ne se produirait pas si les Spatiens renonçaient Ö leur irritant complexe de supÇrioritÇ, Ö

leurs robots et Ö leur longue vie Çgocentrique.

- C'est ainsi que vous me considÇrez?

- Parfois. Mais vous avez fait des progräs, je le reconnais.

- Merci, rÇpondit-elle avec une Çvidente ironie.

Et, bien que vous ayez peut-àtre du mal Ö le croire, les Coloniens ont eux aussi leur orgueilleuse arrogance.

167

Mais vous avez Çgalement fait des progräs et je le reconnais.

- Avec toutes mes amabilitÇs et les vìtres, dit D.G. en riant, cela pourrait bien finir par une Çternelle inimitiÇ.

- Difficilement, dit Gladia, riant Ö son tour.

Elle fut un peu surprise de voir la main de D.G.

sur la sienne... et plus surprise encore de voir qu'elle n'avait pas retirÇ sa main.

CHAPITRE

- Je suis ennuyÇ, ami Giskard, que Mme Gladia ne se trouve pas sous notre surveillance directe, dit Daneel.

- Ce n'est pas indispensable Ö bord de ce vaisseau, ami Daneel. Je ne dÇcäle

aucune Çmotion dangereuse et le commandant se trouve avec elle en ce moment... En outre, il serait intÇressant qu'elle trouve agrÇable de se passer de nous, du moins de temps Ö autre, lorsque nous serons sur la Terre. Il est possible que toi et moi devions intervenir Ö

l'improviste sans que sa prÇsence et la nÇcessitÇ

d'assurer sa sÇcuritÇ viennent compliquer les choses.

- Tu as donc influÇ pour qu'elle se passe de nous?

- A peine. Bizarrement, j'ai trouvÇ en elle une forte tendance Ö imiter la façon de vivre des Coloniens. Il y a en elle, sous-jacent, un vif dÇsir d'indÇpendance, seulement tempÇrÇ par le sentiment

qu'elle violerait l'esprit spatien en agissant ainsi. Je ne peux dÇcrire ce sentiment mieux que cela. Il n'est pas facile d'interprÇter ce genre de sensations et de sentiments car jamais encore je ne les ai rencontrÇs chez des Spatiens. Je me suis donc 168

bornÇ Ö relÉcher l'inhibition spatienne par une träs lÇgäre impulsion.

- Dans ces conditions, est-ce qu'elle va souhaiter se passer de nos services, ami Giskard? Cela m'ennuierait beaucoup.

- Ce ne devrait pas àtre le cas. Si elle dÇcide qu'elle souhaite vivre une vie exempte de robots et qu'elle doive en àtre plus heureuse, c'est ce que nous devons Çgalement souhaiter pour elle. Mais, en l'Çtat actuel des choses, je suis sñr que nous lui serons encore utiles. Ce vaisseau est un lieu confinÇ

et particulier oî n'existe pas grand danger. En outre, son sentiment de sÇcuritÇ s'accroåt en prÇsence du commandant et limite

le besoin de notre prÇsence. Sur la Terre, elle aura encore besoin de nous, mais beaucoup moins, je le crois, que sur Aurora... Comme je l'ai dit, nous souhaiterons peutetre disposer d'une plus grande libertÇ d'action, une fois sur la Terre.

- Peux-tu donc dÇjÖ deviner la nature de la crise que va rencontrer la Terre? Sais-tu ce que nous aurons Ö faire?

- Non, ami Daneel. Je l'ignore. C'est toi qui as le don de comprendre. Peut-àtre vois-tu quelque chose?

Daneel demeura un instant silencieux puis rÇpondit :

- J'ai rÇflÇchi.

- quelles sont donc tes conclusions?

- Tu te souviens m'avoir dit, Ö l'Institut de Robotique, juste avant que Mme

Vasilia entre dans la

piäce oî dormait Mme Gladia, que tu avais notÇ

chez le Dr Amadiro deux intenses Çclairs d'anxiÇtÇ.

Le premier est apparu Ö la mention de l'intensificateur nuclÇaire, le second

lorsque Mme Gladia a

annoncÇ qu'elle se rendait sur la Terre. Il me semble que les deux doivent àtre liÇs. J'ai l'impression 169

que la crise qui nous occupe implique l'utilisation d'un intensificateur nuclÇaire sur la Terre, que

nous avons le temps d'arràter cela et que le Dr Amadiro craint prÇcisÇment que

nous y parvenions si nous allons sur la Terre.

- Ton esprit me dit que cette idÇe ne te satisfait pas. Pourquoi cela, ami Daneel?

- Un intensificateur nuclÇaire accÇläre le processus de fusion existant, au

moyen d'un flux de particules W. Je me suis donc demandÇ si le Dr Amadiro ne

projetait pas d'utiliser un ou plusieurs

intensificateurs nuclÇaires pour faire exploser les rÇacteurs de microfusion qui fournissent Ö la Terre son Çnergie. Les explosions nuclÇaires ainsi provoquÇes entraåneraient la destruction par la chaleur et

la force mÇcanique, par la poussiäre et autres produits radioactifs qui seraient projetÇs dans l'atmosphäre. Màme si cela est

insuffisant pour endommager mortellement la Terre, la destruction de ses sources d'Çnergie conduirait certainement, Ö long terme, Ö l'effondrement de la civilisation terrienne.

- VoilÖ une idÇe terrifiante, dit Giskard sombrement, qui apparaåt comme une

rÇponse quasi certaine Ö la question que nous nous posons quant Ö la nature de la crise. Pourquoi donc ne te satisfait-elle pas?

- J'ai pris la libertÇ d'utiliser l'ordinateur du bord pour obtenir des informations concernant la planäte Terre. L'ordinateur est,

comme on peut s'y attendre Ö bord d'un vaisseau colonien, riche en informations de cette nature. Il semble que la Terre soit le seul monde humain Ö ne pas utiliser de rÇacteurs Ö microfusion comme sources d'Çnergie Ö

grande Çchelle. Elle utilise presque exclusivement l'Çnergie solaire, grÉce Ö des centrales solaires disposÇes tout le long d'une

orbite gÇostationnaire. Un

170

intensificateur ne pourrait pas faire grand mal sinon dÇtruire de petits engins ou de petites installations: vaisseaux de guerre, bÉtiments. Les dommages, sans àtre certes nÇgligeables, ne menaceraient

pas l'existence de la Terre.

- Dans ce cas, ami Daneel, le Dr Amadiro possäde peut-àtre quelque engin susceptible de dÇtruire les gÇnÇrateurs solaires?

- Pourquoi, alors, a-t-il rÇagi Ö la mention des intensificateurs nuclÇaires? On ne peut en aucun cas les utiliser contre des gÇnÇrateurs solaires.

- VoilÖ un point important, constata Giskard en hochant lentement la tàte. Et, autre point important, si le Dr Amadiro s'est

montrÇ si horrifiÇ Ö

l'idÇe que nous nous rendions sur la Terre, pourquoi n'a-t-il rien fait pour

nous en empàcher alors

que nous nous trouvions encore sur Aurora? Ou, dans l'hypothäse oî il n'aurait dÇcouvert notre fuite qu'apräs que nous avons quittÇ l'orbite, pourquoi n'a-t-il pas envoyÇ un vaisseau aurorain pour nous intercepter avant notre Bond vers la Terre? Se pourrait-il que nous fassions complätement fausse route, que nous ayons, quelque part, commis une erreur qui...

Toute une sÇrie de bruits intermittents se rÇpercuta Ö travers le vaisseau et

Daneel dit :

- Nous venons de rÇussir le Bond sans ennui, ami Giskard. Je l'ai senti il y a quelques minutes. Mais nous n'avons pas encore atteint la Terre et je pense que ne va pas tarder l'interception dont tu viens de parler, de sorte que nous ne sommes pas forcÇment sur la mauvaise piste.

CHAPITRE

D.G. ressentit une certaine admiration perverse.

Lorsque les Aurorains se trouvaient contraints 171

d'agir, on se rendait compte de leur capacitÇ technologique. Ils avaient incontestablement envoyÇ un

de leurs vaisseaux de guerre les plus modernes, d'oî on pouvait en dÇduire que la raison qui les y avait poussÇs leur tenait particuliärement Ö coeur.

Et ce vaisseau avait dÇtectÇ la prÇsence de celui de D.G. dans les quinze minutes ayant suivi son apparition dans l'espace normal - et Ö bonne distance.

Le vaisseau aurorain utilisait un systäme hyperonde Ö focalisation restreinte.

On ne distinguait nettement la tàte de l'interlocuteur qu'en cas de parfaite focalisation. Tout le reste demeurait dans un flou grisÉtre. Si la tàte de l'interlocuteur se dÇplaçait de quelque dix centimätres environ par rapport au point de focalisation, elle disparaissait Çgalement dans le flou. De màme pour le son. Il en rÇsultait qu'on ne pouvait distinguer que le strict minimum du vaisseau ennemi ( D.G. le considÇrait dÇjÖ comme le vaisseau Æ ennemi Ø ), ce qui lui permettait de conserver sa discrÇtion.

Le vaisseau de D.G. possÇdait Çgalement un systäme hyperonde Ö

focalisation

restreinte, mais, songea D.G., il lui manquait le poli et l'ÇlÇgance de la version auroraine. Certes, son vaisseau ne constituait pas ce que les Coloniens

pouvaient faire de

mieux, mais, màme ainsi, les Spatiens possÇdaient une sÇrieuse avance technologique. Il restait aux Coloniens bien des longueurs Ö rattraper.

La tàte de l'Aurorain apparut si nette et si rÇelle qu'elle semblait affreusement sÇparÇe du corps.

D.G. n'aurait pas ÇtÇ surpris qu'il en tombe des gouttes de sang. Un deuxiäme coup d'oeil rÇvÇla cependant le cou qui disparut dans la grisaille juste apräs qu'eut commencÇ Ö apparaåtre le col d'un uniforme incontestablement bien coupÇ.

La tàte s'identifia, avec une pointilleuse courtoisie, 172

comme Çtant celle du capitaine de frÇgate

Lisiform, commandant le vaisseau aurorain Borealis. D.G. dÇclina Ö son tour son

identitÇ, avançant le

menton pour àtre bien sñr que sa barbe apparaisse dans toute sa nettetÇ. Il Çtait convaincu que cette barbe lui confÇrait un air farouche qui ne pouvait qu'intimider tout Spatien au visage glabre et ( pensait-il ) au menton fuyant.

D.G. afficha cet air dÇsinvolte tout aussi agaçant pour un officier aurorain que l'Çtait, pour un Colonien, l'arrogance d'un officier aurorain.

- Pour quelle raison me hÇlez-vous, commandant Lisiform?

Le commandant aurorain avait pris un ton et un accent que, peut-àtre, il jugeait aussi impressionnants que D.G. en jugeait de

sa barbe. D.G. eut bien du mal Ö tenter de le comprendre.

- Nous pensons, dit Lisiform, que se trouve Ö

votre bord une citoyenne auroraine du nom de

Gladia Solaria. Est-ce exact, commandant Baley?

- Mme Gladia se trouve bien Ö bord, commandant.

- Je vous remercie, commandant. Avec elle, si mes renseignements sont exacts, se trouvent deux robots de fabrication auroraine, R. Daneel Olivaw et R. Giskard Reventlov. Exact?

- Exact.

- Dans ce cas, je dois vous informer que R. Giskard Reventlov est devenu dangereux. Peu apräs

que votre vaisseau eut quittÇ l'espace aurorain, ledit robot, Giskard, a gravement blessÇ une citoyenne auroraine, en violation des Trois Lois. En consÇquence, le robot doit àtre dÇmantelÇ et rÇparÇ.

- Nous suggÇrez-vous, commandant, de dÇmanteler le robot Ö bord de notre vaisseau?

- Non, commandant, cela ne conviendrait pas.

Compte tenu de votre manque d'expÇrience en

173

matiäre de robotique, vous ne pourriez convenablement le dÇmanteler et ne sauriez peut-àtre pas le

rÇparer ensuite.

- Dans ce cas, nous pourrions simplement le dÇtruire.

- Sa valeur est trop grande, commandant Baley.

Le robot est de fabrication auroraine et sous la responsabilitÇ d'Aurora. Nous ne voudrions pas àtre cause de dommages Ö votre Çquipage et aux Terriens, si vous vous posez sur leur

planäte. En consÇquence, nous vous demandons de nous le livrer.

- Commandant, j'apprÇcie votre souci. Cependant, le robot est lÇgalement la

propriÇtÇ de Mme Gladia, qui se trouve avec nous. Peut-àtre ne consentira-t-elle pas Ö se sÇparer de son robot et, sans vouloir vous apprendre la loi auroraine, je pense qu'il serait illÇgal de l'y contraindre. Bien que mon Çquipage et moi-màme ne nous considÇrions pas liÇs par les lois auroraines, nous ne souhaitons pas vous apporter notre collaboration dans ce que votre gouvernement pourrait considÇrer comme

une action illÇgale.

- Il n'est pas question de quoi que ce soit d'illÇgal, dit le commandant dont

la voix trahissait une

certaine impatience. Le disfonctionnement d'un robot susceptible de mettre des vies en danger est bien plus important que le droit de son propriÇtaire. Mais si cela souläve une

question, mon vaisseau est tout pràt Ö accueillir Mme Gladia et son robot Daneel avec le robot en cause, Giskard. Ainsi donc, Gladia Solaria ne sera pas sÇparÇe de son robot avant son retour sur Aurora. Apräs quoi la justice suivra son cours.

- Il est possible, commandant, que Mme Gladia ne souhaite pas quitter mon bord ni permettre que ses biens le quittent.

174

- Elle ne peut s'y opposer, commandant. Je suis lÇgalement investi par mon gouvernement du pouvoir d'exiger son retour...

et en

qualitÇ de citoyenne

auroraine elle doit obÇir.

- Mais je ne suis pas lÇgalement tenu de livrer quoi que ce soit qui se trouve Ö bord de mon

vaisseau sur demande d'un gouvernement Çtranger.

Et si je prÇtends ne pas dÇfÇrer Ö votre requàte?

- Dans ce cas, commandant, je n'aurai pas d'autre choix que de considÇrer cela

comme un acte d'hostilitÇ. Puis-je vous faire observer que vous vous trouvez dans le systäme planÇtaire dont fait partie la Terre? Vous n'avez pas hÇsitÇ Ö invoquer la loi auroraine et vous me permettrez donc de vous faire observer que votre peuple juge contraire aux rägles d'engager les hostilitÇs dans les limites de ce systäme planÇtaire.

- J'en suis conscient, commandant, et je ne souhaite pas d'hostilitÇs. Pas plus que je n'ai l'intention de me montrer inamical. Je dois cependant gagner

la Terre d'urgence. Je suis en train de perdre du temps avec cette conversation et j'en perdrais davantage encore si je m'avançais vers vous - ou si j'attendais que vous approchiez de moi - pour que nous puissions procÇder au transbordement de

Mme Gladia et de ses robots. Je prÇfäre continuer vers la Terre et assumer la responsabilitÇ officielle du robot Giskard et de ses actes jusqu'au retour sur Aurora de Mme Gladia et de ses robots.

- Puis-je vous suggÇrer, commandant, d'embarquer la dame et les deux robots

dans un module de

sauvetage et de dÇtacher un de vos hommes d'Çquipage -pour les conduire jusqu'Ö

nous? Une fois la dame et les deux robots Ö bord, nous accompagnerons le module

aux environs immÇdiats de la Terre

et nous vous dÇdommagerons Çquitablement pour 175

votre temps et vos ennuis. Un Commercien ne

devrait y voir aucune objection.

- Je n'en vois aucune, dit D.G. en souriant, aucune. Cependant, l'homme d'Çquipage dÇtachÇ pour conduire le module pourrait courir un grand pÇril car il se trouverait seul avec ce dangereux robot.

- Commandant, si la maåtresse du robot le

contrìle fermement, votre homme ne courra pas un danger plus grand sur le module qu'Ö votre bord.

Nous le dÇdommagerons du risque couru.

- Mais, apräs tout, si le robot peut àtre contrìlÇ

par sa maåtresse, il n'est certainement pas si dangereux qu'on ne puisse le laisser avec nous.

- Commandant, dit l'autre en fronçant les sourcils, je pense que vous àtes en

train de vous moquer de moi. Vous avez entendu ma requàte et je souhaiterais

qu'on y fåt droit sur-le-champ.

- Je pense que je puis m'en entretenir avec Mme Gladia.

- Si vous le faites immÇdiatement. Je vous prie de lui expliquer exactement de quoi il s'agit. Si, pendant ce temps, vous tentez de faire route vers la Terre, je considÇrerai cela comme un acte d'hostilitÇ et prendrai les mesures qui s'imposent. Si, comme vous le prÇtendez, votre voyage vers la Terre est si urgent, je vous conseille d'aller sans retard consulter Gladia Solaria et de dÇcider immÇdiatement de nous apporter

votre collaboration. Apräs quoi, nous ne vous retarderons pas trop longtemps.

- Je vais voir ce que je peux faire, rÇpondit D.G.

en Çloignant de l'Çcran un visage impassible.

CHAPITRE

- Eh bien? demanda gravement D.G.

Gladia paraissait dÇsemparÇe. Automatiquement, 176

son regard se tourna vers Daneel et Giskard, mais ils demeurärent silencieux et immobiles.

- Je ne veux pas retourner sur Aurora, D.G., dit-elle. Il n'est pas possible qu'ils veuillent dÇtruire Giskard; il est en parfait Çtat de fonctionnement, je peux vous en assurer. Ce n'est qu'un subterfuge.

C'est moi qu'ils veulent, pour quelque obscure raison. Mais je suppose qu'on ne

peut rien faire pour les en empàcher, n'est-ce pas?

- Il s'agit d'un vaisseau de guerre aurorain, rÇpondit D.G... et d'un gros. Je n'ai qu'un vaisseau marchand. Nous avons des Çcrans d'Çnergie et ils ne peuvent nous dÇtruire d'un seul coup, mais ils peuvent finir par nous Çpuiser - träs vite, en fait et ensuite nous dÇtruire.

- Disposez-vous d'un moyen de les toucher?

- Avec mon armement? DÇsolÇ, Gladia, mais

leurs Çcrans peuvent encaisser tout ce que je leur balancerai, aussi longtemps que j'aurai de l'Çnergie Ö gaspiller. Ensuite...

- Oui?

- Eh bien, ils m'ont coincÇ, en quelque sorte. J'ai cru qu'ils essaieraient de m'intercepter avant le Bond, mais ils connaissaient ma destination. Ils sont arrivÇs ici les premiers et ils m'ont attendu. Nous nous trouvons Ö l'intÇrieur du systäme solaire - le systäme planÇtaire dont fait partie la Terre. Nous ne pouvons livrer combat ici. Màme si je le voulais, l'Çquipage ne m'obÇirait pas.

- Pourquoi?

- Appelez cela de la superstition. Le systäme solaire est pour nous un espace sacrÇ... si vous voulez donner dans le mÇlodrame. Nous ne pouvons violer son caractäre sacrÇ

en

combattant.

- Puis-je intervenir dans la discussion, commandant? demanda Giskard.

D.G. fronça les sourcils et regarda Gladia.

177

- Je vous en prie, permettez, dit Gladia. Ces robots sont träs intelligents. Je sais que vous aurez du mal Ö le croire, mais...

- J'Çcoute. Inutile de m'influencer.

- Commandant, dit Giskard, je suis certain que c'est moi qu'ils veulent. Je ne puis àtre responsable de maux causÇs aux humains. Si vous ne pouvez vous dÇfendre et si vous àtes certain d'àtre dÇtruit dans un combat avec l'autre vaisseau, vous n'avez d'autre choix que de me livrer. Je suis sñr que vous pouvez le leur proposer, ils n'auront pas vraiment d'objections Ö formuler si vous voulez conserver Mme Gladia et l'ami Daneel. C'est la seule solution.

- Non, dit Gladia avec force, tu es Ö moi et je ne te livrerai pas. J'irai avec toi - si le commandant dÇcide que tu dois y aller - et je veillerai Ö ce qu'ils ne te dÇtruisent pas.

- Puis-je parler Çgalement? demanda Daneel.

- Je t'en prie. Tout le monde parle, dit D.G. en Çcartant les bras dans un geste de feint dÇsespoir.

- Si vous dÇcidez de livrer Giskard, il faut en saisir les consÇquences. Je crois que Giskard pense que si on le livre, les Aurorains ne lui feront pas de mal et le libÇreront, màme. Je ne le crois pas. Je pense que les Aurorains sont sÇrieux lorsqu'ils prÇtendent qu'il est dangereux et ils pourraient bien avoir ordre de dÇtruire le module de sauvetage s'il approche, tuant tous ceux qui se trouveraient Ö bord.

- Pour quelle raison feraient-ils cela? demanda D.G.

- Aucun Aurorain n'a jamais rencontrÇ - ni

màme imaginÇ - ce qu'ils appellent un robot dangereux. ils ne prendraient pas

le risque d'en embarquer un Ö bord d'un de leurs vaisseaux... Je suggÇrerais,

commandant, que vous battiez en retraite.

178

Pourquoi ne pas faire un nouveau Bond qui vous Çloignerait de la Terre? Nous nous trouvons assez loin de toute masse planÇtaire pour ne courir aucun danger.

- Battre en retraite? Tu veux dire nous enfuir? Je ne peux faire cela.

- Eh bien, dans ce cas vous devez nous livrer, dit Gladia avec un air de rÇsignation dÇsespÇrÇe.

- Je ne vous livrerai pas. Et je ne m'enfuirai pas.

Et je ne peux pas livrer bataille.

- quelle solution reste-t-il donc? demanda Gladia.

- Une quatriäme solution. Gladia, je dois vous demander de rester ici avec vos robots jusqu'Ö mon retour.

CHAPITRE

D.G. examina les donnÇes. La conversation avait durÇ assez longtemps pour qu'on ait pu prÇciser la position du vaisseau aurorain. Il se trouvait un peu plus loin du Soleil que le sien et cela Çtait parfait. A cette distance du Soleil, un Bond dans sa direction aurait ÇtÇ risquÇ; un Bond latÇral serait de la tarte, en comparaison, si l'on pouvait dire. Il demeurait un risque d'accident consÇcutif Ö une dÇviation de probabilitÇ, mais c'Çtait inÇvitable.

Il avait lui-màme donnÇ l'assurance Ö l'Çquipage quon ne tirerait pas ( ce qui ne pourrait que nuire, de toute façon ). Manifestement, les hommes avaient une foi absolue en la protection de l'espace terrien tant qu'ils ne profaneraient pas sa paix par la violence. C'Çtait lÖ une manifestation de pur mysticisme que D.G. aurait raillÇe avec mÇpris s'il n'en

avait ÇtÇ lui-màme Çgalement convaincu.

Il revint dans le champ de vision. L'attente avait 179

ÇtÇ longue, mais les autres n'avaient pas manifestÇ d'impatience.

- Ici le commandant Baley, annonça-t-il. Je veux parler au commandant Lisiform. Il n'eut pas longtemps Ö attendre

- Commandant Lisiform. Puis-je avoir votre rÇponse?

- Nous allons livrer la femme et les deux robots.

- Parfait! Sage dÇcision.

- Merci.

D.G, donna le signal et son vaisseau fit le Bond.

Inutile de retenir son souffle, ce fut terminÇ

aussitìt commencÇ - ou du moins le temps qui

s'Çcoula ne fut pas perceptible.

- Nouvelle position du vaisseau ennemi dÇterminÇe, commandant, annonça le pilote.

- Parfait, dit D.G. Vous savez quoi faire.

Le vaisseau avait ÇmergÇ du Bond Ö grande

vitesse, comparÇe Ö celle du vaisseau aurorain, et l'on effectuait la correction de trajectoire ( peu importante, on pouvait l'espÇrer ). Suivit une nouvelle accÇlÇration.

- Nous sommes tout proches, commandant, dit

D.G., reparaissant sur l'Çcran, et pràts pour le transfert. Vous pouvez tirer

si vous le souhaitez mais nos Çcrans sont en place et nous pourrons vous atteindre avant que vous nous abattiez.

- Est-ce que vous envoyez une navette?

Le commandant aurorain disparut de l'Çcran puis reparut, le visage dÇformÇ.

- qu'est-ce que vous faites? Votre vaisseau se trouve sur une trajectoire de collision.

- On le dirait, oui. C'est la maniäre la plus rapide de procÇder Ö la livraison.

- Vous allez dÇtruire votre vaisseau.

- Et le vìtre avec. Et votre vaisseau est cinquante 180

fois plus coñteux que le mien, et probablement plus. Mauvaise affaire pour Aurora.

- Mais vous livrez combat dans l'espace terrien, commandant. Vos coutumes vous l'interdisent.

Ah! vous connaissez nos coutumes et vous en

profitez. Mais je ne m'appràte pas Ö combattre. Je ne fais que suivre une trajectoire. Il se trouve que cette trajectoire coupe votre position, mais comme je suis certain que vous allez en changer avant la collision, il est clair que je n'ai nulle intention de violence.

- Arràtez. Nous allons en discuter.

- Je suis las de discuter, commandant. Allons-nous nous dire adieu? Si vous ne

bougez pas, je

perdrai peut-àtre quatre dÇcennies, dont les deux derniäres pas träs enthousiasmantes, de toute façon.

Combien allez-vous en perdre?

Et D.G. disparut de l'Çcran.

Un rayon de radiation jaillit du vaisseau aurorain Ö titre d'essai, pour voir si les Çcrans de l'autre Çtaient bien en place. Ils l'Çtaient.

Les Çcrans des vaisseaux rÇsistaient aux radiations ÇlectromagnÇtiques et aux

particules subatomiques, meme aux neutrinos, et pouvaient supporter l'Çnergie

cinÇtique de petites masses - particules de poussiäre et màme petites mÇtÇorites. Les

Çcrans ne pouvaient, en revanche, rÇsister Ö de plus importantes Çnergies cinÇtiques, comme celle d'un vaisseau leur arrivant dessus Ö vitesse supermÇtÇorique.

On pouvait màme s'accommoder de masses dangereuses - mÇtÇoroãdes, par exemple

- Ö condition qu'elles ne soient pas guidÇes. Les ordinateurs du vaisseau les Çcartaient automatiquement de la trajectoire du mÇtÇoroãde si elles Çtaient trop importantes pour que les Çcrans protecteurs puissent s'en

accommoder. Mais cette solution ne pouvait convenir 181

contre un vaisseau qui changerait de trajectoire lorsque sa cible modifierait la sienne. Et si le vaisseau colonien Çtait plus petit, il Çtait Çgalement plus maniable.

Il n'existait qu'une seule solution pour le vaisseau aurorain s'il voulait Çviter la collision...

D.G. regardait l'autre vaisseau grossir sur l'Çcran de contrìle et il se demanda si Gladia, dans sa cabine, savait ce qui se passait. Elle avait dñ se rendre compte de l'accÇlÇration, malgrÇ la suspension hydraulique de la cabine

et l'effet compensatoire du champ de pseudo-gravitÇ.

Et l'autre vaisseau disparut tout simplement, ayant bondi. Et D.G., Ö son vif dÇpit, se rendit compte qu'il retenait son souffle et que son coeur s'emballait. N'avait-il pas fait confiance Ö l'influence protectrice de la Terre ou Ö sa propre analyse de la situation?

D'une voix qu'il s'efforça de rendre calme, il dit au micro :

- Bien jouÇ, les gars! Correction de trajectoire et direction la Terre.

NIVEAUA La Ville

CHAPITRE

Etes-vous sÇrieux, D.G.? demanda Gladia. Aviez-vous vraiment l'intention de

percuter le vaisseau?

- Pas du tout, rÇpondit D.G. Je n'y croyais pas. Je me suis bornÇ Ö leur porter une botte, sachant qu'ils battraient en retraite. Ces Spatiens n'allaient pas risquer leur longue et merveilleuse vie alors qu'ils pouvaient la sauvegarder.

- Ces Spatiens? quels couards ils sont!

- J'oublie sans cesse que vous àtes spatienne, dit D.G. apräs s'àtre raclÇ la gorge.

- Oui... et j'imagine que vous croyez me faire lÖ

un compliment. Et s'ils s'Çtaient montrÇs aussi fous que vous... s'ils avaient fait montre de cette infantile inconscience que vous prenez pour de la bravoure...

s'ils n'avaient pas bougÇ? qu'auriez-vous fait?

- Je leur serais rentrÇ dedans, murmura D.G.

- Et nous aurions tous pÇri.

- Le rÇsultat aurait ÇtÇ positif pour nous, Gladia.

Un vieux vaisseau commercien minable pour un

183

monde colonien, contre un vaisseau tout neuf et moderne pour le premier des mondes spatiens.

D.G. appuya de nouveau son siäge contre la paroi et croisa les mains derriäre la tàte.

Il se sentait curieusement bien, maintenant que tout Çtait terminÇ.

- J'ai vu une fois un hyperdrame historique dans lequel, vers la fin de la guerre, des avions chargÇs d'explosifs se jetaient dÇlibÇrÇment sur des vaisseaux beaucoup plus coñteux

pour les couler. Bien sñr, tous les pilotes y laissaient leur vie.

- Il s'agissait de fiction. Vous n'allez tout de màme pas croire que des gens civilisÇs se livreraient Ö ce genre de folie dans

la rÇalitÇ, non?

- Pourquoi pas? Si la cause en vaut la peine.

- qu'avez-vous donc ressenti en fonçant vers une mort glorieuse? De l'exaltation?... Vous prÇcipitiez tout votre Çquipage vers le màme sort.

- Ils le savaient. Nous n'avions pas le choix. La Terre nous regardait.

- Les Terriens ne le savaient màme pas.

- C'est une image. Nous nous trouvons dans

l'espace terrien. Nous ne pouvions nous comporter de façon mÇprisable.

- oh! quelle stupiditÇ! Et vous avez Çgalement risquÇ ma vie.

D.G. baissa les yeux, contemplant la pointe de ses bottes.

- Voulez-vous que je vous dise quelque chose de fou? C'Çtait mon seul souci.

- que je puisse mourir?

- Pas exactement. que je vous perde... Lorsque ce vaisseau a ordonnÇ que je vous livre, je savais que je n'en ferais rien... màme si vous me le demandiez.

J'aurais prÇfÇrÇ les percuter; je ne les aurais pas laissÇs vous prendre. Et puis, en voyant leur vaisseau grossir sur l'Çcran, j'ai pensÇ : Æ S'ils ne se

184

sortent pas de lÖ, je vais la perdre, de toute façon, et c'est alors que mon coeur a commencÇ Ö cogner et que je me suis mis Ö transpirer. Je savais qu'ils allaient sortir de lÖ, mais malgrÇ cela, la pensÇe...

Il secoua la tàte. Gladia fronça les sourcils et dit :

- Je ne vous comprends pas. Vous ne vous

inquiÇtiez pas de ma mort mais de me perdre?

Est-ce que les deux ne vont pas ensemble?

- Je sais. Je ne prÇtends pas que ce soit rationnel.

Je vous ai revue en train de vous prÇcipiter sur le rÇgisseur pour me sauver alors que vous saviez que vous pouviez àtre tuÇe sur-le-champ. Je vous ai revue en train d'affronter la foule sur Baleyworld et de la calmer par vos paroles alors que jamais encore vous n'aviez vu une foule. Je vous ai màme vue partir pour Aurora alors que, toute jeune femme, vous alliez apprendre un nouveau mode de vie... et survivre... Et il m'a semblÇ que peu m'importait de mourir, je m'inquiÇtais seulement de vous perdre!... Vous avez raison. C'est tout Ö

fait

insensÇ.

- Avez-vous oubliÇ mon Ége? demanda Gladia,

songeuse. J'avais Ö peu präs l'Ége que vous avez maintenant quand vous àtes nÇ. Lorsque j'avais votre Ége, je ràvais Ö votre lointain ancàtre. De plus, j'ai une articulation coxale artificielle. Mon pouce gauche... celui-ci... n'est qu'une prothäse. On a refait certains de mes nerfs. Mes dents sont toutes des implants de cÇramique. Et vous parliez comme si vous alliez avouer une extraordinaire passion...

Pour quoi?... Pour qui?... RÇflÇchissez, D.G.! Regardez-moi et voyez-moi telle

que je suis!

D.G. remit sa chaise en Çquilibre sur deux pieds et se frotta la barbe.

- D'accord, vous me faites paraåtre idiot, mais je vais poursuivre. Ce que je sais de votre Ége, c'est 185

que vous allez me survivre et paraåtre Ö peine plus ÉgÇe que maintenant. Vous àtes donc plus jeune que moi, pas plus vieille. En outre, je me fiche que vous soyez plus ÉgÇe. Je voudrais que vous demeuriez avec moi, partout oî

j'irai... toute ma vie, si possible.

Gladia allait dire quelque chose, mais D.G. reprit, träs vite :

- Ou, si cela vous paraåt prÇfÇrable, que je vous suive partout oî vous irez... toute ma vie, si possible... Si vous le voulez

bien.

- Je suis une Spatienne. Vous àtes un Colonien, dit Gladia d'une voix douce.

- qui s'en soucie, Gladia? Vous?

- Je veux dire, il n'est pas question d'enfants. J'ai eu les miens.

- qu'est-ce que cela change, pour moi! Le nom de Baley ne risque pas de s'Çteindre.

- J'ai ma propre tÉche Ö accomplir. J'ai l'intention d'instaurer la paix dans la Galaxie.

- Je vous aiderai.

- Et votre commerce? Allez-vous renoncer aux occasions de vous enrichir?

- Nous y travaillerons ensemble. Juste assez pour que mon nouvel Çquipage soit heureux et pour vous aider dans votre tÉche d'Çmissaire de la paix.

- La vie sera morne pour vous, D.G.

- Vraiment? Il me semble que depuis que vous

àtes avec moi elle est bien trop agitÇe.

- Et vous insisterez probablement pour que je renonce Ö mes robots.

- C'est lÖ la raison pour laquelle vous tentez de me dissuader? demanda D.G., l'air ÇgarÇ. J'accepterais que vous gardiez les deux,... màme Daneel avec

son petit sourire lubrique... mais si nous devons vivre parmi les Coloniens...

186

- Dans ce cas, je crois qu'il me faudra trouver le courage nÇcessaire.

Elle rit doucement, tout comme D.G. Il lui tendit les bras et elle mit ses mains dans les siennes, disant :

- Vous àtes fou. Je suis folle. Mais tout est si Çtrange depuis ce soir oî j'ai regardÇ le ciel d'Aurora pour tenter d'y trouver

le soleil de Solaria que

j'ai pensÇ que la folie Çtait la seule rÇaction sensÇe.

- Ce que vous venez de dire n'est pas seulement insensÇ, c'est fou, mais je le veux ainsi. ( Il hÇsita puis poursuivit : ) Non, j'attendrai. Je vais me raser la barbe avant de tenter de vous embrasser. Cela rÇduira les risques d'infection.

- Non! Je suis curieuse de voir ce que l'on ressent.

Et elle s'en rendit vite compte.

73

Le commandant Lisiform arpentait sa cabine de long en large.

- Il Çtait inutile de perdre le vaisseau, dit-il. Tout Ö fait inutile. Son conseiller politique Çtait tranquillement assis dans son fauteuil, ne se souciant guäre de suivre du regard les mouvements de son interlocuteur.

- Oui, bien sñr, convint-il.

- qu'avaient Ö perdre ces barbares? Ils ne vivent que quelques dÇcennies. La vie ne signifie rien pour eux.

- Oui, bien sñr.

- Cependant jamais je n'ai vu un vaisseau colonien se comporter ainsi, et jamais je n'ai entendu

dire que cela pouvait arriver. Il s'agit peut-àtre d'une nouvelle tactique de fanatiques et nous sommes 187

sans dÇfense contre cela. Et s'ils lancent sur nous des vaisseaux tÇlÇcommandÇs, Çcrans remontÇs et Ö pleine vitesse mais sans

personne Ö bord?

- Nous pourrions entiärement robotifier nos vaisseaux.

- Cela ne servirait Ö rien. Nous ne pouvons nous permettre de perdre le vaisseau. Ce qu'il nous faut, c'est ce perforateur d'Çcrans dont on parle sans cesse. quelque chose qui parviendrait Ö percer les Çcrans protecteurs.

- Dans ce cas, ils en construiront eux aussi et il nous faudra concevoir un Çcran antiperforateur et ils en feront autant et nous nous retrouverons de nouveau Ö ÇgalitÇ, mais Ö un plus haut niveau.

- il nous faut donc quelque chose d'entiärement nouveau.

- Ma foi, dit le conseiller, nous allons peut-àtre trouver quelque chose. Votre mission ne concernait pas en prioritÇ la femme solarienne et ses robots, n'est-ce pas? Il aurait ÇtÇ plaisant de les avoir contraints Ö abandonner le vaisseau solarien, mais cela n'Çtait que secondaire, non?

- Le Conseil ne va cependant pas apprÇcier.

- C'est moi que cela regarde. Le plus important, c'est qu'Amadiro et Mandamus aient quittÇ le vaisseau et se dirigent vers la

Terre Ö bord d'un bon engin rapide.

- Ma foi, oui.

- Et vous ne vous àtes pas contentÇ de distraire le vaisseau colonien, vous l'avez aussi retardÇ. Ce qui signifie qu'Amadiro et Mandamus ont quittÇ le vaisseau sans àtre vus mais aussi qu'ils arriveront sur la Terre avant notre commandant barbar.

- Je le suppose? Et alors?

- je me demande. S'il ne s'agissait que de Mandamus, je ne m'en inquiÇterais

pas. Il ne prÇsente

188

aucun intÇràt. Mais Amadiro? Abandonner les luttes politiques chez nous Ö

un

moment crucial pour

venir sur la Terre? Il doit s'y tramer quelque chose d'absolument essentiel.

- quoi? demanda le commandant.

Il paraissait ennuyÇ de se trouver màlÇ de si präs Ö quelque chose qui lui Çchappait.

- Aucune idÇe.

- Pensez-vous qu'il puisse s'agir de nÇgociations secrätes au plus haut niveau concernant une totale remise en cause de l'accord de paix nÇgociÇ par Fastolfe ?

- Un accord de paix? demanda le conseiller en souriant. Si c'est lÖ ce que vous croyez, vous connaissez mal notre Dr Amadiro. Il ne se rendrait pas sur la Terre pour modifier une clause ou deux d'un accord de paix. Ce qu'il veut, c'est une Galaxie sans Coloniens et s'il se rend sur la Terre... eh bien, tout ce que je peux dire, c'est que je n'aimerais pas me trouver dans la peau des barbares coloniens en ce moment.

CHAPITRE

- Je crois bien, ami Giskard, dit Daneel, que Mme Gladia n'est pas du tout gànÇe de se passer de nous. Peux-tu le dire, Ö distance?

- Je parviens Ö dÇtecter son cerveau faiblement mais sans Çquivoque, ami Daneel. Elle se trouve avec le commandant et l'on dÇcäle nettement l'exaltation et la joie.

- Excellent, ami Giskard.

- Beaucoup moins pour moi, ami Daneel. Je me sens quelque peu perturbÇ. Je me suis trouvÇ dans un Çtat de tension extràme.

- Je suis dÇsolÇ de l'apprendre, ami Giskard.

Puis-je en connaåtre la raison?

189

- Nous sommes demeurÇs lÖ pas mal de temps,

pendant que le commandant nÇgociait avec le vaisseau aurorain.

- Oui, mais le vaisseau aurorain a apparemment disparu, maintenant. Il semble donc que les nÇgociations se soient heureusement

terminÇes.

- Le commandant a fait quelque chose dont,

apparemment, tu ne t'es pas rendu compte. Moi si... dans une certaine mesure. Bien que le commandant ne se trouvÉt pas ici

avec nous, je n'ai pas

eu de mal Ö ressentir son esprit. On y sentait une tension et une incertitude intenses et, sous-jacents, un immense embarras, une crainte de perdre quelque chose.

- De perdre quelque chose, ami Giskard? As-tu pu dÇterminer de quoi il s'agissait?

- Je ne peux prÇciser comment j'analyse de telles donnÇes, mais cela ne ressemblait guäre au genre de perte que j'ai pu, dans le passÇ, associer Ö des gÇnÇralitÇs ou Ö des projets inanimÇs. Cela avait la texture - ce n'est pas le mot, mais je n'en vois pas d'autre qui convienne, meme imparfaitement - de la perte d'une personne bien prÇcise.

- Mme Gladia?

- Oui.

- Ce qui serait tout naturel, ami Giskard. Il s'est trouvÇ confrontÇ Ö l'ÇventualitÇ d'àtre contraint de la livrer au vaisseau aurorain.

- C'Çtait trop intense pour cela. Trop plaintif.

- Trop plaintif?

- C'est le seul mot qui me vienne Ö l'esprit pour dÇcrire cela. On ressentait une tristesse intense, stressante, associÇe au sentiment de perte. Comme si Mme Gladia allait partir ailleurs et qu'on ne pourrait la retrouver. Peut-àtre est-ce liÇ, apräs tout, Ö quelque avenir. C'Çtait comme si Mme Gladia 190

allait cesser d'exister!... mourir... et qu'on n'allait plus jamais la retrouver.

- Il a donc eu le sentiment que les Aurorains allaient la tuer? Ce n'est certainement pas possible.

- Pas possible, effectivement. Et ce n'est pas cela.

J'ai senti un fil de sentiment de responsabilitÇ

personnelle associÇ Ö une träs profonde crainte de perte. J'ai fouillÇ dans d'autres esprits, Ö bord, et en regroupant tout cela j'en suis arrivÇ Ö penser que le commandant lançait dÇlibÇrÇment son bÉtiment

contre le vaisseau aurorain.

- Cela non plus, ce n'est pas possible, ami Giskard.

- Il m'a fallu l'admettre. Ma premiäre impulsion fut de modifier le caractäre Çmotionnel du commandant pour le contraindre Ö

changer d'avis, mais

je n'y suis pas parvenu. Il Çtait bien trop dÇcidÇ, son esprit bien trop saturÇ de dÇtermination et - malgrÇ

l'angoisse, la tension et la crainte de la perte - trop plein de confiance en son succäs. Comment pouvait-il y avoir tout Ö la fois la

crainte d'une perte due Ö la mort et un sentiment de confiance dans le succäs?

- Ami Daneel, j'ai renoncÇ Ö m'Çtonner de la capacitÇ de l'esprit humain Ö entretenir simultanÇment deux sentiments contradictoires. Je me borne

Ö accepter le fait. Dans ce cas, si j'avais tentÇ de modifier l'esprit du commandant au point de le contraindre Ö changer la trajectoire de son vaisseau, je l'aurais tuÇ. Je ne pouvais faire cela.

- Mais si tu ne le faisais pas, ami Giskard, des dizaines d'àtres humains Ö bord de ce vaisseau, y compris Mme Gladia, et plusieurs centaines d'autres sur le vaisseau aurorain

allaient mourir.

- Peut-àtre n'allaient-ils pas mourir si le commandant avait raison d'avoir

confiance. Je ne pouvais

191

provoquer une mort certaine pour en Çviter plusieurs simplement probables.

C'est lÖ la difficultÇ,

ami Daneel, avec ta Loi ZÇro. La Premiäre Loi traite d'individus spÇcifiques et decertitudes. Ta Loi ZÇro traite de groupes abstraits et de probabilitÇs.

- Les àtres humains, Ö bord de ces vaisseaux, ne sont pas des groupes abstraits. Ce sont plusieurs individus spÇcifiques rÇunis en un màme lieu.

- Mais lorsque je dois prendre une dÇcision, c'est un individu particulier que je suis sur le point d'influencer directement, et je dois tenir compte de son sort. Je ne peux m'en empàcher.

- qu'as-tu donc fait, ami Giskard... ou as-tu ÇtÇ

totalement impuissant?

- Dans mon dÇsespoir, ami Daneel, j'ai tentÇ de prendre contact avec le commandant du vaisseau aurorain apräs qu'un lÇger Bond l'eut amenÇ plus präs de nous... Je n'y suis pas arrivÇ. La distance Çtait trop grande. Cependant, la tentative ne fut pas un Çchec total. Je suis parvenu Ö dÇtecter quelque chose, une sorte de faible bourdonnement. Je me suis demandÇ un bref instant ce que c'Çtait avant de comprendre que je recevais la sensation gÇnÇrale de tous les esprits des humains qui se trouvaient Ö

bord du vaisseau aurorain. Il m'a fallu sÇparer ce faible bourdonnement des sensations beaucoup

plus intenses que je recevais de notre propre vaisseau,... tÉche ardue.

- Presque impossible, je dirais, ami Giskard.

- Presque impossible, comme tu le dis, mais j'y suis parvenu au prix d'un Çnorme effort. MalgrÇ

tout, je n'ai pu dÇtecter d'esprit individuel... Lorsque Mme Gladia a affrontÇ cette grande foule d'humains dans l'auditorium, sur Baleyworld, j'ai ressenti la confusion anarchique d'un grand nombre d'esprits, mais je suis parvenu Ö

en

sortir des esprits

192

individuels çÖ et lÖ pendant un instant ou deux. LÖ, ce ne fut pas le cas.

Giskard demeura un moment silencieux, comme

perdu dans le souvenir de la sensation. Daneel dit :

- J'imagine que cela doit àtre analogue Ö la maniäre dont nous percevons telles ou telles Çtoiles au milieu d'un grand nombre d'autres Çtoiles, lorsque l'ensemble est relativement proche de nous.

Dans une Galaxie lointaine, en revanche, nous ne pouvons repÇrer d'Çtoiles particuliäres. Nous ne distinguons qu'un brouillard faiblement lumineux.

- VoilÖ une bonne image, ami Daneel... Et tandis que je me concentrais sur le faible mais lointain bourdonnement, il m'a semblÇ que s'y màlait une lÇgäre nuance de peur. Je n'en Çtais pas certain, mais j'ai eu le sentiment qu'il me fallait tenter d'en tirer profit. Jamais je n'avais essayÇ d'exercer une influence sur quelque chose d'aussi lointain, sur quelque chose d'aussi faible qu'un simple bourdonnement... mais j'ai dÇsespÇrÇment tentÇ d'accroåtre

cette peur aussi peu que ce fñt. Je ne peux dire si j'y suis parvenu.

- Le vaisseau aurorain s'est ÇcartÇ. C'est que tu as rÇussi.

Pas nÇcessairement- Le vaisseau aurait pu

s'Çcarter si je n'avais rien fait.

- Peut-àtre, dit Daneel, paraissant perdu dans ses pensÇes. Si le commandant avait une telle confiance...

- D'un autre cìtÇ, je ne peux àtre certain que cette confiance reposait sur une base rationnelle. il m'a semblÇ que se màlait Ö ce que je dÇcelais un sentiment de respect rÇvÇrentiel pour la Terre. La confiance que j'ai ressentie ressemblait plutìt au sentiment des jeunes enfants Ö l'Çgard de leurs protecteurs... parents ou autres. J'ai eu l'impression 193

que le commandant Çtait persuadÇ qu'il ne pouvait Çchouer au voisinage de la Terre Ö cause de l'influence de celle-ci. Je ne dirais pas qu'il s'agissait d'un sentiment absolument irrationnel, mais il paraissait en tout cas peu rationnel.

- Tu as sans doute raison, ami Giskard. Le commandant, nous l'avons entendu, a

parfois parlÇ de la Terre avec rÇvÇrence. Du fait que la Terre ne peut vraiment exercer d'action sur le succäs d'une entreprise par quelque influence

mystique, on peut supposer que ton influence s'est traduite par un succäs.

En outre...

Giskard, les yeux brillant faiblement, demanda

- A quoi penses-tu, ami Daneel?

- Je pensais Ö la supposition que l'individu est concret tandis que l'humanitÇ est abstraite. Lorsque tu as dÇcelÇ ce faible bourdonnement Çmanant du vaisseau aurorain, ce n'Çtait pas un individu que tu dÇtectais mais une fraction de l'humanitÇ. Ne pourrais-tu pas, si tu te trouvais Ö une distance convenable de la Terre et si le bruit de fond Çtait suffisamment faible, dÇtecter le bourdonnement de l'activitÇ mentale de la population de la Terre dans son ensemble? Et, partant, ne peut-on imaginer qu'existe dans la Galaxie le bourdonnement de l'activitÇ mentale de l'humanitÇ tout entiäre? Comment, dans ce cas, l'humanitÇ

serait-elle une abstraction? C'est quelque chose de palpable. Rapproche cela de

la Loi ZÇro et tu verras que l'extension

des Lois de la Robotique est justifiÇe... justifiÇe par ta propre expÇrience.

Apräs un long instant de silence, Giskard dit lentement, comme si on lui arrachait les mots :

- Tu as peut-àtre raison, ami Daneel... Et cependant si nous nous posions maintenant sur la Terre,

avec une Loi ZÇro que nous pourrions appliquer, nous ignorerions toujours comment l'appliquer. Il 194

nous apparaåt, pour l'instant, que la crise qui menace la Terre implique l'utilisation d'un intensificateur nuclÇaire, mais,

pour autant que nous le sachions, il n'existe rien sur la Terre qu'un intensificateur nuclÇaire pourrait dÇtruire. qu'allons-nous donc faire sur la

Terre ?

- Je ne le sais pas encore, rÇpondit tristement Daneel.

CHAPITRE

Le bruit!

Gladia Çcoutait, ÇtonnÇe. Il ne heurtait pas l'ouãe.

Ce n'Çtait pas le bruit d'une surface frappant une autre surface. Ce n'Çtait pas un cri perçant, ni une clameur ni un fracas, ou tout autre bruit susceptible d'àtre exprimÇ par une onomatopÇe.

C'Çtait plus doux et moins envahissant. Cela montait, retombait avec une certaine irrÇgularitÇ... tout en demeurant omniprÇsent.

D.G. la regardait Çcouter, penchant la tàte Ö

droite, Ö gauche. Il lui dit

- J'appelle cela le Æ Bourdonnement de la Ville Ø, Gladia.

- Est-ce que ça cesse jamais?

- Jamais tout Ö fait. Mais quoi? N'avez-vous jamais ÇcoutÇ, debout au milieu d'un champ, le vent bruire dans les feuilles, les insectes striduler, les oiseaux chanter, l'eau couler? Cela ne s'arràte jamais.

- C'est diffÇrent.

- Pas du tout. C'est la màme chose. ici, le bruit rÇsulte du ronronnement des machines se màlant aux divers bruits produits par les habitants, mais le principe est exactement le màme que celui des bruits qui, dans un champ, ne sont pas le fait de l'homme. Vous avez l'habitude des champs et vous 195

ne faites donc plus attention. Vous n'àtes pas habituÇe Ö ce bruit-ci et vous

l'entendez donc, le jugeant

peut-àtre gànant. Les Terriens ne l'entendent pas, sauf peut-àtre dans les rares-occasions oî ils rentrent de la campagne...

et

ils sont alors bien heureux

de le retrouver. Demain, vous ne l'entendrez plus, vous non plus.

Gladia regarda pensivement autour d'elle depuis le petit balcon oî ils se trouvaient.

- quel grand nombre d'immeubles!

- C'est exact. Des constructions partout... qui s'Çtendent sur des kilomätres. Et vers le haut... et le bas Çgalement. Ce n'est pas simplement une ville, comme on en trouve sur Aurora et Baleyworld.

C'est une Ville - avec un grand V - comme il n'en existe que sur la Terre.

- Ce sont les Cavernes d'Acier. Je le sais. Nous sommes sous terre, n'est-ce pas?

- Oui. Absolument. Je dois vous dire qu'il m'a fallu du temps pour m'habituer Ö ce genre de chose la premiäre fois que je suis venu visiter la Terre. Oî

que vous alliez, dans une Ville, on dirait que vous àtes en un lieu envahi par la foule. Des trottoirs, des rues, des devantures et des foules de gens, avec les douces et omniprÇsentes fluorescences qui paraissent tout baigner dans une lumiäre solaire sans

ombres... mais ce n'est pas la lumiäre solaire et, lÖ-haut Ö la surface, je ne sais pas si le Soleil brille vraiment, ou s'il est obscurci par les nuages, ou si on ne le voit pas du tout et si cette partie du monde se trouve plongÇe dans la nuit et l'obscuritÇ.

- Cela donne une Ville confinÇe. Chacun y respire la respiration des autres.

- C'est le cas partout... sur tous les mondes.

- Pas comme ici. Äa sent, dit-elle en reniflant.

- Tous les mondes sentent. Chaque Ville, sur la Terre, a une odeur diffÇrente. Vous vous y ferez.

196

- Est-ce que je le souhaite? Comment les gens ne s'Çtouffent-ils pas?

- Il y a une excellente ventilation.

- que se passe-t-il lorsqu'elle tombe en panne?

- Cela n'arrive jamais.

Gladia regarda de nouveau autour d'elle et dit

- Tous les immeubles semblent comporter une foule de balcons.

- Signe de standing. Träs peu d'appartements donnent sur l'extÇrieur et lorsque c'est le cas, on veut en avoir tous les avantages. La plupart des habitants des Villes vivent dans des appartements intÇrieurs, sans fenàtres.

- C'est horrible! s'exclama Gladia en frissonnant.

Comment s'appelle cette ville, D.G.?

- New York. C'est la ville principale, mais pas la plus grande. Sur ce continent, les plus grandes sont Mexico et Los Angeles et il existe des Villes plus grandes que New York sur les autres continents.

- qu'est-ce donc qui fait de New York la ville principale?

- La raison habituelle. C'est lÖ que se trouve le Gouvernement du Monde. Les Nations unies.

Les Nations? dit-elle en pointant un doigt

triomphant sur D.G, La Terre Çtait divisÇe en plusieurs entitÇs politiques indÇpendantes. Exact?

- Exact. Des douzaines. Mais c'Çtait avant les voyages hyperspatiaux... Ö l'Çpoque prÇ-hyper. Mais on a conservÇ le nom. C'est ce qui est merveilleux avec la Terre. C'est de l'histoire figÇe. Tous les autres mondes sont neufs et superficiels. Seule la Terre est l'humanitÇ dans son essence.

Apräs avoir murmurÇ ces derniers mots, D.G.

rentra dans la piäce, pas träs grande, chichement meublÇe.

- Pourquoi n'y a-t-il personne? demanda Gladia, dÇçue.

197

- Ne vous inquiÇtez pas, dit D.G. en riant. Si vous voulez des dÇfilÇs et qu'on s'occupe de vous, vous allez àtre servie. Je leur ai seulement demandÇ de nous laisser seuls un moment. J'ai besoin d'un peu de calme et de repos, et vous aussi, j'imagine. quant Ö mes hommes, il faut qu'ils trouvent un emplacement pour le vaisseau, qu'ils

le nettoient, qu'ils

renouvellent le ravitaillement, qu'ils aillent faire leurs dÇvotions...

- Les femmes?

- Non, ce n'est pas ce que je veux dire, encore que j'imagine que les femmes auront leur place, plus tard. Par dÇvotions, j'entends que la Terre a encore ses religions et qu'elles apportent un rÇconfort aux hommes. Ici, sur la

Terre, du moins. Cela paraåt plus important ici.

- Eh bien! dit Gladia avec un peu de mÇpris.

L'histoire figÇe, comme vous dites. Pensez-vous que nous puissions sortir et marcher un peu?

Ecoutez-moi, Gladia, et n'allez pas vous prÇcipiter maintenant. Vous en aurez

tout votre saoul

quand les cÇrÇmonies commenceront.

Cela aura un caractäre si officiel? On ne peut pas y couper?

Pas la moindre chance. Puisque vous avez voulu jouer les hÇroãnes sur Baleyworld, il va vous falloir faire de màme sur la Terre. Mais les cÇrÇmonies finiront bien. Lorsque vous aurez rÇcupÇrÇ, nous prendrons un guide et nous verrons vraiment la Ville.

- Est-ce que nous aurons du mal Ö amener mes robots avec nous? demanda-t-elle avec un geste en direction de Daneel et de Giskard Ö l'autre bout de la piäce. Äa ne me gàne pas de me passer d'eux quand je suis avec vous Ö bord du vaisseau, mais je vais me trouver au milieu de foules d'Çtrangers et je me sens 198

davantage en sÇcuritÇ lorsqu'ils sont avec moi.

Nous n'aurons certainement aucune difficultÇ

avec Daneel. C'est un hÇros, lui aussi. Il a ÇtÇ le camarade de l'Ancàtre et on le prend pour un

humain. Pour Giskard, qui est manifestement un robot, on ne devrait thÇoriquement pas l'admettre Ö

l'intÇrieur des limites de la Ville, mais on a fait une exception dans son cas et j'espäre que cela continuera. Dommage, au fait, que

nous devions attendre ici et que nous ne puissions pas sortir.

Je ne suis pas certaine de vouloir me trouver au milieu de tout ce bruit pour le moment.

- Non, non. Je ne parle pas des places publiques et des rues. J'aimerais simplement vous emmener dans les couloirs de cet immeuble-ci. Il y en a des kilomätres et des kilomätres - littÇralement - et ils constituent un petit morceau de Ville : boutiques, restaurants, distractions, ascenseurs, transways, etc.

On trouve plus de couleurs et de diversitÇ sur un seul Çtage d'un seul immeuble d'une seule Ville de la Terre que dans toute une Ville colonienne ou dans tout un monde spatien.

- J'aurais pensÇ que tout le monde se perdrait.

- Certainement pas. Tout le monde connaåt le

coin dans lequel il vit, ici, comme partout. Màme les Çtrangers n'ont qu'Ö suivre les panneaux indicateurs.

- Je suppose que toute cette marche que les gens sont contraints de faire doit àtre träs bonne pour leur santÇ, dit Gladia qui paraissait en douter.

- Pour la vie sociale aussi. Il y a constamment des gens dans les couloirs et il est de coutume de s'arràter pour Çchanger quelques mots avec ceux que l'on connaåt et màme pour saluer ceux que l'on ne connaåt pas. Et il n'est pas absolument indispensable de marcher. Il y a des

ascenseurs partout,

199

pour les dÇplacements verticaux. Les couloirs principaux sont des transways et

servent aux dÇplacements horizontaux. A l'extÇrieur des bÉtiments, bien sñr, existe une file conduisant au rÇseau de Voie Express. Äa, c'est quelque chose. Il faudra le prendre.

- J'en ai entendu parler. il y a des pistes qu'on traverse et qui vous entraånent de plus en plus vite

- ou de plus en plus doucement - quand on passe de l'une Ö l'autre. Je n'y arriverai pas. Ne me demandez pas de faire cela.

- Bien sñr que vous y arriverez, dit D.G., rÇconfortant. Je vous aiderai, si

nÇcessaire. Je vous porterai, mais il suffit simplement d'un peu d'entraånement

Chez les Terriens, les enfants de la maternelle y arrivent, comme les personnes ÉgÇes avec des cannes. Je reconnais que les Coloniens y sont un peu maladroits. Moi-màme, je ne suis pas un miracle de grÉce, mais je me dÇbrouille et vous vous en tirerez aussi.

Gladia poussa un immense soupir.

- Eh bien, j'essaierai donc, s'il le faut. Mais je vais vous dire, D.G. chÇri : il nous faut une chambre raisonnablement tranquille pour la nuit. Je ne veux pas entendre votre Æ Bourdonnement de la Ville Ø.

- Je suis sñr qu'on peut arranger cela.

- Et je ne veux pas àtre obligÇe de manger dans les cuisines du quartier.

- Nous pourrons nous faire apporter Ö manger, dit D.G. qui parut en douter, mais cela vous ferait beaucoup de bien de vous màler Ö la vie sociale de la Terre. Je serai avec vous, apräs tout.

- Plus tard, peut-àtre, D.G., mais pas tout de suite... et je veux une Personnelle pour moi toute seule.

- Oh, non, ça c'est impossible. Nous aurons un lavabo et une cuvette de toilette dans toutes les 200

chambres qu'on nous donnera, du fait de notre standing, mais si vous avez l'intention de prendre un bain ou une douche, il faudra faire comme tout le monde. Une femme vous expliquera comment

cela se passe et l'on vous attribuera une cabine ou quelque chose de ce genre. Vous ne serez pas gànÇe.

Les femmes coloniennes doivent, tous les jours, frÇquenter les Personnelles... et vous finirez peutàtre par y prendre plaisir,

Gladia. On dit que les

Personnelles rÇservÇes aux femmes constituent un lieu träs frÇquentÇ oî l'on s'amuse beaucoup. Dans les Personnelles des hommes, au contraire, on ne dit pas un mot. C'est träs triste.

- C'est trop horrible, murmura Gladia. Comment pouvez-vous supporter le manque d'intimitÇ?

- Sur un monde surpeuplÇ, il le faut bien, rÇpondit D.G. d'un ton lÇger. Ce que

vous n'avez jamais connu ne vous manque pas... voulez-vous que je vous serve d'autres aphorismes?

- Pas vraiment!

Elle paraissait abattue et D.G. lui passa le bras autour des Çpaules.

- Allons, ce ne sera pas aussi pÇnible que vous le pensez, je vous assure.

CHAPITRE

Ce ne fut pas exactement un cauchemar, mais

Gladia fut heureuse que sa prÇcÇdente expÇrience sur Baleyworld lui eñt donnÇ un aperçu de ce qui Çtait maintenant un vÇritable ocÇan d'humanitÇ. Les foules Çtaient beaucoup plus considÇrables, ici Ö

New York, que sur le monde colonien, mais d'un autre cìtÇ elle se trouvait plus isolÇe du troupeau qu'elle ne l'avait jamais ÇtÇ.

De toute Çvidence, les officiels souhaitaient beaucoup qu'on les våt avec elle

On assistait Ö une lutte

201

polie, muette, pour se trouver assez proche d'elle afin d'àtre vu en sa compagnie Ö l'hypervision. Ce qui l'isolait non seulement de la foule de l'autre cìtÇ des cordons de police, mais Çgalement de D.G.

et de ses deux robots. Cela l'exposait Çgalement Ö

une sorte de bousculade polie de la part de gens qui ne semblaient avoir d'yeux que pour la camÇra.

Elle entendit d'innombrables discours, lui parut-il, fort heureusement brefs,

sans vraiment les Çcouter. Elle sourit de temps Ö autre, Ö la fois aimablement

et au hasard, faisant admirer ses implants

dentaires Ö la cantonade.

Gladia, dans un vÇhicule terrestre, traversa des kilomätres de voie, avançant au pas tandis qu'une foule innombrable s'alignait sur son passage, l'acclamant et la saluant.

( Elle

se demanda si un Spatien

avait jamais ÇtÇ aussi adulÇ par les Terriens et fut tout Ö fait convaincue que son cas Çtait exceptionnel. ) A un moment, Gladia aperçut au loin un groupe de gens agglutinÇs devant un Çcran d'hypervision et elle put fugitivement s'y reconnaåtre au passage. Ils Çcoutaient, savait-elle, un enregistrement de son discours sur Baleyworld. Gladia se demanda combien de fois, en combien de lieux

et devant combien de personnes il passait en ce moment, combien de fois on l'avait diffusÇ depuis qu'elle l'avait prononcÇ combien de fois on allait encore le passer et

si on en avait entendu parler le moins du monde sur les planätes spatiennes.

Etait-il possible, en fait, qu'on la considäre comme traåtresse Ö son peuple et cette rÇception Çtait-elle destinÇe Ö en apporter la preuve?

Peut-àtre bien, mais elle ne s'en souciait guäre.

Elle avait sa mission de paix et de rÇconciliation et elle la mänerait Ö bien, sans se plaindre, oî qu'elle la conduise - màme Ö cette incroyable orgie de bain 202

collectif et d'exhibitionnisme inconscient dans la Personnelle des femmes le matin màme. ( Sans trop de bobo, en fait. )

Ils arrivärent Ö l'une des Voies Express dont avait parlÇ D.G. et Gladia contempla, horrifiÇe, l'interminable file de voitures particuliäres qui passaient, passaient, passaient sans cesse, toutes occupÇes

par des gens qui ne pouvaient àtre retardÇs du fait du cortäge ( ou qui, simplement, ne voulaient pas àtre embàtÇs ) et qui considÇraient la foule et la procession d'un regard grave.

Apräs quoi le vÇhicule plongea sous la Voie

Express, Ö travers un court tunnel qui ne diffÇrait en rien du passage supÇrieur ( la Ville n'Çtait que tunnels ) et surgit de l'autre cìtÇ.

Enfin, le cortäge s'arràta devant un grand bÉtiment qui, heureusement, Çtait

plus agrÇable au

regard que l'infinitÇ de pÉtÇs de maisons identiques qui constituaient la norme dans le quartier rÇsidentiel de la Ville.

A l'intÇrieur se dÇroula une nouvelle rÇception au cours de laquelle on servit des boissons alcoolisÇes et divers amuse-gueule. Gladia, dÇlicate, ne toucha n'i aux unes ni aux autres. Un millier de personnes s'y agglutinaient et une file interminable de gens vinrent parler Ö Gladia. Apparemment, le bruit s'Çtait rÇpandu qu'il ne fallait pas lui serrer la main, mais certains le faisaient, inÇvitablement. Gladia, qui tentait de ne pas montrer son hÇsitation, tendait briävement deux doigts qu'elle retirait vivement de la main qui venait de les serrer.

Enfin, plusieurs femmes se prÇparärent Ö gagner la Personnelle la plus proche et l'une d'elles, se conformant Ö ce qui devait manifestement àtre un rituel social, demanda Ö Gladia, avec tout le tact nÇcessaire, s'il lui plairait de l'accompagner. Cela ne lui plut guäre, mais peut-àtre une longue nuit 203

l'attendait-elle et il pourrait peut-àtre se rÇvÇler gànant d'avoir Ö s'Çclipser plus tard.

A l'intÇrieur de la Personnelle, on entendait les bavardages et les rires habituels et Gladia, cÇdant aux exigences de la situation et forte de son expÇrience du matin, utilisa une

petite cabine avec des sÇparations de chaque cìtÇ mais rien devant.

Nul ne parut s'en soucier et Gladia s'efforça de se convaincre qu'il fallait s'adapter aux coutumes locales. Du moins l'endroit Çtait-il bien ventilÇ et paraissait d'une propretÇ immaculÇe.

Jusque-lÖ, on avait totalement ignorÇ Daneel et Giskard. Ce qui Çtait un signe de gentillesse, comprit Gladia. On n'admettait

plus de robots Ö l'intÇrieur de la Ville, bien qu'il en restÉt des millions dans la campagne environnante. Remarquer la prÇsence de Daneel et de Giskard

aurait posÇ la question

de droit qu'elle soulevait. Il Çtait plus simple de faire, avec tact, comme s'ils n'Çtaient pas lÖ.

Lorsque commença le banquet, ils prirent tranquillement place Ö une table avec

D.G., pas träs loin de l'estrade. Sur l'estrade, Gladia mangeait du bout des dents, se demandant si la nourriture n'allait pas lui donner la dysenterie.

D.G., peut-àtre pas träs heureux de se trouver relÇguÇ au rìle de gardien des robots, regardait sans cesse et nerveusement Gladia qui, de temps Ö

autre, lui faisait un petit geste de la main et lui souriait.

Giskard, qui surveillait tout aussi attentivement Gladia, put dire doucement Ö Daneel, sous le couvert de l'incessant bruit de

fond de la vaisselle et

des conversations :

- Ami Daneel, il y a dans cette piäce des personnages importants. Peut-

àtre un

ou plusieurs d'entre

eux auraient-ils des renseignements qui nous seraient utiles.

204

- C'est possible, ami Giskard. Peux-tu, grÉce Ö tes capacitÇs, me guider?

- Impossible. Je ne ressens aucune rÇaction Çmotionnelle particuliäre dans toute cette foule. Pas

plus que les rares Çclairs de ceux qui sont les plus proches de nous ne me rÇvälent quoi que ce soit.

Cependant, le point culminant de la crise approche rapidement, je le sens, alors que nous demeurons passifs.

- Je vais tenter de faire ce que le camarade Elijah aurait fait et presser les ÇvÇnements.

CHAPITRE

Daneel ne mangeait pas. Il scrutait l'assemblÇe de son regard calme et repÇra celle qu'il cherchait.

Vivement, il se leva et se dirigea vers une autre table, regardant une femme qui s'efforçait de manger le plus vite possible tout

en soutenant une conversation enjouÇe avec l'homme assis Ö sa gauche.

C'Çtait une femme robuste, aux cheveux courts, nettement striÇs de gris. Son visage, bien que plus träs jeune, demeurait agrÇable.

Daneel attendit une pause naturelle dans la

conversation mais, comme il ne s'en produisait pas, il demanda :

- Madame, Puis-je me permettre de vous interrompre?

Elle le considÇra, surprise et manifestement contrariÇe, et rÇpondit d'un ton plutìt brusque

- Oui, qu'y a-t-il?

- Madame, dit Daneel, je vous prie de nouveau de pardonner mon interruption, mais puis-je vous dire quelques mots?

Elle le regarda, un instant rembrunie, puis son expression s'adoucit et elle rÇpondit

205

- A en juger par votre excessive politesse, vous àtes un robot, n'est-ce pas?

- Je suis l'un des robots de Mme Gladia, madame.

Oui, mais vous àtes le robot humain. Vous àtes R. Daneel Olivaw.

- C'est bien mon nom, madame.

La femme se tourna vers l'homme Ö sa gauche et lui dit :

- Excusez-moi. Je ne vois pas comment je pourrais dire non Ö ce... robot.

Le voisin esquissa un sourire incertain et se plongea dans son assiette. La femme dit Ö Daneel :

- Si vous avez une chaise, pourquoi ne pas l'apporter ici? Je serais heureuse

de vous Çcouter.

Merci, madame.

Lorsque Daneel fut revenu et se fut assis, elle demanda : Vous àtes vraiment R. Daneel Olivaw, n'est-ce pas ?

- C'est bien mon nom, madame, rÇpÇta Daneel.

- Je veux dire celui qui a collaborÇ avec Elijah Baley il y a si longtemps? Vous n'àtes pas un nouveau modäle de la màme sÇrie? Vous n'àtes pas R. Daneel Olivaw IV ou quelque chose comme ça?

- Il reste träs peu de piäces, en moi, qui n'aient ÇtÇ remplacÇes au cours des vingt derniäres dÇcennies - ou màme modernisÇes,

amÇliorÇes, mais mon

cerveau positronique est le màme qu'Ö l'Çpoque oî

je collaborais avec le camarade Elijah sur trois mondes diffÇrents... et une fois Ö bord d'un vaisseau spatial. Il n'a pas ÇtÇ modifiÇ.

- Eh bien! s'exclama-t-elle, admirative. Vous reprÇsentez une rÇussite. Si tous les robots Çtaient 206

comme vous, je ne m'y opposerais nullement... De quoi vouliez-vous m'entretenir?

- Avant de gagner nos places, on vous a prÇsentÇe Ö Mme Gladia comme madame

Sophia quintana, sous-secrÇtaire d'Etat Ö l'Energie.

- Vous avez bonne mÇmoire. Ce sont bien mes nom et fonction.

- Votre fonction se limite-t-elle Ö la Ville ou s'Çtend-elle Ö toute la Terre?

- Je suis sous-secrÇtaire d'Etat pour l'ensemble du globe, je puis vous en assurer.

- Vous àtes donc parfaitement versÇe dans le domaine de l'Çnergie?

Mme quintana sourit. Elle ne paraissait pas

gànÇe par les questions. Peut-àtre jugeait-elle cela amusant ou peut-àtre se trouvait-elle sÇduite par l'air de dÇfÇrente gravitÇ de Daneel ou simplement par le fait qu'un robot pouvait ainsi la questionner.

quoi qu'il en fñt, elle rÇpondit, toujours en souriant Je suis diplìmÇe en ÇnergÇtique de l'universitÇ

de Californie et j'ai passÇ un doctorat. quant Ö

savoir si je suis parfaitement versÇe dans ce domaine, je n'en suis pas certaine. J'ai consacrÇ trop d'annÇes Ö l'administration... et cela vous gÉte le

cerveau, je vous assure.

Mais vous àtes parfaitement au fait des aspects pratiques des ressources ÇnergÇtiques actuelles de la Terre, non?

- Oui, cela je veux bien l'admettre. que voulez-vous savoir, Ö ce propos?

- Il y a quelque chose qui pique ma curiositÇ, madame.

- De la curiositÇ? Chez un robot?

- Si un robot est assez complexe, dit Daneel en s'inclinant, il peut àtre conscient d'un besoin d'informations, Ö

l'intÇrieur

de lui-màme. C'est analogue

207

Ö ce que l'on appelle Æ curiositÇ Ø, chez les humains, d'apräs ce que j'ai pu observer, et j'ai pris la libertÇ d'utiliser ce màme terme pour dÇfinir mon propre sentiment.

Träs juste. qu'est-ce qui Çveille votre curiositÇ, R. Daneel? Puis-je vous appeler ainsi?

Oui, madame. J'ai cru comprendre que l'Çnergie necessaire Ö la Terre est fournie par des centrales solaires en orbite gÇostationnaire Çquatoriale.

- Vous avez parfaitement compris.

- Mais ces centrales constituent-elles l'unique source d'Çnergie de la planäte?

- Non. Ce sont les sources principales, mais non les seules. On utilise beaucoup l'Çnergie tirÇe de la chaleur du noyau central, du vent, des vagues, des marÇes, etc. C'est lÖ un amalgame complexe et chacune des sources a ses avantages. L'Çnergie solaire est cependant la plus importante.

- Vous ne dites rien de l'Çnergie nuclÇaire, madame. N'utilisez-vous pas la

microfusion?

C'est cela qui pique votre curiositÇ, R. Daneel?

demanda Mme quintana, surprise.

Oui, madame. qu'est-ce qui justifie l'absence de sources d'Çnergie nuclÇaire sur la Terre?

- Elles ne sont pas totalement absentes, R. Daneel.

On en trouve, Ö une Çchelle rÇduite. Nos robots, nous en avons beaucoup, en milieu rural, savez-vous - fonctionnent par microfusion. Au fait, est-ce votre cas?

- Oui, madame.

- Et puis, poursuivit-elle, on compte quelques engins Ö microfusion çÖ et lÖ, mais l'ensemble est insignifiant.

- N'est-il pas exact, madame, que les sources d'Çnergie destinÇes Ö la microfusion sont sensibles Ö

l'action des intensificateurs nuclÇaires?

- Certainement. Oui, bien sñr. Les sources d'Çnergie 208

exploseraient et je suppose que l'on peut donc dire qu'elles y sont sensibles.

- Dans ce cas, ne serait-il pas possible qu'en utilisant un intensificateur nuclÇaire on läse sÇrieusement une part importante

des sources d'Çnergie de la Terre?

- Non, bien sñr que non, dit Mme quintana en riant. D'abord, je ne peux imaginer un individu traånant derriäre lui un intensificateur nuclÇaire d'un lieu Ö un autre. Ils päsent plusieurs tonnes et l'on ne pourrait les promener Ö travers les rues et les couloirs d'une Ville. Si quelqu'un essayait, cela se remarquerait certainement. Et màme si l'on parvenait Ö mettre en marche un intensificateur nuclÇaire, on ne parviendrait qu'Ö dÇtruire quelques robots et quelques machines avant qu'on dÇcouvre l'auteur et qu'on l'arràte. Non, il n'existe pas le moindre risque - pas le moindre - qu'on puisse nous nuire de cette façon. Est-ce lÖ l'assurance que vous souhaitiez avoir?

La question mettait pratiquement fin Ö l'entretien.

- Encore un ou deux petits dÇtails sur lesquels je souhaiterais des prÇcisions, madame. Pourquoi n'existe-t-il pas d'importantes sources de microfusion sur la Terre? Les mondes

spatiens sont tous tributaires de la microfusion, de màme que les mondes coloniens. La microfusion est transportable, souple, bon marchÇ...

et ne

nÇcessite pas les Çnormes efforts de maintenance, de rÇparation et de remplacement qu'exigent des structures spatiales.

- Et, ainsi que vous l'avez dit, R. Daneel, elle est sensible aux intensificateurs nuclÇaires.

- Et, ainsi que vous l'avez dit, madame, les intensificateurs nuclÇaires sont

bien trop gros et encombrants pour àtre d'une grande utilitÇ.

209

Vous àtes träs intelligent, R. Daneel, dit

Mme quintana, hochant la tàte avec un grand

sourire. Je n'aurais jamais pensÇ me trouver Ö table lancÇe dans une telle discussion avec un robot. Vos roboticiens aurorains sont träs astucieux - trop astucieux - et je crains de poursuivre sur ce sujet.

Je risquerais, en effet, de vous voir ravir ma place au gouvernement. Voyez-vous, il existe chez nous une lÇgende Ö propos d'un robot du nom de Stephen Byerley et du haut poste qu'il occuperait au gouvernement.

- Ce doit àtre pure fiction, madame, dit gravement Daneel. Il n'existe aucun

robot Ö aucun poste gouvernemental sur aucun des mondes spatiens.

Nous sommes uniquement... des robots.

- VoilÖ qui me rassure et je vais donc continuer.

La diffÇrenciation des sources d'Çnergie trouve son origine dans l'histoire. A l'Çpoque oî l'on a dÇveloppÇ les voyages hyperspatiaux, nous utilisions la

microfusion, de sorte que ceux qui quittaient la Terre emportaient avec eux des sources de microfusion. C'Çtait nÇcessaire Ö

bord des vaisseaux spatiaux et Çgalement sur les planätes, au cours des gÇnÇrations pendant lesquelles on les adaptait Ö

l'occupation humaine. Il faut plusieurs annÇes pour construire un complexe adÇquat de centrales solaires... et plutìt que d'entreprendre une telle tÉche,

les Çmigrants conservaient la microfusion. C'est ainsi que cela se passait avec les Spatiens Ö leur Çpoque et c'est ainsi que cela se passe avec les Coloniens maintenant.

Ø Sur la Terre, cependant, ont ÇtÇ dÇveloppÇes Ö

peu präs dans le màme temps la microfusion et l'Çnergie solaire dans l'espace et l'une et l'autre ont ÇtÇ utilisÇes de plus en plus. Finalement, nous avons pu choisir entre la microfusion, l'Çnergie solaire, ou, 210

bien sñr, l'une et l'autre. Et nous avons choisi l'Çnergie solaire.

- Cela me paraåt curieux, madame. Pourquoi pas les deux?

- En fait, il n'est pas difficile de rÇpondre Ö cette question, R. Daneel. La Terre, Ö l'Çpoque prÇhyperspatiale, avait fait l'expÇrience d'une forme primitive d'Çnergie nuclÇaire et cette expÇrience ne

fut pas träs heureuse. Lorsque le moment est venu de choisir entre l'Çnergie solaire et la microfusion, les Terriens ont vu dans la microfusion une forme d'Çnergie nuclÇaire et s'en sont dÇtournÇs. D'autres mondes, qui n'avaient pas connu notre expÇrience directe avec la forme primitive d'Çnergie nuclÇaire, n'eurent aucune raison de se dÇtourner de la microfusion.

- Puis-je vous demander en quoi consistait cette forme primitive d'Çnergie nuclÇaire dont vous parlez, madame?

La fission de l'uranium. C'est tout Ö fait diffÇrent de la microfusion. La fission implique la rupture de noyaux massifs, comme ceux de

l'uranium. La microfusion implique l'union de noyaux lÇgers, comme ceux de l'hydrogäne. L'une et l'autre sont cependant des formes d'Çnergie nuclÇaire.

- Je prÇsume que l'uranium constituait le carburant des appareils Ö

fission.

- Oui... ou encore d'autres noyaux lourds comme le thorium ou le plutonium.

- Mais l'uranium et ces autres corps sont des mÇtaux träs rares. Les trouvait-on en quantitÇ suffisante pour alimenter une

sociÇtÇ utilisant la fission?

- Ces ÇlÇments sont rares sur d'autres mondes.

Sur la Terre, sans àtre absolument courants, ils ne sont pas excessivement rares. L'uranium et le thorium sont träs rÇpandus dans

la croñte, mais en

211

petites quantitÇs, et ils sont concentrÇs Ö certains endroits.

Et est-ce qu'il existe actuellement sur la Terre des appareils provoquant la fission, madame?

- Non. Nulle part et sous aucune forme. Les

hommes prÇfÇreraient de beaucoup brñler du

pÇtrole - ou màme du bois - qu'utiliser la fission de l'uranium. Le seul mot d'uranium est tabou dans la sociÇtÇ polie. Vous ne m'auriez pas posÇ ces questions et je ne vous aurais pas

rÇpondu si vous aviez ÇtÇ humain et Terrien.

- Mais en àtes-vous certaine, madame? insista Daneel. N'existe-t-il pas quelque engin secret qui utilise la fission et que, pour des raisons de sÇcuritÇ...

- Non, robot, rÇpondit Mme quintana, rembrunie. Je vous le dis... aucun!

Daneel se leva.

- Je vous remercie, madame, et je vous prie de me pardonner d'avoir abusÇ de votre temps et

d'avoir abordÇ ce qui paraåt àtre un sujet dÇlicat. Si vous le permettez, je vais me retirer.

A votre service, R. Daneel, dit Mme quintana avec un geste nÇgligent de la main.

De nouveau elle se tourna vers son voisin,

confiante dans le fait qu'au milieu d'une foule jamais on nessayait de surprendre une conversation, ou du moins ne l'avouait-on

pas.

- Imaginez-vous cela? dit-elle. Une conversation sur l'Çnergie avec un robot.

quant Ö Daneel, il regagna sa place et glissa doucement Ö Giskard :

- Rien, ami Giskard. Rien d'utile.

Puis il ajouta tristement :

- Peut-àtre n'ai-je pas posÇ les bonnes questions.

Le camarade Elijah les aurait trouvÇes, lui.

212

NIVEAUA L'assassin

CHAPITRE

Le secrÇtaire gÇnÇral Edgar Andrev, chef de l'exÇcutif de la Terre, Çtait un

homme plutìt grand et imposant, soigneusement rasÇ Ö la mode spatienne.

Il se dÇplaçait toujours Ö pas mesurÇs, comme s'il se trouvait en reprÇsentation permanente et il rayonnait un certain Çclat, paraissant toujours satisfait de lui. Sa voix semblait un peu trop aiguâ

pour

son corps, et il s'en fallait de peu qu'elle fñt grinçante.

Sans àtre inflexible, il ne se laissait pas facilement influencer.

- Impossible, dit-il fermement Ö D.G. Elle doit paraåtre.

- Elle a eu une rude journÇe, monsieur le secrÇtaire gÇnÇral, expliqua D.G.

Elle n'a pas l'habitude de la foule ni de ce cadre. Je suis responsable d'elle

devant Baleyworld et mon honneur est en jeu.

- Je suis bien conscient de votre position, mais je reprÇsente la Terre et je ne peux refuser aux Terriens le droit de la voir. Les couloirs sont pleins, 213

les chaånes d'hyperonde sont pràtes et je ne pourrais l'escamoter, màme si je

le souhaitais ardemment. Apräs cela - et combien de temps cela va-t-il durer? une demi-heure? - elle pourra se retirer et il ne sera pas nÇcessaire qu'elle apparaisse avant son discours de demain soir.

- il faut se soucier de son confort, dit D.G., renonçant tacitement Ö sa position primitive. Et tenir la foule Ö distance.

- Un cordon de gardes Ö la sÇcuritÇ lui permettra de respirer Ö son aise. On tiendra Ö distance le premier rang des curieux. Ils sont lÖ, dehors. Si nous n'annonçons pas qu'elle va paraåtre, nous risquons des dÇsordres.

- On n'aurait pas dñ prÇvoir cela, dit D.G. Ce n'est pas prudent. Ce sont des Terriens et ils n'aiment pas beaucoup les Spatiens.

J'aimerais que vous me disiez comment nous

aurions pu l'Çviter, dit le secrÇtaire-gÇnÇral en haussant les Çpaules.

Pour

l'instant, c'est une hÇroãne et

l'on ne peut l'escamoter. Et tout le monde se contentera de l'applaudir... pour l'instant. Mais si elle ne paraåt pas, cela pourrait changer

Allons-y, maintenant.

D.G. recula, mÇcontent. Il croisa le regard de Gladia. Elle paraissait fatiguÇe et plus que mÇcontente.

On ne peut faire autrement.

- Il le faut, Gladia

Un instant, elle baissa les yeux sur ses mains, comme si elle se demandait si elle pouvait faire quelque chose pour se protÇger, puis elle se

redressa et releva le menton - petite Spatienne au milieu d'une horde de barbares.

- Puisqu'il le faut, il le faut. Resterez-vous avec moi?

- A moins quon ne me fasse violence.

- Et mes robots?

214

- Gladia, dit D.G. apräs une hÇsitation, comment deux robots pourraient-ils vous àtre d'une quelconque utilitÇ au milieu de millions d'àtres humains?

- Je le sais, D.G. Et je sais Çgalement qu'il faudra que je finisse par m'en passer si je dois poursuivre ma mission. Mais pas maintenant, je vous en prie.

Pour l'instant, je me sentirai plus en sÇcuritÇ avec eux, que cela soit raisonnable ou pas. Si les officiels de la Terre veulent que je rÇponde Ö la foule, que je sourie, que je salue de la main ou je ne sais quoi d'autre, la prÇsence de Daneel et de Giskard me soutiendra... Ecoutez, D.G., je leur cäde sur un point träs important, màme si je me sens mal Ö l'aise au point de penser que rien ne serait plus agrÇable que de prendre la fuite. qu'ils me cädent donc sur ce petit point particulier.

Je vais essayer, dit D.G., manifestement dÇcouragÇ, et tandis qu'il se dirigeait vers Andrev, Giskard

le suivit tranquillement.

quelques minutes plus tard, lorsque Gladia,

entourÇe d'un groupe d'officiels soigneusement triÇs, s'avança sur un balcon ouvert, D.G. demeura un peu en retrait, flanquÇ sur sa gauche par Giskard et sur sa droite par Daneel.

- Träs bien, träs bien, avait acquiescÇ le secrÇtaire-gÇnÇral avec regret.

Je

ne sais comment vous

àtes parvenu Ö me convaincre, mais c'est d'accord.

Il s'Çtait passÇ la main sur le front, conscient d'une vague douleur Ö la tempe droite. Il avait croisÇ le regard de Giskard et s'Çtait dÇtournÇ, rÇprimant un frisson.

- Mais qu'ils ne bougent pas, commandant, souvenez-vous. Et, je vous en prie,

arrangez-vous pour que celui qui a l'air d'un robot soit aussi discret que possible. Il me met mal Ö l'aise et je ne veux pas que la foule se rende compte de sa prÇsence plus qu'il n'est nÇcessaire.

215

- C'est Gladia qu'ils vont regarder, monsieur le secrÇtaire gÇnÇral. Ils ne verront rien d'autre.

- Je l'espäre, avait dit Andrev avec hargne.

il s'Çtait arràtÇ pour prendre une capsule-message que quelqu'un lui mettait

dans la main. Il

l'avait glissÇe dans la poche et poursuivi son chemin sans plus y penser jusqu'Ö ce qu'ils arrivent au balcon.

CHAPITRE

Il semblait Ö Gladia que chaque fois qu'elle passait d'un lieu Ö un autre, les

choses empiraient :

davantage de gens, davantage de bruit, davantage de lumiäre dÇroutante, davantage d'invasion de ses perceptions sensorielles.

On criait. Elle entendait son nom qu'on hurlait.

A vec peine, elle surmonta son envie de battre en retraite et de demeurer immobile. Elle levait le bras, l'agitait, souriait et les cris montaient en intensitÇ. quelqu'un prit la parole, sa voix Çclatant dans le systäme de haut-parleurs, son image

retransmise sur un grand Çcran situÇ au-dessus d'eux pour que toute la foule puisse la voir. On pouvait sans aucun doute la voir Çgalement sur d'innombrables Çcrans d'innombrables salles de tous les quartiers de toutes les Villes de la planäte.

Gladia poussa un soupir de soulagement en

voyant que quelqu'un d'autre avait la vedette. Elle tenta de s'abstraire et de laisser les paroles de l'orateur distraire l'attention de la foule.

Le secrÇtaire gÇnÇral Andrev, qui tentait de s'abstraire tout comme Gladia,

fut soulagÇ de n'avoir pas

Ö prendre la parole du fait que la prÇsÇance avait ÇtÇ donnÇe Ö Gladia. Il se souvint soudain du message qu'il avait glissÇ dans sa poche.

Il se rembrunit soudain Ö l'idÇe de ce qui pouvait 216

bien justifier l'interruption d'une aussi importante cÇrÇmonie puis se sentit au contraire irritÇ Ö la pensÇe qu'il s'agissait probablement de quelque chose de tout Ö fait futile.

Il pressa de son pouce droit la partie lÇgärement concave de la capsule qui s'ouvrit. Il en retira la mince feuille de plastipapier et la regarda se ratatiner et se briser. Il secoua l'impalpable poussiäre qui

demeurait et fit un signe impÇrieux Ö l'adresse de D.G.

Il n'Çtait guäre nÇcessaire de chuchoter, compte tenu du bruit incessant qui rÇgnait sur la place, et Andrev demanda :

- Vous m'avez dit avoir rencontrÇ un vaisseau de guerre aurorain dans les limites du systäme solaire.

- En effet... et j'imagine que les dÇtecteurs de la Terre l'ont enregistrÇ.

- Oui, bien sñr. Vous avez dit qu'aucune action hostile n'avait ÇtÇ entreprise par les uns ou les autres.

- Il n'a pas ÇtÇ fait usage des armes. Ils ont demandÇ qu'on leur livre Mme Gladia et ses robots.

J'ai refusÇ et ils sont partis. J'ai expliquÇ tout cela.

- Combien de temps cela a-t-il durÇ?

- Pas longtemps. quelques heures.

- Vous voulez dire qu'Aurora a envoyÇ un vaisseau de guerre simplement pour discuter quelques heures avec vous avant de repartir?

- Monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral, j'ignore leurs raisons, rÇpondit D.G. avec un haussement d'Çpaules. Je ne peux que rapporter

ce qui s'est passÇ.

Le secrÇtaire-gÇnÇral le toisa avec hauteur.

- Mais vous ne rapportez pas du tout ce qui s'est passÇ. Les renseignements des dÇtecteurs ont maintenant 217

ÇtÇ complätement analysÇs par ordinateur et

il semblerait que vous ayez ÇtÇ attaquÇ.

- Je n'ai pas tirÇ un seul kilowatt d'Çnergie, monsieur.

- Avez-vous pensÇ Ö l'Çnergie cinÇtique? Vous avez utilisÇ votre vaisseau comme projectile.

- C'est peut-àtre ce qu'ils ont cru. Ils n'ont pas pris la dÇcision de me rÇsister et de voir s'il pouvait s'agir d'un bluff.

- Mais s'agissait-il d'un bluff?

- Cela aurait pu en àtre un.

- il me semble, commandant, que vous Çtiez tout pràt Ö dÇtruire deux vaisseaux Ö l'intÇrieur du systäme solaire et provoquer

peut-àtre une grave crise.

Vous avez pris lÖ un risque terrible.

- J'ai pensÇ que nous n'en arriverions pas Ö une destruction effective et je ne me suis pas trompÇ.

- Mais tout cela vous a retardÇ et a distrait votre attention.

Oui, je le suppose, mais pourquoi me le faire observer?

Parce que nos dÇtecteurs ont dÇcelÇ quelque

chose qui vous a ÇchappÇ... ou du moins que vous n'avez pas rapportÇ.

- quoi donc, monsieur le secrÇtaire gÇnÇral?

- Le lancement d'un module orbital qui, semblet-il, avait Ö son bord deux humains et qui descendait vers la Terre.

D.G. et le secrÇtaire-gÇnÇral Çtaient tout Ö leur discussion. Personne, sur le balcon, ne leur pràtait attention. Seuls les deux robots qui flanquaient D.G.

les regardaient et Çcoutaient.

C'est alors que l'orateur termina sur ces derniers mots :

- Mme Gladia, nÇe spatienne sur le monde de

Solaria, mais devenue citoyenne de la Galaxie sur le 218

monde colonien de Baleyworld... ( Il se tourna vers elle et, avec un grand geste : ) Voici Mme Gladia...

Un long murmure de satisfaction monta de la

foule qui se transforma en une foràt de bras qu'on agitait. Gladia sentit une douce pression sur son Çpaule et entendit une voix lui murmurer Ö l'oreille:

- quelques mots, je vous en prie, madame.

- Peuple de la Terre, commença doucement Gladia, dont la voix Çclata, ramenant

le silence. Peuple de la Terre, c'est en àtre humain comme vous que je me prÇsente. Un peu plus vieille, je l'admets, de sorte qu'il me manque votre jeunesse, votre confiance, votre capacitÇ d'enthousiasme. Mon infortune se trouve cependant tempÇrÇe, Ö cet instant, par le fait qu'en votre

prÇsence je me sens

absorber un peu de votre feu, de sorte que tombe la chape de l'Ége...

Les applaudissements crÇpitärent et quelqu'un glissa Ö quelqu'un d'autre, sur le balcon :

Elle les rend contents d'avoir une vie bräve.

Cette femme spatienne est d'une impudence diabolique.

Andrev ne lui pràtait aucune attention. Il dit Ö D.G.: Tout cet Çpisode avec vous peut bien n'avoir ÇtÇ qu'un truc pour permettre d'envoyer ces hommes sur la Terre.

- Je ne pouvais pas le savoir, se dÇfendit D.G.

Mon seul souci Çtait de sauver Mme Gladia et mon vaisseau. Oî se sont-ils posÇs?

- Nous l'ignorons. Ils n'ont atterri dans aucun des spatioports de la Ville.

- Je l'imagine volontiers.

- C'est sans grande importance, sauf que cela m'ennuie un peu. Depuis plusieurs annÇes, on

compte un certain nombre d'atterrissages de cette nature, bien que jamais prÇparÇs avec autant de 219

soin. Il ne s'est jamais rien passÇ et nous n'y faisons pas attention. La Terre, apräs tout, est un monde ouvert. C'est le foyer de l'humanitÇ et quiconque, en provenance d'un autre monde, peut aller et venir Ö

sa guise... màme les Spatiens, s'ils le souhaitent.

D.G. se gratta la barbe.

- Cependant, leurs intentions pourraient bien ne pas àtre tout Ö fait amicales, dit-il.

Gladia Çtait en train de dire : Æ Je vous souhaite toute la rÇussite possible sur ce monde des origines de l'homme, sur ce monde harmonieux et particulier et dans cette merveilleuse

Ville Ø... Elle accueillait les applaudissements avec un sourire et un geste de la main, laissant dÇferler l'enthousiasme.

Andrev leva la voix pour se faire entendre :

- quelles que soient leurs intentions, elles n'aboutiront Ö rien. Rien, ni de l'intÇrieur ni de l'extÇrieur, ne peut briser la paix qui rägne sur la Terre depuis que les Spatiens se sont retirÇs et que la Colonisation a commencÇ. VoilÖ maintenant plusieurs dÇcennies, commandant,

que nos esprits les plus ÇchauffÇs sont partis pour les mondes coloniens, de sorte qu'on ne trouve plus guäre sur la

Terre d'hommes comme vous qui osent risquer la destruction de deux vaisseaux dans les limites du systäme solaire. Il n'existe pratiquement plus de dÇlinquance importante, plus de violence. Les gardes Ö la sÇcuritÇ qui ont pour

mission de contenir

cette foule n'ont pas d'armes parce qu'ils n'en ont pas besoin.

Et pendant ce temps, au milieu de l'immense

foule anonyme, quelqu'un pointait un foudroyeur vers le balcon et visait soigneusement.

220

CHAPITRE

Plusieurs ÇvÇnements se produisirent presque simultanÇment.

Giskard tourna la tàte pour fixer la foule, mñ par quelque pulsion.

Le regard de Daneel suivit, repÇra le foudroyeur pointÇ, et poussÇ par un rÇflexe d'une rapiditÇ

surhumaine, le robot plongea.

Le bruit du foudroyeur retentit.

Sur le balcon, tout le monde se figea avant

d'Çclater en exclamations bruyantes.

D.G. empoigna Gladia et la tira sur le cìtÇ.

La foule Çclata en un grondement terrifiant.

Daneel, qui avait bondi sur Giskard, le renversa.

Sous l'impact du foudroyeur, un trou apparut dans le plafond, derriäre le balcon.

Si l'on avait tracÇ une ligne droite allant du foudroyeur Ö ce trou, elle serait passÇe par l'endroit exact occupÇ un instant plus tìt par la tàte de Giskard.

- Ce n'est pas un humain. C'est un robot, murmura Giskard Ö l'instant OU

on le

contraignit Ö se baisser.

Daneel, lÉchant Giskard, scruta rapidement la scäne. Le niveau du sol se situait quelque six mätres au-dessous du balcon. L'espace, juste au-dessous, Çtait vide. Les gardes Ö la sÇcuritÇ se frayaient un chemin vers le lieu de l'agitation qui, dans la foule, marquait l'endroit oî s'Çtait trouvÇ l'assassin.

Daneel enjamba le balcon et sauta, son squelette mÇtallique amortissant aisÇment le choc, ce qui eñt ÇtÇ impossible Ö un humain.

Il courut vers la foule.

Daneel n'avait pas le choix. Jamais il ne s'Çtait trouvÇ dans une telle situation. Son but supràme 221

Çtait d'atteindre le robot au foudroyeur avant qu'on le dÇtruise et, avec cette idÇe en tàte, Daneel dÇcouvrit que pour la premiäre fois de son existence, il ne pouvait s'attarder

Ö l'aimable souci de

ne faire aucun mal Ö des individus humains. Il lui fallait quelque peu les bousculer.

Il les repoussa, en fait, se frayant un chemin en criant

Laissez passer! Laissez passer! Il faut interroger l'individu au foudroyeur.

Les gardes le suivaient et ils finirent par dÇcouvrir Æ l'individu Ø, Ö

terre

et quelque peu abåmÇ.

Màme sur la Terre, qui s'enorgueillissait de sa non-violence, un accäs de rage contre un meurtrier laissait des traces. L'assassin avait ÇtÇ empoignÇ, bourrÇ de coups de poing et de pied. Seule la densitÇ de la foule, en fait, l'avait empàchÇ d'àtre mis en piäces. Le grand nombre d'assaillants, se gànant mutuellement, n'avait provoquÇ que relativement peu de dÇgÉts.

Les gardes repoussärent la foule avec difficultÇ.

Sur le sol, Ö cìtÇ du robot Çtendu, gisait le foudroyeur. Daneel ne lui pràta

guäre attention.

AgenouillÇ Ö cìtÇ de l'assassin prisonnier, il lui demanda

Peux-tu parler?

Un regard brillant se posa sur Daneel.

- Je peux parler, rÇpondit l'assassin d'une voix basse mais parfaitement normale.

- Es-tu d'origine auroraine?

L'assassin ne rÇpondit pas et Daneel lui dit vivement :

- question inutile. Je le sais. Oî est votre base, sur cette planäte?

Pas de rÇponse.

- Ta base? Oî est-elle? Tu dois rÇpondre. Je te l'ordonne.

222

- Tu ne peux me donner d'ordres. Tu es R. Daneel Olivaw. On m'a parlÇ de toi

et je n'ai pas Ö t'obÇir.

Daneel leva les yeux, fit signe au garde le plus proche et dit

- Monsieur, voulez-vous demander Ö cet individu oî se trouve sa base?

Le garde sursauta, tenta de parler, mais n'Çmit qu'un son rauque. Il avala, gànÇ, dÇglutit, puis aboya:

- Oî est ta base?

- On m'a interdit de rÇpondre Ö cette question, monsieur.

- Tu dois y rÇpondre, dit fermement Daneel.

C'est un fonctionnaire de la planäte qui te le demande... Monsieur, voulez-vous lui ordonner de rÇpondre?

- Je t'ordonne de rÇpondre, dit le garde, en Çcho.

- On m'a interdit de rÇpondre Ö cette question, monsieur.

Le garde se baissa pour saisir l'assassin sans mÇnagement par l'Çpaule, mais Daneel dit rapidement

- Je pense qu'il est inutile d'utiliser la force, monsieur.

Daneel regarda autour de lui. L'agitation s'Çtait calmÇe. L'atmosphäre semblait tendue, comme si un million de personnes attendaient anxieusement pour voir ce que Daneel allait faire.

Daneel s'adressa aux nombreux gardes qui

S'Çtaient attroupÇs autour de lui et de l'assassin Ö

terre. Il leur demanda :

- Voulez-vous me dÇgager le chemin, messieurs?

Je dois amener le prisonnier Ö Mme Gladia. Peutàtre pourra-t-elle le contraindre Ö rÇpondre.

223

Faut-il appeler un mÇdecin pour le prisonnier?

demanda l'un des gardes.

- Ce ne sera pas nÇcessaire, rÇpondit Daneel sans autre explication.

CHAPITRE

- Et dire que c'est arrivÇ, dit Andrev d'une voix forte, les lävres tremblantes.

ils se trouvaient dans la piäce donnant sur le balcon et il leva les yeux sur le trou dans le plafond, preuve muette de la violence qui venait de se produire.

D'une voix qu'elle parvint Ö empàcher de trembler, Gladia rÇpondit

- Il n'est rien arrivÇ. Je n'ai aucun mal. Il n'y a que ce trou dans le plafond, qu'il vous faudra faire boucher, et peut-àtre d'autres rÇparations dans la piäce au-dessus. C'est tout.

Alors qu'elle parlait, elle pouvait entendre, au-dessus, qu'on dÇplaçait des

objets pour les Çloigner

du trou et qu'on Çvaluait probablement les dÇgÉts.

Ce n'est pas tout, dit Andrev. VoilÖ qui ruine nos projets en ce qui concerne votre apparition, demain, pour votre discours le plus important Ö la planäte.

- Bien au contraire. La planäte sera d'autant plus dÇsireuse de m'entendre, sachant que j'ai failli àtre la victime d'une tentative d'assassinat.

- Mais le risque demeure d'une nouvelle tentative.

- Ce qui me confirme dans l'idÇe que je suis sur la bonne voie... Monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral, j'ai dÇcouvert il y a quelque temps que j'avais une mission dans la vie. Il ne m'est pas venu Ö l'esprit que cette mission pouvait mettre ma vie en pÇril, 224

mais puisque c'est le cas il me semble que je ne serais pas en danger et que je ne vaudrais pas la peine qu'on m'assassine si je n'avais pas raison. Si le danger constitue un critäre d'efficacitÇ, je veux bien en courir le risque.

- Madame Gladia, intervint Giskard, Daneel est ici avec, je prÇsume, l'individu qui a braquÇ un foudroyeur dans votre direction.

Ce ne fut pas seulement Daneel qui apparut portant une forme inerte, molle,

mais aussi une douzaine de gardes. Dehors, le bruit de la foule semblait se faire moins sourd, plus distant. Manifestement, on commençait Ö

se

disperser. De temps en

temps on entendait une voix annoncer dans les haut-parleurs Æ Il n'y a pas de blessÇ. Il n'y a pas de danger. Rentrez chez vous. Ø

- C'est lui? demanda sächement Andrev, en

congÇdiant les gardes d'un geste.

- Sans aucun doute, monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral. C'est bien l'individu au

foudroyeur. L'arme se

trouvait Ö cìtÇ de lui, il y a des tÇmoins et il a avouÇ.

Il est si calme, dit Andrev en le regardant, surpris. Il ne paraåt pas humain.

Il n'est pas humain, monsieur. C'est un robot, un robot humaniforme.

Mais, nous n'avons pas de robots humaniformes sur la Terre... Ö part toi.

- Monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral, ce robot est, tout comme moi, de fabrication auroraine.

Mais c'est impossible, dit Gladia, fronçant les sourcils. On n'aurait pu ordonner Ö un robot de m'assassiner.

- Un robot aurorain spÇcialement programmÇ,

grogna D.G., furieux, en entourant d'un bras possessif les Çpaules de Gladia.

C'est absurde, D.G., dit-elle. impossible. Aurorain 225

ou pas, spÇcialement programmÇ ou pas, un

robot ne peut dÇlibÇrÇment tenter de nuire Ö un àtre humain qu'il sait àtre un àtre humain. Si ce robot a effectivement tirÇ sur moi, il a dñ faire expräs de me rater.

- Dans quel but? demanda Andrev. Pourquoi

vous aurait-il ratÇe, madame?

- Ne comprenez-vous pas? Celui qui a donnÇ

l'ordre au robot a dñ penser que cette seule tentative suffirait Ö dÇranger mes

plans, ici sur la Terre,

et c'est ce qu'on souhaitait. On ne pouvait ordonner Ö un robot de me tuer, mais on pouvait lui ordonner de me manquer - et si cela

permettait de perturber mes projets, c'Çtait bien suffisant... Sauf que cela ne changera rien. Je ne le permettrai pas.

- Ne jouez pas les hÇroãnes, Gladia, conseilla D.G.

J'ignore ce qu'ils vont tenter maintenant et rien au monde - rien - ne justifie votre perte.

Le regard de Gladia s'adoucit.

- Merci, D.G., j'apprÇcie votre rÇaction, mais je dois prendre le risque.

Andrev se tirait l'oreille, perplexe.

que faisons-nous? Les Terriens prendront plutìt mal la nouvelle qu'un robot

humaniforme a tirÇ

au foudroyeur au milieu d'une foule d'àtres humains.

- C'est certain, dit D.G. Il ne faut donc pas le dire.

- Un certain nombre de personnes doivent dÇjÖ

savoir - ou avoir devinÇ - qu'il s'agit d'un robot.

- On ne pourra arràter la rumeur, monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral, mais il est inutile de la gonfler par une dÇclaration officielle.

- Si Aurora en arrive Ö ces extrÇmitÇs pour...

commença Andrev.

- Pas Aurora, interrompit vivement Gladia. Certains Aurorains seulement, certains boutefeux. Ce

226

genre d'extrÇmistes belliqueux existe aussi parmi les Coloniens, je le sais, et probablement màme sur la Terre. Ne faites pas le jeu de ces extrÇmistes, monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral. J'en appelle Ö la majoritÇ sensÇe des deux parties et il ne faut rien faire qui puisse affaiblir cet appel.

Daneel, qui avait attendu patiemment, put enfin profiter d'un silence assez long pour glisser :

- Madame Gladia, messieurs, il est important

d'obtenir de ce robot qu'il nous dise oî se trouve sa base sur la planäte. Il y en a peut-àtre d'autres.

- Ne lui as-tu pas demandÇ?

- Si, monsieur le secrÇtaire-gÇnÇral, mais je suis un robot. Ce robot n'est pas tenu de rÇpondre aux questions d'un autre robot. Pas plus que d'obÇir Ö

mes ordres.

- Dans ce cas, je vais lui demander, moi, dit Andrev.

- Cela ne servira peut-àtre Ö rien, monsieur. Le robot a reçu l'ordre impÇratif de ne pas rÇpondre et votre ordre ne l'emportera probablement pas sur le premier. Vous ignorez la maniäre et l'intonation.

Mme Gladia est auroraine et sait comment pratiquer. Madame Gladia, voulez-vous

lui demander oî se trouve sa base sur la planäte?

Giskard commenta Ö voix si basse que seul

Daneel l'entendit :

- Ce ne sera peut-àtre pas possible. On l'a peutàtre programmÇ pour qu'il se

fige de maniäre

irrÇversible si la question est trop insistante.

- Peux-tu empàcher cela? murmura Daneel en

tournant vivement la tàte vers Giskard.

- Pas sñr. Le cerveau a subi des dÇgÉts matÇriels du fait que le robot a tirÇ sur un àtre humain.

- Je suggÇrerais, madame, dit Daneel en revenant Ö Gladia, que vous l'interrogiez sans vous montrer brutale.

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- Je ne sais pas trop, rÇpondit Gladia, sceptique.

Elle se tourna vers le robot assassin, respira profondÇment et lui demanda d'une voix Ö la fois ferme et douce

- Robot, comment puis-je t'appeler?

- On m'appelle R. Ernett Second, madame.

- Ernett, reconnais-tu que je suis auroraine?

- Vous parlez comme une auroraine, mais pas

tout Ö fait, madame.

- Je suis nÇe sur Solaria, mais je suis spatienne.

Je vis sur Aurora depuis vingt dÇcennies et j'ai l'habitude d'àtre servie par des robots depuis ma plus petite enfance. Jamais je n'ai ÇtÇ dÇçue. RÇpondras-tu Ö mes questions et

accepteras-tu mes ordres, Ernett?

- oui, madame, si aucun autre ordre ne s'y oppose.

- Si je te demande oî se trouve ta base sur cette planäte - quel endroit tu considäres comme l'Çtablissement de ton maåtre -, rÇpondras-tu?

- Je ne peux pas, madame. Pas plus qu'Ö aucune autre question concernant mon maåtre. Aucune.

Comprends-tu que si tu ne rÇponds pas, j'en

serai cruellement affectÇe et que je perdrai

conf iance dans les services que je suis lÇgitimement en droit d'attendre d'un robot?

Je comprends, madame, rÇpondit le robot

d'une voix faible.

- Est-ce que j'essaie? demanda Gladia en regardant Daneel.

- Vous ne pouvez faire autrement, madame. Nous ne nous retrouverons pas plus mal lotis s'il ne rÇpond pas.

D'une voix autoritaire, Gladia s'adressa au robot

- Ne me fais pas souffrir, Ernett, en refusant de me dire oî se trouve ta base sur cette planäte. Je t'ordonne de me le dire.

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Le robot parut se raidir. Il ouvrit la bouche mais n'Çmit aucun son. De nouveau, sa bouche s'ouvrit et il murmura d'une voix rauque

... Mile...

La bouche s'ouvrit une troisiäme fois, silencieusement... Elle demeura ouverte, la lueur disparut des

yeux du robot qui se figea, cireux. Un de ses bras, lÇgärement levÇ, retomba.

- Le cerveau positronique s'est gelÇ, dit Daneel.

- IrrÇversible! murmura Giskard Ö la seule intention de Daneel. J'ai fait tout

mon possible, mais je n'ai pu l'empàcher.

- Nous n'avons rien, dit Andrev. Nous ignorons oî peuvent àtre les autres robots.

- Il a dit : Æ ... mile... Ø, observa D.G.

- Je ne comprends pas ce mot, dit Daneel. Ce n'est pas du galactique standard comme on le parle sur Aurora. Est-ce que cela signifie quelque chose, sur la Terre?

- Il a peut-àtre essayÇ de dire Æ Miles Ø, proposa Andrev, dÇconcertÇ. J'ai connu un homme dont le prÇnom Çtait Miles.

Je ne vois pas comment cela pourrait constituer une rÇponse - ou une