part

cela... eh bien, chacun

64

est lancÇ dans le progräs technologique et chacun rÇpugne a rÇvÇler ce qu'il fait exactement. Chacun travaille en indÇpendant et il n'y a meme pas d'unitÇ d'action au sein d'un màme monde. Il

n'existe nulle part, sur aucun des mondes spatiens, une Çquipe qui ressemble Ö notre Institut de Robotique. Dans chacun des mondes,

des chercheurs individuels conservent soigneusement leurs dÇcouvertes Ö

l'abri du regard des

autres.

Je ne m'attendais pas Ö ce qu'ils soient aussi avancÇs que nous, dit Amadiro avec une certaine satisfaction.

- C'est bien dommage qu'ils ne le soient pas, rÇpliqua aigrement Vasilia. Avec tous les mondes spatiens constituant une salade d'individualitÇs, le progräs est trop lent. Les mondes coloniens se retrouvent rÇguliärement Ö des conventions, ils ont leurs instituts - et bien qu'ils aient un sÇrieux retard par rapport Ö nous, ils vont nous rattraper...

Je suis tout de màme parvenue Ö dÇcouvrir quelques avancÇes technologiques sur

lesquelles travaillent les mondes spatiens et je les ai toutes indiquÇes dans mon rapport. Tous travaillent sur l'intensificateur nuclÇaire, par exemple, mais je ne crois pas

que l'engin ait dÇpassÇ le stade des essais en laboratoire sur aucun monde.

On

n'en est pas encore Ö quelque chose de pratique, pouvant àtre embarquÇ

Ö bord d'un vaisseau.

J'espäre que vous ne vous trompez pas, Vasilia.

L'intensificateur nuclÇaire est une arme qui serait utile Ö nos flottes car elle exterminerait les Coloniens d'un seul coup.

Mais

je pense, en gÇnÇral, qu'il

serait prÇfÇrable qu'Aurora possäde l'arme avant ses fräres spatiens... mais vous m'avez dit que presque tout cela se trouvait

dans votre rapport. J'ai

bien entendu ce presque. qu'est-ce qui ne s'y trouve pas, donc?

65

- Solaria!

- Ah! le plus jeune et le Plus singulier des mondes spatiens!

- Je n'ai pratiquement rien obtenu d'eux directement. Ils m'ont regardÇe avec

une totale hostilitÇ,

comme ils auraient regardÇ, je crois, tout nonSolarien, qu'il soit spatien ou

colonien. Et lorsque je

dis Æ regardÇe Ø, je l'entends dans leur sens. Je suis restÇe präs d'un an sur ce monde, c'est-Ö-dire bien plus longtemps que sur tout autre, et au cours de ces nombreux mois je n'ai jamais vu un seul Solarien ou une seule Solarienne

face Ö face. Je n'ai pu, chaque fois, que le ou la regarder par hologramme hyperonde. Jamais je n'ai pu traiter avec quoi que ce soit de concret - uniquement avec des images. Le monde Çtait confortable, d'un luxe incroyable, en fait.

Et, pour un amoureux de la nature, dÇpourvu de toute pollution, mais comme il m'a manquÇ de voir!

- Ma foi, il s'agit d'une coutume solarienne. Nous le savons tous, Vasilia. Vivez et laissez vivre.

- Hum! Votre tolÇrance est peut-àtre mal placÇe.

Vos robots sont-ils rÇglÇs pour ne rien rÇpÇter?

- oui, bien sñr. Et je vous assure qu'on n'Çcoute pas ce que vous dites.

- Je l'espäre, Kelden... J'ai la nette impression que les Solariens sont bien plus präs de mettre au point un intensificateur nuclÇaire miniaturisÇ que tous les autres mondes, nous y compris. Ils sont peut-àtre tout präs d'en fabriquer un portable et qui consommerait assez peu d'Çnergie pour qu'on puisse l'installer Ö bord des vaisseaux spatiaux.

- Comment font-ils? demanda Amadiro, rembruni.

- Je ne sais pas. Vous ne croyez tout de màme pas qu'ils m'ont fait voir les plans, non? Mon impression est si fugitive que je n'ai pas osÇ en 66

parler dans mon rapport, mais Ö partir de petits dÇtails entendus par-ci ou glanÇs par-lÖ je pense qu'ils rÇalisent d'importants progräs. Il faudrait sÇrieusement rÇflÇchir Ö la question.

- Nous n'y manquerons pas... Souhaiteriez-vous me dire autre chose?

- Oui... et quelque chose qui ne se trouve pas dans le rapport non plus. VoilÖ des dÇcennies que Solaria travaille sur des robots humaniformes et je pense qu'ils ont atteint cet objectif. Aucun autre monde spatien - sauf nous, bien sñr - ne s'y est màme essayÇ. Lorsque j'ai demandÇ, sur chaque monde, ce qu'ils faisaient en ce qui concernait les robots humaniformes, la rÇponse a ÇtÇ unanime. Ils ont jugÇ le seul concept dÇplaisant et horrifiant. Je pense que tous ont pris conscience de notre Çchec et en ont tirÇ la leçon.

- Mais pas Solaria? Pourquoi?

- D'une part, ils ont toujours vÇcu dans la sociÇtÇ

la plus profondÇment robotisÇe de la Galaxie. Ils sont entourÇs de robots... des dizaines de milliers par individu. Leur monde en est saturÇ. Si vous deviez le parcourir au hasard, Ö la recherche d'humains, vous ne trouveriez rien. Dans ces conditions, pourquoi les quelques rares Solariens qui vivent dans un tel monde seraient-ils inquiets Ö l'idÇe de quelques robots de plus, simplement parce qu'ils seraient humaniformes? Et, d'autre part, ce pauvre diable pseudo-humain conçu et rÇalisÇ par Fastolfe et qui existe toujours...

- Daneel, souffla Amadiro.

- Oui, celui-lÖ. Il se trouvait sur Solaria il y a vingt dÇcennies et les Solariens l'ont considÇrÇ

comme humain. Ils ne s'en sont jamais remis. Màme si les humaniformes ne les gànaient pas, ils ont ÇtÇ

humiliÇs d'avoir ÇtÇ trompÇs. Ce fut pour eux l'inoubliable dÇmonstration qu'Aurora Çtait bien 67

plus en avance qu'eux, dans ce domaine prÇcis de la robotique tout au moins. Les Solariens tirent un orgueil dÇmesurÇ du fait qu'ils doivent àtre les roboticiens les plus en avance de la Galaxie et, depuis lors, des Solariens isolÇs travaillent sur les humaniformes - ne serait-ce que pour effacer cette humiliation. S'ils avaient ÇtÇ plus nombreux, ou s'ils avaient possÇdÇ un institut Pour coordonner leurs travaux, ils y seraient sans aucun doute parvenus depuis longtemps. En l'Çtat actuel des choses, je crois que c'est maintenant fait.

Vous n'avez aucune certitude, n'est-Ce pas.

- Il s'agit juste d'une hypothäse fondÇe sur quelques bribes de donnÇes glanÇes ici ou lÖ.

- Parfaitement exact, mais c'est une hypothäse que je crois solide et qui mÇrite des recherches Plus approfondies. Troisiäme Point, enfin, je jurerais qu'ils travaillent sur la communication tÇlÇpathique.

On m'a imprudemment laissÇ voir certains Çquipements. Et un jour, alors que je regardais un de leurs roboticiens, l'Çcran hyperonde a rÇvÇlÇ un tableau avec une matrice de circuit positronique qui ne ressemblait Ö rien que j'aie jamais vu. Mais il m'a semblÇ que cette matrice pouvait àtre celle d'un programme tÇlÇpathique.

Je pense, Vasilia, que cette histoire repose sur des fils plus tÇnus encore que celle des robots humaniformes.

- Je dois reconnaåtre que vous avez probablement raison, dit Vasilia, l'air gànÇ.

En fait, Vasilia, cela me paraåt pure imagination.

Si le modäle de matrice que vous avez aperçu

ne ressemblait Ö rien que vous ayez dÇjÖ vu, comment pouvez-vous penser que cela pourrait correspondre Ö quelque chose?

- A vrai dire, dit Vasilia apräs une hÇsitation, je me suis moi-màme posÇ la question. Cependant, 68

lorsque j'ai vu le programme, le mot Æ tÇlÇpathie Ø

m'est immÇdiatement venu Ö l'esprit.

- Màme si la tÇlÇpathie est impossible, màme en thÇorie ?

- On la croit impossible, màme en thÇorie. Ce n'est pas tout Ö fait la màme

chose.

- Personne n'a jamais pu rÇaliser le moindre progräs en ce domaine.

- Oui, mais pourquoi ai-je pensÇ Æ tÇlÇpathie Ø en voyant ce programme?

Ma foi, Vasilia, il s'agit peut-àtre d'une psychoexcentricitÇ personnelle qu'il est inutile d'analyser.

A votre place, j'oublierais ça... Autre chose?

- Encore un dÇtail... et le plus ahurissant de tous.

J'ai eu l'impression, Kelden, par un indice ou un autre, que les Solariens projettent de quitter leur planäte.

- Pourquoi cela?

- Je ne sais pas. Leur population, si faible soitelle, diminue encore.

Peut-àtre veulent-ils prendre un nouveau dÇpart ailleurs avant de disparaåtre

complätement.

- quel nouveau dÇpart? Oî iraient-ils?

- Je vous ai dit tout ce que je savais, rÇpondit Vasilia avec un mouvement de la tàte.

- Eh bien, donc, nous allons tenir compte de tout cela, dit lentement Amadiro. quatre questions l'intensificateur nuclÇaire, les robots humaniformes, les robots tÇlÇpathiques et l'abandon de la planäte.

Franchement, je ne crois Ö aucune des quatre, mais je vais convaincre le Conseil d'autoriser des pourparlers avec le rÇgent de Solaria... Et maintenant,

Vasilia, je pense que vous apprÇcierez un peu de repos, alors pourquoi ne pas prendre quelques semaines de congÇ et vous refaire au soleil et au beau temps d'Aurora avant de vous remettre au travail?

69

- C'est gentil Ö vous, Kelden, dit Vasilia sans bouger de sa chaise, mais il reste deux questions que je dois aborder.

Amadiro jeta un regard involontaire sur la bande indiquant l'heure. Il demanda :

- Il n'y en aura pas pour longtemps, n'est-ce pas, Vasilia?

- Cela prendra le temps que cela prendra, Kelden.

- que voulez-vous donc?

- Pour commencer, qui est ce monsieur Je-Sais-Tout qui semble se prendre pour le patron de

l'Institut, ce machin-truc Mandamus?

- Ainsi vous l'avez rencontrÇ, dit Amadiro avec un sourire qui dissimulait une certaine gàne. Vous voyez bien que les choses changent, sur Aurora.

- Certainement pas en mieux, en l'occurrence, dit sächement Vasilia. qu'est-ce que ce bonhomme?

- Exactement ce que vous avez dit : un monsieur Je-Sais-Tout. C'est un brillant jeune homme, assez calÇ en robotique mais tout aussi versÇ en physique gÇnÇrale, en chimie, en planÇtologie...

- Et quel Ége a ce monstre d'Çrudition?

- Pas tout Ö fait cinq dÇcennies.

- Et qu'est-ce qu'il veut faire quand il sera grand?

- Etre aussi sage que brillant, peut-àtre.

- Ne faites pas semblant de ne pas comprendre, Kelden. Songez-vous Ö le former pour faire de lui le prochain Directeur de l'Institut?

- J'ai l'intention de vivre encore quelques dÇcennies.

- Ce n'est pas une rÇponse.

- C'est la seule que je puisse vous faire.

Vasilia s'agita sur son siäge et son robot, qui se tenait derriäre elle, jeta des regards Ö droite et Ö

gauche comme pour se prÇparer Ö contrei- une

70

attaque - peut-àtre poussÇ par le malaise que ressentait Vasilia.

- Kelden, dit-elle, c'est moi qui dois àtre le prochain Directeur. La question est rÇglÇe. Vous me l'avez dit.

- C'est exact, mais en fait, Vasilia, Ö ma mort c'est le Conseil d'Administration qui dÇcidera. Màme si je laisse une lettre faisant part de mon dÇsir de voir quelqu'un me succÇder, le Conseil d'Administration peut me dÇsavouer. Cela est clairement prÇcisÇ

dans les statuts de l'Institut.

- Contentez-vous d'Çcrire la lettre, Kelden, et je me chargerai du Conseil d'Administration.

- C'est lÖ un sujet dont je ne veux pas discuter plus avant pour l'instant, dit Amadiro, les sourcils froncÇs. quelle est votre autre question? Je vous en prie, soyez bräve.

Elle le fixa dans un silence courroucÇ puis dit, semblant aboyer le mot

- Giskard.

- Le robot?

- Le robot, bien sñr. Connaissez-vous un autre Giskard dont je pourrais vous entretenir?

- Bon, et alors?

- Il est Ö moi.

Amadiro parut surpris.

- Il est - il Çtait, plutìt - lÇgalement la propriÇtÇ

de Fastolfe.

- Giskard m'appartenait quand j'Çtais enfant.

- Fastolfe vous le pràtait et il a fini par vous le reprendre. Il n'y a eu aucun transfert officiel de propriÇtÇ, n'est-ce pas?

- Moralement, il m'appartenait. Mais quoi qu'il en soit, il n'appartient plus Ö Fastolfe. Celui-ci est mort.

- Mais il a fait un testament. Et si je me souviens bien, conformÇment Ö ce testament, deux robots 71

Giskard et Daneel - sont maintenant la propriÇtÇ de la femme solarienne.

- Mais je ne le veux pas. Je suis la fille de Fastolfe...

- Oh?

- J'ai un droit sur Giskard, dit Vasilia, rougissante. Pourquoi une Çtrangäre

l'aurait-elle?

- D'abord parce que Fastolfe l'a voulu. Et elle est citoyenne auroraine.

- qui a dit cela? Pour tous les Aurorains, elle est Æ la femme solarienne Ø.

Amadiro abattit soudain son poing sur le bras de son fauteuil en un geste de coläre.

- Vasilia, que voulez-vous de moi? explosa-t-il. Je n'ai aucune sympathie pour la femme solarienne.

En fait, je la dÇteste profondÇment et si je pouvais, je!... ( il jeta un regard rapide sur les robots, comme s'il ne souhaitait pas les inquiÇter ). je lui ferais quitter la planäte. Mais je ne peux violer le testament. Màme s'il existait une

possibilitÇ lÇgale de le

faire - et il n'y en a pas -, il ne serait pas sage de le faire. Fastolfe est mort.

- C'est prÇcisÇment pourquoi Giskard devrait me revenir.

- Et la coalition dont il Çtait le chef Çclate, dit Amadiro, ignorant sa remarque. Elle ne tenait, au cours des derniäres dÇcennies, que par son charisme personnel. J'aimerais maintenant ramasser

quelques dÇbris de cette coalition et les agrÇger Ö

mes propres partisans. Ainsi pourrais-je mettre sur pied un groupe assez puissant pour dominer le Conseil et enlever les prochaines Çlections.

- Avec vous comme nouveau PrÇsident?

- Pourquoi pas? Aurora pourrait trouver plus mal, car cela me fournira l'occasion de changer complätement cette politique annonciatrice d'un dÇsastre avant qu'il ne soit trop tard. L'ennui, c'est 72

que je ne jouis pas de la popularitÇ personnelle de Fastolfe. Je n'ai pas son don de rayonner d'une saintetÇ masquant la stupiditÇ. En consÇquence, s'il apparaåt que je l'emporte dans une affaire mesquine et malhonnàte sur un homme qui est dÇcÇdÇ, cela ne fera pas bon effet. Personne ne doit dire que, battu par Fastolfe vivant, j'ai, par une rancune banale, violÇ son testament apräs sa mort. Je ne veux pas qu'une histoire aussi ridicule vienne gàner mon accession aux dÇcisions vitales que doit prendre Aurora. Vous me comprenez?

Il faudra vous passer de Giskard!

- Nous verrons, dit Vasilia qui se leva, raide, le regard fixe.

- C'est tout vu. L'entretien est terminÇ, et si vous nourrissez la moindre ambition de devenir Directeur de l'Institut, je ne veux

plus jamais vous entendre me menacer ainsi, pour quelque raison que ce soit. Si, donc, vous vous appràtez Ö profÇrer une menace, je vous demande de rÇflÇchir.

- Je ne menace pas, dit Vasilia dont tout le corps dÇmentait les paroles.

Et elle tourna les talons, faisant signe - inutilement - Ö son robot de la suivre.

CHAPITRE

L'imprÇvu - ou plutìt la sÇrie d'imprÇvus - se dÇclencha quelques mois plus tard lorsque Maloon Cicis pÇnÇtra dans le bureau d'Amadiro pour l'habituelle rÇunion du matin.

D'ordinaire, Amadiro aimait bien cela. Cicis constituait toujours un reposant

intermäde dans le courant d'une journÇe bien remplie. C'Çtait l'unique membre important de l'Institut Ö ne nourrir aucune ambition et Ö ne pas tirer de plans pour le jour oî

Amadiro viendrait Ö mourir ou Ö se retirer. Cicis 73

Çtait, en fait, le parfait collaborateur, heureux de rendre service et ravi d'àtre dans les confidences d'Amadiro. C'est pourquoi, depuis un an environ, Amadiro Çtait contrariÇ par le parfum de dÇcrÇpitude, la lÇgäre concavitÇ de la poitrine, la raideur dans la dÇmarche de ce parfait collaborateur. Etait-il possible que Cicis se fåt vieux?

Il n'avait que quelques dÇcennies de plus qu'Amadiro.

Amadiro se sentit fort dÇsagrÇablement frappÇ

par le fait qu'en màme temps que se dÇgradaient progressivement tant d'aspects de la vie d'un Spatien l'espÇrance de vie diminuait. Il avait bien l'intention de revoir les statistiques mais oubliait

sans cesse - ou peut-àtre craignait-il inconsciemment de le faire.

Cette fois, cependant, l'Ége de Cicis disparaissait sous une violente Çmotion. Le visage rouge ( soulignant le gris de sa chevelure ), il paraissait pratiquement Çclater sous l'effet de la stupÇfaction.

Amadiro n'eut pas Ö s'enquÇrir des nouvelles.

Cicis les lui donna comme s'il ne pouvait se retenir.

Lorsqu'il eut fini d'exploser, Amadiro demanda, stupÇfiÇ :

- Toutes les Çmissions radio ont cessÇ? Toutes?

- Toutes, monsieur le Directeur. Ils doivent àtre morts - ou partis. Aucun monde habitÇ ne peut Çviter d'Çmettre certains rayonnements ÇlectromagnÇtiques Ö notre niveau de...

Amadiro lui fit signe de se taire. Dans l'un des points sur lesquels Vasilia avait insistÇ - le quatriäme, il s'en souvenait

-,

elle avait prÇcisÇ que les Solariens se prÇparaient Ö quitter leur monde.

L'idÇe lui avait paru absurde; les quatre points lui avaient d'ailleurs paru absurdes Ö des degrÇs divers.

Il avait dit qu'il s'en souviendrait et, bien sñr, il n'en 74

avait rien fait. Maintenant, apparemment, il semblait avoir eu tort.

Ce qui avait paru absurde lorsque Vasilia en avait parlÇ le demeurait toujours. Il reposa la question qu'il avait dÇjÖ posÇe, bien que n'attendant aucune rÇponse. ( quelle rÇponse pouvait-on donner? )

- Oî diable iraient-ils, Maloon?

- Nous n'en savons rien, monsieur le Directeur.

- Bon, et quand sont-ils donc partis?

- Nous n'en savons rien non plus. Nous avons appris la nouvelle ce matin. L'ennui, c'est la faible intensitÇ des Çmissions sur Solaria, en tout Çtat de cause. La planäte est träs peu habitÇe et ses robots sont bien protÇgÇs. L'intensitÇ y est infÇrieure Ö

celle de tout autre monde spatien; deux degrÇs de moins que la nìtre.

- Ainsi, on s'est aperçu un jour que ce qui Çtait träs faible Çtait devenu nul, mais personne ne s'est rendu compte de la baisse. qui l'a remarquÇ?

- Un vaisseau nexonien, monsieur le Directeur.

- Comment?

- Le vaisseau a ÇtÇ contraint de se placer en orbite autour du soleil de Solaria pour effectuer des rÇparations urgentes. Ils ont demandÇ l'autorisation par hyperonde et n'ont pas eu de rÇponse. Ils ont dñ se passer d'autorisation, demeurer en orbite et effectuer les rÇparations. Personne ne leur a demandÇ quoi que ce soit. Ce n'est qu'apräs leur dÇpart, et en regardant leurs enregistrements, qu'ils ont dÇcouvert que non seulement ils n'avaient pas eu de rÇponse mais qu'en outre ils n'avaient pas reçu le moindre signal. On ne peut dire exactement quand les Çmissions ont cessÇ. Le dernier message en provenance de Solaria a ÇtÇ captÇ il y a plus de deux mois.

75

- Et les trois autres observations qu'elle a faites ?

- Pardon, monsieur le Directeur?

- Rien. Rien, dit Amadiro, le front plissÇ, perdu dans ses pensÇes.

NIVEAUA Le robot tÇlÇpathique

CHAPITRE

Mandamus n'Çtait pas au courant de la situation sur Solaria lorsqu'il rentra, quelques mois plus tard, d'un important voyage sur la Terre.

Lors de son premier voyage, six ans plus tìt, Amadiro Çtait parvenu, malgrÇ quelques difficultÇs, Ö l'y faire envoyer comme Çmissaire accrÇditÇ d'Au rora pour discuter d'une

vÇtille concernant des vaisseaux coloniens qui avaient empiÇtÇ sur un territoire spatien. Il lui avait fallu supporter la cÇrÇmonie, l'ennui bureaucratique et il lui avait vite paru Çvident qu'en qualitÇ d'Çmissaire sa libertÇ de mouvement Çtait limitÇe. Peu importait, car il avait appris ce qu'il Çtait venu apprendre. Et il avait rapportÇ la nouvelle :

- Je doute, docteur Amadiro, que l'on rencontre la moindre difficultÇ. Il est impossible, absolument impossible, que les fonctionnaires de la Terre contrìlent les arrivÇes ou les dÇparts. Chaque annÇe, plusieurs millions de Coloniens viennent en 77

visite sur la Terre, en provenance de dizaines de mondes. Et, chaque annÇe, ils sont aussi nombreux Ö rentrer chez eux. Les Coloniens semblent penser qu'il leur manque quelque chose s'ils ne vont pas pÇriodiquement respirer l'air de la Terre et parcourir ses espaces souterrains

surpeuplÇs. Ils recherchent leurs racines, j'imagine. On dirait qu'ils ne se

rendent pas compte du cauchemar qu'est l'existence sur la Terre.

- Je sais parfaitement cela, Mandamus, dit Amadiro d'un ton las.

- Vous l'imaginez seulement, monsieur. On ne peut vraiment comprendre qu'apräs l'avoir vÇcu.

C'est alors qu'on se rend compte que tout ce qu'on a cru savoir est bien loin de la rÇalitÇ. Pourquoi on souhaite y retourner une fois qu'on en est parti...

- Nos ancàtres n'ont certainement pas voulu y retourner, une fois qu'ils ont eu quittÇ la planäte.

- Non, dit Mandamus, mais les voyages interplanÇtaires n'Çtaient pas ce qu'ils

sont aujourd'hui. Il

fallait des mois, alors, et le Bond hyperspatial constituait une vÇritable aventure. quelques jours suffisent maintenant et les Bonds, devenus manoeuvre banale, sont sans danger.

S'il avait ÇtÇ si facile de retourner sur la Terre Ö l'Çpoque de nos ancàtres,

je me demande si nous aurions rompu tout

lien comme nous l'avons fait.

- Tràve de philosophie, Mandamus! Au fait.

- Certainement. Outre le flot incessant des arrivÇes et des dÇparts de Coloniens, des millions de

Terriens quittent la planäte chaque annÇe pour Çmigrer dans un des mondes coloniens. Certains rentrent presque aussitìt, n'ayant pas rÇussi Ö

s'adapter. D'autres crÇent de nouveaux foyers mais reviennent träs souvent. Il n'existe aucun moyen de garder trace des dÇparts et des arrivÇes et la Terre n'essaie màme pas. Toute tentative d'instaurer des 78

mÇthodes d'identification et de conservation des traces des passages des visiteurs pourrait tarir le flot et la Terre est parfaitement consciente que chaque visiteur apporte de l'argent avec lui. Le tourisme - si on peut l'appeler ainsi - est l'industrie la plus florissante de la Terre.

- Vous dites, je suppose, que nous n'aurons

aucune difficultÇ Ö envoyer les robots humaniformes sur la Terre.

- Absolument aucune. Pour moi, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Maintenant que nous les avons correctement programmÇs, nous pouvons les envoyer sur la Terre, en une demi-douzaine de fournÇes, avec de faux papiers. On ne peut rien faire en ce qui concerne leur respect et leur crainte rÇvÇrentielle pour les àtres humains, mais cela ne les trahira peut-àtre pas. On considÇrera cela comme le

respect ordinaire des Coloniens pour la planäte des ancàtres... Et puis j'ai bien l'impression qu'il est inutile de les lÉcher dans un des spatioports d'une Ville. Il n'y a pratiquement personne dans les vastes espaces entre les Villes Ö part des robots primitifs et les vaisseaux pourront S'y poser sans qu'on les voie - ou du moins sans qu'on y pràte attention.

- Trop risquÇ, je crois, dit Amadiro.

CHAPITRE

On envoya sur la Terre deux fournÇes de robots humaniformes qui se màlärent aux Terriens de la Ville avant de s'installer dans les zones dÇsertes et d'entrer en communication avec Aurora par hyperrayon protÇgÇ.

- Il va falloir que j'y retourne, dit Mandamus. ( Il avait bien rÇflÇchi et longtemps hÇsitÇ. ) Je ne suis pas absolument certain qu'ils aient trouvÇ le bon endroit.

79

- Etes-vous sñr qu'ils le connaissent, Mandamus?

demanda ironiquement Amadiro.

- J'ai fouillÇ Ö fond dans l'histoire ancienne de la Terre, monsieur. Je sais qu'ils peuvent trouver l'endroit.

- Je ne pense pas pouvoir convaincre le Conseil d'envoyer un vaisseau de guerre avec vous.

- Non, je n'en veux pas. Ce serait plus nuisible qu'utile. Je n'ai besoin que d'un vaisseau monoplace, avec juste assez de carburant pour faire l'aller-retour.

Et c'est ainsi que Mandamus effectua son

deuxiäme voyage sur la Terre, se posant dans une rÇgion Ö l'extÇrieur des plus petites Villes. Avec un soulagement et une satisfaction mitigÇs, il trouva plusieurs des robots au bon endroit et demeura avec eux pour examiner leur travail, donner quelques ordres relatifs Ö ce travail et apporter quelques judicieux rÇglages Ö leur programmation.

Et, sous L'oeil indiffÇrent de quelques robots primitifs conçus par la Terre

pour des tÉches agricoles, Mandamus partit pour la Ville voisine.

Il prenait un risque calculÇ et, n'ayant pas l'Éme d'un intrÇpide hÇros, il sentit son coeur battre dÇsagrÇablement dans sa poitrine. Mais tout se passa bien. Le gardien, Ö la grille, manifesta quelque surprise en voyant arriver un humain qui, manifestement, venait de passer pas

mal de temps Ö l'air libre.

Mandamus Çtait porteur de papiers faisant de lui un Colonien et le garde haussa les Çpaules. Le grand air ne gànait pas les Coloniens et il n'y avait rien d'insolite Ö ce qu'ils aillent faire de petites excursions par les champs et les bois qui formaient les couches supÇrieures des environs d'une Ville.

Le gardien se borna Ö jeter un coup d'oeil sur les papiers et personne d'autre ne les lui demanda.

80

L'accent Çtranger de Mandamus ( qu'il tenta de rendre aussi peu aurorain que possible ) passa sans commentaire et, pour autant qu'il puisse juger, nul ne se posa la question de savoir s'il pouvait àtre spatien. Pourquoi l'auraient-ils fait, d'ailleurs? il y avait deux siäcles que les Spatiens ne disposaient plus de postes avancÇs sur la Terre et les Çmissaires officiels des mondes spatiens n'Çtaient guäre nombreux et - depuis pas mal de

temps - l'Çtaient de moins en moins. Les Terriens provinciaux ne se souvenaient peut-àtre màme pas qu'existaient des Spatiens.

Mandamus s'inquiÇtait un peu qu'on pñt remarquer les minces gants transparents qu'il portait toujours, ou encore ses obturateurs nasaux, mais cela ne se produisit pas. Aucune restriction ne fut imposÇe Ö ses dÇplacements autour de la Ville ou vers d'autres Villes. Il avait assez d'argent et l'argent comptait ÇnormÇment sur la Terre ( dans les mondes spatiens aussi, Ö

vrai dire ).

Il prit l'habitude de n'avoir pas de robots sur les talons et lorsqu'il rencontrait des robots humaniformes d'Aurora dans telle ou

telle Ville, il lui fallait

leur expliquer qu'ils ne devaient pas lui coller aux talons. Il Çcouta leurs rapports, leur donna les instructions qui lui parurent utiles et prit des dispositions pour l'expÇdition

d'autres robots Ö l'extÇrieur de la Ville. Enfin, il rejoignit son vaisseau et

rentra.

Il ne fut pas plus inquiÇtÇ lors de son retour que lors du voyage aller.

- En fait, dit-il ràveusement Ö Amadiro, ces Terriens ne sont pas vraiment des barbares.

- Vraiment?

- Chez eux, ils se comportent de façon tout Ö fait convenable. En fait, il y a màme quelque chose de charmant dans leur amabilitÇ.

81

Commencez-vous Ö regretter la tÉche dans

laquelle vous vous àtes lancÇ?

- C'est horrible, le sentiment que j'Çprouve en me promenant parmi eux et en pensant qu'ils ignorent ce qui va leur arriver. Je ne parviens pas Ö me rÇjouir de ce que je fais.

- Mais si, bien sñr, Mandamus. Songez qu'une fois la tÉche terminÇe vous serez assurÇ du poste de Directeur de l'Institut avant longtemps. Cela adoucira la pilule.

Apräs quoi, Amadiro eut Mandamus sÇrieusement Ö L'oeil.

CHAPITRE

A son troisiäme voyage, Mandamus se sentait

beaucoup plus Ö l'aise et parvenait presque Ö se comporter en Terrien. Le projet avançait lentement mais exactement comme prÇvu.

Il n'avait pas eu le moindre ennui de santÇ lors de ses prÇcÇdentes visites, mais Ö la troisiäme - trop confiant sans doute - il avait dñ s'exposer Ö quelque chose. Du moins eut-il, pendant un temps, un Çcoulement nasal inquiÇtant accompagnÇ de toux.

Une visite Ö l'un des dispensaires de la Ville se traduisit par une injection de gammaglobulines qui le soulagea instantanÇment, mais il trouva le dispensaire plus effrayant que la

maladie. Il savait que

tous ceux qui se trouvaient lÖ Çtaient vraisemblablement atteints de quelque

affection contagieuse ou

en contact avec les malades.

Mais il retrouvait enfin, maintenant, le calme et la vie ordonnÇe d'Aurora et il s'en sentait fort aise. Il Çcoutait Amadiro lui parler de la crise solarienne.

- Vous n'en avez pas du tout entendu parler?

- Pas du tout, monsieur. La Terre est un monde incroyablement provincial. Huit cents Villes et un 82

total de huit milliards d'habitants - qui ne s'intÇressent Ö rien d'autre qu'aux huit cents Villes et Ö leurs

huit milliards d'habitants. On croirait que les Coloniens n'existent que pour

visiter la Terre et que les

Spatiens n'existent pas du tout. En fait, les informations, dans une Ville quelconque, ne traitent - Ö quatre-vingt-dix pour cent - que de cette seule Ville.

La Terre est, intellectuellement autant que physiquement, un monde clos et claustrophile.

- Et malgrÇ cela vous dites que ce ne sont pas des barbares.

- La claustrophilie n'est pas forcÇment de la barbarie. Pour eux, ils sont civilisÇs.

- Pour eux!... Mais peu importe. L'important, pour l'instant, c'est Solaria. Pas un seul des mondes spatiens ne bougera. Le principe souverain, c'est la non-ingÇrence et ils maintiennent que les questions intÇrieures solariennes n'intÇressent que les Solariens. Notre propre PrÇsident

est tout aussi apathique que les autres, bien que Fastolfe soit mort et que sa main inerte ne päse plus sur nous. Je ne peux rien faire tout seul... tant que je ne suis pas moi-màme PrÇsident.

- Comment peuvent-ils croire qu'il s'agit d'affaires intÇrieures solariennes

dans lesquelles nous ne pouvons nous immiscer, alors que les Solariens sont partis ) demanda Mandamus.

- Comment se fait-il que vous vous rendiez

compte immÇdiatement que c'est aberrant et pas eux? rÇpondit ironiquement Amadiro... Ils disent qu'il n'existe pas de preuve absolue que les Solariens sont tous partis et tant

qu'ils demeurent peut-àtre - certains du moins - sur leur monde, aucun autre monde spatien n'est autorisÇ Ö s'en màler sans qu'on l'y invite.

- Comment expliquent-ils l'absence de toute radiation?

83

- ils disent que les Solariens sont peut-àtre descendus sous terre ou qu'ils

ont dÇcouvert quelque

moyen technologique qui empàche toute fuite de radiation. ils disent aussi qu'on ne les a pas vus partir et qu'ils n'ont absolument nul endroit oî

aller. Bien sñr, on ne les a pas vus partir parce que personne ne regardait.

- Comment justifient-ils que les Solariens n'ont aucun endroit oî aller? Il existe de nombreux mondes vides.

- On donne comme argument que les Solariens

ne peuvent vivre sans leurs incroyables foules de robots et qu'ils ne peuvent emmener les robots avec eux. S'ils venaient ici, par exemple, combien de robots pensez-vous qu'on leur autoriserait - si on leur en autorisait?

- Et que rÇpondez-vous Ö cela?

- Rien. Mais qu'ils soient partis ou pas, la situation n'en demeure pas moins bizarre et troublante

et il est incroyable que nul ne veuille chercher Ö

comprendre. J'ai mis tout le monde en garde, avec toute la fermetÇ possible, contre le fait que l'inertie et l'apathie provoqueront notre fin; que däs que les mondes coloniens se rendront compte que Solaria est - ou peut àtre - vide, ils n'hÇsiteront pas, eux, Ö

chercher Ö comprendre. Ces gens qui essaiment font montre d'une curiositÇ insensÇe que je voudrais bien que nous