partiront

pas pour des mondes primitifs et informes; pas plus, semble-t-il, qu'ils n'aiment les robots humaniformes.

Vous n'avez guäre donnÇ aux Spatiens l'occasion 82

de les aimer. Les Terriens commencent Ö

coloniser d'autres planätes - màme des planätes primitives et informes. Et ils le font sans l'aide de robots.

- Vous connaissez parfaitement les diffÇrences qui nous sÇparent des Terriens. Ils sont huit milliards, plus un grand nombre

de Coloniens.

- Et on compte cinq milliards et demi de Spatiens.

- Le nombre ne constitue pas la seule diffÇrence, dit amärement Amadiro. Ils se reproduisent comme des insectes.

Pas du tout. La population de la Terre est

demeurÇe remarquablement stable depuis des siäcles.

- Le potentiel demeure. S'ils mettent tout leur coeur Ö l'Çmigration, ils peuvent aisÇment produire cent soixante millions d'individus par an et le nombre ira croissant au fur et Ö mesure que les nouveaux mondes seront occupÇs.

Nous possÇdons la capacitÇ biologique de produire cent milions d'individus chaque annÇe.

- Mais pas la capacitÇ sociologique- Nous vivons longtemps; nous ne souhaitons pas àtre remplacÇs si rapidement.

- Nous pourrions envoyer une grande partie des nouveaux individus sur les autres mondes.

- Ils n'iront pas. Nous tenons pour prÇcieux nos corps qui sont forts, sains et capables de conserver cette force et cette santÇ pendant präs de quarante dÇcennies. Les Terriens sont incapables de

trouver une valeur Ö des corps qui s'usent en moins de dix dÇcennies et qui sont frappÇs par la maladie et la dÇgÇnÇrescence avant màme la fin de cette bräve pÇriode de vie. Peu leur importe d'envoyer des millions d'individus par an vers une misäre et probablement une mort certaines, màme si les

victimes ne craignent ni la misäre ni la mort. En 83

effet, que connaissent-ils d'autre sur la Terre? Les Terriens qui Çmigrent fuient leur monde pestilentiel car ils savent parfaitement qu'ils ne peuvent guäre trouver pire. Nous, en ce qui nous concerne,

nous nous trouvons parfaitement bien sur nos planätes bien agencÇes et confortables et nous ne les abandonnerions pas de gaietÇ de coeur.

- J'ai entendu ces arguments tellement de fois, soupira Fastolfe... Puis-je simplement vous faire observer, Amadiro, qu'Aurora Çtait Ö l'origine un monde primitif et informe qu'il a fallu terraformer pour qu'il devienne vivable, comme tous les mondes spatiens?

- Et moi j'ai entendu tous vos arguments jusqu'Ö

l'Çcoeurement, dit Amadiro, mais je ne me soucierai pas d'y rÇpondre. Il se peut qu'Aurora ait ÇtÇ

primitive au dÇbut de sa colonisation, mais Aurora a ÇtÇ colonisÇe par les Terriens. quant aux autres mondes spatiens, lorsqu'ils n'ont pas ÇtÇ colonisÇs par les Terriens, ils l'ont ÇtÇ par des Spatiens qui ne s'Çtaient pas encore dÇbarrassÇs de leur hÇritage terrien. L'Çpoque n'est plus Ö cela. Ce que l'on pouvait faire alors ne peut plus l'àtre maintenant.

Amadiro eut une grimace du coin de la bouche et poursuivit

Non, Fastolfe, le rÇsultat de votre politique a ÇtÇ de permettre la crÇation d'une Galaxie qui sera peuplÇe par les seuls Terriens tandis que les Spatiens devront s'Çtioler et dÇcliner. Nous pouvons

dÇjÖ le constater. Votre fameux voyage sur la Terre, il y a deux ans, a constituÇ le tournant dÇcisif. Vous avez en quelque sorte trahi votre peuple en encourageant ces demi-humains Ö

se

lancer dans leur expansion. En deux ans seulement, on compte dÇjÖ

quelques Terriens au moins sur vingt-quatre mondes et il s'en ajoute constamment de nouveaux.

- N'exagÇrez rien, dit Fastolfe. Aucun de ces mondes coloniens n'est vraiment adaptÇ Ö la colonisation 84

humaine pour l'instant et ne le sera pas

avant des dÇcennies. Il n'est pas certain que tous survivent et, du fait que les mondes les plus proches sont occupÇs, les chances de coloniser des mondes plus lointains diminuent, de sorte que le mouvement initial va se ralentir.

J'ai encouragÇ leur expansion parce que je comptais que nous en ferions autant. Nous pouvons toujours les rattraper si nous faisons l'effort suffisant et, dans une saine Çmulation, nous pouvons peupler

la Galaxie ensemble.

- Non, dit Amadiro. Ce que vous avez en tàte constitue la plus destructrice de toutes les politiques, un idÇalisme insensÇ.

L'expansion se fait Ö sens unique et il continuera Ö en àtre ainsi quoi que vous puissiez faire. Le peuple de la Terre grouille sans entraves et il va falloir l'arràter avant qu'il devienne trop puissant pour qu'on puisse encore y parvenir.

- De quelle maniäre proposez-vous de le faire?

Un traitÇ d'amitiÇ nous lie Ö la Terre, prÇcisant que nous sommes d'accord pour ne pas arràter leur expansion dans l'espace tant que n'est touchÇe aucune planäte situÇe Ö vingt annÇes-lumiäre d'un monde spatien. Ils se sont scrupuleusement tenus Ö cette clause.

Tout le monde connaåt le traitÇ, dit Amadiro.

Chacun sait aussi qu'aucun traitÇ n'a jamais ÇtÇ

respectÇ däs lors qu'il commence Ö se retourner contre l'intÇràt national du signataire le plus puissant. Je n'attache aucune

valeur Ö ce traitÇ.

- Moi si. Et je m'y tiendrai.

- Vous faites montre d'une confiance touchante, dit Amadiro en hochant la tàte. Comment s'y tiendra-t-on quand vous ne serez

plus au pouvoir?

- Je n'ai pas l'intention d'abandonner le pouvoir avant quelque temps. !

- Plus la Terre et les Coloniens deviendront puissants et plus la crainte s'installera chez les 85

Spatiens. Vous ne demeurerez pas longtemps au pouvoir apräs cela.

- Et si vous violez le traitÇ, dÇtruisez les mondes coloniens et fermez les portes sur la Terre, les Spatiens Çmigreront-ils alors et peupleront-ils la Galaxie?

- Peut-àtre pas. Mais si nous choisissons de ne pas le faire, si nous dÇcidons que nous sommes parfaitement bien ainsi, qu'est-ce que cela change?

- Dans ce cas, la Galaxie ne deviendra pas un empire humain.

- Et apräs?

- Apräs, les Spatiens vont s'Çtioler et dÇgÇnÇrer, màme si la Terre est maintenue prisonniäre et s'Çtiole et dÇgÇnäre elle aussi.

- Simple boniment de votre parti, Fastolfe. Il n'existe aucune preuve concräte que cela se produirait. Et màme si cela se produit, c'est nous qui l'aurons voulu. Du moins ne verrons-nous pas des barbares Ö la vie ÇphÇmäre hÇriter de la Galaxie.

- PrÇtendez-vous sÇrieusement, Amadiro, que

vous prÇfÇreriez voir mourir la civilisation spatienne, pourvu que vous puissiez empàcher l'expansion de la Terre?

- Je ne souhaite pas que nous mourions, Fastolfe, mais si le pire se produit, eh bien oui, pour moi notre mort est une chose moins effrayante que le triomphe d'une bande de sous-humains Ö la vie ÇphÇmäre et pourris par les maladies.

- Dont nous descendons.

- Et auxquels nous ne sommes plus vraiment liÇs gÇnÇtiquement. Sommes-nous des vers parce qu'il y a un milliard d'annÇes nos ancàtres Çtaient des vers?

Fastolfe, lävres pincÇes, se leva pour quitter les lieux. Amadiro, rayonnant, ne fit pas le moindre geste pour l'arràter.

86

CHAPITRE

Daneel n'avait aucun moyen de dÇterminer, directement, que Giskard se trouvait

plongÇ dans ses souvenirs. D'une part, l'expression de Giskard ne changeait guäre et, de l'autre, il n'Çtait pas plongÇ

dans ses souvenirs comme pouvaient l'àtre les humains. Cela ne lui prenait pas grand temps.

D'un autre cìtÇ, le cours des rÇflexions qui avait conduit Giskard Ö faire resurgir le passÇ avait amenÇ Daneel Ö penser aux màmes ÇvÇnements de ce passÇ, tels que depuis longtemps Giskard les lui avait racontÇs. Ce qui ne surprenait pas davantage Giskard.

Leur conversation se poursuivit sans aucune

pause inhabituelle, mais d'une façon sensiblement nouvelle, comme si chacun avait ÇvoquÇ le passÇ au nom de l'un et de l'autre.

- Il semblerait, ami Giskard, dit Daneel, que puisque les Aurorains reconnaissent qu'ils sont plus faibles que la Terre et ses nombreux mondes coloniens, la crise prÇvue par Elijah Baley soit tranquillement passÇe.

- Cela se peut, ami Daneel.

- Tu y as oeuvrÇ.

- Effectivement. J'ai maintenu le Conseil entre les mains de Fastolfe. J'ai fait ce que j'ai pu pour façonner ceux qui, Ö leur tour, façonnent l'opinion publique.

- Cependant, je me sens mal Ö l'aise.

- Je me suis senti mal Ö l'aise Ö tous les stades de la procÇdure, dit Giskard, bien que je me sois efforcÇ de ne nuire Ö personne. Je n'ai touchÇ mentalement - aucun humain qui

nÇcessitÉt plus qu'une simple touche. Sur Terre, je n'ai eu qu"Ö

attÇnuer la crainte des reprÇsailles et Ö choisir notamment ceux chez qui cette crainte n'Çtait pas 87

träs marquÇe. Il m'a suffi de rompre un fil qui dÇjÖ

se trouvait tout präs de se rompre. Sur Aurora, ce fut le contraire. Ici, les hommes politiques rÇpugnaient Ö adopter une politique qui les conduirait Ö

sortir de leur confortable cocon et je n'ai fait qu'appuyer cette tendance et rendre un peu plus solide le lien qui les unissait. Ce qui m'a plongÇ

dans un trouble constant bien que lÇger.

- Pourquoi cela? Tu as encouragÇ l'expansion de la Terre et dÇcouragÇ celle des Spatiens. C'est certainement lÖ ce qu'il fallait faire.

- Ce qu'il fallait faire? Penses-tu, ami Daneel, qu'un Terrien vaille plus qu'un Spatien, màme si l'un et l'autre sont des àtres humains?

il y a des diffÇrences. Elijah Baley prÇfÇrait voir son propre peuple vaincu que la Galaxie inhabitÇe.

Le Dr Amadiro prÇfÇrerait voir s'affaiblir et la Terre et les Spatiens que l'expansion de la Terre. Le premier espäre le triomphe des uns ou des autres, le second souhaite que ni les uns ni les autres ne l'emportent. Ne devons-nous pas choisir le premier, ami Giskard?

- Oui, ami Daneel. C'est ce qu'il semble. Cependant, dans quelle mesure es-tu

influencÇ par le sentiment de la valeur toute particuliäre de ton partenaire de naguäre, Elijah Baley?

- J'estime la mÇmoire du camarade Elijah, et le peuple de la Terre est son peuple.

- Je me rends bien compte que tu l'estimes. VoilÖ

de nombreuses dÇcennies que je dis que tu as

tendance Ö penser comme un humain, ami Daneel, mais je me demande si c'est vraiment un compliment. Cependant, bien que tu aies

tendance Ö penser comme un humain, tu n'es pas un àtre humain et, en fin de compte, tu demeures liÇ par les Trois Lois. Tu'ne peux faire de mal Ö un àtre humain, qu'il sagisse d'un Terrien ou d'un Spatien.

88

- Il est des circonstances, ami Giskard, oî il faut choisir entre un humain et un autre. On nous a donnÇ l'ordre tout particulier de veiller sur Mme Gladia. Je serais contraint, le cas ÇchÇant, de nuire Ö un àtre humain pour protÇger Mme Gladia et je pense que, toutes choses Çgales, je serais disposÇ Ö nuire quelque peu Ö un Spatien pour protÇger un Terrien.

- C'est ce que tu crois. Mais confrontÇ Ö un cas rÇel, tu devrais àtre guidÇ par les circonstances spÇcifiques. Tu verras que tu ne Peux gÇnÇraliser, dit Giskard. Et il en va de màme avec moi. En encourageant la Terre et en dÇcourageant Aurora, j'ai rendu possible que le Dr Fastolfe persuade le gouvernement aurorain de cautionner une politique d'Çmigration et d'installer deux puissances dans la Galaxie. Je n'ai pu m'empàcher de penser que cette partie de son oeuvre a ÇtÇ rÇduite Ö nÇant. Cela n'a pu que le plonger dans le dÇsespoir et peut-àtre sa fin en a-t-elle ÇtÇ hÉtÇe. C'est ce que j'ai ressenti dans mon esprit et cela m'a ÇtÇ pÇnible. Et cependant, ami Daneel...

- Oui? demanda Daneel, voyant que Giskard hÇsitait.

- Si je n'avais pas fait ce que j'ai fait, j'aurais pu gravement lÇser les possibilitÇs d'expansion de la Terre sans pour autant influer tellement sur les dÇcisions d'Aurora Ö cet Çgard. Et le Dr Fastolfe en aurait ÇtÇ frustrÇ sur les deux tableaux - la Terre et Aurora - et il aurait en outre ÇtÇ ÇvincÇ du pouvoir par le Dr Amadiro. Il aurait davantage encore ressenti la frustration.

C'Çtait

au Dr Fastolfe que, de

son vivant, je devais ma plus grande loyautÇ et j'ai choisi la voie qui le lÇserait le moins, sans pour autant nuire notablement aux autres individus avec lesquels j'ai eu affaire. Si le Dr Fastolfe fut sans cesse perturbÇ par le fait qu'il ne parvenait pas Ö

persuader les Aurorains - et plus gÇnÇralement les 89

Spatiens - de s'Çtendre vers de nouveaux mondes, du moins a-t-il ÇtÇ heureux de voir les Terriens se lancer dans l'Çmigration.

- N'aurais-tu pas pu encourager Ö la fois les Terriens et les Aurorains, ami Giskard, et satisfaire ainsi doublement le Dr Fastolfe?

- J'y ai pensÇ, bien sñr, ami Daneel. J'ai envisagÇ

cette possibilitÇ et considÇrÇ que cela ne pouvait se faire. Je pouvais encourager l'Çmigration des Terriens par un lÇger changement

indolore. Tenter la màme chose sur les Aurorains aurait nÇcessitÇ un changement assez important et provoquÇ bien des maux. La Premiäre Loi s'y opposait.

- C'est dommage.

- Sans doute. Songe Ö ce qui aurait pu àtre rÇalisÇ si j'avais pu radicalement

altÇrer les dispositions mentales du Dr Amadiro. Mais comment aurais-je pu changer sa farouche dÇtermination Ö

s'opposer au Dr Fastolfe? C'est un peu comme si j'avais essayÇ de contraindre sa tàte Ö tourner de cent quatre-vingts degrÇs. Une pareille volte-face, de la tàte elle-màme ou de son contenu Çmotionnel, le tuerait avec la màme efficacitÇ.

Ø Le prix de ma puissance, ami Daneel, poursuivit Giskard, est le dilemme croissant dans lequel je me dÇbats sans cesse. La Premiäre Loi de la Robotique,

qui interdit de faire du mal aux àtres

humains, concerne d'ordinaire des lÇsions physiques visibles que nous pouvons

tous voir et pour lesquelles il nous est facile de prendre des dÇcisions.

Mais

moi seul suis conscient des Çmotions et

sentiments humains, des dispositions de l'esprit.

Ainsi, je suis susceptible de comprendre qu'existent des formes plus subtiles de lÇsions mais sans pouvoir totalement les apprÇhender. Dans de nombreux cas, je suis contraint d'agir sans certitude absolue, ce qui soumet mes circuits Ö un stress permanent.

90

Ø Et cependant, j'ai le sentiment d'avoir bien agi. J'ai permis aux Spatiens de dÇpasser le point de crise. Aurora est consciente de la puissance croissante des Coloniens et se trouve dÇsormais contrainte d'Çviter le conflit. Les Spatiens doivent admettre qu'il est trop tard pour des reprÇsailles et, Ö cet Çgard, nous avons tenu notre promesse Ö

Elijah Baley. Nous avons mis la Terre en mesure de coloniser la Galaxie et d'Çtablir un Empire galactique.

A cet instant, ils revenaient vers la maison de Gladia mais Daneel s'arràta et la lÇgäre pression de sa main sur l'Çpaule de Giskard arràta Çgalement celui-ci.

- Le tableau que tu brosses est sÇduisant, dit Daneel. Le camarade Elijah serait fier de nous si, ainsi que tu le dis, nous avions accompli cela. Æ Les robots du cìtÇ de l'Empire Ø, dirait Elijah, et peutàtre me donnerait-il une

tape sur l'Çpaule... Mais

malgrÇ cela, et ainsi que je te le dis, ami Giskard, je me sens mal Ö l'aise.

- A quel sujet, ami Daneel?

- Je ne peux m'empàcher de me demander si

nous avons effectivement dÇpassÇ la crise dont parlait le camarade Elijah il y a de cela bien des dÇcennies. Est-il effectivement trop tard pour des reprÇsailles de la part des Spatiens?

- Pourquoi ces doutes, ami Daneel?

- Ils ont ÇtÇ provoquÇs par le comportement du Dr Mandamus au cours de sa conversation avec

Mme Gladia.

quelques instants, le regard de Giskard se fixa sur Daneel et, dans le silence, on pouvait entendre le bruissement des feuilles dans la brise fraåche. Les nuages se dissipaient et le soleil ferait bientìt son apparition. Leur conversation, avec sa forme tÇlÇgraphique, avait pris bien peu

de temps, et Gladia,

91

ils le savaient, ne se poserait pas de questions sur leur absence.

- qu'est-ce qui a provoquÇ chez toi ce sentiment de malaise dans la conversation? demanda Giskard.

- J'ai pu, en quatre occasions diffÇrentes, observer la façon dont Elijah Baley traitait un probläme difficile, rÇpondit Daneel. A chacune de ces quatre

occasions, j'ai notÇ la façon dont il parvenait Ö tirer des conclusions Ö partir d'informations limitÇes - et màme trompeuses. Depuis lors, j'ai toujours tentÇ, dans mes limites, de penser comme lui.

- il me semble, ami Daneel, que tu t'en tires träs bien. J'ai dÇjÖ dit que tu avais tendance Ö penser comme un humain.

- Tu auras donc remarquÇ que le Dr Mandamus

voulait aborder deux sujets avec Mme Gladia. Il a lui-màme insistÇ sur ce fait. L'un concernait son ascendance, Ö savoir s'il descendait ou non d'Elijah. Le second concernait sa

requàte pour que Mme Gladia reçoive un Colonien et rapporte ensuite sa conversation avec lui. De ces deux sujets, on pouvait considÇrer que le second serait le plus important pour le Conseil. Le premier n'aurait d'importance que pour lui.

Le Dr Mandamus a prÇsentÇ le sujet de son

ascendance comme Çtant Çgalement important

pour le Dr Amadiro, observa Giskard.

- Ce serait donc une question d'importance personnelle pour deux personnes au

lieu d'une seule,

ami Giskard. Cela ne constituerait toujours pas une question importante pour le Conseil et, partant, pour la planäte en gÇnÇral.

- Poursuis, dans ce cas, ami Daneel.

- Cependant, la question d'Etat, comme l'a lui-màme qualifiÇe le Dr Mandamus,

n'a ÇtÇ abordÇe qu'en second lieu, comme lui venant apräs coup, et elle fut presque aussitìt rÇglÇe. En fait, cela ne 92

paraissait guäre requÇrir une visite personnelle. La question aurait pu àtre rÇglÇe par image holographique par l'un quelconque des

membres du Conseil. D'autre part, le Dr Mandamus a abordÇ en premier lieu la question de son ascendance et en a discutÇ en dÇtail. Et il s'agissait d'une affaire dont lui seul et personne d'autre ne pouvait discuter.

- quelle est donc ta conclusion, ami Daneel?

- Je crois que le Dr Mandamus a pris prÇtexte de l'affaire du Colonien pour avoir une conversation personnelle avec Mme Gladia afin de pouvoir aborder en privÇ la question de son

ascendance. C'Çtait cela et rien d'autre qui l'intÇressait vraiment. Peux-tu

Çtayer cette conclusion d'une maniäre ou d'une autre, ami Giskard?

Le soleil d'Aurora n'Çtait pas encore sorti des nuages et l'on pouvait distinguer la lÇgäre lueur du regard de Giskard.

- Effectivement, dit-il, la tension dans l'esprit du Dr Mandamus Çtait considÇrablement plus grande lors de la premiäre partie de l'entretien que dans la seconde. Cela peut corroborer ta conclusion, ami Daneel.

- Dans ces conditions, il faut que nous nous demandions pourquoi la question de l'ascendance du Dr Mandamus Çtait si importante pour lui.

- Le Dr Mandamus s'en est expliquÇ, dit Giskard.

Ce n'est qu'en apportant la preuve qu'il ne descend pas d'Elijah Baley que lui sera ouverte la voie de son avancement. Le Dr Amadiro - et il dÇpend de sa bonne volontÇ - le rejetterait absolument s'il Çtait un descendant de M. Baley.

- C'est ce qu'il prÇtend, ami Giskard, mais ce qui s'est passÇ au cours de l'entretien dÇment cette hypothäse.

- Pourquoi dis-tu cela? Je t'en prie, continue Ö

penser comme un humain, ami Daneel, je trouve cela träs instructif.

93

Merci, ami Giskard, dit gravement Daneel. As-tu remarquÇ que pas une seule des dÇclarations que Mme Gladia a faites concernant l'impossibilitÇ, pour le Dr Mandamus, de descendre du camarade Elijah n'a ÇtÇ jugÇe convaincante? Chaque fois, le Dr Mandamus a dit que le Dr Amadiro la rejetterait.

- Oui, et qu'en dÇduis-tu?

- il me semble que le Dr Mandamus Çtait si

convaincu que le Dr Amadiro n'accepterait aucun argument contre le fait qu'Elijah Baley Çtait l'ancàtre du Dr Mandamus qu'on

peut se demander pourquoi celui-ci se serait donnÇ la peine d'aller ennuyer Mme Gladia Ö ce propos. Apparemment, il savait däs le dÇbut que ce serait inutile.

- Peut-àtre, ami Daneel, mais c'est lÖ pure spÇculation. Peux-tu fournir un

Çventuel mobile Ö sa dÇmarche, dans ce cas?

Je le peux. Je crois qu'il a posÇ des questions sur son ascendance non pas tant pour convaincre un inÇbranlable Dr Amadiro que pour se convaincre lui-màme.

Dans ce cas, pourquoi aurait-il fait la moindre allusion au Dr Amadiro? Pourquoi ne pas avoir simplement demandÇ : Æ Je voudrais savoir Ø?

Un petit sourire passa sur le visage de Daneel, simple changement d'expression dont l'autre robot eñt ÇtÇ incapable.

- S'il avait dit Ö Mme Gladia : Æ Je voudrais savoir Ø, dit Daneel, elle aurait sñrement rÇpondu que cela ne le regardait pas et il n'aurait rien dÇcouvert. Mais Mme Gladia n'aime pas le Dr Amadiro, tout comme celui-ci n'aimait pas Elijah Baley.

Mme Gladia allait certainement prendre ombrage de toute opinion d'Amadiro la concernant. Elle ne manquerait pas d'àtre furieuse, màme si cela Çtait plus ou moins vrai; et bien plus encore si ce devait àtre complätement faux, comme ce fut le cas. Elle 94

allait s'employer Ö dÇmontrer l'erreur du Dr Amadiro et donner toutes les preuves nÇcessaires pour y parvenir.

Ø Dans ce cas, la froide assurance du Dr Mandamus qu'aucune de ces preuves n'Çtait suffisante la rendrait plus furieuse encore et l'entraånerait Ö des rÇvÇlations plus importantes. Par sa stratÇgie, le Dr Mandamus Çtait certain d'en apprendre le maximum de Mme Gladia et, en fin de

compte, il a ÇtÇ convaincu qu'il ne comptait pas de Terrien parmi ses ancàtres; du moins pas depuis vingt dÇcennies.

Les sentiments du Dr Amadiro Ö cet Çgard n'Çtaient pas vraiment en cause, Ö mon avis.

- Ami Daneel, dit Giskard, c'est lÖ un point de vue intÇressant, mais il ne paraåt pas solidement fondÇ. Comment pouvons-nous en conclure qu'il s'agit de bien plus que d'une simple hypothäse de ta part?

- Ne te semble-t-il pas, ami Giskard, que lorsque le Dr Mandamus a terminÇ son enquàte sur son

ascendance sans avoir obtenu de preuve suffisante pour le Dr Amadiro, comme il a voulu nous le faire croire, il aurait dñ paraåtre abattu et dÇcouragÇ?

Selon ses propres dÇclarations, cela aurait dñ signifier qu'il perdrait toute

chance d'avancement et se

verrait privÇ de la direction de l'Institut de Robotique. Et cependant il m'a

semblÇ non pas abattu mais radieux. Je ne peux juger que sur l'apparence mais tu ne peux guäre faire mieux. Dis-moi, ami Giskard, quelle Çtait son attitude mentale Ö la fin de cette partie de son entretien avec Mme Gladia?

- En y repensant, il n'Çtait pas seulement radieux, ami Daneel, mais triomphant. Tu as raison. Maintenant que tu m'as expliquÇ

la

dÇmarche de ta pensÇe, cette impression de triomphe que j'ai dÇcelÇe prouve la justesse de ton raisonnement. En fait, maintenant que tu me l'as dit, je ne peux justifier 95

mon incapacitÇ Ö m'en àtre rendu compte par moi-màme.

- C'est ainsi, ami Giskard, que j'ai rÇagi en bon nombre d'occasions au raisonnement d'Elijah Baley. Le fait que j'aie pu, cette fois, aller jusqu'au bout d'un tel raisonnement peut àtre dñ en