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ROBERT POWELL s’était réveillé plus tôt qu’à l’accoutumée. À sept heures et quart il terminait sa deuxième tasse de café. De sa place dans la salle du petit déjeuner, il embrassait la vue qui s’étendait derrière la maison, spectacle qui le ravissait toujours. Mais aujourd’hui, en dépit des rosiers en fleur du patio, du jet d’eau claire de la fontaine et des plantations autour de la piscine qui formaient un tableau coloré aussi varié que la palette d’un artiste, l’expression de son visage trahissait le déplaisir. La société de production avait laissé deux gros camions garés derrière la maison, et Jane savait que leur présence lui déplaisait autant qu’à elle.

Jane Novak était habituée à ses sautes d’humeur. La veille au soir, il avait paru presque amusé par les événements de la journée, comme l’évanouissement de Nina Craig ou les allusions à peine voilées de Muriel à leurs rendez-vous amoureux avant que Betsy ne fasse son apparition.

Était-il au courant des relations de George Curtis et de Betsy ? se demanda-t-elle. Tandis qu’elle faisait circuler les canapés durant la réception, elle avait senti une tension palpable entre ces deux-là, et elle s’était arrangée pour se glisser derrière Curtis à temps pour l’entendre menacer Betsy. Jane Novak savait que si Betsy était parvenue à soutirer vingt-cinq millions à Curtis, elle aurait probablement caché l’argent, tout comme elle avait caché les bijoux, et qu’elle aurait continué à vivre tranquillement avec M. Powell.

Si seulement vous saviez à quel point je vous connais, pensa-t-elle, résistant à l’envie de tapoter l’épaule de son patron. Devait-elle lui rappeler que c’était lui qui avait accepté tout ce tintouin et lui conseiller d’aller passer la journée au bureau puisque, d’après ce qu’elle avait compris, on n’aurait pas besoin de lui sur le tournage aujourd’hui ? Mais elle n’en fit rien, sachant qu’il serait offusqué si elle prenait l’une ou l’autre de ces libertés. Elle se contenta de lui proposer davantage de café qu’il refusa sèchement avant de quitter les lieux.

La veille, elle avait vu ce faux-jeton de Josh fouiller dans les sacs et les portefeuilles que les jeunes femmes avaient laissés sur la table du patio. Il avait retiré quelque chose de l’un d’eux. Ses gestes étaient si rapides qu’elle n’avait pas pu distinguer de quel sac il s’agissait. Qu’avait-il trouvé d’intéressant ? Elle savait depuis longtemps qu’il enregistrait les gens qu’il conduisait. Elle savait aussi que Betsy, « Mme Powell », se reprit-elle en ricanant, n’aimait pas son attitude. Il n’aurait pas fait long feu comme chauffeur si elle avait vécu, pensa Jane.

Qu’avait-il pris dans ce portefeuille ? Une chose était sûre – si c’était quelque chose qui pouvait être utile à M. Powell, Josh le lui montrerait et, comme un chien que son maître récompense d’une tape amicale, il se retrouverait avec quelques centaines de dollars de plus dans sa poche.

« Jane, je ne veux voir personne ce matin, dit M. Powell. J’ai plusieurs coups de fil à passer. La société de production doit apporter de quoi nourrir toute l’équipe, il n’y a donc aucune raison d’ouvrir la cuisine pour eux. Ils pourront utiliser les toilettes de l’abri de la piscine. Les autres pourront rester dans le patio et passer par la cuisine pour aller dans la salle de bains. Il n’est pas question que qui que ce soit monte à l’étage ou déambule dans la maison. Est-ce clair ? »

Pourquoi a-t-il changé aussi radicalement depuis hier où il semblait de si bonne humeur ? se demanda Jane. À moins qu’il ne redoute d’être interviewé par cet avocat, cet Alex Buckley ? Elle avait lu des articles à propos de Buckley et l’avait vu à la télévision commenter des affaires criminelles. Elle savait qu’à un moment donné il lui poserait à elle aussi des questions sur cette maudite nuit.

Bon, j’ai réussi à ne jamais rien révéler pendant presque trente ans, pensa-t-elle, je suis certaine de pouvoir continuer à garder mes pensées secrètes. Jane sourit en son for intérieur en se rappelant les bijoux qu’elle avait dérobés dans la cachette de Betsy après qu’on eut découvert son corps. Les boucles d’oreilles, la bague et le collier que George Curtis avait offerts à sa femme n’avaient naturellement jamais été portés en présence de M. Powell. Betsy les conservait pour ses petits rendez-vous secrets quand il était en voyage. M. Powell en ignorait l’existence, et George Curtis ne chercherait certainement pas à les récupérer.

Pendant toutes ces années, il avait dû se demander ce qu’ils étaient devenus et s’il y avait un risque que l’on remonte jusqu’à lui. Il avait menacé Betsy ce soir-là, et il n’habitait qu’à dix minutes. Eh bien, si M. Powell ou moi-même faisions l’objet du moindre soupçon concernant le meurtre de Betsy, se dit Jane, je pourrais prétendre que je viens de retrouver les bijoux et laisser entendre que le coupable était M. George Curtis.

Rassurée à la pensée que les bijoux étaient bien cachés dans son appartement, Jane Novak prit la tasse de café que Robert Powell avait laissée sur la table en quittant la pièce et la porta affectueusement à ses lèvres, savourant les dernières gouttes qu’il y avait laissées.

Le bleu de tes yeux
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