GORGULOFF EST UN BLANC

Le 6 mai 1932, GORGULOFF, GARDE-BLANC BIEN CONNU DE LA POLICE FRANÇAISE, approchait sans la moindre difficulté, à une cérémonie, le président Doumer, qui n’était nullement gardé, et, à bout portant, déchargeait sur lui son revolver, le blessant mortellement. Un témoin, un journaliste bien connu, Jacques Mortane, a déclaré formellement qu’il s’était passé un très long temps — de 10 à 15 secondes — entre le premier et le deuxième coup de pistolet. Mme Claude Farrère avait signalé à M. Guichard la nervosité et les allées et venues bizarres de Gorgulov, dont un autre assistant avait également fait remarquer l’allure suspecte. M. Guichard s’était abstenu de s’assurer du personnage, sans doute parce qu’il le connaissait. Il s’était placé en avant du président pour fendre la foule qui, cela a été attesté, était peu nombreuse. Il est notoire, il est patent que les précautions indispensables de sécurité que la police sait si bien prendre quand elle le veut n’ont pas été prises.

La première déclaration qu’a faite l’assassin après son lâche attentat a été  : « Je voulais forcer la France à entrer en collision avec la Russie ». Naturellement, nous trouvons dans ces paroles l’écho exact de la propagande répandue à profusion depuis longtemps dans les journaux des Blancs.

Mais pour que l’acte de Gorguloff atteignît un résultat utile, il fallait qu’à tout prix on fasse passer l’assassin pour un bolchevik ou un bolchevisant. Une première indication formulée dans le sens de ce travestissement ignoble de la vérité a été donnée par le premier communiqué officiel de TARDIEU.

Insistons sur l’ensemble de faits équivoques, inadmissibles, accablants qui se sont produits.

Donc, les premières déclarations de l’assassin étaient formelles, et du reste parfaitement normales. Elles sont enregistrées dans les premières éditions des journaux du soir, le vendredi 6 mai, et même dans certains journaux parus le lendemain matin.

Puis, MOT D’ORDRE MANIFESTE D’EN HAUT s’attachant à utiliser et à exploiter l’acte de Gorguloff pour une répercussion précise : l’incident diplomatique et les complications pouvant aboutir à la campagne antisoviétique et, qui sait — on peut tout espérer — à la guerre.

C’est pourquoi Tardieu conçut une grande colère contre les précisions des premières informations de presse et tança notamment un journaliste important qui avait commis la faute de dire la vérité. Les journalistes furent éliminés soigneusement des locaux policiers où on les avait laissés imprudemment entendre ou connaître les premiers interrogatoires. La première communication du ministre de l’Intérieur, sans tenir nullement compte des aveux explicites de l’accusé, le présentait comme un anarchiste ne jouissant pas de la plénitude de ses facultés. Dans la soirée même, autre note, inopinée. Tardieu lance en contradiction flagrante avec les déclarations, les antécédents et les attaches du meurtrier : Gorguloff est un néo-bolchevik.

Cette campagne de calomnies à trame grossière reprend avec un touchant ensemble dans certaine presse : « La Révolution en action », écrit la Liberté, en manchette. Millerand le renégat et le traître par excellence, une des figures les plus méprisables qui s’agitent sur la scène politique actuelle, fait dire avec une haute et cynique fantaisie : « Les renseignments personnels que j’ai reçus me permettent d’affirmer que l’assassin appartient aux groupes réguliers bolcheviks (Intransigeant du samedi soir, 7 mai).

Le Times, le grand journal anglais, peu suspect de sympathies révolutionnaires, écrit : « L’assassin a déclaré être un fasciste russe, mais comme la France est dans une période d’élections, plusieurs journaux veulent le présenter comme communiste pour indisposer la population contre ce parti ». Il y a du vrai dans cette mise au point d’une série de mensonges, mais le but de l’impérialisme et de ses agents gouvernementaux dépasse considérablement le fait électoral.

La légende mensongère suit son cours, malgré Gorguloff qui n’a jamais varié dans ses déclarations (à tel point que l’Echo de Paris les enregistrait encore le lendemain matin : « Si j’ai tiré, c’est parce que la France était l’allié des bolcheviks ».

Et le vil Gustave Hervé qui, après avoir mis le drapeau le fumier, s’y est mis lui-même, écrit dans la Victoire : « C’est notre lâcheté à tous devant les crimes de Moscou dont le pauvre hère aurait voulu punir le représentant officiel de la République Française ».

Une instruction frelatée

L’instruction a été menée unilatéralement et gauchement bâclée. Un fatras de déclarations, d’ailleurs baroques, contradictoires, et brutalement effacées par l’évidence des faits (la prétendue carte et le prétendu passeport du Parti Communiste, alors que Gorguloff n’avait appartenu qu’au parti socialdémocrate tchécoslovaque et n’avait eu de sauf-conduit que de la part du Blanc Léontiev ; son insoutenable séjour au Kouban) ont été apportés par des personnages qui sont sortis de terre par-ci par-là à ce moment. Le fait étrange que LE JUGE D’INSTRUCTION FOUGERY AVAIT LUI-MEME, AVEC LES BLANCS, DES ATTACHES PERSONNELLES telles qu’il leur avait donné une partie de sa somptueuse villa d’Asnières pour y installer une chapelle et un foyer de réunions, et qu’il sympathisait quotidiennement avec eux, est tel, à lui seul, qu’il permet de récuser toute sa procédure, et qu’il explique qu’il n’ait jamais tenté de pénétrer les causes essentielles, pourtant patentes, de l’assassinat de Paul Doumer.

Trop exalté et trop bavard, Gorguloff n’a pas joué le rôle qu’on voulait lui faire jouer, malgré les tortures qu’on lui a fait subir dans les prisons de la République Française. S’il avait été encore plus canaille, et surtout plus souple, la France serait peut-être aujourd’hui en guerre avec l’U.R.S.S.

La grande et basse presse, celle qui a toutes sortes de raisons pour haïr le prolétariat et sa cause, a fait avec chorus avec Tardieu. Le Journal, l’Ami du Peuple, le Journal des Débats, l’Intransigeant, la Liberté et autre Echo de Paris ont marché à fond dans l’imposture, à coups d’affirmations sans base et d’insinuations perfides. Ils partaient évidemment de ce principe qu’il fallait d’abord calomnier à plein rendement, car, selon le précepte de leur grand maître en journalisme, il en reste toujours quelque chose, cependant que l’émigration blanche devant la tournure équivoque que prenait malgré tout l’affaire, rentrait soigneusement, jusqu’à nouvel ordre, dans ses tiroirs, ses appels à l’assassinat des grands personnages étrangers, et cependant que la police lançait une note nouvelle qui, pour balayer les mensonges antérieurs, n’en défendait pas moins les précieuses organisatoens blanches : « Gorguloff est un isolé, ayant agi spontanément », audacieuse affirmation que contredit toute l’existence du bandit. Notons en passant un fait qui établit la nécessité de cette reculade de Tardieu et de ses policiers devant l’évidence : l’Indépendance Belge (qui appartient pourtant à Deterding) ayant annoncé une histoire de relations de Gorguloff avec un communiste belge, a dû enregistrer un démenti formel de la Sûreté belge.

En liaison avec l’Etat-Major et le gouvernement français

Gorguloff est peut-être une brute et un imbécile, mais, c’est, à coup sûr, EXCLUSIVEMENT UN GARDE BLANC. La farce grotesque et immonde tendant à accoler, même de travers, une étiquette rouge à ce blanc qui a tout simplement obêi au mot d’ordre vulgarisé des siens et qui se débat comme un diable pour rester ce qu’il est, tombe à plat devant la précision d’un faisceau de constatations indiscutables, celles qui établissent la carrière politique du sbire en question.

C’est le fils d’un grand propriétaire exproprié par la révolution, et qui a fondé un parti des propriétaires terriens expropriés (parti paysan vert, pan-russe, parti fasciste russe). Le programme fasciste et « nazzi » de ce parti ayant pour but la guerre avec la Russie, n’a été nullement, lui non plus, secret. Deux journaux l’ont publié : le Roul, en 1930 et la Renaissance, en 1931. Sous sa signature, Gorguloff y publiait des extraits significatifs du programme de son parti de guerre à tout prix contre la Russie Soviétique « Le premier article du programme des Verts, c’est la guerre contre la Russie actuelle ».

Gorguloff a appartenu à l’Armée Blanche comme officier cosaque. Son livret d’étudiant saisi à Monaco (où nous savons très bien qu’on ne peut séjourner qu’avec l’autorisation de la police française) porte la photographie du personnage estampillée par l’administration tsariste. Il n’a cessé de mener campagne pour la terreur blanche et, partant, AVEC L’ETAT-MAJOR FRANÇAIS ET LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS. Il était en contact constant avec Krutchkov, ouvrier chez Renault et policier, et le journaliste policier Géo London est obligé lui-même, de reconnaître, de Prague même où il est allé « étudier l’affaire », que Jakovlev, terroriste en vue, directeur du Tocsin et de la Grande Russie (blanche) et qui avait ses entrées chez l’ambassadeur français à Berlin, François Poncet était le « second » de Gorguloff. Gorguloff était notamment en relations avec Maslov, chef d’organisation blanche, et le général Miller a avoué qu’il le connaissait.

Les déclarations publiquement faites par Gorguloff : « Je voulais forcer la France à entrer en collision avec la Russie » (Journal) « J’ai vu que la France travaillait avec les bolcheviks et c’est cela qui m’a déterminé à abattre son chef » (Journal) « J’ai des amis français nationalistes (Petit Journal) « Je suis un cosaque, un patriote, je voulais forcer la France à faire la guerre aux bolcheviks... J’ai tiré parce que la France aime les bolcheviks »... ajoutées à tout ce qu’il a écrit d’autre part dans la presse blanche et qui se résume dans cette formule signée de lui : « La guerre voilà le salut pour les émigrés russes. VIVE LA GUERRE » ne sont manifestement que le reflet des provocations de la vaste organisation blanche, repaire d’espionnage, de provocations, de fabrications de faux et de bombes, de préparations d’attentats et dont la raison d’être finale est de mettre les grandes puissances en état d’hostilité et de guerre avec l’U.R.S.S.

On voit ce que valent les larmes de crocodile des Russes Blancs lorsqu’a été démasqué le rôle joué par un des leurs, agent les plus dociles et les plus cyniques.