L’ARMEE BLANCHE EN FRANCE : UN ETAT DANS L’ETAT

Ils ne datent pas d’aujourd’hui, ni d’hier. La reconnaissance officielle, l’aide en argent, les fournitures d’armes, accordées aux bandes blanches abjectes de Koltchak, de Youdenich, de Denikine et de Wrangel, sont des faits positifs inscrits définitivement dans les annales de l’après-guerre. Des centaines de millions ont été prélevés sur les contribuables français et distribués à ces gens de sac et de corde qui ont mis à feu et à sang des régions entières de la Russie libérée – par les bons offices de MM. Clémenceau et Millerand.

Quand Wrangel a été vomi définitivement par la Russie nouvelle, son armée n’a été disloquée qu’en Russie. Le gouvernement français a pris toutes les mesures pour en maintenir les cadres, et cela dans un but absolument conforme à sa politique intérieure et extérieure de régression sociale.

LA MASSE PRINCIPALE DE L’ARMEE BLANCHE, QUI CONSTITUE UNE FORCE POLICIÈRE ET MILITAIRE INTERNATIONALE DE PLUS DE 200.000 HOMMES PRÊTS A TOUT FAIRE, EST CONCENTREE EN FRANCE.

L’organisation de ce centre actif de réaction sociale et politique, non seulement tolérée, mais soutenue par les pouvoirs officiels, atteint une ampleur qu’on a peine à s’imaginer, et qui n’a pas laissé de causer une stupeur — d’ailleurs bien passagère — à la Chambre des députés quand il en a été donné à la tribune quelques aperçus à propos de l’affaire Koutiépov, et qui a confondu le public français, quand il a vu défiler, EN ARMES, officiellement, sous l’Arc de Triomphe, à trois reprises différentes, en septembre 1930, en août et en novembre 1931, des régiments de Gardes-Blancs.

« Prêts à commencer la guerre »

L’UNION GENERALE MILITAIRE, dont l’état-major commandé par le général Miller est à Paris, groupe une quinzaine de vastes organisations militaires, plus 140 sections de cosaques. Cette force militaire imposante recrute chaque jour des soldats et des élèves officiers dans la jeunesse émigrée. Le général Miller, dans une interview qu’il a donnée dernièrement au journal anglais The Referee, après avoir reconnu que l’organisation d’un tel réseau et son équipement n’ont été possible que « grâce à l’attitude bienveillante des gouvernements français » ouvre un aperçu sur l’importance et l’état de préparation de ces effectifs. Ce ne sont nullement là des renseignements secrets : on n’a qu’à lire la préface du Guide de l’Union Générale Militaire pour être au courant de ce mouverment actif et formidable. Son objectif : la guerre contre la Russie. En attendant, s’il le faut, prêter main-forte aux polices nationales contre le prolétariat.

Il y a quelques mois, le général Miller a fait une inspection des forces dont il dispose en Europe. Il a été reçu comme un prince en Pologne — où il s’est mis en raports avec le chef de l’état-major polonais Piskor, et dans les Balkans. A Bucarest et dans tous les Etats vassaux de la France, il a été accueilli par les autorités officielles et les généraux. Il a remercié publiquement le gouvernement yougoslave du concours qu’il lui apportait, et dans de brillantes réunions, tous ces grands personnages galonnés et chamarrés ont ouvertement préconisé le front unique contre l’U.R.S.S. sous l’égide de la France.

Déclarations publiques du général Miller : « Nous sommes prêts à commencer la guerre. Nous attendons seulement une situation favorable et une aide financière qui sans aucun doute nous viendra d’une des puissances désirant le renversement des bolcheviks ».

Lors des derniers événements d’Extrême-Orient, sous la présidence du général Dragomirov, a eu lieu à Paris une réunion de la Société des Officiers d’Etat-major, sur la nécessité d’appuyer l’agression du Japon à la suite d’un rapport S. Vostroguine, ancien député à la Douma. L’ataman des Cosaques du Don, Begayevski, y a préconisé la création d’un Etat-tampon antisoviétique formé par la Mandchourie, la Mongolie, et la Mongolie soviétique, cet Etat devenant possesseur du Chemin de Fer de l’Est-chinois arraché à l’U.R.S.S. L’Union Générale Militaire, selon Bogayevski POURRAIT METTRE SUR PIED 300.000 HOMMES.

Sous le ministère Tardieu, le contact des états-majors et des émigrés tsaristes s’est renforcé par l’activité du général Sekretev, lié avec le général Weygand. Ce Sekretev a joué un rôle direct dans les commandes d’armes faites pour le Japon chez Panhard-Levassor, Hotchkiss et Schneider — et dans les usines de guerre Sekretev a formé avec les Blancs des cadres de briseurs de grève.

Des exercices de tir

Il est telle grande ville du Midi — pour prendre le premier exemple que j’ai sous les yeux — où certains services publics sont entièrement entre les mains des Blancs qui, ouvriers pendant une partie de la journée, ONT SOUS LA MAIN LEURS ARMES ET LEURS UNIFORMES, et sont tout prêts à répondre à l’appel de leurs chefs reconnus.

Partout, dépôts d’armes. Certaines usines ont embauché un certain pourcentage de soldats blancs en disponibilité momentanée et ces ouvriers temporaires prennent leurs salaires aux vrais travailleurs français et étrangers, en attendant de marcher contre eux au premier signal.

Aux usines Schneider, travaille tout un escadron de wrangéliens : les restes du 9e régiment de dragons de Kazan.

On lit dans La Sentinelle, journal de provocateurs blancs, un appel pour l’organisation militaire des ouvriers blancs de l’usine de Rives (Isère). Ces blancs ont leurs écoles, leurs cours de préparation militaire, leurs clubs, leurs coopératives. Ils ont une Académie militaire où, au dire de Miller lui-même, on ne peut suffire aux demandes et où on éduque 10.000 officiers blancs (chiffre également donné par Miller). Des cours militaires quotidiens sont faits par tout un ensemble varié de professeurs techniques, rue Mademoiselle, rue du Colisée, rue Michelet. Les éventuels fusilleurs du peuple russe ou du peuple français S’EXERCENT JOURNELLEMENT AU TIR, rue d’Alembert. En Seine-et-Oise, les ouvriers blancs d’une usine font, le dimanche, des exercices de tir sur le champ de tir de l’armée française. A Grenoble, tirs militaires publics. Dans les Alpes-Maritimes émissions de T.S.F..

Cela ne se passe pas seulement en France, je le répète. Après la débâcle de Wrangel, 40.000 wrangéliens s’étaient installés dans les pays balkaniques, beaucoup restant en uniforme et en service. J’en ai vu de mes yeux, dans la rue de Belgrade — et ils avouaient hautement qu’ils étaient là non seulement pour faire la guerre à la Russie, mais pour mater la canaille et empêcher le prolétariat serbe et bulgare de réussir ce que le prolétariat russe avait réussi dans l’ex-empire des tsars. Depuis, leur situation s’est perfectionnée. C’est 100.000 hommes qu’il faut compter, armés et équipés dans les Balkans et en Tchécoslovaquie.

Autres centres, notamment à Shanghaï, à Tien-Tsin, à Kharbine, au Japon : section d’Oural-Amour, cadres à Kobé, cadres à Formose, cadres à l’île de Hokaïdo. Et le général Dieterichs, le sous-ordre de Miller, fait des appels de fonds à la Banque Franco-Chinoise de Shanghaï. Le général Smirnovski et l’officier de marine Dmitrievski travaillent dans les ambassades françaises dans les pays Baltes et collaborent au service du contre-espionnage. En Finlande, le fils du sénateur Belgardt, en Esthonie, le général Boyevn, en Lettonie, l’officier de marine Podolkine, centralisent le travail de l’organisation militaire blanche. A New-York vient de se former dans le même but la Société de Pierre-le-Grand, dirigée par Martynov, ancien directeur du Bureau politique de la police de Moscou. N’oublions pas qu’il y a des organisations militaires blanches jusque dans l’Australie et l’Amérique du Sud. N’oublions pas non plus que 8.000 gardes blancs servent dans la légion étrangère, au Maroc et en Indochine.

Comment cet Etat dans l’Etat, cette police supplémentaire, cette police de réserve, n’aurait-elle pas d’accointance avec les polices nationales, ou plutôt la police internationale ? (car qui peut ignorer aujourd’hui que la besogne politique est la grande affaire de la police, que ce soit le Service des Renseignements Généraux, l’Okhrana bulgare, la Sigouraniza roumaine ; la Défensive polonaise). Mais il ne s’agit pas de conjectures et de suppositions. Poursuivons et venons aux faits.