J’ACCUSE !...

par Henri BARBUSSE


 

 

 

 

 

J’ACCUSE tous les gouvernements français qui se sont succédé depuis la guerre d’avoir accueilli, encouragé, aidé, payé et armé les sociétés de moins en moins secrètes de gardes blancs, qui constituent une organisation internationale de criminels ayant pour but le meurtre et la guerre.

J’ACCUSE les gouvernements d’être responsables des assassinats successivement commis par ces bandits, dont les énormes, multiples et opulents groupements étendent leurs tentacules sur le monde entier et ont leur foyer en France.

J’ACCUSE PARTICULIEREMENT LE GOUVERNEMENT TARDIEU D’ETRE RESPONSABLE DE L’ATTENTAT DE GORGULOFF, GARDE BLANC, EN LIAISON AVEC LA POLICE FRANÇAISE.

J’ACCUSE TARDIEU d’avoir joué une comédie plus monstrueuse encore que ridicule en faisant répandre par les moyens de propagande et de corruption de la presse, dont il disposait, le bruit que Gorguloff était un bolchevik, ou un « néo-bolchevik », ou un instrument des bolcheviks, mensonge éhonté qui n’en a pas moins été exploité par tous les ennemis de la classe ouvrière.

JE L’ACCUSE d’avoir, en réalité, tout fait pour que l’assassinat de Paul Dourmer s’accomplisse, et j’accuse ses chefs de service de n’avoir, en conséquence, rien fait pour l’empêcher.

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Je fais partie d’un groupement d’hommes qui sont prêts à donner leur sang et leur vie pour la cause de l’émancipation définitive des masses humaines exploitées et opprimées par d’autres hommes. Aucun moyen d’intimidation, aucune mesure, ne sont susceptibles de me faire modifier l’expression publique de ma pensée, qui est celle de mes frères de lutte. Mais je suis incapable de prendre des rêves pour des réalités et d’avancer quoique ce soit qui ne soit pas évident, et contrôlé. Pour moi, les paroles sont des actes. J’ai pesé toutes celles que j’écris ici.

Je veux spécifier que l’accusation circonstanciée et positive que je porte contre les organisations unifiées de brigandage tendant au meurtre isolé et collectif, et dont l’Etat-Major français et le gouvernement tiennent les ficelles, ne s’applique pas à tous les émigrés en général, — les travailleurs étrangers ayant ici les mêmes droits que les travailleurs français — mais à une catégorie spéciale d’émigrés, disposant de moyens puissants, dont l’impunité est intolérable, et que nous ne tolérerons plus.

Le réquisitoire que j’entends formuler contre les machinations, les méfaits et les crimes (dont la liste n’est pas close) perpétrés par un ramassis d’espions, de provocateurs et d’apaches, grâce à l’inadmissible et déshonorante protection des autorités publiques, JE LES APPUIE SUR DES FAITS PRECIS. Ces faits ont été déjà énumérés et répétés avec une stricte netteté dans l’Humanité, sans qu’aucun démenti soit venu infirmer le moindre d’entre eux. Je les reprends dans les grandes lignes, sereinement et objectivement.