QUATRE
Le sergent scout Issam promena une nouvelle fois ses jumelles polarisées sur les sombres remparts d’Axum, vérifiant à nouveau ce qu’il venait de compter. Il savait qu’ils étaient au nombre de cinq, mais il n’existait que deux sortes de scouts, les consciencieux et les morts. Il pouvait voir dans le noir presque aussi facilement qu’en plein jour, mais son appareil enregistrait la signature thermique des armures énergétiques mal entretenues de leurs cibles.
— J’en compte cinq, souffla-t-il dans son micro à l’attention de son escouade.
— Je confirme, annonça Daxian, son second.
Des quatre scouts de son escouade, Daxian était le plus expérimenté et il avait combattu avec Issam sur Pavonis. Sous les ordres du sergent Learchus, ils s’étaient enfoncés profondément derrière les lignes Tau et avaient joué un rôle essentiel dans la victoire finale. Cela avait valu à Issam et Daxian des lauriers honorifiques, mais trois autres n’étaient pas revenus vivants de cette mission.
Janek Lycean et Uriel Dios avaient gagné leurs lauriers aux côtés de Learchus sur Espandor contre les peaux-vertes, et avaient surtout gagné une recommandation de sa part, ce qui avait été suffisant pour Issam. Son dernier scout était une toute jeune recrue, un natif d’Iax nommé Aurelio. Issam n’avait pas encore pu juger des aptitudes d’Aurelio, mais il avait jusque-là suivi le reste de l’escouade et n’avait pas fait le moindre pas de travers.
Issam rabaissa ses jumelles et les raccrocha à sa ceinture, s’assurant qu’elles ne se baladeraient pas sur le reste de son équipement. Il ne fallait surtout pas trahir leur position, même s’il existait peu de chance qu’on les entende compte tenu du vacarme de cris et de rafales tirées en l’air depuis l’intérieur de la cité. Mais leurs cibles étaient presque aussi bien équipés qu’eux, alors il fallait prendre toutes les précautions. Les cinq scouts étaient allongés dans un champ de végétation pourrie, un tapis boueux de matières décomposées qui semblait résulter du passage du virus dévoreur de vie.
Issam avait déjà vu les effets de cette arme capable de détruire une planète entière, et ce n’était pas un souvenir très réjouissant.
Aussi déplaisante qu’elle pût être, cette chaleur dégagée par la réaction chimique masquerait celle de leurs corps, ce qui pourrait faire toute la différence durant leur approche.
— Allons-y, murmura-t-il en se mettant à ramper sur ses coudes en une ondulation mesurée. Il progressa doucement, s’arrêtant chaque fois qu’il percevait un mouvement sur les murs. Avec cinq cibles et cinq Scouts, il leur faudrait atteindre des positions de tir optimales pour s’assurer d’éliminer chaque ennemi sans bruit.
Son escouade n’était pas la seule force combattante sur Tarentus, plusieurs autres unités de scouts avaient été déposées avec pour mission de s’infiltrer dans la cité dévastée. Mais Issam avait revendiqé l’honneur de neutraliser les défenses antiaériennes lui-même. Les augures du Vae Victus n’avaient repéré qu’une seule source d’activité sur Tarentus, une base installée parmi les ruines d’Axum, laquelle était occupée par une force non négligeable de guerriers ennemis. Les scans infrarouges avaient révélé que les batteries de la cité étaient toujours opérationnelles, et le capitaine Ventris avait confié aux scouts la mission de les neutraliser.
Le sol était spongieux sous eux et semblait vouloir aspirer les plaques bleues et le tissu de leurs uniformes. Après trente minutes, ils n’avaient progressé que d’une centaine de mètres, Issam remarqua un canal d’irrigation aux pentes franchement creusées et muni d’un petit rebord. L’endroit parfait pour servir de position de tir.
Ses scouts et lui se laissèrent glisser dans le petit canal et sortirent rapidement leurs fusils de sniper des étuis camouflés dans leur dos. Issam se plaqua contre le bord de rocbéton et vérifia son arme. Les cellules énergétiques étaient pleines et le viseur dégagé.
Daxian effectua une dernière observation avec ses jumelles.
— Deux cent cinquante mètres, annonça-t-il.
— Comme sur le champ de tir à Agiselus, commenta Uriel Dios en réglant son viseur sur la distance annoncée.
Issam secoua la tête.
— Cela n’a rien à voir avec un champ de tir, Dios. Ces cibles riposteront si tu les manques. Un tir, un mort. Aucune exception.
Ses scouts avaient compris et Issam fit glisser son fusil entre les tiges. Il posa le fusil sur le rebord de rocbéton et ferma un œil, puis appuya l’autre contre son viseur. Sa respiration se fit plus profonde et il se détendit, laissant son corps épouser le rebord du canal, puis il appuya sa joue contre son arme. La crosse en bois était chaude, elle avait été taillée sur mesure dans une branche d’un sapin qu’il avait lui-même abattu plus de soixante ans plus tôt sur les flancs de la vallée de Laponis.
Son viseur lui présentait une vision bleu pâle. Les angles des murs étaient sombres et froids, les contours des silhouettes arpentant cette section des remparts se détachaient en blanc. Un casque Mark V se dessina dans son viseur, mais ce n’était pas un guerrier de l’Adeptus Astartes. C’était un traître. Un être qui avait trahi tout ce que défendaient Issam et tous les Ultramarines. Il méritait la mort.
— Tirez juste après moi, ordonna-t-il. Descendez-les tous.
Issam laissa les senseurs de son arme lui indiquer la vitesse du vent, la température ambiante et le taux d’humidité. Il suivit les différentes icônes et effectua toutes les corrections nécessaires, puis inspira profondément. Il souffla ensuite bien à fond et son doigt se posa sur la gâchette.
Mais juste avant qu’il n’ait pu tirer, sa cible disparut hors de sa vue, comme si elle avait été violemment tirée au sol. Il y eut un reflet de lumière, Issam conserva sa visée durant quelques secondes, puis fit courir son arme le long du mur que son escouade avait choisi comme point d’entrée dans Axum.
Le mur était vide, il n’y avait plus aucune trace de l’ennemi.
— Que s’est-il passé ? souffla Daxian en se laissant glisser dans le petit canal et en prenant ses jumelles.
Issam ne répondit pas et continua d’observer les remparts. Ils étaient déserts, plus aucun signe de vie, et plus la moindre trace des sentinelles.
— C’est nous, souffla une voix tout près de son épaule.
Il sursauta, laissa échapper son fusil et tenta d’attraper son poignard de combat.
Une silhouette fluide se détacha dans l’obscurité d’une conduite souterraine.
— La voie jusqu’à Axum est dégagée, sergent Issam, dit le capitaine Æthon Shaan avec une pointe d’amusement. Votre approche était parfaite, mais c’était plus un travail pour la Raven Guard.
Issam ravala sa fierté, il se rendait compte que la discrétion de Shaan le rabaissait au niveau d’une recrue maladroite.
Il hocha malgré tout la tête.
— Dans ce cas, terminons le travail, dit-il.
Les scouts Ultramarines et les membres de la Raven Guard pénétrèrent sans la moindre difficulté dans Axum, et Issam ne put qu’être impressionné par l’efficacité avec laquelle les hommes de Shaan avaient neutralisé leurs cibles. S’approcher d’un ennemi doté de l’équipement d’un space marine, même s’il s’agissait d’un traître, requérait une discrétion hors du commun.
Il s’agenouilla près de l’un des cadavres. La tête avait été tranchée proprement à l’aide d’une lame de combat énergétique. Il ne doutait pas que les autres sentinelles eussent été tuées de la même manière. Infliger de telles blessures avec une telle synchronisation demandait une maîtrise parfaite et une grande coordination.
— Vos guerriers sont compétents, chuchota Issam alors que Shaan s’agenouillait près de lui.
— Je sais, lui répondit le Raven Guard.
Issam étudia le corps du renégat. Il portait une armure Mark V très mal entretenue, des entailles dans le câblage avaient été réparées sommairement avec une sorte de colle liquide. Il observa l’armure et retourna une épaulière avec une grimace de dégoût. Poser la main sur le corps d’un traître était déplaisant au plus haut point, mais un bon éclaireur devait rechercher la moindre information possible. Après tout, connaître son ennemi était l’une des règles d’or de l’art de la guerre.
Les plaques de céramite avaient été peintes avec de grandes traînées noires et orange, semblables au coup de patte d’un tigre. L’épaulière ne portait pas le moindre insigne, seulement une répétition de ce même schéma.
— Vous reconnaissez ces marquages ? lui demanda Shaan.
— Je crois que oui, répondit Issam en passant en revue les annonces récentes d’excommunication de chapitres. Les Claws of Lorek.
— Ils sont bien loin du Maelström.
— En effet.
Ils dissimulèrent les corps, puis se glissèrent comme des ombres le long des remparts pour s’enfoncer dans les restes de la cité. Des lumières dansaient au loin et des haut-parleurs aboyaient sous le ciel nocturne d’immondes imprécations aux sombres et sanguinaires divinités.
— Ça va nous faciliter le travail, commenta Issam alors que Shaan se trouvait à nouveau près de lui.
— C’est presque trop facile, répondit le Raven Guard.
L’Ultramarine ne comprit pas si Shaan en était irrité ou simplement méfiant.
Avant qu’il ait pu répondre, le guerrier avait disparu dans l’ombre et Issam dut ouvrir ses yeux en grand pour parvenir à le discerner dans cette rue d’Axum, noire et jonchée de cadavres. Les corps des personnes tombées lors de la prise de la cité étaient restés là où on les avait massacrés, et l’air empestait la chair en putréfaction. Des corps éventrés pourrissaient sous le chaud climat et des nuages de mouches bourdonnaient et se repaissaient de chair humaine.
— Par Guilliman, siffla Janek Lycean. Ils les ont laissé pourrir sur place !
— Chut, ordonna Issam en surprenant le coup d’œil désapprobateur de Shaan. Contrôle-toi, Lycean !
Issam partageait cependant le dégoût éprouvé par son guerrier, mais il gardait ses sentiments sous contrôle. Cette mission réclamait un détachement clinique, mais se retrouver confronté à la mort de tant de citoyens d’Ultramar était presque insupportable.
Shaan leva les poings et fit une série de gestes. Les Raven Guards, dix au total, réagirent à ses instructions muettes en se déplaçant avec une fluidité à couper le souffle.
Ils traversèrent la cité, restant en permanence dans l’ombre et contournant tout endroit où régnait le moindre signe d’activité. Les observations orbitales avaient révélé que l’essentiel de la présence ennemie était localisé autour des ruines de la tour Prosperine, les combattants impériaux contournèrent largement l’entrée principale de cette structure pour se diriger vers un groupe de générateurs situés plus à l’arrière.
En moins d’une heure, ils atteignirent la base de sinistres fortifications élevées autour des générateurs. Baignée de la lumière blafarde de lampadaires à arc, il s’agissait d’une vilaine construction réalisée à partir de blocs rectangulaires ornés de piques métalliques trempées de sang. Des cadavres étaient empalés sur chacune des piques et Issam sentit sa raison vaciller en voyant les offenses infligées aux dépouilles.
La plus haute de ces piques transperçait les restes de Rufus Quintus. Le vétéran avait été débarrassé de son armure et crucifié sur deux longerons placés en croix, ses bras ouverts avaient été cloués à l’aide d’un énorme pistolet à clous. Il n’avait plus de jambes et l’angle que faisait son cou laissait deviner que le héros d’Ichar IV était mort.
Issam détourna le regard de l’immonde spectacle et se força à étudier les défenses. Les cris, les coups de feu et les grondements de lames tronçonneuses provenaient de la tour Prosperine, éclipsés par intermittence par des cors de guerre arrachés à un titan. Des mortels en armures bricolées et masques effrayants étaient assis en haut des murs, leurs fusils négligemment passés à leurs épaules. On ne pouvait pas vraiment dire qu’ils portaient des uniformes, mais il existait cependant une certaine cohérence dans la manière dont leurs épaulières droites étaient souillées de sang.
— Nous y voilà, souffla Issam en gagnant l’ombre d’un contrefort entaillé de coups de griffes. Les générateurs se trouvent à l’intérieur. Les mettre hors service neutralisera les tourelles de défense.
— Combien de temps avant que les générateurs de secours ne se mettent en route ? demanda Shaan.
— Ils ne le feront pas si cet appareil fabriqué par le Magos Locard fonctionne comme il est censé le faire.
— Et s’il ne fonctionne pas ?
— Environ deux minutes.
— Cela suffira ?
Issam afficha un sourire rusé.
— Pour le capitaine Ventris ? Ce sera plus que suffisant.
— Votre escouade est-elle en place ?
Issam fit basculer la lentille de son viseur devant l’un de ses yeux. Une série d’icônes s’allumèrent, chacune représentant l’un des quatre scouts de son unité, ils avaient effectué leur approche selon des angles différents.
— En place et prêts à faire feu, confirma-t-il.
— Dans ce cas, je vous reverrai à l’intérieur, dit Shaan avec un rien de délectation.
Le Raven Guard s’évanouit dans les rares recoins laissés dans l’ombre par les lampadaires, et Issam cala son viseur sur un soldat ennemi dont le visage était dissimulé par un masque d’acier représentant un ours ricanant.
— À tous, faites feu à mon tir, ordonna-t-il.
Il compta jusqu’à quatre-vingt-dix, sans jamais laisser sa cible quitter le croisement des repères de visée alors qu’elle effectuait sa ronde en haut du mur. Arrivé à la quatre-vingt-dixième seconde, il appuya sur la détente et le guerrier bascula en arrière, le projectile s’était logé dans l’un des yeux du casque et avait fait exploser l’arrière du crâne presque sans produire un son.
D’autres s’écroulèrent eux aussi une fraction de seconde après la cible d’Issam, il se chercha immédiatement un nouvel objectif. D’autres masques se tournèrent stupidement vers lui et il les abattit l’un après l’autre. Trois autres soldats tombèrent sous les tirs experts du sergent scout pendant l’intervalle ménagé par la confusion, puis les derniers comprirent ce qui se passait et se mirent à l’abri.
Issam vit les Raven Guards escalader rapidement les remparts et basculer à leur sommet. Ils tuèrent les guerriers qui avaient échappé à ses tirs à l’aide de leurs poignards ou leurs griffes énergétiques.
— Allez ! ordonna Issam, et il s’élança en courant, plié en deux, son fusil collé contre sa poitrine.
Il atteignit le pied du mur, passa son arme en bandoulière et escalada les blocs irréguliers avec l’agilité résultant de son entraînement. Il fut en quelques secondes au sommet des remparts, sa lame de combat déjà prête à servir, mais il n’y avait plus rien à tuer. Les tirs de son escouade avaient été d’une impitoyable précision et les Raven Guards avaient fait preuve d’une même efficacité au corps à corps.
Sur tout le pourtour de la rustique forteresse, des scouts Ultramarines franchissaient les murs, fusils épaulés pour contrer toute éventuelle résistance, le peu qu’il en restait fut rapidement réduit au silence sous les griffes de la Raven Guard. Issam et ses Ultramarines descendirent dans la cour, achevant au passage les survivants du vif tranchant de leurs lames.
— Daxian, siffla Issam en faisant signe à son second pour lui désigner les générateurs principaux. Mets les charges en place et connecte le module au câble des générateurs de secours.
— À vos ordres, sergent, répondit Daxian, puis il partit en courant vers le bâtiment à colonnes contenant les générateurs.
Le Magos Locard avait fourni aux Ultramarines un appareil expérimental destiné à détecter toute rupture d’alimentation des batteries antiaériennes. Si le module fonctionnait selon les dires du Magos, il empêcherait les générateurs de secours de se mettre en route une fois les principaux hors service.
Pendant que Daxian s’occupait de cette partie de la mission, Issam déploya le reste de son escouade vers des positions retranchées sur les murs. Leurs fusils furent cette fois-ci dirigés vers l’extérieur au cas où leur assaut aurait été repéré, même si cela semblait peu probable, car il ne s’était écoulé que vingt-six secondes entre le premier tir et la capture de la position.
Quelque chose n’allait pas, mais Issam ne put tout d’abord pas mettre le doigt dessus, alors il remonta en haut des remparts et observa en direction de la tour Prosperine éclairée par les flammes. Portant le nom d’un ancien dieu de la fertilité, cette tour était dans un bien triste état, mais elle avait été utilisée depuis les tout premiers jours d’Ultramar et les Ultramarines avaient toujours respecté les traditions, alors elle avait tenu.
Uriel Dios surveillait son propre secteur tout près du cadavre de l’homme tué par le tir d’Issam au tout début de la bataille. Issam retira ce qu’il restait du masque d’acier. Le visage de l’homme n’existait presque plus, totalement enfoncé par l’impact du tir et il aurait été difficile de l’identifier et de dire d’où il venait. Vêtu d’une tenue de combat et d’une veste déchirée là où les insignes de grade auraient dû se trouver, l’homme était probablement un déserteur de la Garde Impériale. Comment en était-il arrivé à passer au service de l’Archi-ennemi, Issam ne pouvait qu’émettre des hypothèses.
Il promena le regard le long de ces défenses rudimentaires et aperçut de nombreux autres corps. Il s’interrogea sur la stupidité de ces défenseurs.
— Sergent ? souffla Uriel Dios.
— Oui, Dios ?
— Tout cela ne rime à rien, lui dit le scout en tapotant du bout de sa botte le corps sans vie.
— Comment cela ? demanda Issam, tout de même satisfait de constater que le jeune scout partageait ses interrogations sur la tournure des événements.
— Ça, répondit Dios en montrant du pouce les générateurs. L’ennemi doit savoir que c’est le point vulnérable de ses défenses, alors pourquoi n’y a-t-il que des mortels sur ces murs ? Pourquoi n’y a-t-il aucun astartes traître pour protéger ces générateurs ?
Issam se maudit pour ne pas l’avoir vu plus tôt, mais avant qu’il puisse répondre, plusieurs explosions parfaitement synchronisées mirent hors service les générateurs des batteries de défense, les détonations furent noyées par le vacarme de sonneries et de coups de feu arrivant de la tour Prosperine. Le bâtiment resta parfaitement intact et le module confié par le Magos Locard fonctionna parfaitement en transmettant le signal convenu aux générateurs de secours et bernant ses cogitateurs en leur faisant croire que les principaux étaient toujours opérationnels.
Quatre-vingt-dix secondes plus tard, l’assaut des Ultramarines était lancé.
Le Thunderhawk d’Uriel plongea de l’est et survola les murs dans le rugissement de ses réacteurs. Deux autres le suivaient, leurs canons pilonnèrent la tour Prosperine et réduisirent sa moitié supérieure en une masse de débris fumants qui s’effondrèrent sur eux-mêmes.
Quelques secondes plus tard, l’appareil de tête se posa sur la place principale qui s’étendait devant la tour, sa rampe d’assaut s’abattit bruyamment et les guerriers Ultramarines s’élancèrent en effectuant une manœuvre parfaitement orchestrée pour aller s’emparer d’objectifs prédéterminés.
Uriel posa le pied à la surface de Tarentus. Bolter solidement campé à l’épaule il conduisit l’assaut vers le cratère fumant qui était tout ce qu’il restait de la tour Prosperine. Un profond sentiment de mal-être s’était emparé de tout son corps, et ce n’était pas uniquement parce qu’il avait dû ouvrir le feu sur un antique bâtiment qui s’était fièrement dressé sur un monde d’Ultramar durant des milliers d’années.
Non, Uriel avait un mauvais pressentiment, sans qu’il puisse réellement comprendre lequel.
Des icônes tactiques s’allumèrent à l’intérieur de sa visière, lui indiquant la localisation de ses troupes. Les scouts d’Issam étaient représentés par des points verts sur les remparts d’une forteresse assemblée de bric et de broc et qui symbolisait à elle seule toute la brutale simplicité des Iron Warriors.
— Issam ? Au rapport ! lança Uriel dans sa radio.
— Des astartes renégats sur les murs extérieurs, mais uniquement des mortels rebelles ici. Tous morts, mais je n’ai aucune idée des effectifs ennemis à l’intérieur de la tour.
— Bien reçu. Restez en alerte.
— Bien compris, répondit Issam. Même si je doute que vous rencontriez une forte résistance.
— J’espère bien le contraire, ricana Uriel. Cet ennemi a assassiné des citoyens d’Ultramar et profané un monde de Roboute Guilliman. Je veux qu’ils sentent le poids de notre punition.
Les deux autres Thunderhawk se posèrent en soulevant des tourbillons de poussière et dans le grondement de leurs tuyères. D’autres guerriers en jaillirent, Uriel aperçut Learchus et Pasanius à la tête de leurs escouades respectives. En plus des scouts, ses effectifs représentaient la totalité de la Quatrième Compagnie. Alors que l’Ancien Peleus déployait les couleurs de la compagnie, il sentit enfler en lui cette fierté habituelle de mener au combat à nouveau les plus grands guerriers de la galaxie.
Il n’avait nul besoin de donner ses ordres, l’assaut avait été planifié selon les doctrines préconisées par le Codex Astartes et chaque Ultramarine savait quel rôle il avait à jouer. Les escouades Devastator trouvèrent leurs positions de tir, les escouades d’assaut se positionnèrent auprès des escouades tactiques, prêtes à lancer la charge et à faire parler leurs épées tronçonneuses une fois les premières fusillades déclenchées.
Des débris enflammés tombaient encore des restes de la tour en une pluie d’étincelles et des panaches de fumée.
Et le désir d’Uriel de libérer la colère des Ultramarines sur leurs ennemis fut satisfait.
Des guerriers portant d’anciennes armures trempées du sang de milliers de victimes surgirent des débris, leurs haches brandies et poussant d’immondes cris de guerre par des haut-parleurs fixés à leurs casques. Plusieurs étaient déjà sérieusement blessés, amputés d’un bras ou présentant des plaies béantes qui auraient mis hors de combat même le plus robuste space marine, mais Uriel comprit bien vite qu’il n’avait pas à faire à des traîtres ordinaires.
Il s’agissait de berserks, des assassins décérébrés qui combattaient sans éprouver la moindre douleur ni la peur de la mort. Dans un combat normal, un guerrier compétent chercherait à tuer son adversaire en faisant en sorte de subir le moins de blessures possible en retour. Un berserk se moquait totalement de sa propre survie. Tuer était tout ce qui lui importait, même si cela devait lui coûter la vie.
Ils se ruèrent en une masse hurlante de casques cornus, brandissant en guise d’armement un mélange d’épées, de haches, de hachoirs et de crochets à viande. Uriel en dénombra une bonne centaine avant que se déclenchent les premiers tirs.
Un guerrier au crâne recouvert de sang séché partit de côté lorsqu’un projectile de sniper lui percuta la tempe et lui fit éclater la tête. Un autre tomba, la gorge ouverte, les scouts Ultramarines prélevaient leur tribut chez l’ennemi en visant les failles dans leurs armures.
Uriel libéra une courte rafale de bolts, abattant à son tour un guerrier en armure rouge dont la cuirasse représentait un crâne ricanant. Des tirs nourris de bolters éclaircirent les rangs des berserks, plusieurs roulèrent dans la poussière, mais le reste ne ralentit même pas. Pasanius aspergea les berserks d’un long jet de prométhium, mais aucun ne tomba, les torches vivantes continuèrent leur charge droit vers les Ultramarines, cela sembla même décupler leur rage. Les guerriers poursuivirent leur course, leurs chairs pendant en lambeaux sous leurs bras. L’un des berserks courut même sur dix bons mètres alors qu’il lui manquait la moitié de la tête, n’acceptant de s’effondrer que lorsque son corps eut dépensé ses ultimes ressources vitales.
Uriel tira une dernière rafale, puis il fit passer son bolter dans son dos, pour tirer l’épée à garde d’argent d’Idaeus et son pistolet. La lame s’éveilla, son tranchant crépitant d’une énergie meurtrière.
— Sur eux ! cria-t-il alors que la ligne bleue et la ligne rouge se percutaient de plein fouet.
La férocité démente affronta la précision clinique des Ultramarines, leur formation parfaitement ordonnée rencontra la charge des berserks. Les haches s’abattirent, les pistolets aboyèrent et les épées tronçonneuses éventrèrent les armures en soulevant des gerbes d’étincelles dignes d’un atelier de forgeron.
Uriel désactiva l’affichage tactique de sa visière, tant l’enchevêtrement d‘icônes amies et ennemies rendait ces informations inextricables. Les symboles s’éteignaient tout juste lorsqu’une hache s’abattit droit sur lui. Il se baissa et plongea sa lame dans l’abdomen exposé de son agresseur, un guerrier dont l’armure était ornée de nombreux crânes et qui portait un casque lui donnant un air démoniaque. Uriel sentit son arme trancher dans l’armure, les chairs et les os, puis elle partit de côté et faillit couper son adversaire en deux.
Un autre se jeta sur lui en brandissant un énorme crochet d’acier visant son cou. Uriel dévia l’attaque, mais le guerrier le percuta violemment, enfonçant son crochet dans l’épaulière du capitaine. Ils tournèrent sur eux-mêmes, liés l’un à l’autre comme un couple de danseurs, le guerrier ne cessait de le bombarder de coups avec un gantelet hérissé de pointes. Les forces décuplées par la haine, les coups enfoncèrent l’armure et Uriel sentit ses côtes craquer.
Il passa son coude autour du bras du traître et tourna sur lui-même, utilisant l’élan du berserk pour le jeter au sol. Rapide comme une bête sauvage, le guerrier se remit sur ses pieds, mais avant qu’il puisse s’élancer à nouveau, une silhouette noire s’interposa et un guerrier armé d’une paire de griffes Éclair ouvrit le dément en deux sous une pluie de furieux coups de lames.
Æthon Shaan et son escouade de la Raven Guard s’étaient jetés en plein cœur de la mêlée en faisant preuve d’une vitesse d’action étonnante, comme si les berserks s’étaient déplacés au ralenti. Ils esquivèrent les coups, détachèrent des têtes et des membres en des gestes élégants de griffes ou d’épées, transformant la fureur de l’ennemi en une rage inutile.
Les Ultramarines se battaient selon une manière plus professionnelle, disciplinée et sans la moindre pitié, alors que la Raven Guard le faisait en faisant preuve d’une grâce qu’Uriel n’avait jamais vue auparavant. Le capitaine Shaan bougeait comme s’il disposait de sens surnaturels, abattant l’ennemi sans paraître faire le moindre effort, il semblait anticiper chaque attaque.
Un guerrier brandissant une hache hurlante se jeta en direction d’Uriel Ventris, et il perdit de vue le capitaine de la Raven Guard. Uriel roula sous l’attaque et fit effectuer un arc de cercle à son épée, ouvrant le berserk du bas-ventre au sternum. Il se remit sur ses pieds et en profita pour jeter un rapide coup d’œil autour de lui.
Malgré le sérieux désavantage du nombre, les forces de l’Archi-ennemi combattaient avec la fureur de guerriers obsédés par la mort, la leur ou celle de leurs adversaires. Learchus et Pasanius luttaient en faisant preuve d’un parfait contrôle, attirant les berserks l’un après l’autre afin de mieux les mettre en pièces. L’ennemi ne pouvait pas gagner, mais cela importait peu. La seule chose qui intéressait ces bêtes sanguinaires était que le sang soit versé et Uriel avait du mal à concevoir comment de nobles guerriers comme des space marines avaient pu sombrer dans une telle déchéance.
Uriel tua un berserk de plus et il dégagea son épée d’un grand coup de botte. Il eut alors la sensation d’être menacé, il pivota sur lui-même et pointa son arme. Il n’y avait aucun berserk dans son dos, pourtant cette sensation ne l’abandonnait pas. Il regarda autour de lui à la recherche de cette menace, mais il ne put rien voir qui pourrait expliquer son malaise.
Il vit deux points lumineux se refléter sur la lame de son épée et il leva les yeux vers deux cercles ambrés qui se dessinaient dans le ciel, comme les yeux d’un être malveillant posés sur lui.
Rapides et plus brillants que les étoiles annonçant l’aube, ceci lui rappela cette vision qu’il avait eue avant d’arriver au Temple de la Correction. Sans trop savoir pourquoi, il savait que cela n’annonçait rien de bon.
Uriel se hâta d’ouvrir un canal radio lui permettant d’entrer en contact avec tous les combattants sous ses ordres.
— À toutes les forces impériales, retraite d’urgence ! lança-t-il, presque perturbé d’avoir à donner cet ordre alors que la victoire était à portée de main. Manœuvre omicron !
L’ordre était facile à donner, mais plus délicat à exécuter. S’extraire d’une situation de corps à corps était une manœuvre particulièrement dangereuse et, contre un tel ennemi, elle était presque impossible à réaliser. Les Ultramarines reculèrent en groupes disciplinés, une demi-escouade se repliant et courant se mettre à couvert pendant que l’autre retenait l’ennemi.
Des tirs précis délivrés par les scouts d’Issam ouvrirent des voies de retraite, et alors que les escouades d’assaut se désengageaient, les devastators bombardaient l’ennemi d’obus de gros calibres ou de missiles. Uriel courut au milieu de ses soldats en une manœuvre exécutée comme à la parade tant elle fut efficace.
Pasanius courut vers lui, le museau de son lance-flammes roussi par les nombreux tirs de prométhium.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi devons-nous nous replier ? Nous les tenions !
— Nous devons partir d’ici, lui répondit Uriel. Quelque chose ne va pas.
Pasanius était sur le point d’insister, mais Uriel leva une main quand il entendit une voix lancer un appel désespéré dans sa radio. Au milieu des grésillements statiques, il reconnut la voix de Lazlo Tiberius. Le Seigneur Amiral était resté à bord du croiseur d’attaque Vae Victus, fleuron de la flotte des Ultramarines qui avait transporté la Quatrième Compagnie au combat durant des décennies.
— Ici capitaine Ventris ! répondit-il. Répétez votre dernier message !
— Uriel, béni soit l’Empereur ! poursuivit Tiberius. Sortez-vous de là ! Maintenant ! Retournez aux Thunderhawk et éloignez-vous d’Axum aussi vite que possible !
— J’ai déjà donné l’ordre de repli, répondit-il. Nous serons en l’air dans peu de temps.
— Comment avez-vous su ? s’étonna Tiberius. Nous venons à peine de les repérer !
— Repérer quoi ?
— Une batterie orbitale vient de tirer deux torpilles en direction de la surface. L’espace est rempli de radiations électromagnétiques et nous ne les avions pas repérées au milieu de tous ces débris.
— Trajectoire ? demanda Uriel, même s’il connaissait déjà la réponse.
— Droit sur Axum, répondit Tiberius. Vous avez tout au plus une minute.
— Bien compris. Terminé !
Les réacteurs des Thunderhawk montaient déjà en régime et Uriel leva les yeux vers les deux points lumineux dans le ciel, lesquels se rapprochaient davantage à chaque seconde.
Des rafales disciplinées abattaient les derniers berserks alors que les Ultramarines se repliaient par escouades vers leurs appareils respectifs. Celui de Learchus fut le premier à prendre l’air dès que le dernier guerrier fut à bord et celui de Pasanius le suivit de près. Les deux cuirassés étaient remplis de personnel. Les scouts d’Issam avaient été déployés par Land Speeder Strom, mais il n’y avait aucune chance qu’il puisse arriver à temps.
Cela allait à l’encontre des doctrines préconisées par le Codex, mais ils n’avaient pas le choix. Le Thunderhawk d’Uriel s’attarda sur Tarentus, mais il serait le plus lourdement chargé, l’escouade d’Issam et même les guerriers d’Æthon Shan devaient prendre place à bord.
Uriel continua de tirer de courtes rafales depuis la rampe d’assaut alors qu’Issam, Shaan et leurs hommes couraient pour le rejoindre. Les berserks étaient une véritable meute lancée à leur poursuite, rendus déments par leur fureur sanguinaire et inconscients du sort qui les attendait. Les armes du Thunderhawk ajoutèrent leurs tirs, tandis que les berserks poursuivaient une tentative inutile de faire couler davantage le sang de leurs ennemis.
— Grimpez ! cria Uriel juste avant d’enclencher d’un coup de poing le mécanisme de fermeture alors que les Raven Guards et les scouts sautaient l’un après l’autre sur la rampe.
Issam fut le dernier à quitter le sol de Tarentus, abattant un berserk à chacun de ses tirs de pistolet bolter.
— Sautez ! lui lança Uriel.
La culasse du pistolet d’Issam claqua quand l’arme fut vide, le sergent scout se jeta en l’air pour retomber sur la rampe qui se relevait déjà. Un instant plus tard, un tueur hurlant bondit sur son dos et plongea sa dague rouillée dans son épaule. Il cria et se trouva jeté à plat ventre.
La rampe se referma et Uriel entendit de violents chocs à l’extérieur, ceux des berserks qui tentaient par tous les moyens de pénétrer à bord.
— Décollez ! cria Uriel au pilote en enfonçant la commande d’intercom.
L’appareil fit une embardée et le guerrier ennemi se trouva jeté à l’écart d’Issam. Il roula sur le pont et se remit sur ses pieds, son visage sauvage était tellement abîmé par les automutilations qu’il n’en restait plus aucune trace d’humanité. Le berserk cracha une peine bouchée de sang, sa lame levée, prête à tuer d’autres ennemis.
Uriel leva son bolter, mais avant qu’il ait pu appuyer sur la détente, un guerrier en armure noire s’élança devant lui et trancha la gorge du traître, des giclées de sang aspergèrent l’habitacle, comme une durite d’huile tranchée.
Le berserk tomba à genoux, décapité, ses artères crachant le sang par saccades, formant une marre écarlate qui s’élargit.
Æthon Shaan se retourna, les jambes fléchies en une attitude de prédateur, mais il n’y avait plus rien à combattre.
— Quelle rapidité, commenta Uriel en abaissant son bolter.
— Pas assez rapide, répondit Shaan en aidant Issam à se relever.
Le sergent scout grimaçait de douleur, son épaulière ouverte était trempée de son sang.
— Comment va votre épaule ? demanda Uriel.
— Douloureuse, mais je survivrai, répondit Issam. Ce salopard a été rapide.
— Pas assez rapide, lâcha Uriel en se retournant vers Shaan qui repartait déjà vers ses guerriers.
Quelques secondes plus tard, Uriel avait rejoint le compartiment de pilotage et il assista à l’impact des deux missiles en plein centre d’Axum. La verrière à polarisation active atténua les flashs aveuglants des explosions. Lorsqu’elle s’éclaircit à nouveau, deux champignons montaient vers le ciel en des monuments funèbres.
Axum n’existait plus, une cité qui avait symbolisé tout ce qu’il y avait de bon et noble en Ultramar avait été réduite en cendre en quelques microsecondes. Toute trace de la bataille qu’ils venaient d’abandonner derrière eux venait d’être balayée par l’explosion de deux missiles conçus pour éventrer des vaisseaux spatiaux. Une onde de choc fit trembler le Thunderhawk, mais le pilote parvint à garder le contrôle de son appareil et poussa les moteurs à fond.
Sans cette prémonition, Uriel et toute la Quatrième Compagnie auraient été perdus.
— C’était un piège, dit Æthon Shaan juste derrière son épaule.
— Oui, répondit Uriel. Ils savaient que nous viendrions en force.
— Ils l’ont appâté avec leurs propres guerriers. Ceux qui se moqueraient d’être laissés en arrière en sacrifice.
— On dirait presque que vous admirez cela.
— Non, mais cela laisse deviner du manque de conscience de leur chef. Le savoir revient à connaître ses faiblesses, mais un tel guerrier sera un adversaire redoutable.
— Vous n’avez aucune idée.
— Cet Honsou doit réellement vous haïr.
Uriel jeta un dernier coup d’œil vers les restes d’Axum et serra les poings.
— Pas autant que je le hais moi-même, répondit-il en guise de promesse.