SEIZE
Malgré les tirs d’artillerie qui en tuèrent plusieurs centaines, la charge des Fils du Sang et des machines démons ne put être repoussée. Guidées avec une grande précision, les vagues s’écrasèrent contre les lignes des Ultramarines avec un fracas de tonnerre en accord avec les battements des tambours. La Quatrième Compagnie se prépara à recevoir cette charge et la ligne ploya comme une branche sur le point de se rompre.
Les armes à feu grondèrent, les lames tronçonneuses rugirent et les épées énergétiques crépitèrent comme les torches à souder des quais de marine. Les machines démons poussèrent des cris et des hurlements étrangers et s’enfoncèrent en plein centre des lignes, repoussant les humains comme de vulgaires poupées. Chaque percée fut contrée par l’intervention d’unités de réserve, des vétérans portant des boucliers qui se lançaient pour repousser chaque assaut en faisant preuve d’un indiscutable courage.
Une intense fusillade s’abattit sur les premières lignes depuis les innombrables armes montées à l’avant de la Basilique Noire : armes automatiques, canons tirant des obus explosifs et arcs d’énergie. Un véritable mur de feu qui brûla armures et chairs avec la même facilité. Le grondement de ses chenilles emplit l’air lorsqu’elle avança vers les fortifications en arc de cercle, un mastodonte noir qui approchait alors que rien ne semblait pouvoir l’arrêter.
Les Fils du Sang ressemblaient à des fourmis qui grouillaient entre deux géants. Ces guerriers mortels ne pouvaient espérer vaincre les Ultramarines dans leur bras de fer, mais ils se ruaient sur eux comme des loups sur un grizzly, espérant les submerger par leur simple poids.
Et il sembla que cela fonctionnait.
Uriel maintint les Ultramarines unis devant cette marée feroce de lames et de furie démoniaque, mais il n’y avait pas grand-chose à faire pour endiguer cette vague sanguinaire.
Puis les skitarri intervinrent.
Cela faisait une bonne décennie que Yesil Trejo était à la tête des skitarii des forces expéditionnaires du magos Locard, et il avait passé les vingt années précédentes à lentement se hisser au sommet de leur hiérarchie. Durant toute cette période, son corps avait subi quelques transformations, mais il s’en moquait totalement. Tout ce qui lui importait, c’était qu’il était plus grand, plus rapide, plus résistant et plus fort qu’avant.
À la tête d’un millier de combattants, il se rua sur les collines boueuses de la gorge des Quatre Vallées en une vague de tueurs qui n’avaient rien à envier dans leur apparence à cet ennemi qu’ils haïssaient. Ils portaient en guise d’armure des assemblages de plaques par-dessus des musculatures surgonflées, avec des peaux ou des crânes d’extraterrestres en décoration sur leurs épaulières. Chacun était un féroce guerrier bénéficiant d’une technologie avancée et élevé pour devenir un tueur impitoyable.
La mâchoire d’acier de Trejo laissait échapper une écume de rage alchimique, la démence du berserk cadrait mal avec cette rigidité logique que l’on prêtait normalement aux membres du Mechanicus. Pourtant, malgré autant de sauvagerie affichée, cette force n’était pas une masse de guerriers incontrôlables. Des centaines de prætoriens étaient mélangés aux skitarii, de même que des serviteurs montés sur chenilles et armés des armes les plus terribles à la disposition de la fraternité Martienne.
Les tirs nourris balayèrent les flancs ennemis et prélevèrent un lourd tribut parmi les Fils du Sang. Des bannières se déployèrent sur des mâts télescopiques accrochés à des paquetages dorsaux et une forêt d’armes s’abaissèrent, un mélange de lance-plasma lourds, de canons rotatifs et de lasers de gros calibre. Des épées et des haches crépitantes d’énergie furent tirées au clair et des rayonneurs énergétiques libérèrent une tempête de feu qui traversa les rangs des Fils du Sang en une vague meurtrière.
L’ennemi sembla hésiter sous ce terrible traitement, mais les Fils du Sang étaient des soldats bien entraînés et commandés par des officiers compétents, ils rétablirent rapidement leurs lignes pour faire face à cette menace sur leurs flancs. Ils manœuvrèrent avec efficacité, mais pas assez, et la conscience tactique poussée de Trejo lui permit de voir immédiatement le point faible de cette nouvelle disposition. Il n’eut pas besoin de donner le moindre ordre, une communication neurale reliait son esprit à la conscience de chacun des guerriers appartenant à sa force. Les féroces guerriers de son ost se déployèrent en un fer de lance qui percuta juste après la masse de l’ennemi.
Des injecteurs d’adrénaline emplirent les organismes d’un carburant hautement volatile, augmentant leur agressivité et leurs réflexes à des niveaux presque équivalents à ceux de l’Adeptus Astartes. Les lames hurlèrent et taillèrent dans les Fils du Sang lorsque les skitarii tombèrent sur leurs proies, l’ost de guerriers mécanisés massacrait sans jamais éprouver le moindre remord, la moindre peur et sans marquer la moindre pause. Les skitarri s’enfoncèrent profondément parmi les Fils du Sang, les combats engagèrent des milliers de combattants qui s’affrontaient à l’aide d’armes mécanisées, d’une férocité débridée et d’une précision clinique.
La boue emprisonnait ses pieds et la pluie lavait le corps de Trejo, mais il se précipita vers la masse d’ennemis la plus proche, les tirs lasers rebondissaient sur son armure et une balle ricocha même sur sa mâchoire. Il éclata d’un rire sec et méchant lorsqu’il se retrouva au milieu d’eux.
Trejo porta un grand coup de son masque de métal au Fils du Sang le plus proche et il en tua trois autres d’un tir de plasma. Son épée plongea dans la poitrine d’un autre pendant que l’arme intégrée de son autre bras criblait une poignée d’ennemis de balles explosives. Il poussa un hurlement en s’enfonçant toujours plus profondément dans les rangs adverses, son escorte de prætoriens mitraillait les guerriers ennemis qui accouraient de toutes les directions.
Le lanceur sur son autre épaule envoya une série de grenades et il eut la satisfaction de voir une paire de machines démons engloutie dans des gerbes de feu blanc. Des flots d’énergie noire jaillirent vers le plafond de la caverne et Trejo s’amusa de leurs morts tout autant qu’il pleurait la corruption et la perte de ces machines autrefois si nobles. Les combats faisaient rage autour de lui, il aurait été impossible d’en avoir un aperçu précis sans l’aide de ses implants spécialisés et Trejo comprit que sa charge avait ouvert une plaie sanglante parmi l’ennemi. Il grimaça devant la vulgarité de cette métaphore viscéralement biologique.
Les Fils du Sang refluèrent devant lui, certains se marchant même dessus dans leur hâte de s’écarter de cette gloire trempée de sang. Il rigola en les voyant faire. Un vil grognement de code binaire corrompu le fit se retourner sur lui-même, ses senseurs avaient remarqué la présence de trois machines démoniaques dans son dos.
Deux de ses prætoriens explosèrent et un troisième fut tranché en deux par une lame tronçonneuse deux fois plus longue qu’un homme. Haute de quatre mètres et assemblée à l’image d’un scorpion géant, une machine se dressa devant lui. Une queue se dressait dans son dos et il leva son épée juste à temps pour bloquer le dard qui s’abattait. La lame libéra des étincelles brillantes et un arc d’énergie.
Le canon de son épaule tira une sphère de plasma dans le ventre du monstre et des pièces mécaniques et des câblages furent vaporisés en un instant. Mais la bête ne sembla pas s’en préoccuper et une autre lui porta un coup de patte de côté. Trejo sentit ses côtes renforcées craquer. Des baumes antidouleur furent injectés dans son organisme, mais pas assez rapidement pour lui épargner la sensation de métal lui perforant ses poumons de plastacier. Il roula de côté alors que la troisième machine arrivait sur lui, et il jura lorsque l’indicateur interne lui signala que son lance-plasma ne s’était pas encore assez refroidi pour qu’il puisse l’utiliser en toute sécurité.
— Qu’il aille se faire voir, dit-il et il tira à pleine puissance.
Quatre projectiles bleus incandescents transpercèrent le corps de la machine et elle poussa son cri d’agonie en langage binaire. Une inquiétante fumée s’échappa immédiatement du canon de l’arme et trois de ses chambres explosèrent, aspergeant l’épaule de Trejo de plasma. Son armure se mit à fondre sous l’intolérable chaleur et il tituba en arrière alors que l’ennemi marchait vers lui.
Une furieuse fusillade éventra l’une des machines démon, Trejo grimaça lorsqu’un éclat surchauffé lui entailla le front. Du sang lui coula dans les yeux et le scorpion géant hurla d’une fureur démoniaque lorsqu’il se retrouva la cible de nombreux tirs. Des étincelles jaillirent de sa carapace blindée, mais cela ne fit que l’enrager encore plus.
Trejo recula et il sentit une présence dans son dos. Ses senseurs biométriques le retinrent au tout dernier instant de se retourner et frapper de son épée.
Il essuya le sang de ses yeux et aperçut une femme en long manteau noir dont les pans étaient tellement secoués par le vent qu’on l’aurait dite au milieu d’un tourbillon de nuit. Ses cheveux d’un blanc pur étaient soulevés derrière elle par les bourrasques qui n’avaient rien à voir avec les vents surnaturels conjurés par l’ennemi.
Des fantassins de choc se tenaient autour d’elle, ils mitraillaient la machine démon de leurs armes implantées au moins équivalentes à celles que portaient les skitarii de Trejo. Il ne reconnut pas l’insigne sur leurs épaules, mais le filtre multispectre de son système oculaire repéra les implants invisibles sous la peau de la femme.
— L’Inquisition, grogna-t-il.
Elle l’entendit malgré le tonnerre, les tambours et la pluie, elle croisa son regard de ses yeux bleus glacés dans lesquels brûlait une puissance tout juste contenue. Elle ne prononça qu’une seule parole qui libéra un frisson de peur en Trejo.
— Malleus, siffla-t-elle.
Elle portait un bâton d’ivoire veiné de vert, comme du marbre, et elle le brandissait en direction des machines démons.
— Tenez-les éloignés de moi, dit-elle. Cela facilitera votre travail.
Trejo arma son canon implanté et hocha la tête, il ne voulait pas adresser la parole à un agent des saints ordos plus qu’il n’était nécessaire. Il appela d’autres prætoriens et skitarii d’une impulsion mentale, pendant que deux fantassins de choc munis de longues perches terminées par des pinces poussaient une paire d’acolytes vers la femme.
Ils portaient des robes retenues à la taille par une vulgaire ficelle et ils avaient le crâne nu. La pluie dégoulinait sur leur tête et courait le long de leurs joues comme des larmes noires. Trejo vit que leurs yeux avaient été suturés au laser et que des colliers d’acier et crépitants d’énergie étaient passés autour de leur cou.
Il recula à l’écart de la femme lorsque les colliers furent ouverts et qu’une odeur métallique parvint à ses narines, donnant un goût acide à sa salive. Il cracha, mais ne put se débarrasser de ce goût, il envoya d’une impulsion de données mentales un ordre à ses troupes pour qu’elles ne s’approchent pas de la sorcière.
L’énorme scorpion se dressa devant elle, mais elle ne flancha même pas.
Elle lança à Trejo un rapide coup d’œil, puis son bâton fut entouré de flammes éthérées.
— Restez bien à l’écart ! lui lança-t-elle alors que ses yeux libéraient des flammes bleues. Ça ne va pas être joli à voir !
Des geysers de terre jaillirent et annoncèrent l’arrivée imminente de ces engins dont Locard lui avait parlé. Uriel avait senti les vibrations, mais il n’était pas préparé à ce qu’ils jaillissent avec une telle violence. On aurait dit des frappes d’artillerie, elles soulevèrent la terre avant de finalement imploser lorsque la couche de roche soutenant la terre fut pulvérisée.
Des fragments de rochers volèrent à nouveau lorsque quatre nez coniques émergèrent de sous la terre, l’onde de choc de leur arrivée renversa tout ce qui se trouvait dans un rayon de cent mètres. Le plus proche d’Uriel jaillit à travers une station de ravitaillement déjà en feu, sa carcasse d’acier était noircie et rayée après son passage sous terre. Il laissait échapper de jets de vapeur qui ébouillantèrent tout ceux qui se trouvèrent trop près.
Le tunnelier se redressa comme un missile sortant de son silo, les pierres et la terre roulèrent le long de sa coque et il se dressa telle une tour. Il sembla vouloir basculer durant quelques instants avant de perdre équilibre et de s’abattre sans le moindre ménagement dans un fracas de métal sur la pierre, finissant de mettre en miettes la station de ravitaillement.
— Vite ! cria Uriel. Avant qu’ils ne débarquent !
Les Ultramarines s’étaient retournés pour faire face à cette nouvelle menace dès l’entrée en jeu des skitarii. Ne laissant qu’une petite partie de ses troupes pour renforcer les lignes des troupes auxiliaires de défense, Uriel conduisit les Épées de Calth et les Brandons Ardents droit vers le tunnelier. Les tirs de la Basilique Noire faisaient des ravages dans les lignes impériales et son canon principal, qui s’en prenait même aux murs de la Castra Occidens, en avait déjà abattu toute une portion. Tout le reste de la forteresse ne tarderait pas à suivre. Le Lex Tredecim n’était pas encore entré dans la bataille, mais Uriel n’en était pas surpris. Le Mechanicus hésitait toujours à engager des machineries si précieuses sans disposer d’un soutien colossal, et Locard, malgré son assignation aux Ultramarines, était avant tout un prêtre de Mars.
La pluie dispersa les nuages de poussière et le ventre d’Uriel se serra à la vue des chevrons jaunes et noirs sur les flancs de la machine. Il était impossible de confondre l’iconographie brutale des Iron Warriors avec une autre et il sentit une certaine appréhension à l’idée de risquer de se retrouver à nouveau face à Honsou.
L’un des tunneliers explosa quand une salve particulièrement ajustée d’obus à charge creuse transperça son blindage. L’air pressurisé à l’intérieur s’enflamma et vaporisa ses occupants dans une fournaise infernale qui n’en laissa que des cendres et quelques ossements fusionnés.
Les boulons qui retenaient les rampes d’assaut explosèrent et les panneaux s’abattirent parmi les ruines. Quelques tirs laser ricochèrent sur le blindage et un missile le frappa même de plein fouet. Une compagnie entière des auxiliaires de défense se trouvait plus près de l’engin que les Ultramarines, et son capitaine, portant une cape blanche et un plastron de bronze, conduisit la charge des soldats en veste bleue. Ils grimpèrent en courant les rampes, à la rencontre des envahisseurs.
Des lanceurs dissimulés ouvrirent le feu et les rampes se retrouvèrent pilonnées de charges à fragmentation. Le capitaine fut le premier à mourir, mis en pièce, et une douzaine de ses soldats périrent avec lui. Une deuxième vague d’explosions balaya la moitié de la compagnie, le reste se replia sous les tirs de tourelles automatiques.
Des escouades de fantassins se ruèrent hors de l’engin, mais il ne s’agissait pas d’Iron Warriors. Un mélange hétéroclite d’astartes renégats et de mercenaires extraterrestres se répandit sur le sol de Calth en tirant de leur armement tout aussi varié. Uriel reconnut des carnivores kroots et encore d’autres Fils du Sang, mais à la tête de l’assaut se trouvaient des guerriers de deux chapitres astartes déchus.
— Par l’Empereur, siffla Livius Hadrianus en les apercevant. Je les vois, mais je n’arrive toujours à pas à croire qu’une telle chose soit possible !
Les premiers en bas des rampes furent des berserks portant la même armure rouge sang que ceux qu’il avait affrontés sur Tarentus. Les archives les avaient identifiés comme étant des Skulltakers, un chapitre renégat qui avait été aperçu pour la dernière fois non loin des Étoiles Fantômes. Les Claws of Lorek avec leurs armures tigrées avançaient parmi eux, mitraillant les soldats des auxiliaires de défense tout en courant. Des rafales précises transformèrent ces hommes en sac de chairs ensanglantées et les berserks leur arrachèrent les viscères au passage.
— L’Empereur les a déjà condamnés, grogna Brutus Cyprian en levant son bolter et en faisant claquer un chargeur plein. Et ne me parlez pas de pitié, aujourd’hui.
Les guerriers d’Uriel attendaient ce combat avec une certaine impatience, mais alors même qu’il se dirigeait vers le chef des berserks, il comprit que cet assaut ne mènerait à rien. Lancer des attaques-surprises dévastatrices était le genre de stratégie dans lesquelles excellaient les space marines, alors pourquoi envoyer des mercenaires xenos dans celui-ci ?
Mais la réponse à cette question devrait attendre et il appuya sur la détente de son arme. Un berserk bascula en arrière, tout un côté de son casque emporté par le tir, mais Uriel n’aurait pas d’autre occasion d’utiliser son pistolet.
Les berserks tombèrent sur les troupes auxiliaires de défense en une frénésie sanguinaire. Ce ne fut pas un combat, mais un massacre exécuté par une vague de tueurs impitoyables. Même abîmées et incomplètes, les armures des Skulltakers suffisaient à repousser les armes que les soldats impériaux pouvaient utiliser contre eux dans ce genre de corps à corps. Les haches tronçonneuses tranchèrent des membres et ouvrirent des cages thoraciques. Le sang gicla et les viscères tombèrent au sol, ajoutant à la puanteur ambiante celle des entrailles exposées à l’air.
— Escouades, préparez-vous à faire feu ! cria Uriel.
— Les risques de dommages collatéraux sont élevés, capitaine ! signala Petronius Nero.
— Je sais. Mais ces malheureux engagés contre les Skulltakers sont d’ores et déjà perdus. Mourir sous nos tirs sera une délivrance pour eux.
Nero hocha la tête et épaula son bolter.
— Feu !
Un véritable mur de feu s’abattit sur le corps à corps. Une poignée de berseks tomba, de même qu’autant de défenseurs. Uriel se sentait peiné d’avoir dû donner cet ordre. Toute sa vie durant, il avait défendu l’humanité, mais ce qu’il avait dit à Nero était la réalité : cette mort serait pour ces combattants bien plus charitable qu’entre les mains des berserks.
Les Épées de Calth s’élancèrent sur les ennemis survivants alors que les mercenaires xenos continuaient de se déployer et que les Claws of Lorek s’enfonçaient parmi les ruines.
Pasanius courut vers Uriel, la pluie se vaporisait au contact de la gueule de son lance-flammes, le réservoir était cabossé d’impacts de balles et l’allumeur était trempé d’un sang noir et épais dans lequel on apercevait même quelques fragments d’os.
— Où veux-tu les Brandons Ardents ?
— Clausel et toi, faites un crochet par la droite, lui répondit Uriel. Gardez ces kroots occupés. Si nous les perdons de vue, il nous faudra sans cesse surveiller nos arrières.
— À tes ordres, répondit Pasanius qui repartait déjà retrouver son escouade.
Uriel se tourna vers son porte-étendard.
— Ancien, assurez-vous qu’aucun de ces salopards ne s’approche de notre bannière.
— Aucun ne le fera tant que je respirerai, lui assura Peleus.
Uriel hocha la tête.
— Allons-y, dit-il.
Sclav Darm tirait sur la lourde chaîne pour soulever une autre caisse de munitions destinée au canon gatling situé sur le flanc gauche de la Basilique Noire. Son dos courbé et ses épaules très musclées lui donnaient cette attitude simiesque qui lui avait permis d’échapper aux unités de combat, mais faisait de lui le servant idéal pour ces armes diaboliques. C’était une tâche qu’il appréciait, car elle lui permettait de se venger de cet Imperium qui l’avait rejeté en tant que mutant et s’il était une chose qu’il voulait, c’était le voir brûler. Son physique était très disproportionné, déformé et peu engageant, mais il était d’une puissance incroyable, surtout grâce à ces substances dopantes et le système de levage pneumatique accroché dans son dos.
Cela faisait longtemps qu’il avait échappé au gibet devant le temple du confesseur Malachai, si longtemps qu’il n’aurait pu dire depuis combien de temps il servait les armées des Puissances Éternelles. Il se souvenait de ces longues fuites à travers les étendues sauvages de son monde natal et les cris de ceux qui l’avaient pourchassé, mais surtout, il se rappelait de ce moment où leurs cris de prédateurs s’étaient transformés en hurlement de terreur lorsque les guerriers des étoiles étaient littéralement tombés du ciel pour les massacrer.
Lui aussi y avait presque laissé la vie, mais l’un des guerriers des étoiles avait compris qu’il pourrait leur être utile et il les avait servis avec une loyauté indéfectible depuis ce jour où ils avaient réduit son monde natal en une terre désolée et fumante. Son ancien nom, il s’en était débarrassé, comme d’un vêtement corrompu, car il était d’origine impériale. Ses maîtres n’avaient pas daigné lui en donner un autre et ils l’appelaient tout simplement « esclave d’arme ». Leur accent guttural avait transformé cela en Sclav, et c’était devenu sa nouvelle identité. Et il la portait avec une perverse fierté.
Vêtu de ses robes noires, il arpentait les remparts supérieurs de la Basilique Noire de sa démarche chaloupée. Le grondement du tonnerre et la pluie battante étaient pour lui une bénédiction, les échos des tambours une célébration de fête. Sa mission était de s’assurer que la moindre arme de la Basilique soit approvisionnée en munitions.
Il saisit de ses doigts déformés la caisse de munitions et la traîna vers les créatures biomécaniques qui étaient tout autant des éléments des armes que n’importe quelle pièce mécanique. Elles le regardèrent de leurs visages osseux alors qu’il engageait une bande de cartouches dans la culasse de chargement. Chaque projectile était long comme son avant-bras, touché par les dieux du Warp et instrument de vengeance. La culasse se referma sèchement, manquant de lui emporter quelques doigts.
— Pas pour cette fois, mon petit, grogna-t-il entre ses lèvres déformées et édentées.
Moitié boitillant, moitié traînant les pieds, il retourna vers le bouclier blindé couvrant l’accès des munitions à l’arrière de la Basilique. L’immense cathédrale avançait à nouveau, écrasant tout sur son passage. Les armes de flanc poussaient leurs cris en langage binaire pour qu’on les alimente en munitions.
Ce bouclier était une trappe blindée fermée par d’énormes boulons et manœuvrable à l’aide d’un lourd volant. Cette porte était si lourde que même les astartes qui servaient les vrais dieux ne pourraient l’ouvrir sans l’aide d’un équipement de levage. Pour Sclav, la soulever était aussi facile que de respirer.
Il ouvrit la trappe et plongea le regard dans l’obscurité de l’intérieur de la Basilique. Une puanteur faite de l’addition d’odeurs non identifiables monta jusqu’à lui, un mélange d’huiles stagnantes, de graisses frelatées et de chair carbonisée. Pour d’autres, cette odeur aurait été désagréable, mais lui s’y était habitué au fil de ses années de service en tant que membre d’équipage. Il ne s’était jamais demandé d’où venait cette odeur. Elle était là, simplement.
Il entendit le choc sourd de quelque chose de lourd atterrissant sur le pont dans son dos, mais il n’y prêta pas plus d’attention. Il y avait toujours des bruits étranges par là et il n’avait jamais été très curieux sur ce qui les provoquait. De plus, le monte-charge était en route avec ses caisses remplies de nouvelles munitions, de cellules énergétiques rechargées et de réservoirs de prométhium liquide.
Puis il entendit le cri étranglé poussé par l’une des créatures-armes.
Sclav se retourna lourdement et il fronça les sourcils. Les choses n’étaient pas comme elles auraient dû être.
Tout d’abord, les armes du pont supérieur avaient arrêté de tirer.
Et ceci était facile à comprendre.
Des guerriers en armure noire, comme des ombres amenées à la vie, étaient en train de leur asséner de grands coups à l’aide de griffes libérant une lumière aveuglante. D’autres escaladaient le haut rempart du château arrière de la Basilique. L’esprit de Sclav ne parvenait pas à assimiler ce qu’il voyait. Comment avaient-ils pu grimper aussi haut ? Cela était normalement impossible et pour de nombreuses raisons, dont le fait que que les flancs du colosse étaient hérissés d’armes défensives, et qu’il se trouvait de surcroît en retrait du mur élevé par les maîtres des Fils du Sang.
Les guerriers étaient au nombre de dix, puissants et portant des armures d’une telle obscurité que l’on aurait dit les statues de basalte qui se tenaient à l’entrée du temple de l’Abysse Carmin.
L’Adeptus Astartes. L’ennemi. L’abhorré.
Le sang de Sclav ne fit qu’un tour, ses fonctions cognitives anesthésiées parvenant enfin à comprendre qu’il se trouvait en face d’ennemis qu’il pouvait tuer. Il n’aurait plus à se contenter de regarder les créatures-armes le faire avec ces munitions dont il les nourrissait.
Il gronda sa haine et s’élança à travers le pont, mais avant qu’il n’ait effectué une douzaine de pas, l’une des silhouettes de nuit se retourna et leva une arme dont la bouche semblait absorber toute lumière. Elle cracha plusieurs boules de feu, chacune le percuta en pleine poitrine et lui arracha une poignée de chair. Il ressentit la douleur, mais il s’en moquait. Son système nerveux était tellement endormi par les implants et les poches de drogue, que cette sensation était réduite à presque rien. Il chargea droit sur les guerriers, mais ils se montrèrent aussi impalpables que ces ombres pour lesquelles il les avait d’abord pris. Ils esquivèrent avec facilité.
Leurs griffes s’abattirent sur lui, tels des becs de charognards picorant un cadavre. Son sang pollué s’échappait par ses blessures, mais il lui en restait encore assez. Qu’ils lui prennent tout le sang qu’ils voudraient ! Sclav les tuerait tous avant qu’il ne tombe vidé. Ses muscles puissants parvinrent à trouver l’un de ces oiseaux et il lui asséna un coup de poing. Le guerrier partit en arrière, percuta la balustrade et passa par-dessus.
Quelque chose lui tomba sur les épaules. Un poids important et une sensation soudaine de lames tranchantes et de brûlures. La douleur était insignifiante, mais il tendit les mains pour tenter d’attraper son agresseur. Elles se refermèrent sur quelque chose et il serra de toutes ses forces, quelque chose craqua sous sa poigne de fer.
Puis, une douleur qu’il ne pouvait plus ignorer.
Des griffes s’enfoncèrent dans son cou et transpercèrent les couches de graisse, de muscles et de tendons jusqu’à sa colonne vertébrale. Il se tordit dans tous les sens pour désarçonner cette créature noire qui ne cessait de le découper en morceaux.
— Sclav va te tuer ! rugit-il.
Mais il ressentit un autre déchirement, comme un élastique étiré jusqu’à son point de rupture. Une insupportable douleur le foudroya en un instant, puis tout s’obscurcit lorsque les griffes de l’oiseau tranchèrent enfin sa moelle épinière.
Le capitaine Æthon Shaan sauta sur le pont, l’ogre mutant agonisait, la colonne vertébrale tranchée au niveau de ses omoplates. Il avait dû s’y reprendre à plusieurs fois, et même là encore, la créature s’était accrochée à la vie avec acharnement.
Il rentra ses griffes éclair et regarda ses hommes terminer le travail. Mettre ces armes hors d’état de nuire était une mission peu glorieuse, mais nécessaire compte tenu de l’urgence de la situation. Il leur avait fallu un certain temps pour se frayer un chemin à travers les ruines, se glisser entre les hordes de Fils du Sang et de machines démons, puis franchir ce mur.
Les machines démons avaient été l’obstacle le plus ardu, là où ils avaient failli se faire repérer, car les entités qui animaient ces créatures hybrides percevaient le monde avec des senseurs qui dépassaient les cinq sens habituels des mortels. Shaan sourit l’idée de se limiter à seulement cinq sens.
Fereld Laotz reparut au-dessus de la balustrade de fer, il semblait cependant un peu engourdi dans ses déplacements lorsqu’il rejoignit ses camarades après avoir été à moitié assommé par le coup de poing du monstre.
— Tu as été imprudent, lui reprocha Shaan. À notre retour, tu te soumettras à la pénitence d’usage.
— Pour quelle durée, monseigneur ? demanda Laotz en s’inclinant.
— Je laisse cela à ton appréciation, répondit le capitaine, sachant que Laotz ne chercherait pas à échapper à cette juste punition, et qu’il s’en infligera même un peu plus.
Ce sujet réglé, Shaan se retourna vers cette écoutille ouverte à l’arrière du pont. Revys Kyre, son sergent, approcha de lui et regarda dans le puits obscur.
— Balançons les charges et allons-nous-en, lui dit Kyre. Les maîtres de cette abomination ne tarderont pas à se rendre compte que leurs armes sont réduites au silence. Je ne leur donne pas plus de quelques minutes avant qu’ils ne lancent une contre-attaque.
— Je sais, répondit Shaan. Mais qui sait ce qui se trouve en bas. Une autre porte blindée, un champ énergétique ? Une sorte de protection surnaturelle ? Non, nous devons faire cela de la bonne vieille manière.
— Vous voulez toujours faire les choses de la bonne vieille manière, mon capitaine, grommela Kyre.
— Alors pourquoi cherches-tu toujours à essayer de m’en dissuader, lui dit Shaan avant de se laisser tomber par l’écoutille.
Et Shaan tomba. Il eut l’impression de chuter dans un puits sans fin. C’était impossible, bien sûr, la Basilique Noire ne dépassait pas une centaine de mètres de haut, mais pourtant, il continuait de tomber. L’obscurité était totale, impénétrable, comme si une chose vivante l’avait enserré dans ses bras.
Il avait l’habitude du noir, mais cette sensation lui était étrangère et désagréable. Il dut la supporter jusqu’à ce que ses sens détectent la proximité d’un sol solide. Il groupa les genoux et effectua une roulade dès qu’il toucha un déflecteur d’explosion, il se retrouva à genoux, ses griffes déjà sorties. Des traces énergétiques illuminaient le puits, un conduit formant un angle étrange qui montait vers une obscurité impossible, même si son ouverture devait ne se trouver que juste au-dessus de lui.
Un monte-charge pneumatique était baigné d’une lumière bleutée, des rails graissés amenaient les charges jusqu’à l’aplomb du puits. Les rails passaient par une ouverture dans une cloison d’acier et une lourde porte s’abattait après le passage du chariot pour isoler le lieu de stockage du reste du monde. Shaan se jeta sans attendre à la suite du chariot sur la plate-forme du monte-charge, il s’y aplatit autant qu’il put et ramena ses jambes juste avant que la porte ne se referme.
Il se retrouva dans une grande pièce qui lui rappelait ces forges infernales qui avaient jadis maintenu le peuple de Délivrance sous la coupe des maîtres-esclavagistes de Kiavahr. C’était dans ce genre d’endroit que le primarque Corax avait appris à devenir un meurtrier silencieux, un chasseur dans l’ombre. Des fournaises grondaient et projetaient une lumière rouge, les cloisons semblaient remonter à l’infini, s’étendant à plusieurs centaines de mètres au-dessus de lui dans des dimensions qui défiaient tout ce que Shaan aurait pu penser possible.
Des serviteurs de levage déformés et des esclaves convoyaient des caisses de munitions alors que des superviseurs ressemblant à des gorgones et portant des crochets d’acier et de longues robes noires à capuche leur donnaient des instructions. Des templiers en armure noire faisaient exécuter les ordres des superviseurs à l’aide de fouets dont les lanières crépitaient d’une énergie bleutée. Ils portaient derrière leurs épaules des tulwars à lame courbe et ils ne cessaient de crier à l’aide de haut-parleurs fixés devant leur visage.
Présidant à tout cela, un visage monstrueux d’où sortaient de nombreux câbles et dont la peau était d’une pâleur extrême semblait sortir de la paroi du fond. Boursouflé et disproportionné, le peu qu’il lui restait d’humanité lui donnait un air d’enfant obèse. Ses lèvres pendantes ne cessaient de déverser des hymnes en langage binaire, et des flots de données corrompues et polluées se reflétaient à la surface de ses yeux.
Shaan vit tout ceci en un battement de cil, mais il n’y avait nulle ombre où se dissimuler. Il était parfaitement visible dans la lumière de cette forge-arsenal-magasin de stockage. Le visage sur le mur poussa un cri et tous les occupants de cette salle infernale se tournèrent vers lui. Les templiers grondèrent de leurs voix métalliques et les prêtres en robes noires sortirent des plis de leurs manches des poignards ou des crochets.
Ils s’élancèrent comme un seul homme vers le capitaine de la Raven Guard.