couragesymbol.jpg

DIX-NEUF

Les balles de bolter ricochaient sur les flancs blindés du Rhino et crépitaient comme une pluie d’acier. L’une d’elles était parvenue à pénétrer par une faille dans une plaque corrodée et avait continué jusqu’à l’intérieur du compartiment des troupes, mais l’essentiel de son énergie cinétique avait été dépensé et les armures de Foudres avaient amorti ce qu’il en restait.

Scipio maniait depuis l’intérieur les bolters jumelés et les faisait aller de droite à gauche, n’actionnant la commande de tir que lorsqu’il était certain de faire mouche sur plusieurs ennemis à la fois. Il ne craignait pas de tomber à court de cibles depuis qu’ils avaient forcé le passage à ce poste de contrôle. Scipio avait abattu trois guerriers ennemis par des rafales précises et Laenus en avait écrasé un autre sous les chenilles du Rhino.

À peine eurent-ils pénétré à l’intérieur des quartiers protégés que Scipio fut obligé de revoir sa position en ce qui concernait l’armée des Fils du Sang. La place centrale de Corinth était remplie de structures préfabriquées alignées avec une précision toute militaire. Des étendards très colorés claquaient au vent et une bannière à dominante bleue flottait au-dessus de l’une des tours du palais. Ce qui avait été autrefois un espace ouvert où les citoyens de la cité se promenaient pour se rendre à un musée ou visiter une galerie d’art était désormais un camp militaire. Le moindre mètre carré était réquisitionné pour abriter des dépots d’armes et de munitions, des baraquements ou des zones d’entraînement.

Il y avait là une organisation capable de rivaliser avec celle de n’importe quel régiment de la Garde Impériale, tout ce qui faisait une vraie armée de conquête, et Scipio fut glacé jusqu’au sang de le constater. Leur Rhino cabossé et crachant une fumée noire écrasa des tentes et éventra des baraques, laissant derrière lui un sillage dévasté. Plusieurs constructions prirent feu, on aurait dit un brûlot des flottes de jadis envoyé semer le désordre au milieu des navires ennemis.

La métaphore était appropriée, se dit Scipio.

Des guerriers des Fils du Sang se ruaient hors de leurs cantonnements, des femmes et des hommes vêtus d’armures chamarrées. Scipio repéra quelques écharpes bleues d’officiers et cela éveilla son intérêt. Il s’agissait des corsaires de Kaarja Salombar !

Il tourna les bolters jumelés dans leur direction et tira une longue rafale de balles explosives. Plusieurs hommes tombèrent, les autres se dispersèrent. Au milieu de cette concentration de structures temporaires, les Fils du Sang eurent du mal à localiser le Rhino des Foudres, mais ceux qui le purent délivrèrent un feu nourri.

Un tir de laser érafla l’épaulière de Scipio et une balle ricocha sur la moitié gauche de l’écoutille. Des projectiles lui frôlèrent la tête et il fit pivoter les bolters jumelés pour mitrailler une rangée de tentes dont les occupants se précipitaient pour récupérer leurs armes et leurs armures.

— Pour Guilliman et l’Empereur ! cria-t-il tout en tirant sur l’ennemi.

Quel bonheur que de se retrouver au combat, d’assouvir sa vengeance sur ceux qui avaient infligé tant de souffrances au peuple d’Espandor. Le Rhino fonçait droit devant, ses moteurs hurlaient et ses mécanismes gémissaient, l’engin était visiblement en train de rendre l’âme.

Scipio risqua un coup d’œil par-dessus son épaule et vit des flammes et un épais panache de fumée huileuse s’échapper de l’arrière du Rhino. Laenus avait fait ce qu’il avait pu pour flatter au mieux cet engin, mais son esprit n’en pouvait plus et il n’irait pas beaucoup plus loin. Qu’il les ait transportés aussi loin tenait déjà du miracle. Il était temps de débarquer et de continuer à pied.

Scipio étudia les environs modifiés par les constructions des Fils du Sang. Il avait déjà une destination en tête, mais restait à savoir si le Rhino capturé les emmènerait jusque là-bas.

— Laenus ! Prends la direction de l’entrée du palais du prætor !

— Pas sûr qu’il tienne jusque là-bas, mais je vais essayer, lui lança son frère de bataille.

Une ligne de guerriers aux couleurs criardes était en train de se constituer pour barrer le passage au Rhino et Scipio préféra plonger à l’abri lorsqu’une volée de tirs laser frappa le blindage avant de son char d’emprunt. Un missile percuta le véhicule de plein fouet, mais Helicas et Coltanis avaient pris soin de boulonner des plaques d’acier sur tout l’avant du Rhino et le projectile fut dévié sans même exploser. D’autres unités se préparaient à faire feu, les Foudres n’avaient que quelques secondes avant que le transport blindé finisse à l’état d’épave.

— Tout le monde dehors ! cria Scipio.

Nivian fit basculer la trappe arrière et Coltanis sauta du véhicule encore en marche. Scipio suivit, puis le reste des Foudres, tous débarquèrent en courant juste derrière lui. Laenus fut le dernier à sortir, mais le Rhino continua sa course, crachant des flammes et de la fumée, droit vers les rangs des Fils du Sang. Ceux-ci s’écartèrent pour le laisser passer, mais à peine le véhicule s’était-il arrêté que ses moteurs explosèrent. La déflagration balaya de nombreux ennemis et le carburant enflammé scella le sort de beaucoup d’autres.

Peut-être l’Empereur veillait-il, peut-être cela ne fut-il qu’une simple coïncidence, à moins que l’esprit du Rhino ait voulu exercer sa vengeance pour la manière dont on l’avait traité. Pour Scipio, cela ne pouvait être que la dernière hypothèse.

Profitant de la confusion et de la fumée, le sergent conduisit les Foudres à travers le capharnaüm de tentes et de baraques en flammes. L’incendie s’étendait à toute la place et des cris sortaient des bâtiments en bordure. Parmi l’ensemble gris et marron des structures préfabriquées, le bleu des armures Ultramarines était comme une tache de couleur au milieu d’une mer de morosité. Scipio sentit l’impact d’une rafale sur son dos et ses épaulières. Il pivota pour faire face à la menace et il aperçut un groupe de corsaires menés par une femme portant deux écharpes bleues croisées sur sa poitrine et un bicorne sur la tête. Le couvre-chef semblait bien incongru sur un champ de bataille, mais il donna à Scipio un bon point de repaire.

— Choisissez bien vos cibles ! cria-t-il. Les munitions vont être rares, alors que chaque tir porte !

Il ouvrit le feu et la femme corsaire fut projetée en arrière, sa tête et l’une de ses épaules volatilisées en fragments d’os et de sang. Une autre rafale élimina une bonne douzaine de ses guerriers et envoya les autres se jeter à couvert.

— Suivez-moi ! cria Scipio. Vers les portes du palais.

Scipio se précipita vers leur objectif, bolter contre l’épaule.

Le toit doré brillait comme un soleil et les façades colorées offraient un spectacle magnifique. Les Fils du Sang en avaient profané les murs au niveau du sol, mais il restait possible de se faire une idée de ce qu’avait été cette bâtisse du temps de sa splendeur.

Un haut mur de granit gris poli entourait le palais, décoré de quelques tours de marbre et de statues représentant d’héroïques Ultramarines dont le lignage avait pu être retracé comme remontant à Espandor. Une bretèche flanquée de deux tours circulaires s’ouvrait du côté sud des murs. Les remparts surplombés d’argent de ces deux tours recevaient maintenant deux pièces antiaériennes pointées inutilement vers le ciel.

Des Fils du Sang arrivaient pour les intercepter, mais la configuration de la place ne les aidait pas. Les Foudres se déployèrent de part et d’autre de leur sergent et ils se jetèrent au milieu de l’ennemi en faisant preuve d’une fureur inégalée. Des guerriers munis de masques coururent vers eux, baïonnette au canon ou brandissant des épées et des pistolets. Scipio dégaina sa propre épée tronçonneuse, Coltanis tourna son arme vers une unité de soutien et la massacra de quelques tirs précis de lance-plasma. Ils se taillèrent un chemin sanglant à travers l’ennemi, sans jamais ralentir ni permettre aux Fils du Sang de se resaisir.

Scipio aperçut six Rhino et un Land Raider déboucher sur la place, peints en noir et orange. Deux autres portant le rouge sombre des Skulltakers fonçaient à travers la masse des Fils du Sang sans se préoccuper de les écraser sous leurs chenilles.

La place avait perdu sa belle organisation martiale, les incendies faisaient rage partout et les détonations et les cris emplissaient l’air. La bretèche avait autrefois été fermée par un portail en chêne d’Espandor bardé de fers, mais il n’en restait plus rien, hormis ses mécanismes d’ouverture tordus et noircis. Un véhicule antigrav corsaire était en train de se mettre en place pour fermer le passage, ses artilleurs faisaient pivoter l’arme de proue vers les Foudres.

— Coltanis ! cria Scipio. Dégomme-le !

— Plasma toujours en charge ! répliqua le guerrier porteur de l’arme spéciale.

Il n’existait donc aucun moyen d’éviter les tirs du canon, Scipio pria que les servants soient trop pressés ou trop mauvais pour ajuster leur visée. L’arme libéra un éclair aveuglant et une détonation assourdissante, Scipio se jeta de côté lorsqu’un trait de laser à haute énergie déchira les dalles de la place. Des fragments de pierre rebondirent sur ses plaques de céramite et il sentit une douleur au côté, là où le rayon l’avait frappé et fait fondre une partie de son armure.

Il roula au sol et se rendit compte que deux de ses guerriers étaient eux aussi au sol. Seius et Asellio, leurs armures fondues par endroit au point que même des space marines ne pouvaient avoir survécu. Des Fils du Sang et des corsaires se précipitaient vers eux de toute part en hurlant, et les artilleurs du boutre se préparaient pour un nouveau tir.

Une boule d’énergie surchauffée jaillit et s’enfonça dans le flanc du véhicule. Elle trouva les cellules énergétiques du système antigravitique, le véhicule explosa à l’intérieur de la bretèche, une vague de feu roula par dessus les Ultramarines et alla carboniser les Fils du Sang les plus proches.

Scipio se remit sur ses pieds et il comprit que la chance leur avait donné un autre coup de pouce.

— Joli tir, Coltanis, dit-il en s’élançant sous le porche toujours en proie aux flammes. Il bondit au-dessus de l’épave et d’une bonne douzaine de cadavres carbonisés. Les Foudres le suivaient, leurs armures les protégeant des flammes. Scipio ouvrit d’un grand coup de botte la porte donnant dans la tour de gauche, une dizaine de corsaires se trouvaient dans la salle basse, la première rafale du sergent en abattit près de la moitié. Ils ripostèrent et il grogna de douleur quand l’un des tirs pénétra sa cuirasse. Puis Leanus et Nivian furent autour de lui.

Les Fils du Sang moururent en quelques secondes et Scipio gravit les marches de l’escalier vers les étages. Plusieurs Fils du Sang et corsaires occupaient l’endroit, une bonne quarantaine en tout, mais dans un espace aussi confiné que ces marches et ces pièces latérales, ils ne furent pas de taille à lutter contre des space marines qui les massacrèrent avec une sinistre efficacité.

Scipio entendit des cris venant du rez-de-chaussée, mais ils avaient déjà atteint le sommet. Les servants maniant les armes antiaériennes avaient enfin abaissé leurs pièces, mais trop tard pour que cela change quoi que ce soit à leur destinée. Les poursuivants en bas ne pouvaient être que des astartes renégats. Qui d’autre aurait pu survivre à l’enfer sous le porche ?

Scipio jeta un coup d’œil sur la place en contrebas. Des incendies faisaient rage dans tout le centre de la cité et même si cela le peinait de voir cet endroit en proie aux flammes, il savait que c’était un moindre mal. Des milliers de Fils du Sang et de corsaires étaient stationnés là et il en arrivait toujours plus dans la grande place à chaque seconde.

— Coltanis, Helicas ! Surveillez l’accès aux escaliers. Nous allons avoir des traîtres sur le dos d’un moment à l’autre.

Scipio montra d’un doigt les pièces antiaériennes.

— Laenus ! Prends Natalis, Isatus et Bradua et retournez-moi ces armes. Nous allons en avoir besoin sous peu.

Laenus fit un signe de tête et il courut vers la première des pièces antiaériennes.

— Sergent ! appela Nivian. Vous devriez venir voir ça.

Scipio courut retrouver son guerrier près du rempart intérieur de la tour et il regarda ce qu’il lui montrait.

Trois antigrav lourdement chargés sortaient du palais, encore mieux blindés que celui qu’ils avaient abattu en bas et décorés de bannières criardes, de décorations tapageuses et d’une iconographie ostentatoire. Tant de couleur faisait presque mal aux yeux, mais c’était la silhouette qui se tenait au poste de commande du boutre central qui attira le regard de Scipio.

Il s’agissait d’une femme, vêtue de bande de cuir et de pans de tissus vifs qui captaient la lumière et la faisaient chatoyer. Ses traits avaient un côté eldar et une chevelure sauvage et azur lui tombait sur les épaules. Il ne pouvait y avoir aucune ambiguïté sur l’identité de la personne.

— Kaarja Salombar, siffla Scipio. La Reine Corsaire.

— On dirait bien que nous l’avons un peu agacée, ajouta Nivian.

Scipio sourit.

— Tu as sans doute raison.

L’écouteur dans son casque, resté inerte durant tout le temps que dura cette chasse, grésilla quand il l’activa et se cala sur la fréquence d’urgence choisie par le capitaine Sicarius pour la diffusion de ce message précis.

— Ici Scipio Vorolanus, dit-il en s’abaissant quand une rafale ricocha sur le parapet juste devant lui. Localisation : centre de Corinth. Code Suzerain ! Code Suzerain ! J’ai la Reine Corsaire en visuel. Je répète, j’ai la Reine Corsaire en visuel.

La radio crépita puis se tut, et Scipio se dit un instant que son message n’avait pas été reçu, puis une voix qu’il reconnut comme étant celle de Daceus des Lions de Macragge lui parvint.

— Bien reçu, lui répondit Daceus. Gardez votre position et tenez-vous prêt. Terminé.

— Ils arrivent ! cria Helicas alors que les premiers astartes renégats déboulaient en haut des marches.

Les Cavernas Draconis perçaient le manteau de Calth d’un réseau de cavernes et de tunnels que jamais personne n’avait totalement cartographié. De nouveaux passages étaient ouverts chaque jour et, puisque les effondrements étaient courants, toute carte devenait obsolète quelques années après avoir été tracée.

Quatre Rhino s’enfonçaient vers les profondeurs de Calth à travers ce véritable labyrinthe, avec un traître en guise de guide. La bataille pour la gorge des Quatre Vallées avait cessé pour le moment, les forces des Fils du Sang pansaient leurs blessures et se regroupaient suite à la destruction dévastatrice de la Basilique Noire. Le chapelain Clausel avait pris le commandement des unités Ultramarines, un rôle qu’il avait accepté avec son formalisme habituel quand Uriel le lui avait confié.

Deux Rhino Ultramarines ouvraient la route, l’un d’eux contenait les Épées de Calth, l’autre les Brandons Ardents de Pasanius. Suivait un Rhino totalement noir, dans la livrée de la Raven Guard, puis un véhicule de même modèle, mais peint en rouge terne et frappé sur ses flancs du I majuscule des saints ordos. Namira Suzaku préférait travailler dans l’ombre, mais quand elle agissait à découvert, elle voulait que cela se sache.

Ardaric Vaanes se trouvait dans le véhicule de tête, assis tout près d’Uriel et enchaîné à la cloison par des bracelets impossibles à briser. Deux des acolytes de Suzaku se tenaient face à lui, chacun tenait une perche terminée par une large pince refermée autour de son cou. D’un seul geste du pouce, les colliers de resserreraient, brisant net le cou du renégat, les doigts des deux acolytes ne quittaient jamais les commandes. L’intuition d’Uriel lui criait de ne pas faire confiance à Vaanes, mais son cœur lui disait que le guerrier pourrait très bien chercher le salut dans le peu d’honneur qu’il lui restait.

Le capitaine Shaan et l’Inquisitrice Suzaku avaient été difficiles à convaincre, ils avaient admis à contrecœur qu’il n’existait d’autre choix que d’accepter la proposition de Vaanes de les conduire dans les profondeurs. Ils s’étaient mis en route sans attendre, avaient traversé les restes de Castra Occidens, puis s’étaient enfoncés dans les tunnels tout juste éclairés qui conduisaient loin sous la surface de la planète.

Cela faisait neuf heures qu’ils roulaient, ne s’arrêtant que pour refaire le plein de carburant dans l’une des cités-cavernes de Calth, une communauté agricole nommée Apamea Ragiana. Bâtie au milieu de collines et d’épaisses forêts, la bourgade s’étendait à l’ombre d’une cathédrale dédiée à l’Empereur et dont les tours représentaient un aigle les ailes ouvertes.

Poursuivant sa route, le petit convoi quitta les artères principales qui reliaient les différentes cavernes pour bifurquer dans des tunnels secondaires plus communément empruntés par les équipes de mineurs et de prospection. Ils s’enfoncèrent toujours plus profondément et la température ambiante monta progressivement, chaque virage successif les emportait toujours plus loin de la civilisation.

Les parois des tunnels devinrent de plus en plus brutes, oubliant progressivement tout ce qui aurait pu faire penser à l’œuvre des hommes pour ressembler davantage à de simples résultats de mouvement tectoniques. Il y avait quelque chose de familier dans ces tunnels pour Uriel, comme s’il y avait déjà voyagé. Sa mémoire eidétique explorait ces périodes où il était revenu sur Calth après être devenu un guerrier des Ultramarines, mais il ne pouvait se souvenir de rien d’autre que d’images furtives d’escalades de rochers et de traversées de ponts fragiles.

— Prenez le tunnel de droite et suivez-le sur trois kilomètres, dit Vaanes d’une voix qui trahissait les efforts qu’il faisait pour parler.

— Où nous emmènes-tu ? lui demanda Uriel en surveillant une représentation holographique des cavernes qui s’étendaient autour du Rhino. Ces lieux sont abandonnés depuis des siècles.

— Tu le découvriras bien assez tôt, répondit Vaanes.

— Si jamais tu nous emmènes dans un piège…

— Et alors ? Tu me tueras ? rigola Vaanes, même si l’effort le fit grimacer. Si c’était mon intention, j’aurais fait en sorte que tu me tues là-haut. Pourquoi organiser cette mascarade ?

— Pour aider Honsou à me tuer, lui répondit Uriel.

— Il n’a pas besoin de mon aide pour cela. Et tu n’es pas le seul concerné, Ventris. Honsou veut détruire tout ce que tu chéris et il se moque des moyens. Un seigneur démon s’imagine que c’est lui qui mène la danse, mais c’est juste parce que Honsou le laisse croire ça. Le démon veut la destruction d’Ultramar tout autant que lui.

— Pourquoi ? Enfin, pourquoi spécifiquement Ultramar ?

— Tu crois qu’il me l’a dit ? C’est un seigneur démon, de quelles raisons a-t-il besoin ?

Uriel secoua la tête.

— Je ne prétends pas connaître les motivations des démons, mais c’est la troisième fois qu’il s’en prend à Ultramar. Il doit y avoir une raison pour qu’il nous haïsse autant, non ?

— Peut-être Roboute Guilliman l’a-t-il regardé de travers ?

— Ne prononce pas son nom, siffla Brutus Cyprian. Tu n’es pas digne de parler du primarque.

— Susceptible, non ? se moqua Vaanes.

— Il a raison, lui envoya Uriel. Tu n’es pas digne de prononcer son nom.

Vaanes haussa les épaules et se réfugia dans le silence. Ils continuèrent à rouler ainsi une bonne heure, suivant les tours et les détours du tunnel, jusqu’à émerger dans une longue caverne vaguement cylindrique et large de trois cents mètres, le sol vitrifié laissait échapper par quelques crevasses des panaches de vapeur. L’humidité ruisselait du plafond et le long des parois, et s’accumulait en des mares ou s’écoulait le long de fissures surchauffées.

Vaanes se pencha pour étudier l’image, il remarqua les représentations naïves de dragons sur les murs, creusées dans la pierre ou peintes à l’aide de larges traits bleus ou verts.

— Nous y sommes, annonça le renégat en s’adossant à nouveau.

Uriel fronça les sourcils et ouvrit l’écoutille du Rhino, puis il se hissa afin d’examiner cette caverne dans laquelle ils venaient de déboucher.

— Je connais cet endroit, dit-il alors que des souvenirs d’enfance lui revenaient.

Il sortit totalement et se laissa glisser sur le sol rocheux, se revoyant soudain en train de courir dans ce même endroit alors qu’il était gamin, en compagnie de ses amis. Les murs étaient recouverts de représentations de dragons, grandes ou petites, élaborées ou rudimentaires. Depuis cet endroit par lequel ils étaient entrés et jusqu’à perte de vue, chaque mètre carré de la paroi en était recouvert.

Tout le monde débarqua des Rhino et entoura Uriel, lui jetant des regards interrogatifs sur la raison de cet arrêt.

— Quel est cet endroit ? demanda Suzaku en observant les milliers de représentations de dragons peints ou sculptés.

Uriel se tourna vers elle. Elle avait beaucoup changé depuis la bataille de la gorge des Quatre Vallées. Son acolyte avait été tué durant les combats et il comprit qu’ils avaient été plus proches qu’il se l’était tout d’abord imaginé. Peut-être n’était-elle finalement pas aussi froide qu’elle voulait le laisser paraître.

— Le Gosier du Dragon, expliqua-t-il. C’est ainsi que nous appelions ce lieu.

Pasanius sourit et leva les yeux vers le plafond, une pointe d’un émerveillement longtemps oublié éclaira son visage.

— Nous pensions que cette caverne était la gueule d’un dragon endormi, poursuivit-il. C’était devenu une sorte de défi parmi les enfants que de descendre jusqu’ici et de peindre sur ces murs une image de ce à quoi nous pensions devait ressembler cette créature. Les enfants de Calth font cela depuis des siècles.

Pasanius jeta à Uriel un regard entendu.

— Et si je me souviens bien, c’est toi qui a dessiné le plus haut.

— Quelqu’un a dû faire mieux depuis, lui répondit Uriel.

Vaanes éclata de rire.

— J’ai du mal à t’imaginer enfant, Ventris. J’imagine que tu as dû susciter beaucoup de moqueries avec tes manières guindées.

— Ferme-la, Vaanes, grogna Pasanius.

— Bon, autant je n’ai rien contre nous raconter nos souvenirs d’enfance, autant j’ai du mal à comprendre en quoi cela nous rapproche d’une éventuelle victoire contre Honsou, intervint Æthon Shaan.

Uriel s’éloigna du groupe et projeta son esprit à plus d’un siècle en arrière, à cette époque où il avait cavalé dans cette caverne. Il se souvint des jeux, des défis et des concours de force, de vitesse et d’endurance disputés entre garçons et filles de Calth en guise de préparation pour ce jour où les guerriers des Ultramarines les jugeraient dignes d’être convoyés sur Macragge.

— C’était une épreuve de courage que de voir jusqu’à quelle hauteur vous pouviez dessiner votre dragon, dit-il en laissant se reconstruire des souvenirs remontant à son existence avant l’Adeptus Astartes. Modelées avant que son architecture cérébrale ne soit altérée par une science très ancienne, ces images se reconstituèrent doucement et graduellement dans son esprit.

— Je voulais être le peintre de dragons dont on parlerait encore des années après, alors j’ai escaladé la paroi jusqu’à une centaine de mètres avec deux pots de peinture accrochés à la ceinture.

— Ici ? demanda Suzaku en regardant les parois. Lequel est le vôtre ?

— Le mien est à trois kilomètres plus loin, répondit Uriel en montrant d’un bras les profondeurs de la caverne. C’était insensé. La roche était glissante et recouverte d’arêtes acérées. Si j’avais dévissé, je serais mort, mais j’avais aperçu une petite corniche et je m’étais dit que cela ferait un bon perchoir pour peindre. J’ai failli tomber à trois reprises, mais j’y suis finalement arrivé, même si mes mains étaient couvertes d’entailles. Mes bras tremblaient et j’arrivais à peine à tenir mon pinceau, mais j’ai réalisé un dragon rouge et or avec ses ailes grandes ouvertes et une échine épineuse plus haute que personne n’était jamais arrivé à faire.

Il marqua une pause, comme s’il revivait la scène.

— J’avais terminé mon dragon et j’étais prêt à redescendre quand j’ai vu une ouverture dans la paroi, un tunnel sombre qui s’enfonçait dans la roche durant plusieurs centaines de mètres jusqu’à…

— Jusqu’à quoi ? demanda Shaan.

— Par le Trône de Terra, souffla Uriel en retournant en courant vers son Rhino. Je sais où est Honsou !

Trois kilomètres plus loin dans la caverne, ils tombèrent sur une scène de dévastation. Le sol était ouvert par une large fosse et une partie de l’une des parois s’était effondrée pour constituer un éboulis qui menait jusqu’à un trou dans la roche. Un énorme tunnelier sortait à moitié de la fosse dans le sol, ses flancs d’acier étaient rayés et balafrés. Des jets de vapeur s’échappaient de son nez et de la poussière de roche tombait le long de ses flancs.

Ses portes étaient ouvertes. Ceux qui s’étaient enfoncés aussi profondément sous Calth n’étaient plus là.

Et Uriel savait exactement où ils étaient.

Les Rhino s’arrêtèrent à la base de l’éboulis et Uriel sauta hors du compartiment de troupes, les Épées de Calth sur ses talons. La Raven Guard avait déjà pris un peu d’avance et ils escaladaient les débris conduisant à la brèche dans la paroi. Uriel escalada à son tour vers cette corniche sur laquelle il était grimpé durant son enfance.

— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? demanda Shaan alors qu’Uriel atteignait la paroi.

— Un lieu oublié, répondit Uriel en se retournant vers Vaanes que les acolytes de Suzaku poussaient vers le haut de l’éboulis. Une chose dont je n’ai jamais parlé à personne.

— Vous n’en aviez pas besoin. Vous en connaissiez la présence, alors ce Nouveau-né la connaissait aussi, même sans le savoir.

Uriel manqua de sourire en apercevant une représentation presque effacée de dragon rouge et or un peu plus loin sur la paroi. Pasanius s’était agenouillé juste à côté.

— Pas mal, commenta-t-il en tapotant la roche. J’ai bien l’impression que le tien est toujours le plus haut.

— Calth n’a pas dû en enfanter de plus hardis que toi, fit remarquer Vaanes.

Uriel ignora la remarque et il examina la brèche dans la roche. Des charges explosives l’avaient largement ouverte, assez pour que trois space marines puissent y entrer de front. Il fit un premier pas vers le tunnel, mais avant qu’il ait pu en faire un deuxième, Æthon Shaan l’arrêta par le bras.

— Laissez-nous y entrer en premier, lui dit-il. Marcher dans l’obscurité, c’est le travail de la Raven Guard.

Uriel aurait voulu lui renvoyer au visage qu’il était sur Calth, ce qui faisait de cette exploration le travail des Ultramarines, mais il comprit immédiatement que Shaan avait raison. Il ne put que hocher la tête.

— Très bien, lui dit-il. Allez-y.

Shaan se tourna vers son second.

— Kyre, aile gauche, griffes basses. L’ombre du corbeau, haut et clair.

Kyre fit un signe de tête, Uriel n’avait aucune idée de ce qu’il venait d’ordonner.

Les guerriers en armure noire se glissèrent dans le tunnel et quelques instants plus tard, Uriel les avait déjà perdus de vue. Il cligna des yeux, tenta d’exploiter la précision de son œil bionique, mais la Raven Guard resta invisible.

— Mais comment font-ils ça ? souffla Pasanius tout près de lui. Même le vieux Telion n’est pas aussi fort qu’eux.

— Je lui répéterai ça, il ne va pas aimer, répondit Uriel en pénétrant à son tour dans le tunnel.

L’Inquisitrice Suzaku et sa suite s’intercalèrent entre les Épées de Calth et les Brandons Ardents. La lueur dansante libérée par le lance-flammes de Pasanius était renvoyée par l’humidité des parois et projetait leurs ombres au-devant d’eux.

Uriel se revit suivre ce même tunnel dans le noir total et il ressentit les mêmes frissons provoqués par cette exploration, même si cent soixante années s’étaient écoulées depuis ces jours de sa jeunesse. Il se rappela qu’il était rentré chez lui empli de la fierté d’avoir réussi, tout en sachant que s’en vanter aurait tout fichu par terre. Ce qu’il avait vu au-delà de la paroi du Gosier du Dragon était un secret qu’il devait garder pour lui. Du moins cela avait-il été vrai jusqu’à ce que ses ennemis ne lui volent son patrimoine génétique et ne forgent cette abomination avec.

Le tunnel se fit plus étroit, ses parois courbes étaient lisses, séparées des milliers d’années plus tôt par les colossales forces souterraines qui avaient sculpté le sous-sol de Calth. Puis, comme s’il sortait de l’obscurité pour déboucher dans la lumière, il se retrouva hors du tunnel. Comme cent soixante ans plus tôt, il en eut le souffle coupé.

La caverne était éclairée par une lueur bioluminescente ressemblant à celle d’un fond marin vert jade et brumeux. Large de centaines de mètres, haute d’autant, l’endroit n’avait rien de naturel, mais avait été creusé dans la roche près de dix mille ans plus tôt avec un savoir-faire inouï et une détermination plus grande encore.

Au centre de la caverne, élevée dans un marbre poli et pâle, se trouvait une magnifique structure carrée et surmontée d’un dôme resplendissant qui semblait taillé dans un seul et unique bloc de saphir. On pouvait accéder à chaque façade de la construction par de majestueuses volées de marches creusées dans le sol même de la caverne, et l’entrée se faisait en passant sous d’immenses porches supportés par des piliers aussi larges que les jambes de la plus imposante réalisation du Mechanicus. Chaque pilier était sculpté de bas-reliefs qui avaient survécu au passage des siècles sans que leur lustre n’en soit terni. Les murs étaient partagés en panneaux, chacun d’eux représentant un noble capitaine des Ultramarines menant ses guerriers au combat contre des ennemis déformés et vêtus d’armures rouges.

La façade orientale était éventrée là où une partie du plafond de la caverne s’était effondrée. Des blocs cyclopéens, plus gros qu’un Land Raider, avaient été jetés comme des jouets d’enfant et deux des piliers gisaient abattus comme des géants trépassés. Malgré sa majesté, il émanait une intense mélancolie de cette construction, mais qui n’avait rien à voir avec son état. Une tristesse planait sur cette architecture sépulcrale, comme un suaire ou une rancune jamais soldée.

Il ne s’en était pas rendu compte quand il était enfant, mais il comprenait maintenant pourquoi.

Il s’agissait d’un tombeau, le lieu de repos d’un grand héros.

Pasanius observait les parois et comparait l’imagerie avec ses connaissances de l’histoire du chapitre. Uriel lut la soudaine réalisation dans les yeux de son ami.

— Est-ce que c’est ce que je crois ? demanda Pasanius.

— Le tombeau perdu de Ventanus, répondit Uriel. Le Sauveur de Calth.

Posté dans l’ombre du porche géant, Caradas Grendel observait les Ultramarines et leurs sbires mortels en train de pénétrer dans la grande caverne. Il grimaça, imaginant le désespoir qu’ils devaient ressentir en se rendant compte qu’ils arrivaient trop tard.

Grendel épaula son fuseur et ouvrit son micro.

— Il est là, dit-il.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus.

— Ventris ? demanda la voix d’Honsou partiellement noyée dans les interférences.

— Et de qui d’autre crois-tu que je parle ? lâcha Grendel. Lui et le gros sergent. Ils sont seize en tout. Il y a quelques mortels avec eux et… ça alors ! Ils ont aussi emmené Vaanes !

— Vaanes ? Tu es sûr ?

— Mais bien sûr, que je suis sûr, répondit sèchement Grendel. Tu crois que je ne reconnaîtrais pas cet arrogant salopard ? Il est là, et il est leur prisonnier.

— N’en sois pas si certain, lui dit Honsou. Envoie les Danseurs de Lame de Xiomagra pour s’occuper des Ultramarines, mais je veux que tu tues Vaanes.

— Avec plaisir, répondit Grendel. Et comment tu t’en sors là-dedans ?

— Nous sommes toujours en train de placer les charges pour rayer cet endroit de la carte, mais nous aurons bientôt terminé.

Grendel hocha la tête et coupa la communication, puis il se tourna vers la petite guerrière en armure argentée derrière lui. Ses quinze combattants et elle avaient déjà tiré leurs armes, de longues et élégantes épées courbes.

— Vous avez entendu, lui dit Grendel avec un geste du pouce par-dessus son épaule. Tuez-les.

Xiomagra passa près de lui dans des mouvements si subtils que Grendel la vit à peine bouger les jambes. Ses yeux de chat s’allumèrent par anticipation des combats à venir juste avant que le métal liquide de son casque n’avale ses traits. Elle brandit une épée noire devant Grendel.

— La Loi des Épées m’oblige à obéir, dit Xiomagra. Mais sache ceci : si ton maître échoue, ton âme sera la prochaine que réclamera cette lame.

— On verra ça, rétorqua Grendel en lui montrant son propre fuseur. Je n’ai pas peur de toi.

— Tu as tort, lui renvoya Xiomagra.

Avant que Grendel puisse répondre, la Maîtresse des Lames s’élança en bas des marches à la tête de son groupe de Danseurs de Lame.

— Il est temps de tuer du Raven Guard, grommela Grendel.