10

GARNIE de câbles électriques et de conduites électroniques qui montaient des profondeurs et disparaissaient vers le haut, la tranchée d’entretien semblait s’enfoncer à des centaines de kilomètres. L’étroite passerelle qui la longeait d’un côté ressemblait à un film amidonné collé sur une immense surface brillante. Elle était à peine assez large pour un homme avançant de front.

D’ailleurs, un homme avançait sur cette passerelle peu sûre, le regard fixé sur quelque chose devant lui et non sur les effroyables abysses de métal qui s’ouvraient sous lui. Les claquements d’énormes appareils qui s’enclenchaient résonnaient dans le vaste espace comme des cris de léviathans captifs, sans trêve, sans jamais de répit, infatigables.

Deux câbles épais se réunissaient sous un panneau de contrôle. Ce dernier était fermé mais, après un examen attentif des côtés, du dessus et du dessous, Ben Kenobi appuya sur la porte d’une certaine façon et le panneau s’ouvrit d’un coup. En dessous, un terminal d’ordinateur clignotait.

Avec un très grand soin, le vieil homme manœuvra plusieurs boutons dans le terminal. Ses gestes furent récompensés quand plusieurs lampes témoins rouges sur le tableau de contrôle passèrent au bleu.

Sans prévenir, une porte de service s’ouvrit derrière lui. Refermant le panneau à la hâte, le vieil homme s’enfonça plus profondément dans l’ombre. Un détachement de soldats avait fait son apparition. L’officier s’avança jusqu’à deux mètres de la silhouette cachée et immobile.

— Vous êtes de garde dans cette zone tant que l’alerte n’est pas levée.

Comme ils commençaient à se disperser, Kenobi se fondit dans l’ombre.

Chewbacca grognait et soufflait ; malgré l’aide de Luke et de Solo, c’est à grand-peine qu’il parvint à faire passer sa large poitrine à travers la grille. Cela fait, Luke se tourna pour faire connaissance avec le nouvel endroit où ils se trouvaient.

Le sol du couloir dans lequel ils avaient débouché était recouvert de poussière. Il donnait l’impression de ne pas avoir servi depuis la construction de la station. Ce n’était sans doute qu’un couloir d’accès réservé à d’éventuels réparateurs.

Quelque chose frappa le mur derrière eux avec un tonk pesant. Luke cria à tous de faire attention tandis qu’un long membre gélatineux se glissait par la grille ouverte et fouillait avec avidité dans le couloir. Solo tira son pistolet et visa tandis que Leia essayait de se glisser devant Chewbacca, à demi paralysé de peur.

— Que quelqu’un retire ce gros tas de poils à pattes de mon chemin. (La princesse remarqua soudain ce que Solo se préparait à faire.) Non, attendez ! On va nous entendre !

Solo n’en tint aucun compte et fit feu vers la grille. La décharge d’énergie toucha sans doute son but puisqu’un rugissement lointain se fit entendre tandis qu’une avalanche de parois et de poutres enterrait pour ainsi dire la créature dans la salle des ordures.

Amplifiée par l’étroit couloir, la détonation continua de rouler en écho pendant de longues minutes. Luke secoua la tête, irrité, se rendant compte que les gens comme Solo qui aimaient faire parler la poudre, ou les rayons lasers, pouvaient ne pas toujours agir intelligemment. Jusqu’alors, il avait un peu considéré Solo comme un être supérieur. Mais ce geste absurde consistant à tirer sur la grille le ramenait, pour la première fois dans l’esprit de Luke, au même niveau que les individus dits normaux.

La réaction de la princesse fut cependant plus étonnante encore que celle de Solo.

— Écoutez, commença-t-elle en le regardant droit dans les yeux, je ne sais pas d’où vous venez, mais je vous suis reconnaissante. – Puis, comme si elle se souvenait soudain de Luke, elle se tourna vers lui et ajouta : — À tous les deux. (Elle fixa de nouveau Solo.) Dorénavant vous exécuterez mes ordres.

Solo la regarda, bouche bée. Cette fois, son fameux sourire hâbleur ne fendit pas son visage.

— Écoutez, votre Sainteté, réussit-il à articuler, mettons les choses bien au point. Je n’obéis aux ordres de personne, sauf aux miens.

— C’est un miracle que vous soyez encore en vie, répliqua-t-elle avec douceur.

Sur ces mots, elle s’engagea avec détermination dans le couloir, après y avoir jeté un long coup d’œil.

Solo regarda Luke, fut sur le point de dire quelque chose, hésita et se contenta de secouer lentement la tête.

— Ha… Tout l’or du monde ne vaut pas ça. Qui pourrait la supporter, cette… Hé, pas si vite !

Leia disparaissait déjà au détour d’un coude. Ils se lancèrent à sa poursuite.

Les six ou sept soldats qui traînaient autour de l’entrée de la tranchée d’entretien s’intéressaient plus au curieux désordre qui régnait dans le quartier de détention qu’à leur tâche présente, bien ennuyeuse. Ils étaient tellement absorbés dans leurs spéculations sur l’origine des troubles qu’ils ne remarquaient point le fantôme gracile derrière eux. Il se déplaçait d’ombre en ombre comme un furet nocturne, s’immobilisant quand l’un des soldats semblait sur le point de tourner la tête dans sa direction, se déplaçant de nouveau comme s’il flottait.

Plusieurs minutes plus tard, un des soldats se tourna soudain et regarda derrière lui. Il avait cru sentir un mouvement près de la porte donnant sur le couloir principal. Il n’y avait rien, sinon la trace impalpable, indéfinissable que Kenobi et son allure de fantôme avaient laissée derrière lui. Fort mal à l’aise et peu soucieux d’avouer des hallucinations, le soldat se retourna et reprit part à la conversation plus prosaïque de ses compagnons.

Quelqu’un finit par découvrir les deux gardes inconscients, ficelés dans le placard à balais, à bord du cargo capturé. Malgré tous les efforts faits pour les réanimer, on ne put les sortir de leur état comateux.

Sous la direction de plusieurs officiers qui se disputaient sur la marche à suivre, des soldats emportèrent leurs deux camarades sans armure le long de la rampe, puis vers l’infirmerie la plus proche. Chemin faisant, ils croisèrent deux silhouettes cachées par un petit panneau de service ouvert. 3PO et R2 passèrent inaperçus en dépit de la proximité du hangar.

Dès que les soldats eurent disparu, R2 finit d’enlever un couvercle de prise et enfila en toute hâte son bras senseur dans le trou. Les lampes témoins entamèrent une fête sauvage sur son visage et de la fumée commença à s’échapper en plusieurs endroits du petit droïde avant que 3PO, affolé, ne puisse délivrer son bras.

La fumée disparut immédiatement et les clignotements indisciplinés retournèrent à la normale. R2 poussa quelques bips de soulagement ; il faisait songer à un homme qui, croyant boire un verre de bon vin, aurait absorbé d’un coup plusieurs gorgées d’alcool fort.

— Eh bien, la prochaine fois tu feras attention où tu fourres tes senseurs, le réprimanda 3PO. Tu aurais pu faire griller tes organes internes. (Il regarda la prise.) C’est une prise de courant, imbécile, pas un terminal d’ordinateur.

R2 siffla une excuse bien plate. Ils se mirent tous deux en quête d’une bonne prise.

Luke, Solo, Chewbacca et la princesse atteignirent l’extrémité d’un couloir vide. Il se terminait par un cul-de-sac donnant sur une large fenêtre qui surplombait un hangar. En bas, s’étalait le spectacle tentant et frustrant du cargo.

Luke sortit son émetteur, regarda autour d’eux avec une nervosité accrue et parla dans le micro.

— C-3PO… tu me reçois ?

Une pause inquiétante, et puis :

— Je vous reçois, messire.

— Vous allez bien tous les deux ?

— Pour l’instant, bien que j’aie peur de ne pas faire de vieux os. Nous sommes dans le hangar principal, de l’autre côté du vaisseau.

Luke regarda par la vitre, étonné.

— Je ne vous vois pas à travers la baie. Nous devons nous trouver juste au-dessus de vous. Ne bougez pas. Nous vous rejoignons aussi vite que possible.

Il coupa le micro et sourit en repensant à l’allusion de 3PO à ses « vieux os ». Le grand droïde était parfois plus humain que bien des gens.

— Je me demande si le vieux bonhomme a réussi à débrancher le tracteur principal, marmonna Solo en regardant la scène en bas.

Une douzaine de soldats entraient et sortaient du cargo.

— Le retour au vaisseau va ressembler à la traversée des Cinq Anneaux de Fornax.

Leia Organa se tourna assez longtemps pour regarder avec étonnement le navire, puis Solo.

— Vous êtes venu dans cette épave ? Vous êtes plus brave que je ne le croyais.

Simultanément loué et insulté, Solo ne sut comment réagir. Il se contenta de lancer à la jeune femme un regard noir comme ils repartaient dans le couloir. Chewbacca fermait la marche.

À un coude, les trois humains s’arrêtèrent brutalement. Ce que firent aussi vingt soldats impériaux qui marchaient à leur rencontre. Réagissant naturellement – c’est-à-dire sans réfléchir – Solo dégaina son pistolet et chargea le peloton, hurlant et rugissant en plusieurs langues, à perdre haleine.

Abasourdis par cette attaque complètement inattendue et supposant, à tort, que l’assaillant savait ce qu’il faisait, les soldats battirent en retraite. Plusieurs coups de blaster du Corellien amorcèrent une panique totale. Les rangs se rompirent, les soldats prirent la fuite dans le couloir.

Enivré par son propre courage, Solo continua de leur donner la chasse, se tournant pour crier à Luke :

— Filez au navire. Je m’occupe d’eux !

— Tu es devenu fou ? lui cria Luke. Où vas-tu ?

Mais Solo avait déjà disparu derrière un tournant et n’entendait plus. De toute façon, cela n’aurait pas fait une grosse différence.

Déconcerté par la disparition de son associé, Chewbacca poussa un hurlement de tonnerre et fonça dans le couloir à sa poursuite. Luke et Leia restèrent tout seuls dans le couloir vide.

— J’ai peut-être été trop dure avec votre ami, avoua la princesse avec réticence. Il est vraiment courageux.

— Il est surtout stupide ! rétorqua sèchement Luke, furieux. Je ne vois pas quel intérêt nous en tirerons s’il se fait tuer.

Les sonnettes d’alarme résonnèrent soudain derrière eux.

— Et voilà le travail, grogna Luke, écœuré. Filons.

Ils partirent à la recherche d’un chemin qui leur permettrait de redescendre au niveau du pont d’embarquement.

Solo poursuivait son avantage, dévalant le long couloir, hurlant et brandissant son blaster. De temps à autre il lâchait une décharge d’énergie dont l’effet avait une valeur plus psychologique que tactique.

La moitié des soldats s’était déjà éparpillée dans divers couloirs et passages adjacents. Les dix hommes qu’il continuait de pourchasser couraient toujours loin devant lui, ne lui renvoyant ses coups de feu qu’avec indifférence. Puis, ils arrivèrent dans un cul-de-sac, ce qui les obligea à faire face pour affronter leurs adversaires.

Voyant que les dix soldats s’étaient arrêtés, Solo ralentit également. Il s’arrêta bientôt lui aussi. Le Corellien et les Impériaux s’examinèrent en silence. Plusieurs soldats ouvraient de grands yeux non sur Han mais sur ce qu’il y avait derrière lui : rien.

Solo se rendit compte alors qu’il était vraiment très seul et la même réflexion commença à s’insinuer dans les cerveaux des gardes qui lui faisaient face. L’embarras fit rapidement place à la colère. Les carabines et les blasters commencèrent à se montrer. Solo recula d’un pas, tira une fois, puis fit demi-tour et s’enfuit à son tour comme un lapin.

Chewbacca entendit les armes à énergie siffler et tonner tandis qu’il claudiquait légèrement dans le couloir. Pourtant, quelque chose lui paraissait bizarre : il avait l’impression que les coups de feu se rapprochaient au lieu de s’éloigner.

Il se demandait ce qu’il allait faire quand Solo arriva comme un bolide et le percuta presque. Apercevant les dix soldats qui poursuivaient son associé, le Wookie jugea bon de remettre à plus tard les questions, quand la situation se serait quelque peu apaisée. Il fit volte-face et suivit Solo qui remontait le couloir à toutes jambes.

Luke attrapa la princesse et l’attira en arrière dans un recoin. Elle était sur le point de le remettre brutalement à sa place quand un bruit de pas l’amena à se fondre dans le noir avec lui.

Un détachement de soldats passa devant eux au pas de course, en réponse au signal d’alarme qui n’arrêtait pas de sonner. Luke jeta un coup d’œil sur le dos des hommes qui s’éloignaient et essaya de retrouver son souffle.

— Notre seul espoir d’atteindre le vaisseau, c’est de passer par l’autre côté du hangar. Ils savent déjà qu’il y a quelqu’un ici.

Il s’élança dans le couloir, faisant signe à la jeune femme de le suivre.

Deux gardes firent leur apparition tout au bout du couloir ; ils s’arrêtèrent et les montrèrent du doigt. Faisant demi-tour, Luke et Leia se mirent à courir dans l’autre sens, vers l’endroit d’où ils étaient partis. Un petit détachement de soldats impériaux apparut alors et fonça à leur rencontre.

Bloqués devant et derrière, les deux fugitifs cherchèrent avec frénésie une autre issue. Leia découvrit alors un petit couloir étroit, qu’elle indiqua à Luke.

Ouvrant le feu sur leurs poursuivants les plus proches, le jeune homme la rejoignit dans l’étroit couloir. On aurait dit une coursive d’entretien secondaire. Derrière eux, les troupes de choc faisaient un bruit assourdissant dans cet espace restreint qui, du moins, les empêcherait de trop concentrer leur tir.

Une large écoutille apparut devant eux. Derrière, les éclairs diminuèrent, ressuscitant les espoirs de Luke. S’ils parvenaient à bloquer l’écoutille, ne fût-ce que quelques instants, avant de se perdre quelque part de l’autre côté, ils auraient une petite chance de semer leurs poursuivants immédiats.

Mais la porte blindée restait ouverte, ne manifestant aucun désir de se fermer automatiquement. Luke était sur le point de pousser un cri de triomphe quand le sol disparut soudain devant lui. Les doigts de pied dans le vide, il parvint à grand-peine à retrouver son équilibre, réussissant juste à ne pas passer par-dessus le bord de la coursive tandis que la princesse, poussée par son élan, le bousculait par-derrière.

La coursive était désormais réduite à une petite corniche surplombant le vide. Un courant d’air frais caressa le visage de Luke tandis qu’il examinait les parois qui grimpaient à des hauteurs vertigineuses tout là-haut et qui plongeaient à des profondeurs terrifiantes, en bas. Le boyau servait à la circulation et au recyclage de l’air de la station.

Pour le moment, Luke avait trop peur et était trop soucieux pour en vouloir à la princesse de l’avoir presque fait passer par-dessus bord. En outre, d’autres dangers le préoccupaient. Une bouffée d’énergie fit explosion au-dessus de leurs têtes, faisant voler des éclats métalliques.

— Je crois que nous avons pris la mauvaise route, murmura-t-il en tirant sur les soldats qui avançaient, illuminant ainsi l’étroit couloir derrière eux d’un éclair destructeur.

Une écoutille s’ouvrait de l’autre côté de l’abîme. Elle aurait pu tout aussi bien se trouver à une année-lumière. Explorant le pourtour de la porte, Leia trouva un bouton sur lequel elle appuya. L’écoutille derrière eux se ferma dans un bruit assourdissant. Cela les mettait momentanément à l’abri du feu des soldats qui approchaient rapidement. D’un autre côté, cela laissait les deux fugitifs en équilibre précaire sur un morceau de coursive d’à peine un mètre carré. Si ce minuscule espace devait se rétracter inopinément dans la paroi, ils visiteraient l’intérieur de la station amirale beaucoup plus profondément qu’ils ne l’avaient tous deux souhaité.

Faisant signe à la princesse de se pousser sur le côté autant qu’elle le pouvait, Luke cacha ses yeux et visa les commandes de l’écoutille. Une brève décharge les fondit dans la paroi, garantissant que personne ne pourrait l’ouvrir facilement de l’autre côté. Il concentra ensuite son attention sur le gouffre qui les empêchait d’atteindre l’autre bord où les narguait l’autre écoutille – petit rectangle jaune de liberté.

Seul le doux souffle de l’air provenant des profondeurs troublait le silence, que Luke rompit en déclarant :

— C’est une porte blindée mais elle ne les retiendra pas très longtemps.

— Il faut que nous trouvions un moyen pour traverser, acquiesça Leia en inspectant à nouveau les contours métalliques de la porte bloquée. Si nous pouvions dénicher les commandes de la passerelle…

Quelques instants de recherches désordonnées ne donnèrent aucun résultat, tandis que des bruits menaçants se faisaient entendre de l’autre côté de l’écoutille. Une petite tache blanche fit son apparition au milieu de la porte ; elle se mit bientôt à grossir, puis à fumer.

— Ils vont passer au travers ! grommela Luke.

La princesse se retourna prudemment et regarda par-dessus le gouffre.

— C’est sûrement une passerelle d’un seul tenant, mais les commandes doivent se trouver de l’autre côté.

En tendant la main vers le panneau qui recelait les commandes hors d’atteinte, Luke effleura quelque chose accroché à sa ceinture. Un coup d’œil lui montra de quoi il s’agissait – et suscita en lui une vague d’espoir un peu fou.

Le câble enroulé en petites boucles serrées autour de sa ceinture avait l’air mince et fragile mais c’était du matériel militaire courant et il aurait facilement supporté le poids de Chewbacca. Il suffirait certainement pour Leia et lui. Dégageant le câble, il estima sa longueur, la comparant à la largeur de l’abîme. Cela devrait largement suffire.

— Et maintenant ? demanda la princesse avec curiosité.

Luke ne répondit pas. Il prit une petite batterie bien lourde dans la ceinture de son armure et accrocha autour une extrémité du câble. S’assurant que le nœud était solide, il s’avança aussi près qu’il osait du bord de leur étroit perchoir, fit tournoyer le bout du câble comme un lasso et le lança par-dessus le gouffre. La batterie heurta des tuyaux qui saillaient de l’autre côté et retomba dans le vide. Sans perdre patience, le jeune homme tira sur l’autre extrémité, récupéra la batterie et se prépara à une nouvelle tentative.

Une fois encore, la batterie décrivit des cercles de plus en plus larges puis s’envola vers l’autre bord, Luke sentait derrière lui la chaleur grandissante de la porte en fusion.

Cette fois-ci le câble s’enroula autour de tuyaux situés assez haut et la batterie se coinça dans un trou, au milieu. Luke s’arc-bouta et tira de toutes ses forces sur le câble. Ce dernier ne manifesta aucun signe de faiblesse.

Enroulant l’autre extrémité autour de sa taille, puis de son bras droit, il attira la princesse à lui de son bras libre. Derrière eux, l’écoutille bloquée était maintenant d’un blanc fondu et le métal en fusion s’écoulait sans arrêt des contours.

Quelque chose de chaud et d’agréable caressa les lèvres de Luke, éveillant tous les nerfs de son corps. Il baissa des yeux ahuris sur la princesse, la bouche encore frémissante du baiser.

— Un petit porte-bonheur, murmura-t-elle avec un sourire doux et presque gêné tandis qu’elle lui passait les bras autour du cou. Nous allons en avoir besoin.

Agrippant le mince câble de sa main gauche, aussi fort que possible, Luke posa la droite dessus, inspira profondément et s’élança dans le vide. S’il avait mal calculé le rayon de leur trajectoire, ils rateraient l’écoutille ouverte et s’écraseraient contre le mur métallique à côté ou plus bas. Si cela se produisait, il craignait de ne pouvoir maintenir sa prise sur le câble.

Le trajet prit moins de temps que cette pensée. Une seconde plus tard, Luke était de l’autre côté, rampant à quatre pattes pour ne pas courir le risque de retomber en arrière dans le trou. Leia le lâcha avec une synchronisation parfaite. Elle boula en avant dans l’écoutille ouverte et se redressa gracieusement tandis que Luke se hâtait de se dégager du câble.

Le grincement étouffé se transforma en un puissant sifflement, puis en un gémissement tandis que la porte cédait de l’autre côté de l’abîme. Elle finit par s’effondrer en avant et s’engouffra dans le vide. Luke ne l’entendit pas toucher le fond, si tant est qu’elle y parvint.

Quelques décharges atteignirent la paroi, tout près d’eux. Luke tourna son arme contre les soldats maladroits et répliqua alors même que Leia l’entraînait dans le couloir qui s’ouvrait devant elle. Une fois à l’abri, il actionna la fermeture. La porte se bloqua derrière eux. Ils disposaient d’au moins plusieurs minutes pendant lesquelles ils ne craindraient plus qu’on leur tirât dans le dos. D’un autre côté, Luke n’avait pas la moindre idée de l’endroit où ils se trouvaient, et il se demanda soudain ce qui était arrivé à Han et à Chewbacca.

Solo et son associé Wookie avaient réussi à semer une partie de leurs poursuivants. Mais il semblait que chaque fois qu’ils échappaient à une escouade de soldats, d’autres groupes prenaient leur place. Pas de question là-dessus : c’est bien à eux qu’ils en avaient.

Devant eux, plusieurs portes blindées commençaient à se fermer.

— Grouille, Chewie ! pressa Solo.

Chewbacca grogna ; il soufflait comme un vieux moteur. Malgré son immense force, le Wookie n’était pas bâti pour supporter un sprint prolongé. Seule son énergie énorme lui avait permis de suivre l’allure du souple Corellien. Chewbacca abandonna quelques poils dans l’une des portes mais ils réussirent tous deux à s’y glisser juste avant que les cinq épaisseurs ne se referment avec un claquement sec.

— Cela devrait les retenir un petit moment, chantonna Solo, ravi.

Le Wookie lui grogna quelque chose mais son associé resplendissait de confiance.

— Bien sûr que je peux retrouver le vaisseau, les Corelliens ne se perdent jamais.

Le second grognement fut légèrement accusateur. Solo haussa les épaules.

— Touchassin ne compte pas ; il n’était pas Corellien. Et puis, j’étais bourré.

Ben Kenobi s’enfonça dans l’obscurité d’un étroit couloir, semblant se fondre dans le métal même tandis qu’un fort détachement de soldats de choc le dépassait. S’arrêtant un moment pour être sûr qu’ils étaient tous passés, il examina le couloir devant lui avant de repartir. Il n’aperçut pas la noire silhouette qui éclipsait la lumière loin derrière lui.

Kenobi avait évité les patrouilles les unes après les autres, se frayant un chemin vers le quai où reposait le cargo. Encore deux tournants et ce serait le hangar. Ce qu’il ferait alors serait déterminé par la discrétion de ses compagnons.

Il soupçonnait déjà que le jeune Luke, l’aventureux Corellien, son associé et les deux robots n’avaient pas passé leur temps à faire tranquillement la sieste, à en juger par l’activité qu’il avait rencontrée en revenant du boyau central. Ce n’était pas après lui que couraient tous ces soldats !

Par ailleurs, le vieil homme était fort troublé par les allusions qu’il avait saisies au vol concernant un prisonnier important qui s’était évadé. Cette révélation l’avait un moment déconcerté, mais il avait repensé à la nature turbulente de Luke et de Han Solo. Ils n’y étaient sûrement pas pour rien.

Sentant quelque chose droit devant lui, Ben ralentit prudemment. C’était extrêmement familier, une odeur mentale un peu brouillée qu’il n’arrivait pas bien à restituer.

Puis la silhouette s’avança au-devant de lui, bloquant l’entrée du hangar à moins de cinq mètres de là. La taille et les contours de la silhouette complétèrent le tableau momentanément brouillé. C’était la maturité de l’esprit qui l’avait un instant déconcerté. Sa main se porta naturellement sur le pommeau de son sabrolaser désactivé.

— J’ai longtemps attendu, Obi-wan Kenobi, lança Dark Vador avec solennité. Nous nous retrouvons enfin. Le cercle est bouclé. (Kenobi sentit la satisfaction sous le masque hideux.) La présence que j’ai sentie tout à l’heure ne pouvait qu’être la vôtre.

Kenobi examina la grande carcasse qui barrait sa retraite et hocha lentement la tête. Il donnait l’impression d’être plus curieux qu’impressionné.

— Tu as encore beaucoup à apprendre.

— Vous fûtes jadis mon professeur, admit Vador, et vous m’avez appris bien des choses. Mais le temps d’apprendre est révolu depuis longtemps et je suis le maître aujourd’hui.

La logique qui avait jadis fait défaut à son brillant élève était toujours aussi absente. Kenobi savait qu’il ne serait pas question de raison. Il activa son sabrolaser et se mit en garde, mouvement qu’il accomplit avec la grâce et la facilité d’un danseur.

Après plus de brutalité, Vador imita son mouvement. Plusieurs minutes durant, les deux hommes restèrent à s’observer sans faire le moindre geste, comme s’ils attendaient quelque signal convenable quoique muet.

Kenobi cilla une fois, secoua la tête et essaya d’éclaircir ses yeux qui étaient légèrement humides. La sueur perla sur son front et ses paupières cillèrent à nouveau.

— Vos pouvoirs sont faibles, vieil homme, fit remarquer Vador sans trace d’émotion. Vous n’auriez jamais dû revenir. Votre fin sera moins paisible que vous ne l’auriez souhaité.

— Tu ne sens qu’une partie de la Force, Vador, murmura Kenobi avec l’assurance de celui pour qui la mort n’est qu’une sensation de plus, comme dormir, faire l’amour ou moucher une chandelle. Comme toujours, tu perçois aussi peu sa réalité qu’un ustensile perçoit le goût de la nourriture.

Exécutant un mouvement d’une incroyable vivacité pour quelqu’un d’aussi vieux, Kenobi fonça sur la massive silhouette. Vador bloqua le coup avec une vitesse égale et riposta d’un coup de taille que Kenobi para de justesse. Encore une parade et Kenobi attaqua à nouveau, se servant de l’occasion pour tourner autour de l’immense Seigneur Noir.

Ils continuèrent d’échanger des coups ; le vieil homme tournait maintenant le dos au hangar. À un moment, son sabre et celui de Vador se coincèrent ; l’interaction des deux champs d’énergie produisit un violent éclair et des étincelles. Un sourd ronronnement s’éleva car chaque cellule fonctionnait à fond tandis que les sabres essayaient de se subjuguer l’un l’autre.

3PO jeta un coup d’œil inquisiteur autour de l’entrée du quai, dénombrant d’un air soucieux les soldats qui s’affairaient autour du cargo vide.

— Où peuvent-ils bien être ? Oh, oh !

Il recula soudain hors de vue, au moment précis où l’un des gardes regardait dans sa direction. Un second coup d’œil plus prudent fut couronné de succès. Il montra Han Solo et Chewbacca qui se glissaient le long de la paroi d’un tunnel, de l’autre côté du quai.

Solo était également interloqué par le nombre de gardes. Il murmura :

— Ne venons-nous pas de semer ce groupe ?

Chewbacca grogna et tous deux se tournèrent. Ils se détendirent et baissèrent leurs armes en apercevant Luke et la princesse.

— Vous avez été retardés, railla Solo, sans rire.

— Nous avons rencontré de vieux amis, expliqua Leia, haletante.

Luke examinait le cargo.

— Le vaisseau est entier ?

— Il en a l’air, fit Solo. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient démonté quelque chose ni touché aux moteurs. Le problème, ça va être d’entrer dedans.

Leia montra soudain un tunnel, en face d’eux.

— Regardez !

Eclairés par l’éclat des champs d’énergie en contact, Ben Kenobi et Dark Vador reculaient vers le quai. Le combat attira l’attention des autres. Tous les gardes approchèrent pour mieux assister à la lutte titanesque.

— Voilà notre chance, remarqua Solo en s’avançant.

Les sept soldats qui gardaient le navire abandonnèrent leur poste et se précipitèrent vers les combattants, accourant à l’aide du Seigneur Noir. 3PO se poussa à peine tandis qu’ils passaient devant lui. Se retournant vers le recoin, il cria à son compagnon :

— Laisse tomber ta prise, R2. On file.

Dès que R2 eut dégagé son bras senseur de la prise, les deux droïdes s’avancèrent lentement sur le quai, à découvert.

Kenobi entendit l’agitation qui approchait et trouva le moyen de lancer un bref coup d’œil derrière lui, vers le hangar. Le détachement de soldats qui chargeaient suffit à lui montrer qu’il était pris au piège.

Vador profita immédiatement de cette distraction momentanée pour lever son sabre et frapper. Kenobi réussit pourtant à détourner le coup puissant, exécutant à la fois la parade et un tour complet.

— Vous êtes encore très habile mais vos pouvoirs disparaissent. Préparez-vous à rencontrer la Force, Obi-wan.

Kenobi estima la distance rapidement décroissante qui le séparait des soldats, puis posa sur Vador un regard plein de commisération.

— Ceci est un combat que tu ne peux gagner, Vador. Ton pouvoir a mûri depuis mon enseignement mais moi aussi j’ai beaucoup progressé depuis notre séparation. Si ma lame trouve son signe, tu cesseras d’exister. Mais si tu me coupes en deux, je deviendrai plus puissant encore. Prends garde à mes paroles.

— Vos fadaises ne me troublent plus, vieil homme, fit Vador, avec mépris. C’est moi le maître désormais.

Une fois de plus, il se fendit, feinta et lança un terrible coup de taille. Le coup porta, coupant le vieil homme en deux, très proprement. Il y eut un bref éclair tandis que la robe de Kenobi tombait par terre en deux morceaux bien nets.

Mais Ben Kenobi n’était pas dedans. Craignant quelque tour, Vador fouilla les morceaux de tissu vides de la pointe de son sabrolaser. Aucune trace du vieil homme. Il avait disparu comme s’il n’avait jamais existé.

Les gardes ralentirent l’allure et rejoignirent Vador qui examinait l’endroit où s’était trouvé Kenobi quelques secondes plus tôt. Plusieurs d’entre eux murmurèrent et même la terrible présence du Seigneur Noir ne put empêcher certains de ressentir une frayeur diffuse.

Dès que les gardes eurent tourné le dos pour se précipiter vers l’autre tunnel, Solo et ses compagnons filèrent vers le navire stellaire – jusqu’à ce que Luke vit que Kenobi était coupé en deux. Il changea immédiatement de direction et s’élança vers les gardes.

— Ben ! cria-t-il, tirant sauvagement sur les soldats.

Solo jura mais se tourna et tira pour soutenir Luke.

L’un des coups toucha le système de sécurité de la porte du tunnel. La sécurité détruite, la lourde porte explosa vers le bas. Les gardes et Vador sautèrent pour se mettre à l’abri – les soldats sur le quai et Vador en arrière, de l’autre côté de la porte.

Solo avait fait demi-tour et repartait vers l’entrée du navire mais il s’arrêta quand il vit Luke foncer sur les gardes.

— C’est trop tard ! lui cria Leia. C’est fini.

— Non ! cria Luke, les yeux embués de larmes.

Une voix familière et cependant différente lui parla à l’oreille – la voix de Ben.

« Luke — écoute ! », et ce fut tout.

Abasourdi, Luke se tourna pour repérer l’origine de l’admonition. Il ne vit que Leia qui lui faisait signe de la rejoindre tout en suivant R2 et 3PO le long de la rampe.

— Venez ! Le temps presse.

Il hésita, l’esprit encore habité par cette voix imaginée (l’était-elle vraiment ?). Encore tout confus, Luke visa et toucha plusieurs soldats avant de faire à son tour volte-face et de se précipiter à l’intérieur du cargo.