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UN vieux dicton colonial disait qu’on pouvait se brûler les yeux plus vite en regardant directement et fixement les basses terres sèches de Tatooine qu’en regardant directement les deux soleils géants eux-même, tellement leur reflet sur ces étendues infinies était puissant. Malgré ce rayonnement, la vie était possible et existait en fait depuis bien longtemps. Une chose rendait cela possible : la réintroduction de l’eau.

Cependant, pour des utilisations humaines l’eau de Tatooine n’était que marginalement accessible. L’atmosphère ne cédait son humidité qu’avec réticence. Il fallait l’extirper du dur ciel bleu, l’extirper littéralement, la forcer, la soutirer vers la surface aride.

Deux silhouettes très soucieuses de cette humidité se dressaient au sommet d’une colline dans l’une de ces plaines inhospitalières. L’une était raide et métallique : un vaporateur piqué par le sable et solidement enfoncé dans le sous-sol rocheux. L’autre silhouette était bien plus animée, quoique non moins rongée par les soleils.

Luke Skywalker était deux fois plus vieux que le vieux vaporateur de dix ans mais beaucoup moins calme. Pour l’instant, il transpirait doucement sur un ajusteur de valve récalcitrant monté sur l’appareillage thermostatique. De temps en temps, il avait recours à une pression peu subtile au lieu d’employer l’outil approprié. Aucune des deux méthodes ne donnait de résultat. Luke était certain que les lubrifiants utilisés sur les vaporateurs sortaient de leur tâche et attiraient le sable, séduisant par leur éclat graisseux de petites particules abrasives. Il essuya la sueur qui lui coulait sur le front et se pencha un instant en arrière. La brise légère faisait flotter ses cheveux ébouriffés et sa tunique de travail tandis qu’il considérait l’appareil. Inutile de se mettre en colère contre lui, se dit-il. Ce n’est qu’une machine sans intelligence.

Tandis que Luke ruminait cette sage pensée, une troisième silhouette fit son apparition, s’agitant derrière le vaporateur, et tâtant bizarrement la section endommagée. Seuls trois des six bras du robot modèle Treadwell fonctionnaient et ils avaient bien davantage servi que les bottes de Luke. La machine était animée de mouvements saccadés.

Luke la contempla tristement et tourna la tête pour observer le ciel. Toujours pas trace de nuage, il savait qu’il n’y en aurait jamais tant qu’il n’aurait pas remis le vaporateur en route. Il était sur le point de faire une nouvelle tentative quand un petit rayon de lumière intense attira son attention. Il porta la main au sac qu’il avait en bandoulière, en sortit vivement les macro jumelles soigneusement nettoyées et les braqua vers le ciel.

Il resta ainsi un long moment ; il aurait mieux aimé avoir un télescope. En regardant le ciel, il oublia tout, les vaporateurs, la chaleur et le restant de son train-train quotidien. Replaçant les jumelles dans son sac, Luke se tourna et fila vers son land-speeder. À mi-chemin, il songea à son assistant.

— Grouille-toi ! cria-t-il impatiemment. Qu’est-ce que tu attends ? Viens.

Le Treadwell s’ébranla dans sa direction, hésita et commença à tournoyer sur lui-même, fumant de toutes ses jointures. Luke cria d’autres ordres et finit par s’arrêter, dégoûté, se rendant compte qu’il faudrait plus que de simples paroles pour faire repartir l’engin.

Pendant un instant, Luke hésita à laisser la machine derrière lui mais, se dit-il, ses composants vitaux étaient manifestement fichus. Il sauta donc dans le land-speeder et l’aéroflotteur récemment réparé pencha dangereusement, mais les masses étaient de nouveau équilibrées lorsqu’il se glissa derrière les commandes. Le léger véhicule se stabilisait comme un bateau sur une mer forte. Luke accéléra à fond, le moteur protesta en grinçant et le sable jaillit derrière le flotteur tandis que son pilote l’orientait vers la lointaine ville d’Anchorhead.

Derrière lui, le pitoyable signal de fumée noire qui émanait du robot en feu continua de s’élever dans l’air transparent du désert. Il aurait disparu quand Luke reviendrait. Dans les vastes déserts de Tatooine, il y avait des nécrophages pour les droïdes de métal, tout comme pour les êtres de chair.

Blanchis par le rayonnement des soleils jumeaux Tatoo I et Tatoo II, les bâtiments de métal et de pierre se serraient les uns contre les autres, pour être ensemble autant que pour se protéger. Ils formaient le noyau de la communauté dispersée des fermiers d’Anchorhead.

Pour l’instant, les rues poussiéreuses et sans pavés étaient silencieuses et désertes. Des simulies bourdonnaient paresseusement dans les gouttières craquelées des bâtiments ramasse-pluie. Un chien aboyait au loin, seul signe de vie jusqu’à ce qu’une vieille femme seule apparût et traversât une rue. Son châle de métal pare-soleil l’enveloppait complètement.

Quelque chose alerta la femme. Ses yeux fatigués essayèrent de fixer quelque chose dans le lointain. Le bruit augmenta brusquement de volume et un rectangle brillant surgit d’un virage à toute vitesse. Ses yeux se révulsèrent comme le véhicule fonçait droit sur elle, ne manifestant aucun signe de vouloir changer de route. Elle fut obligée de se dépêcher pour l’éviter.

Haletante, elle brandit un poing furieux vers le land-speeder, haussant le ton pour compenser le bruit :

— Vous n’apprendrez donc jamais à ralentir, sales gamins !

Luke l’avait peut-être vue, il ne l’entendit certainement pas. Son attention était concentrée ailleurs tandis qu’il se garait devant une longue bâtisse en béton. Divers ressorts et fils de fer se dressaient sur les murs de la station. Les incessantes vagues de sable de Tatooine se brisaient là en une écume jaune et pétrifiée. Personne ne se souciait de les déblayer. C’était inutile. Elles seraient revenues le lendemain.

Luke ouvrit la grande porte bruyamment et cria :

— Ohé !

Un rustique personnage en costume de mécanicien était assis les jambes écartées dans un fauteuil derrière le tableau de contrôle qui avait plutôt mal vieilli. Une huile de protection solaire l’avait empêché de brunir. La peau de la fille installée sur ses genoux avait été protégée de la même façon et on apercevait une bonne partie de la zone protégée. Même la sueur séchée semblait belle sur elle.

— Salut tout le monde ! hurla de nouveau Luke, n’ayant pas obtenu une réponse massive à sa première tentative.

Il courut vers la salle des instruments, à l’arrière de la station, tandis que le mécanicien à demi endormi passait une main sur son visage et murmurait :

— Est-ce que j’ai bien entendu du tapage par ici ?

La fille sur ses genoux s’étira avec sensualité, faisant jouer son costume bien moulé sur des courbes toutes plus passionnantes les unes que les autres. Sa voix était chaleureusement enrouée.

— Oh, bâilla-t-elle, c’était juste Gueule d’Amour dans une de ses crises de folie.

Deak et Windy levèrent les yeux de leur partie de mahjong électronique quand Luke fit irruption dans la pièce. Ils étaient vêtus à peu près comme lui, bien que leur costume fût de meilleure coupe et quand même un peu moins fatigué.

Les trois jeunes gens contrastaient de façon frappante avec le beau et grand gaillard qui jouait avec eux de l’autre côté de la table. Avec ses cheveux soigneusement attachés et son uniforme coupé avec précision, il était dans la pièce comme un pavot oriental dans une mer d’avoine. Derrière les trois humains, un léger ronron provenait de l’endroit où un robot réparait patiemment une pièce brisée de l’équipement de la station.

— En garde, les gars ! hurla Luke, tout excité.

Il remarqua alors seulement l’homme plus âgé en uniforme. Ce dernier, étonné, le reconnut en même temps.

— Biggs !

Le visage de l’homme se tordit en un demi-sourire.

— Salut, Luke.

Un instant plus tard ils s’étreignaient chaleureusement.

Luke recula d’un pas, admirant ouvertement l’uniforme de Biggs.

— Je ne savais pas que tu étais rentré. Quand as-tu débarqué ?

La voix de Biggs sentait la confiance en soi, presque la suffisance, sans toutefois s’y laisser prendre.

— Il y a un instant. Je voulais te faire la surprise, gros malin. (Il montra la pièce.) Je pensais que tu serais ici avec ces deux piliers de cabaret. (Deak et Windy sourirent ensemble.) Je ne m’attendais certainement pas à ce que tu sois dehors, en train de travailler.

Il rit avec assurance, un rire auquel peu de gens pouvaient résister.

— L’Académie ne t’a pas beaucoup changé, commenta Luke. Mais tu rentres si tôt. (Son expression changea.) Hé, dis donc, que s’est-il passé ? Tu n’as pas eu ton brevet ?

Il y eut quelque chose d’évasif chez Biggs comme il répondait, les yeux légèrement détournés.

— Bien sûr que je l’ai eu. J’ai signé un engagement à bord du cargo Rand Ecliptique la semaine dernière. Premier maître Biggs Darklighter, à votre service. (Il exécuta un salut en pivotant, mi-moqueur, mi-sérieux. Puis il refit son drôle de sourire, à la fois dominateur et engageant.) Je suis simplement venu vous dire au revoir à tous, mes pauvres petits pions vissés à terre.

Ils rirent tous jusqu’à ce que Luke se souvienne soudain de ce qui l’avait fait venir si vite.

— J’allais presque oublier, leur dit-il, tandis que son excitation revenait. Il y a une bataille, ici, dans notre système. Venez voir.

Deak eut l’air déçu.

— Encore une de tes épopées, Luke. Tu n’as donc pas assez rêvé comme ça ? Oublie-les un peu.

— Oublier ? Mais sacrebleu, je te parle sérieusement. C’est une bataille, vrai de vrai.

À force de paroles et de gestes, il réussit à convaincre les occupants de la station de sortir dans la forte lumière solaire. Camille surtout semblait très réticente.

— Il vaudrait mieux pour toi que ça en vaille la peine, Luke, l’avertit-elle en s’abritant les yeux pour se protéger de la réverbération.

Luke avait déjà sorti ses jumelles et fouillait le ciel. Il ne lui fallut qu’un bref instant pour s’arrêter sur un point particulier.

— Je vous l’avais bien dit. Les voilà.

Biggs s’approcha de lui et prit les jumelles tandis que les autres plissaient leurs yeux nus. Une légère correction permit à Biggs de distinguer deux taches argentées contre le bleu sombre de l’espace.

— Ce n’est pas une bataille, petit fûté, affirma-t-il en baissant les jumelles et en lançant un doux regard à son ami. Ils sont juste en train de charger un cargo, Tatooine n’ayant pas de station orbitale.

— Il y a eu pas mal d’explosions tout à l’heure, ajouta Luke.

Son enthousiasme initial commençait à se refroidir sous l’assurance écrasante de son ami.

Camille arracha les jumelles à Biggs. Elle les cogna légèrement contre une colonne et Luke les lui reprit rapidement.

— Fais un peu attention, veux-tu ?

— Ne t’en fais pas comme ça, Gueule d’Amour, lança-t-elle en ricanant.

Luke fit un pas en avant vers elle et s’arrêta tandis que le mécanicien s’interposait entre eux et adressait à Luke un sourire d’avertissement. Celui-ci considéra les choses puis haussa les épaules.

— Je n’arrête pas de te le dire, Luke, dit le mécanicien, avec l’air fatigué de celui qui répète toujours la même histoire sans résultat. La rébellion est loin d’ici. Je doute que l’Empire veuille se battre pour garder ce système. Crois-moi, Tatooine est un gros tas de rien du tout.

Le public de Luke commença à disparaître à l’intérieur de la station avant qu’il puisse proférer une réplique. Fixor tenait Camille par les épaules et ils riaient tous les deux en se moquant des inepties du jeune homme. Même Deak et Windy murmuraient entre eux à voix basse – à son sujet, Luke l’aurait juré.

Il les suivit, non sans jeter un dernier coup d’œil aux lointaines taches dans le ciel. Ce qui était sûr, c’est qu’il avait vu des éclairs lumineux entre les deux navires. Ils n’étaient certainement pas dus aux reflets des soleils de Tatooine sur le métal.

Les liens qui maintenaient les mains de la jeune femme derrière son dos étaient primitifs et efficaces. L’attention constante que lui accordait le détachement de soldats lourdement armés aurait pu sembler hors de propos pour une seule femme, si ce n’est qu’ils devaient ramener la prisonnière vivante et qu’ils répondaient d’elle sur leur vie.

Quand elle ralentit délibérément l’allure, il apparut pourtant que ses ravisseurs ne rechignaient pas à la traiter un peu durement. L’un des hommes en armure lui administra au creux des reins une brutale bourrade qui la fit presque tomber. Elle lança au soldat un regard rageur. Mais elle n’aurait su dire s’il produisit un effet quelconque car le visage de l’homme était complètement dissimulé par un casque blindé.

Le couloir dans lequel ils finirent par émerger fumait encore autour du trou creusé dans la coque du navire, qui achevait de se consumer. Une rampe d’accès mobile y avait été installée. Un petit cercle lumineux signalait l’autre extrémité du tunnel qui reliait le croiseur impérial à l’appareil rebelle. Une ombre s’approcha d’elle et, malgré sa maîtrise d’elle-même, elle sursauta.

La carcasse menaçante de Dark Vador s’éleva au-dessus d’elle. Les yeux rouges luisaient derrière le masque hideux. Un muscle de sa joue se tendit sous la peau douce ; ce fut la seule réaction de la jeune femme. Pas la moindre hésitation ne perça dans sa voix.

— Dark Vador… Cette félonie porte bien votre marque. Le siège impérial saura punir cet acte de piraterie. Vous avez attaqué une mission diplomatique…

— Sénateur Leia Organa, coupa Vador d’une voix caverneuse. – Sans élever la voix il parlait avec une fermeté suffisante pour couvrir les protestations de la jeune femme. Son plaisir de la trouver était évident à la façon dont il dégustait chaque syllabe. — Ne jouez pas au plus fin avec moi, Votre Altesse, continua-t-il d’un air menaçant. Vous n’êtes pas chargée de quelque mission de charité. Cette fois, vous êtes passée au beau milieu d’un système interdit, sans prendre garde aux nombreux avertissements et dédaignant complètement les ordres de rebrousser chemin. Jusqu’à ce que cela devienne inutile.

Le grand casque de métal noir s’approcha davantage.

— Je sais que plusieurs transmissions ont eu lieu en direction de ce vaisseau, des messages envoyés par des espions en poste dans ce système. Quand nous avons retrouvé l’origine de ces messages, les individus qui les avaient envoyés ont eu la mauvaise grâce de se tuer avant qu’on ai pu les interroger. Je veux savoir ce qu’il est advenu des informations qu’ils vous ont adressées.

Ni les paroles de Vador ni sa présence hostile ne semblaient avoir le moindre effet sur la jeune femme.

— Je ne comprends pas toutes ces balivernes, coupa-t-elle sèchement en détournant les yeux. Je suis membre du sénat et je suis en mission diplomatique pour…

— Pour vous rendre chez vos amis de l’alliance rebelle, poursuivit Vador en la coupant d’un ton accusateur. Vous avez trahi. (Son regard se posa sur un officier proche.) Emmenez-la.

Elle lui cracha dessus et sa salive siffla en touchant l’armure encore chauffée à blanc par le combat. Il essuya l’offense en silence, la regardant avec intérêt s’engager sur la rampe d’accès en direction du croiseur.

Un soldat grand et mince qui portait l’insigne de commandant impérial attira l’attention de Vador.

— Il est dangereux de la garder, risqua-t-il, tout en regardant lui aussi la jeune femme que l’on escortait vers le croiseur. Si on apprend ce qui s’est passé ici, il y aura pas mal d’agitation au sénat. Cela risque de susciter un certain courant de sympathie pour la rébellion.

Le commandant leva les yeux vers l’indéchiffrable visage de métal et ajouta avec désinvolture :

— On devrait la supprimer immédiatement.

— Non. Mon premier devoir consiste à localiser cette forteresse secrète où ils se cachent, répliqua Vador. Tous les espions rebelles ont été éliminés — de notre fait ou du leur. Elle est par conséquent ma seule clef pour découvrir cette cachette. J’ai l’intention de me servir d’elle, totalement. S’il le faut, elle y restera — mais je saurai où se trouve la base rebelle.

Le commandant fit la moue, secoua légèrement la tête, et lança, avec peut-être une trace de compassion :

— Elle mourra avant de vous livrer le moindre renseignement.

La réplique de Vador lui donna le frisson.

— Je m’en charge. – L’homme noir réfléchit un instant et poursuivit : — Envoyez un signal de détresse sur large fréquence. Indiquez que le navire du sénateur a rencontré un nuage de météorites imprévu, qu’il n’a pas pu éviter. Les instruments indiquent que les écrans de blindage ont été dévastés et que le navire a été percé au point de perdre la quasi-totalité de son atmosphère. Informez son père et le sénat que tous les passagers sont morts.

Un groupe de soldats fatigués s’avança vers le commandant et le Seigneur Noir. Vador les dévisagea, interrogateur.

— Les bandes enregistrées que nous cherchons ne sont pas à bord du navire. Il n’y a aucune information de valeur dans les mémoires et les banques de données, ni aucune trace d’effacement récent, récita mécaniquement l’officier qui commandait. Il n’y a pas eu non plus de message expédié vers l’extérieur depuis que nous sommes entrés en contact avec le navire. Une capsule de sauvetage a été éjectée à la suite d’une fausse manœuvre pendant le combat mais nous avons appris immédiatement qu’il n’y avait aucune forme de vie à bord.

Vador parut songeur.

— En effet, il pourrait s’agir d’une capsule de sauvetage mal manœuvrée, fit-il d’un ton rêveur. Elle pourrait aussi avoir emporté les enregistrements que nous cherchons. Les bandes magnétiques ne sont pas des formes de vie. Il est plus que probable que l’indigène qui les trouverait n’aurait aucune idée de leur importance, et qu’il les effacerait pour pouvoir utiliser les supports. Cependant…

« Envoyez un détachement les chercher ou s’assurer qu’elles ne sont pas dans la capsule, ordonna-t-il finalement au commandant et à l’officier attentif. Soyez aussi subtils que possible ; il est inutile d’attirer l’attention, même sur ce misérable monde-frontière.

Comme l’officier et ses hommes s’en allaient, Vador tourna de nouveau les yeux sur le commandant.

— Vaporisez ce vaisseau. Nous ne désirons pas laisser quoi que ce soit. Quant à la capsule, je ne peux courir le risque de tabler sur une simple panne. Elle peut contenir des informations beaucoup trop nuisibles. Veillez à cela personnellement, commandant. Si ces enregistrements existent, il faut les récupérer ou les détruire à tout prix.

Il ajouta ensuite avec satisfaction :

— Cela accompli et le sénateur entre nos mains, nous verrons bientôt la fin de cette absurde rébellion.

— Il en ira comme vous l’ordonnez, sire Vador, acquiesça le commandant.

Les deux hommes s’engagèrent sur la rampe d’accès menant au croiseur.

— Comme ce désert est sinistre !

3PO se retourna prudemment pour regarder la capsule à demi enterrée dans le sable. Ses gyroscopes internes étaient encore tout bouleversés par l’atterrissage brutal. Atterrissage ! Ce simple mot était beaucoup trop flatteur pour son stupide associé.

D’un autre côté, il supposait qu’il lui devait d’être encore entier. Pourtant, se disait-il rêveusement en examinant le paysage aride, il n’était toujours pas convaincu d’être en meilleure posture ici que sur le vaisseau capturé. De hautes falaises de grès dominaient l’horizon d’un côté. Partout ailleurs on n’apercevait qu’une succession sans fin de dunes en mouvement, comme une très longue enfilade de dents jaunes, qui s’étendaient au loin sur des kilomètres et des kilomètres. Un océan de sable qui se fondait si bien dans le ciel brillant, là-bas, qu’on ne pouvait distinguer où commençait l’un et où l’autre finissait.

Un léger nuage de poussière s’éleva dans leur sillage tandis que les deux droïdes s’éloignaient de la capsule. Ce véhicule, après avoir totalement accompli la mission pour laquelle il avait été conçu, était devenu complètement inutile. Aucun des deux robots n’était prévu pour une locomotion pédestre sur ce type de terrain et ce fut avec peine qu’ils durent se frayer un chemin sur la surface mouvante.

— Souffrir est notre lot, gémit 3PO. Comment sommes-nous tombés dans ce pétrin ? J’en perds mon latin !

Quelque chose grinça dans sa jambe droite et il fit la grimace.

— Il faut que je me repose avant de tomber en morceaux. Mes organes internes n’ont toujours pas récupéré après ton prétendu atterrissage. Plutôt une longue chute en catastrophe.

Il s’arrêta. R2-D2 continua. Le petit droïde avait exécuté un virage aigu et se dandinait désormais lentement mais sûrement vers la falaise la plus proche.

— Hé là ! cria 3PO.

R2 ignora l’appel et poursuivit son chemin.

— Où vas-tu donc ?

R2 s’arrêta enfin et lança un flot d’explications électroniques tandis que 3PO marchait le plus vite qu’il pouvait pour le rejoindre.

— Assez d’aventures ! gronda 3PO quand R2 eut terminé son explication. Je n’irai pas par là. C’est trop rocheux. – Il fit un geste dans la direction qu’ils avaient suivie jusqu’alors. — C’est bien plus facile par là. – Il agita une main méfiante vers les hautes falaises.

— Qu’est-ce qui te fait croire qu’il y a des installations de ce côté-ci, hein ?

Un long sifflement sortit des entrailles de R2.

— Ne me fais pas le coup du robot, l’avertit 3PO. J’en ai assez de tes décisions.

R2 couina une seule fois.

— D’accord, tu vas où tu veux, fit 3PO avec hauteur. Je parie que tes circuits seront grippés d’ici demain, pauvre tas de ferraille myope.

Il lui porta un coup léger, envoyant le petit droïde dévaler au bas d’une dune. Tandis que R2 se débattait pour se remettre d’aplomb, 3PO se mit en route vers l’horizon éclatant, tout en lançant un coup d’œil en arrière.

— Et que je ne te prenne pas à me suivre, et à m’appeler au secours, car je ne lèverai pas le petit doigt.

Au pied de la dune, R2 se remit d’aplomb. Il s’arrêta un bref instant pour nettoyer son œil électronique unique à l’aide d’un bras auxiliaire et il émit ensuite un cri perçant, presque un cri de rage humain. Marmonnant doucement pour lui-même, il fit demi-tour et se remit péniblement en marche vers les falaises rocheuses, comme si rien ne s’était passé.

Plusieurs heures plus tard, 3PO, fatigué, son thermostat interne surchargé et dangereusement proche du court-circuit de surchauffe, escaladait ce qu’il espérait être la dernière dune. Non loin, grands morceaux de calcaire blanchis, les os de quelque énorme bête formaient un jalon de sinistre augure. En atteignant le sommet de la dune, 3PO scruta anxieusement le panorama. Au lieu de la verdure espérée, signe de civilisation humaine, il ne vit que plusieurs dizaines d’autres dunes, identiques en forme et en promesses à celle sur laquelle il se trouvait. La plus lointaine s’élevait même plus haut encore que celle-ci.

3PO fit volte-face et regarda vers le lointain plateau de grès qui commençait à se perdre au loin et dans les brumes de chaleur.

— Espèce de demi-portion défectueuse, marmonna-t-il, incapable même à cet instant d’admettre que peut-être (simple éventualité) son compagnon R2 avait eu raison. Tout ça, c’est de ta faute. Tu m’as eu en me faisant aller de ce côté, mais tu n’arriveras à rien de mieux.

Lui non plus d’ailleurs, s’il persistait. Il fit encore un pas en avant et entendit un crissement lugubre dans une articulation de sa jambe. Pris d’une frousse électronique, il s’assit et se mit à ôter le sable de ses jointures entartrées.

Il pouvait continuer, se dit-il. Ou il pouvait admettre une erreur de jugement et essayer de rattraper R2-D2. Aucune de ces perspectives ne lui souriait beaucoup.

Il y avait encore une troisième possibilité. Il pouvait rester assis sur place, brillant au soleil, jusqu’à ce que ses articulations se coincent, que ses organes surchauffent et que les rayons ultraviolets fassent griller ses photorécepteurs. Il deviendrait un monument de plus en l’honneur de la force destructrice du soleil double, tout comme l’organisme colossal dont il venait de croiser le cadavre bien nettoyé.

Ses récepteurs commençaient déjà à le lâcher, se dit-il. Il avait eu l’impression de voir quelque chose bouger dans le lointain. La distorsion due à la chaleur, probablement. Non – non – c’était vraiment une lumière qui se reflétait sur du métal et la chose se déplaçait vers lui. Ses espoirs renaquirent. Ignorant les avertissements de sa jambe endommagée, il se leva et commença à faire des signes frénétiques avec les bras.

C’était, il s’en rendait compte maintenant, un véhicule. Aucun doute. Un modèle qu’il ne connaissait pas. Mais c’était un véhicule et cela supposait une intelligence et une technologie.

Dans son excitation, il négligea d’envisager la possibilité que ce véhicule pût avoir une origine non humaine.

— Donc, j’ai coupé le contact, fermé les postcombustions et je me suis laissé tomber en bas sur la queue de Deak, finit Luke en faisant de grands gestes avec les bras. Biggs et lui marchaient à l’ombre autour de la station.

Des bruits métalliques sortaient du bâtiment où Fixor avait fini par retrouver son assistant-robot qui effectuait les réparations.

— J’étais si près de lui, continua Luke, tout excité, que j’ai cru que j’allais faire griller mes instruments. À dire vrai, j’ai pas mal bousillé mon speeder. (Ce souvenir le fit froncer les sourcils.) L’oncle Owen était bien en colère. Il m’a consigné à terre pour le restant de la saison.

L’abattement de Luke fut de courte durée. Le souvenir de son exploit l’emportait sur l’aspect immoral.

— Ah, si tu avais été là, Biggs !

— Tu devrais peut-être y aller un peu moins fort, avança prudemment son ami. Tu es sans doute le pilote de brousse le plus adroit de ce côté de Mos Eisley, Luke, mais ces petits land-speeders peuvent être dangereux. Ils vont affreusement vite pour des appareils troposphériques — plus vite que nécessaire. Continue de jouer les jockeys motorisés avec et un jour, bang ! (Il frappa violemment de son poing dans sa paume ouverte.) Tu ne seras plus qu’un point noir sur la paroi humide d’un canyon.

— Non, mais écoutez-moi ça, répliqua Luke. Maintenant que tu t’es trouvé à bord de quelques gros navires stellaires automatisés, tu te mets à parler comme mon oncle. Tu t’es ramolli dans les villes.

Il esquissa un direct vers Biggs, qui bloqua facilement le geste, tout en amorçant une contre-attaque sans conviction.

Le dédain insouciant de Biggs se transforma soudain en quelque chose de plus chaleureux.

— Tu m’as manqué, p’tit.

Luke détourna les yeux, gêné.

— Les choses ne sont plus tout à fait les mêmes depuis que tu es parti, Biggs. C’est tellement – Luke chercha le mot juste et finit par dire, sans trouver vraiment – tellement calme.

Son regard erra sur les rues ensablées et désertées d’Anchorhead.

— Ça a toujours été calme, en fait.

Biggs resta silencieux, pensif. Il regarda autour de lui. Ils étaient seuls dehors. Tous les autres étaient rentrés à l’intérieur, dans la fraîcheur relative de la station électrique. Luke découvrit une solennité inaccoutumée dans la voix de son ami qui s’était rapproché :

— Luke, je ne suis pas revenu uniquement pour dire au revoir, ni pour chanter victoire devant tout un chacun parce que j’ai réussi à l’Académie. – Il parut hésiter à nouveau, incertain. Puis il lâcha le morceau, rapidement, sans se laisser une chance de se reprendre : — Mais je veux que quelqu’un sache. Je ne peux pas en parler à mes parents.

Fixant Biggs avec de grands yeux, Luke ne sut que dire :

— Sache quoi ? De quoi parles-tu ?

— Je parle de ce qu’on a dit à l’Académie — et ailleurs, Luke. Des conversations animées. Je me suis fait quelques nouveaux amis, des amis hors de ce système. Nous sommes tombés d’accord sur la façon dont certaines choses se développent et – sa voix baissa et il prit un « ton confidentiel — quand nous atteindrons un des systèmes périphériques, nous quitterons le navire pour rejoindre l’Alliance.

Luke fixa son ami, essaya de se représenter Biggs – Biggs qui aimait à rigoler, vivre en riant, au jour le jour – Biggs en patriote animé d’une ferveur rebelle.

— Tu vas t’engager dans la rébellion ? Tu plaisantes, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— Moins fort, veux-tu ? dit prudemment le grand gaillard, en jetant des coups d’œil furtifs vers la station. Quelle grande gueule tu as.

— Je suis navré, murmura Luke rapidement. Je parle tout bas — écoute comme je parle bas. Tu peux à peine m’entendre.

Biggs le coupa et poursuivit :

— Un de mes amis de l’Académie connaît quelqu’un sur Bestine qui pourrait nous mettre en contact avec une unité armée de la rébellion.

— Un ami d’un… Tu es fou, fit Luke avec conviction, certain que son ami avait perdu la tête. Tu pourrais errer toute ta vie en essayant de découvrir un véritable avant-poste rebelle. La plupart sont légendaires. Cet ami de troisième main pourrait bien être un agent impérial. Tu finiras sur Kessel, ou pire. Si les garnisons rebelles étaient si faciles à dénicher, l’Empire les aurait supprimées depuis des années.

— Je sais que c’est assez risqué, admit Biggs avec réticence. Si je ne les contacte pas, alors… – Une lueur particulière brilla dans le regard du jeune homme, un mélange de maturité récente et… quelque chose d’autre. — Je ferai ce que je pourrai. Tout seul.

Il fixa son ami intensément.

— Luke, je ne vais pas attendre que l’Empire m’enrôle à son service. Malgré ce que tu entends sur les chaînes d’informations officielles, la rébellion grandit, s’étend. Et je veux être du bon côté — du côté auquel je crois.

Sa voix s’altéra d’une façon étrange et Luke se demanda ce qu’il imaginait.

— Tu aurais dû entendre ce que j’ai entendu, Luke, apprendre l’existence des exactions que je connais. L’Empire a peut-être été une grande et belle chose, mais les gens qui ont le pouvoir aujourd’hui… (Il secoua la tête énergiquement.) C’est pourri, Luke, pourri.

— Et je ne peux rien faire, murmura Luke d’un air morose. Je suis bloqué ici.

Il donna un futile coup de pied dans le sable omniprésent d’Anchorhead.

— Je croyais que tu devais bientôt entrer à l’Académie, observa Biggs. Si tu y arrives, tu auras une chance de ficher le camp de ce gros tas de sable.

Luke ricana.

— Ça ne risque pas. J’ai dû retirer ma demande. (Il détourna les yeux, incapable de croiser le regard incrédule de son ami.) J’y étais obligé. Il y a eu beaucoup d’agitation chez les Hommes des Sables depuis que tu es parti, Biggs. Ils ont même lancé une expédition contre la banlieue d’Anchorhead.

Biggs secoua la tête, sans tenir compte de l’excuse.

— Avec un blaster, ton oncle pourrait tenir tête à toute une colonie de pillards.

— De la maison, ça ne fait aucun doute, acquiesça Luke, mais l’oncle Owen a fini par installer assez de vaporateurs, et qui marchent, pour que la ferme commence à rapporter. Il ne peut pas garder toute cette terre à lui tout seul et il dit qu’il a besoin de moi pour une saison encore. Je ne peux pas le laisser tomber maintenant.

Biggs soupira tristement.

— Je suis désolé pour toi, Luke. Un jour, il faudra que tu apprennes à séparer ce qui a l’air important de ce qui l’est réellement. (Il montra de la main ce qui les entourait.) À quoi sert tout le travail de ton oncle si l’Empire s’en empare ? J’ai entendu dire qu’ils commencent à impérialiser le commerce dans tous les systèmes extérieurs. Il ne faudra pas longtemps pour que ton oncle, et tous les autres sur Tatooine, ne soient plus que des fermiers travaillant comme des esclaves pour la plus grande gloire de l’Empire.

— Ça ne peut pas arriver ici, objecta Luke avec une confiance qu’il n’éprouvait pas tout à fait. Tu l’as dit toi-même, l’Empire ne s’occupera pas de ce rocher.

— Tout change, Luke. Seule la menace de la rébellion oblige les hommes au pouvoir à ne pas faire certaines choses inavouables. Si cette menace disparaît totalement, eh bien, il y a deux choses que les hommes n’ont jamais pu assouvir : leur curiosité et leur avidité. Et les bureaucrates impériaux ne sont pas curieux de grand-chose.

Les deux jeunes gens restèrent silencieux. Un tourbillon de sable traversa la rue dans une majesté silencieuse, heurtant le mur avant d’envoyer des bébés zéphyrs tout neufs dans toutes les directions.

— Je souhaiterais pouvoir te suivre, murmura enfin Luke. (Il jeta un coup d’œil en l’air.) Tu restes longtemps ici ?

— Non. À vrai dire, je pars dans la matinée pour rejoindre l’Écliptique.

— Dans ce cas… Je ne te reverrai pas.

— Peut-être, un de ces jours, fit Biggs. (Il s’illumina, produisant son sourire désarmant.) Je continuerai à te guetter, tête brûlée. Essaie de ne pas t’envoyer dans une falaise de canyon d’ici là.

— J’entrerai à l’Académie la saison prochaine, insista Luke, plus pour se donner du courage que pour répondre à Biggs. Après ça, qui sait où je finirai ? (Il avait l’air décidé.) Je ne serai pas enrôlé dans la flotte stellaire, c’est sûr. Fais attention à toi. Tu… tu as toujours été mon meilleur ami.

Ils ne se serrèrent pas la main. Ces deux-là avaient depuis longtemps dépassé ce stade.

— À bientôt donc, Luke, fit simplement Biggs.

Il fit demi-tour et rentra dans la station.

Luke le regarda disparaître par la porte. Ses pensées étaient aussi chaotiques et folles que l’une de ces tempêtes de poussière qui naissaient spontanément sur Tatooine.

Il y avait un grand nombre de choses extraordinaires et uniques sur Tatooine. Parmi elles, il y avait ce très curieux brouillard qui s’élevait régulièrement du sol en des points où les sables du désert venaient battre contre les falaises inébranlables et les mesas éternelles.

Du brouillard dans un désert chauffé à blanc paraissait aussi déplacé qu’un cactus sur un glacier. Il existait néanmoins. Les météorologues et les géologues disputaient de ses origines, marmonnant des théories difficiles à croire concernant l’eau en suspension dans des veines de grès sous le sable et des réactions chimiques incompréhensibles qui faisaient lever l’eau quand le sol se refroidissait, pour retomber ensuite dès le lever des soleils jumeaux. Tout cela était tout à fait rétrograde et très réel.

Ni la brume ni les grognements étrangers des nocturnes habitants du désert ne troublaient R2-D2, comme il remontait prudemment l’arroyo rocheux, choisissant le meilleur chemin vers le haut de la mesa. Ses larges pieds carrés produisaient des bruits métalliques qui résonnaient bruyamment dans les dernières lueurs du soir, car le sable cédait très progressivement la place au gravier.

Il s’arrêta un instant. Il avait cru déceler un bruit – comme du métal sur le rocher, devant lui, au lieu de rocher contre rocher. Pourtant, le bruit ne se reproduisit pas et le droïde reprit aussitôt sa tranquille ascension.

En haut de l’arroyo, trop loin pour qu’on le vit d’en bas, un caillou se détacha du mur de pierre. La minuscule silhouette qui avait accidentellement fait tomber ce caillou recula dans l’ombre comme une souris. Deux points lumineux apparurent sous les plis enveloppants d’une cape marron, à un mètre de la paroi du canyon.

Seule la réaction du robot sans méfiance trahit l’arrivée du rayon paralysant. Pendant un instant, R2-D2 devint fluorescent comme par magie dans la lumière qui faiblissait. Il y eut un seul bip électronique et bref. Puis le droïde tripode se balança et bascula sur le dos. Sur le devant de son petit torse, les lumières clignotaient au hasard.

Trois imitations d’homme surgirent de derrière les éboulis. Leurs mouvements évoquaient plutôt le rongeur que l’humain et, debout, ils n’étaient guère plus grands que R2. Quand ils virent que le rayon d’énergie amollissante avait immobilisé le robot, ils approchèrent prudemment de la machine inerte, avec tout l’émoi dont est capable un trouillard héréditaire.

Leurs vêtements étaient recouverts d’une épaisse couche de poussière et de sable. Leurs pupilles jaune-orange luisaient, malsaines, comme des yeux de chat, au plus profond de leur capuchon, tandis qu’ils examinaient leur prise. Les jawas s’entretinrent avec des coassements gutturaux où résonnaient quelques échos de la parole humaine. Si, comme le supposaient les anthropologues, ils avaient jamais été humains, ils avaient depuis bien longtemps dégénéré et s’étaient écartés à bonne distance de la race humaine.

Plusieurs autres jawas firent leur apparition. Ensemble, ils réussirent à haler le robot jusqu’au fond de l’arroyo.

Au pied du canyon – comme quelque monstrueuse bête préhistorique – se trouvait une chenille des sables, aussi énorme que ses propriétaires étaient petits. Le véhicule se dressait à plusieurs douzaines de mètres au-dessus du sol sur des chenilles multiples plus grandes qu’un homme de haute taille. Sa carapace de métal était griffée et trouée par les tempêtes de sable hostiles et muettes.

En atteignant la chenille, les jawas reprirent leur parlotte. R2-D2 pouvait les entendre mais ne réussissait pas à comprendre quoi que ce fût. Il n’avait pas à se sentir humilié. Quand tel était leur désir, seuls les jawas pouvaient comprendre d’autres jawas, car ils utilisaient un langage à variation stochastique qui faisait tourner les linguistes en bourriques.

L’un d’eux prit un petit disque dans une bourse accrochée à sa ceinture et le colla sur le flanc de R2. Un grand tube faisait saillie sur un côté du véhicule géant. Ils le roulèrent dans cette direction et s’écartèrent. On entendit un bref grognement, le bruit de succion provoqué par une puissante aspiration, et le petit droïde fut avalé par les entrailles de la chenille des sables aussi facilement qu’un grain de riz par une paille. Cette partie du travail terminée, les jawas recommencèrent à palabrer. Après quoi, ils s’introduisirent dans la chenille à l’aide de tubes et d’échelles. On aurait dit une bande de souris se précipitant dans leurs trous.

Sans trop d’égards, le tube déposa R2 dans un petit cube. En plus de tas variés d’appareils cassés et d’authentiques déchets, une douzaine à peu près de robots de formes et de tailles diverses peuplaient la prison. Quelques-uns étaient absorbés dans des conversations électroniques. D’autres bougeaient sans cesse ni raison. Mais quand R2 arriva en trébuchant dans la cellule, une voix très étonnée se fit entendre.

— R2-D2 ! C’est toi, mon vieux, c’est bien toi !

3PO, dans l’ombre, tout près, semblait bien agité. Il se fraya un chemin jusqu’au droïde toujours immobilisé et le prit dans ses bras d’une manière des moins mécaniques. Repérant le petit disque collé au flanc de R2,3PO baissa les yeux d’un air songeur sur sa propre poitrine où était fixé un disque analogue.

Des engrenages massifs, mal lubrifiés, se mirent en mouvement. Grinçant et gémissant, la monstrueuse chenille des sables fit demi-tour et s’enfonça avec une patience inébranlable dans la nuit du désert.