5

La créature était grande, mais guère monstrueuse. R2 fronça mentalement les sourcils dont il était dépourvu, vérifia son circuit oculaire, et réactiva ses organes.

Le monstre ressemblait beaucoup à un vieillard. Il était vêtu d’un manteau dépenaillé et son ample robe était couverte de petites bandes, de poches et d’instruments inconnus. R2 fouilla le sillage de cet être humain sans trouver la moindre trace d’un cauchemar le poursuivant. L’homme ne donnait pas non plus l’impression de se sentir menacé. En fait, pensa R2, il avait l’air assez content.

Il était impossible de dire où le costume de l’étrange apparition se terminait et où commençait sa peau. Le visage parcheminé ne se distinguait guère de l’étoffe patinée par le sable, et sa barbe paraissait n’être que le prolongement de l’espèce de filet qui lui recouvrait la poitrine.

Les stigmates de climats extrêmes, différents, du désert, d’un froid et d’une humidité ultimes, étaient gravés dans ce visage couturé. Un nez d’aigle impérieux, pareil à un roc altier, saillait d’un labyrinthe de rides et de cicatrices. Les yeux qui l’encadraient évoquaient un cristal d’azur liquide. L’homme souriait à travers le sable, la poussière et sa barbe. Il loucha en apercevant le tas inerte à côté du speeder.

Convaincu que les gens des sables avaient été victimes d’une illusion auditive – refusant de reconnaître qu’il l’avait lui aussi subie – et assuré en outre que cet inconnu ne voulait aucun mal à Luke, R2 changea légèrement de position, essayant d’avoir une meilleure vue des choses. Le bruit produit par un petit caillou qu’il fit tomber fut à peine sensible à ses senseurs électroniques et cependant l’homme fit volte-face, comme si on avait tiré un coup de feu. Il braqua les yeux droit sur le refuge de R2, tout en souriant avec douceur.

— Bonjour, toi, fit-il d’une voix profonde et étonnamment chaleureuse. Viens là, mon petit ami. N’aie pas peur.

Il y avait quelque chose de droit et de rassurant dans cette voix. De toute façon, une association avec un humain inconnu était préférable à l’isolement dans ce désert. Avançant gauchement jusqu’en pleine lumière, R2 se rendit auprès de Luke. Le corps en tonneau du robot s’inclina en avant tandis qu’il examinait la forme inanimée. Des sifflets et des bips soucieux sortirent de ses entrailles mécaniques.

Le vieil homme s’approcha et se pencha sur Luke ; il tendit la main et lui toucha le front puis la tempe. Peu après, le jeune homme remuait et marmonnait comme quelqu’un d’endormi et qui rêve.

— Ne t’inquiète pas, dit le vieil homme à R2, il sera bientôt guéri.

Comme pour confirmer cette opinion, Luke cilla, ouvrit les yeux sans comprendre et murmura :

— Que s’est-il passé ?

— Repose-toi, mon fils, lui ordonna l’homme comme il se redressait. Tu as eu une dure journée. (Le sourire juvénile se reforma de nouveau.) Tu as bien de la chance d’avoir encore la tête sur les épaules.

Luke regarda autour de lui puis son regard se fixa sur le visage âgé penché sur lui. Il le reconnut, ce qui eut un effet miraculeux sur son état.

— Ben… ce n’est pas vraiment utile !

Un souvenir soudain le fit regarder autour de lui avec crainte. Aucun signe des gens des sables. Il se redressa lentement et s’assit.

— Ben Kenobi… Je suis heureux de vous voir !

Le vieil homme se leva et inspecta les parois du canyon ainsi que la corniche tout en haut. Un de ses pieds jouait avec le sable.

— Il ne faut pas traverser à la légère les déserts de Jondelande. Seul le voyageur étourdi ose courir le risque de connaître l’hospitalité des Taskens. (Son regard revint à son patient.) Dis-moi, jeune homme, qu’est-ce qui t’amène dans ces contrées si éloignées de tout ?

Luke montra R2-D2.

— Ce petit robot. Pendant un moment j’ai cru qu’il était devenu fou. Il affirmait être à la recherche de son ancien maître. J’ai changé d’avis. Je n’ai jamais vu une telle dévotion chez un robot — manquant ou non de jugement. Il semble que rien ne puisse l’arrêter ; il a même eu recours à la ruse à mes dépens.

Le regard de Luke remonta.

— Il affirme appartenir à quelqu’un du nom d’Obi-wan Kenobi. – Luke observa l’homme attentivement, mais sans résultat. — Est-ce un de vos parents ? Mon oncle pense que c’était une personne réelle. Ou bien s’agit-il d’une information parcellaire sans importance et qui aurait subsisté dans la mémoire primaire du droïde ?

Le froncement d’introspection eut un résultat remarquable sur le visage buriné par le sable. Kenobi pesa la question, grattant d’un air absent sa barbe en broussaille.

— Obi-wan Kenobi ! récita-t-il. Obi-wan… Ce nom, vois-tu, semble resurgir d’outre-tombe. Oui, d’outre-tombe.

— Mon oncle prétend qu’il est mort, fit Luke avec bonne volonté.

— Oh non, il n’est pas mort, réfuta Kenobi tranquillement. Pas encore, pas encore.

Luke se remit debout, tout excité, ayant totalement oublié les pillards Taskens.

— Vous le connaissez, alors ?

Un sourire d’une folle jeunesse fendit le lacis de peau ridée et de barbe.

— Bien sûr que je le connais : c’est moi. Exactement comme tu le soupçonnais, Luke. Pourtant, je n’ai plus porté le nom d’Obi-wan depuis avant ta naissance.

— Donc, fit Luke en montrant du bras R2-D2, ce robot vous appartient, ainsi qu’il l’affirme.

— Voici l’aspect le plus étrange, confessa Kenobi, franchement déconcerté en observant le robot muet. Je n’arrive pas à me rappeler avoir possédé un robot et moins que tout un modèle récent de R2. Très intéressant, vraiment très intéressant.

Quelque chose attira soudain le regard du vieil homme sur la crête des falaises proches.

— Je crois qu’il est préférable que nous nous servions un peu de ton speeder. Les gens des sables sont facilement effrayés mais ils reviendront vite, et en nombre. Un speeder n’est pas une proie qu’on abandonne facilement et, après tout, ce ne sont point des jawas.

Plaçant ses mains au-dessus de sa bouche d’une drôle de façon, Kenobi inspira profondément et poussa un hurlement surnaturel qui fit tressaillir Luke.

— Ceci devrait faire encore courir les traînards, conclut le vieil homme avec satisfaction.

— C’est le cri du dragon de Krayt ! hoqueta Luke, abasourdi. Comment avez-vous fait ?

— Je te montrerai, un de ces jours, fiston. Ce n’est pas si difficile. Il faut simplement prendre la bonne position, bien employer toutes ses cordes vocales et avoir beaucoup de souffle. Si tu étais un bureaucrate impérial, je pourrais t’apprendre sur-le-champ mais tu n’en es pas un. (Il scruta la crête une seconde fois.) En outre, je crois que ce n’est ni le lieu ni l’heure.

— Je ne discuterai pas ce point. (Luke se massa la nuque.) Allons-y.

Ce fut alors que R2 poussa un bip pathétique et fit volte-face. Luke ne savait pas interpréter le cri électronique mais il en comprit vite le sens.

— 3PO ! s’écria-t-il, très ennuyé.

R2 s’en allait déjà de toute sa vitesse.

— Venez, Ben.

Le petit robot les conduisit au sommet d’une grande crête de sable. Il s’arrêta, montra le pied de la dune en grinçant lugubrement. Luke suivit son geste et commença à descendre prudemment le long de la pente douce tandis que Kenobi le suivait sans effort.

3PO gisait dans le sable au pied de la pente qu’il avait dévalée. Sa carcasse était lacérée et pas mal abîmée. Non loin de lui, un de ses bras était planté dans le sable.

— 3PO ! hurla Luke.

Pas de réponse. Il secoua le robot, sans résultat. Ouvrant une plaque dans le dos du robot, Luke manœuvra à plusieurs reprises un interrupteur dissimulé. Un doux ronronnement se fit entendre, cessa, recommença et finit par se stabiliser en un ronflement normal.

Avec le bras qui lui restait, 3PO roula et se releva.

— Où suis-je ? murmura-t-il tandis que ses photorécepteurs se remettaient progressivement en marche. Il reconnut Luke.

— Oh, je suis désolé, messire Luke. J’ai dû manquer une marche.

— Tu as de la chance que tous tes circuits importants soient encore intacts, l’informa Luke. – Il jeta un regard significatif vers le sommet de la dune. — Peux-tu te tenir debout ? Il faut nous en aller d’ici avant le retour des gens des sables.

Les servomoteurs couinèrent en signe de protestation jusqu’à ce que 3PO cessât de lutter pour se redresser.

— Je crois que je n’y arriverai pas. Continuez sans moi, messire Luke. Cela n’a aucun sens de prendre des risques pour moi. Mon compte est bon.

— Non, certainement pas, rétorqua Luke, inexplicablement ému par cette machine qu’il connaissait depuis si peu de temps.

Il faut dire que 3PO n’était pas un de ces banals appareils agrifonctionnels incapables de communiquer, dont Luke avait l’habitude.

— Qu’est-ce que c’est que ces façons de parler ?

— La logique, fit 3PO.

— Défaitiste, fit Luke, en secouant la tête rageusement.

Avec l’aide de Luke et de Ben Kenobi, le robot blessé parvint à se remettre debout. Le petit R2 les observait d’en haut.

Marquant une hésitation à mi-pente, Kenobi renifla d’un air soupçonneux.

— Dépêchons-nous, fiston. Ils reviennent à la charge.

Surveillant les rochers qui les entouraient sans cesser de faire attention où il posait les pieds, Luke réussit à grand-peine à tirer 3PO hors de son trou.

La caverne bien camouflée de Ben Kenobi était spartiate sans être inconfortable. Elle n’aurait pas convenu à beaucoup car elle reflétait trop les goûts éclectiques de son propriétaire. De la partie réservée à l’habitation émanait une atmosphère de confort ascétique davantage tourné vers les plaisirs de l’esprit que vers les satisfactions décevantes du corps.

Ils avaient réussi à quitter le canyon avant le retour en force des pillards Taskens. Sous la direction de Kenobi, Luke avait laissé derrière eux une piste si confuse que même un jawa hypernasal n’aurait pas pu la suivre.

Luke passa plusieurs heures sans s’intéresser aux tentations de la caverne de Kenobi. Il resta dans le coin équipé d’un atelier de réparation compact mais très complet, pour rafistoler le bras endommagé de 3PO.

Par bonheur, les interrupteurs de surcharge automatisés avaient cédé sous la tension, ce qui avait eu pour résultat de sceller les nerfs et les ganglions électroniques, sans dommages réels. La réparation consistait simplement à rattacher le membre à l’épaule puis à activer les autoscellés. Si le bras avait été cassé au milieu et non à l’articulation, il aurait fallu effectuer la réparation à l’usine.

Pendant que Luke s’occupait de 3PO, Kenobi s’intéressait à R2-D2. Le robot trapu était assis sur le sol frais de la caverne tandis que le vieil homme lui fouillait les entrailles. Finalement Kenobi se rassit avec une expression de soulagement ; il ferma les panneaux ouverts dans la tête arrondie du robot.

— Voyons un peu si nous pouvons nous faire une idée de qui tu es, mon petit ami, et d’où tu viens.

Luke avait presque terminé et les paroles de Kenobi suffirent à le faire sortir du coin réparation.

— J’ai vu une partie du message, commença-t-il, et je…

Une fois de plus, l’étonnant portrait était projeté dans l’espace devant le petit robot. Luke s’interrompit, fasciné une fois encore par l’énigmatique beauté.

— Oui, je crois que ça y est, murmura Kenobi pensivement.

L’image continuait de trembler, signe d’un enregistrement hâtif. Mais il était bien plus net, mieux défini maintenant, remarqua Luke avec admiration. Une chose était manifeste : Kenobi était habile dans des domaines plus minutieux que la simple survie dans le désert.

— Général Obi-wan Kenobi, disait la voix melliflue, je me présente au nom de la famille mondiale d’Alderaan et de l’Alliance pour la Restauration de la République. Je romps votre solitude à la demande de mon père, Bail Organa, vice-roi et Premier président du système d’Alderaan.

Kenobi accueillit avec flegme cette extraordinaire déclaration tandis que les yeux de Luke lui sortaient presque de la tête.

— Il y a des années, général, poursuivit la voix, vous avez servi l’ancienne République dans les Guerres Cloniques. Mon père vous implore aujourd’hui de nous aider à nouveau en cette heure tragique. Il aimerait que vous le rejoigniez sur Alderaan. Il faut aller le retrouver.

« Je regrette de ne pouvoir vous présenter en personne la requête de mon père. Ma mission qui consistait à vous rencontrer personnellement a échoué. J’ai en conséquence été obligée de recourir à cette méthode de communication.

« Des informations essentielles pour la survie de l’Alliance ont été dissimulées dans le cerveau de ce robot R2. Mon père saura comment les récupérer. Je vous prie de veiller à ce que ce robot parvienne sain et sauf en Alderaan.

Elle s’arrêta un instant et, quand elle reprit, ses paroles étaient pressées et moins empreintes de solennité.

— Il faut absolument que vous m’aidiez, Obi-wan Kenobi. Vous êtes mon dernier espoir. Je vais être capturée par des agents de l’Empire. Ils n’apprendront rien de moi. Tout ce qu’il faut savoir est enfermé dans les cellules de la mémoire de ce droïde. Ne nous abandonnez pas, Obi-wan Kenobi. Ne m’abandonnez pas.

Un petit nuage d’électricité statique tridimensionnel remplaça le délicat portrait, puis tout disparut. R2-D2 leva les yeux sur Kenobi d’un air interrogateur.

L’esprit de Luke était aussi épais qu’un étang couvert de pétrole. Sans point d’attache, ses pensées et ses yeux se tournèrent en quête de stabilité vers la silhouette silencieuse assise à côté.

Le vieil homme. Le sorcier fou. Le personnage du désert inscrutable, imprévisible et désordonné que son oncle et tout le monde connaissait depuis toujours, aussi loin que Luke s’en souvenait.

Si le message haletant et frémissant d’anxiété que l’inconnue venait juste de prononcer dans l’air frais de la grotte avait ému Kenobi, il n’en montrait rien. Il s’adossa contre la paroi rocheuse et plongea pensivement une main dans sa barbe, fumant à petits coups une drôle de pipe à eau en chrome terni.

Luke se remémora le portrait simple et cependant adorable.

— Elle est si… si…

Sa formation de fermier ne lui fournissait pas les mots qu’il fallait. Soudain, quelque chose dans le message le fit regarder le vieillard avec incrédulité.

— Général Kenobi, vous avez combattu dans les Guerres Cloniques. Mais… C’était il y a si longtemps.

— Hum, oui, reconnut Kenobi avec beaucoup de naturel. Je crois qu’il y a un moment de cela. Jadis j’étais un Chevalier Jedi. Comme ton père, ajouta-t-il en regardant attentivement le jeune homme.

— Chevalier Jedi, fit Luke en écho. – Puis il parut troublé. — Mais mon père n’a pas participé aux Guerres Cloniques. Il n’était pas chevalier — simplement navigateur sur un cargo spatial.

Le sourire de Kenobi enveloppa le tuyau de sa pipe.

— C’est ce que t’a dit ton oncle. (Son attention se braqua soudain ailleurs.) Owen Lars n’était pas d’accord avec les idées de ton père, ses opinions ni sa philosophie de la vie. Il croyait que ton père aurait dû rester ici, sur Tatooine, et ne pas se mêler de… (À nouveau le haussement d’épaules apparemment indifférent.) En fait, il pensait qu’il aurait dû rester ici pour s’occuper de sa ferme.

Luke resta silencieux, le corps tendu tandis que le vieil homme rassemblait les morceaux épars d’une histoire personnelle que Luke n’avait jamais connue qu’à travers les distorsions de son oncle.

— Owen a toujours eu peur que la vie aventureuse de ton père ne t’influence, ne risque de t’attirer loin d’Anchorhead. (Il secoua la tête lentement, avec regret, comme il se souvenait.) Je crains que ton père n’ait guère été un bon fermier.

Luke se détourna. Il retourna nettoyer les dernières particules de sable dans le bras en voie de guérison de 3PO.

— J’aurais aimé le connaître, murmura-t-il enfin.

— C’était le meilleur pilote que j’ai jamais connu, poursuivit Kenobi, et un combattant de première classe. La Force… l’instinct était puissant en lui. (Pendant une brève seconde, Kenobi eut l’air réellement vieux.) C’était aussi un bon ami.

L’éclat juvénile revint dans les yeux perçants en même temps que l’humour naturel du vieil homme.

— Si je comprends bien, tu es toi aussi un sacré pilote. Le pilotage et la navigation ne sont pas héréditaires mais bien des choses le sont. Enfin, même un canard doit apprendre à nager.

— Qu’est-ce que c’est qu’un canard ? demanda Luke avec curiosité.

— Sans importance. Par bien des côtés, tu sais, dit Kenobi, tu ressembles beaucoup à ton père. (Le regard de Kenobi rendit Luke heureux.) Tu as pas mal grandi depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

N’ayant rien à répondre à cela, Luke attendit en silence tandis que Kenobi se replongeait dans une profonde méditation. Au bout d’un moment, le vieil homme bougea, ayant manifestement pris une décision importante.

— Tout ceci me rappelle, déclara-t-il avec une bonhomie trompeuse, que j’ai quelque chose pour toi ici.

Il se leva et se dirigea vers un coffre massif et démodé et commença à fouiller dedans. Il déplaça toutes sortes d’objets intrigants et les posa n’importe où, avant de les remettre dans le coffre. Luke en reconnut quelques-uns. Comme Kenobi était visiblement à la recherche de quelque chose d’important, il s’abstint de demander quoi que ce fût à propos de tout ce bric-à-brac aguichant.

— Quand tu serais assez grand, disait Kenobi, ton père voulait que tu aies ceci… si je retrouve jamais ce fichu truc. Une fois déjà, j’ai essayé de te le donner, mais ton oncle ne l’a pas permis. Il croyait que tu en tirerais des idées folles et que tu finirais par suivre le vieil Obi-wan dans quelque croisière idéaliste.

« Tu vois, Luke, c’est là-dessus que ton père et ton oncle Owen n’étaient pas d’accord. Lars n’est pas un homme à laisser l’idéal prendre le pas sur les affaires, tandis que ton père pensait que ces questions ne valaient même pas la peine qu’on en discute. Ses décisions sur ce genre de problèmes se prenaient comme lorsqu’il pilotait – instinctivement.

Luke hocha la tête. Il acheva de nettoyer les dernières miettes de grès et tourna la tête pour trouver un dernier composant avant de refermer la poitrine ouverte de 3PO. Ayant repéré le module limitateur, il ouvrit les loquets d’accueil dans la machine et entreprit de les visser dans leur logement. Luke observait les opérations et parut ciller.

Luke regarda un long moment ses photorécepteurs de métal et de plastique. Puis il posa ostensiblement le module sur l’établi et referma la poitrine du robot. 3PO resta silencieux.

Un grognement leur parvint, de derrière. Luke se tourna et vit Kenobi s’avancer vers eux, l’air ravi. Il tendit à Luke un petit appareil à l’air inoffensif que le jeune homme examina avec intérêt.

C’était essentiellement une poignée courte et épaisse avec une paire de petits interrupteurs encastrés dedans. Au-dessus de ce petit bâton, un disque de métal à peine plus grand que sa main ouverte. Un grand nombre de composants inconnus qui ressemblaient à des pierres précieuses étaient incrustés dans le manche et dans le disque, y compris dans ce qui paraissait être la plus petite cellule énergétique que Luke eût jamais vue. L’autre face du disque était polie et brillait comme un miroir. Mais c’était la cellule énergétique qui déroutait le plus le jeune homme. Quelle que fût la nature de l’objet, il lui fallait une grande quantité d’énergie, à en croire la forme puissante de la cellule.

En dépit de l’affirmation de Kenobi, selon qui l’objet avait appartenu à son père, il avait l’air d’avoir été fabriqué très récemment. Le vieil homme l’avait visiblement conservé avec soin. Seules quelques petites éraflures sur la poignée témoignaient d’un usage antérieur.

— Messire ? fit une voix familière que Luke n’avait pas entendue depuis un moment.

— Comment ?

Luke sursauta, absorbé par son examen.

— Si vous n’avez pas besoin de moi, déclara 3PO, je crois que je vais me débrancher un moment. Cela aidera les nerfs de mon articulation à se ressouder et, de toute façon, j’ai besoin d’un nettoyage interne.

— Bien sûr, vas-y, dit Luke d’une voix absente, s’en retournant à son étude fascinante de l’engin de Kenobi. Derrière lui, 3PO devint silencieux et la lueur qui brillait dans ses yeux disparut momentanément. Luke remarqua que Kenobi l’observait avec intérêt.

— Qu’est-ce que c’est ? finit-il par demander, incapable d’identifier l’appareil malgré tous ses efforts.

— Le sabrolaser de ton père, lui dit Kenobi. À une époque, on s’en servait beaucoup. On s’en sert encore, dans certains coins de la galaxie.

Luke examina les commandes sur la poignée puis caressa un bouton aux couleurs brillantes situé près du pommeau poli. Instantanément, le disque émit un rayon bleu-blanc aussi épais que le pouce. Il était dense au point d’être opaque et mesurait un peu plus d’un mètre de long. Il ne s’effilait pas et restait aussi brillant et intense à l’extrémité que près du disque. Bizarrement, Luke ne sentait aucune chaleur en sortir bien qu’il fit très attention de ne pas y toucher. Il savait ce que pouvait faire un sabrolaser bien qu’il n’en eût jamais vu auparavant. Il pouvait percer un trou dans les murs de pierre de la caverne de Kenobi – ou à travers un corps humain.

— Ceci était l’arme de cérémonie des Chevaliers Jedi, expliqua Kenobi. Pas quelque chose de simplet et d’imprécis comme un blaster moderne. Il faut davantage d’habileté que la simple vision pour s’en bien servir. Une arme élégante. C’était également un symbole. Tout le monde peut utiliser un blaster ou un découpeur à fusion – mais se servir correctement d’un sabrolaser, c’était la marque d’un individu supérieur d’une coudée au commun.

Le vieil homme arpentait la pièce de la caverne tout en parlant.

— Pendant plus de mille générations, Luke, les Chevaliers Jedi ont été les forces les plus puissantes et les plus respectées de la galaxie. Ils ont servi de gardiens et de garants à la paix et à la justice dans l’ancienne république.

Comme Luke ne demandait pas ce qui leur était arrivé depuis, Kenobi leva les yeux et vit que le jeune homme fixait le vide et qu’il n’avait pour ainsi dire rien entendu du discours de son aîné. Tout autre que lui aurait réprimandé Luke pour son manque d’attention. Pas Kenobi. Plus sensible que la plupart, il attendit patiemment que le silence pesât assez fort sur le jeune homme pour que celui-ci recommençât à parler.

— Comment mon père est-il mort ? demanda-t-il lentement.

Kenobi hésita et Luke sentit que le vieil homme ne souhaitait pas parler de ce sujet en particulier. Cependant, contrairement à Owen Lars, Kenobi était incapable de se réfugier dans un mensonge confortable.

— Il a été trahi et assassiné, déclara Kenobi avec solennité, par un très jeune Jedi du nom de Dark Vador. (Il ne regardait plus Luke.) Un garçon que je formais. Un de mes plus brillants disciples… un de mes plus cuisants échecs.

Kenobi reprit ses allées et venues.

— Vador s’est servi de la formation que je lui ai donnée et de la force qui l’habitait pour faire le mal, pour aider les empereurs corrompus. Une fois les Chevaliers Jedi dispersés, désorganisés ou morts, rares furent ceux qui s’opposèrent à Vador. Aujourd’hui, tous ont disparu.

Une expression indéchiffrable traversa le visage de Kenobi.

— À bien des égards ils étaient trop bons, ils avaient trop confiance en leur propre honnêteté. Ils mettaient trop de foi en la stabilité de la République. Ils ne se rendaient pas compte que si le corps était sain, la tête devenait de plus en plus malade et faible, la laissant ouverte à la manipulation d’un empereur.

« J’aurais souhaité connaître les objectifs de Vador. J’ai parfois le sentiment qu’il se réserve pour fomenter quelque abomination incompréhensible. Telle est la destinée de celui qui maîtrise la Force et qui est consumé par sa face obscure.

L’incompréhension tordit le visage de Luke.

— Une force ? C’est la seconde fois que vous parlez d’une « force ».

— J’oublie parfois devant qui je bavarde, admit Kenobi. Disons simplement que la Force est quelque chose dont un Jedi doit venir à bout. Comme elle n’a jamais été correctement expliquée, les savants ont prétendu qu’il s’agissait d’un champ d’énergie engendré par les êtres vivants. L’homme primitif soupçonnait son existence mais est resté dans l’ignorance de ses possibilités pendant des millénaires.

« Seuls certains individus ont su reconnaître la Force pour ce qu’elle est. On les a étiquetés sans merci : charlatans, faussaires, mystiques – et souvent pire. Certains, encore moins nombreux, ont su s’en servir. Comme elle dépassait en général leur maîtrise, assez primaire, elle était trop puissante pour eux. Leurs compagnons ne les comprenaient plus – et, alors, le pire se produisait.

Kenobi fit un grand geste large des deux bras.

— La Force entoure chacun de nous. Certains hommes croient qu’elle dirige notre action et non l’inverse. La connaissance de la Force et la façon de la manipuler étaient ce qui donnait aux Jedi leur pouvoir particulier.

Kenobi baissa les bras et fixa Luke au point que le jeune homme commença à s’agiter, mal à l’aise. Quand il reprit la parole, ce fut d’une voix si tranchante et sans âge que Luke sursauta malgré lui.

— Tu dois aussi apprendre les voies de la Force, Luke — si tu dois venir avec moi en Alderaan.

— Alderaan ! (Luke sauta au bas de sa chaise, l’air abasourdi.) Je ne vais pas en Alderaan. Je ne sais même pas où se trouve Alderaan.

Les vaporateurs, les robots, la moisson, tout sembla brusquement fondre sur lui. Les meubles bizarres et les engins inconnus devinrent soudain effrayants. Il regarda autour de lui comme un fou, essayant d’éviter le regard perçant de Ben Kenobi… Le vieux Ben… le fou… le général Obi-wan…

— Il faut que je rentre à la maison, se surprit-il à murmurer d’une voix pâteuse. Il est tard. Je suis bon, comme qui dirait. (Se souvenant de quelque chose, il fit un geste en direction de la masse immobile de R2-D2.) Vous pouvez garder le robot. Il semble aussi tenir à vous. Je trouverai bien une explication à donner à mon oncle — j’espère, ajouta-t-il d’un air morne.

— J’ai besoin de ton aide, Luke, expliqua Kenobi avec un mélange de tristesse et de fermeté. Je me fais trop vieux pour ces aventures. Je ne peux plus me fier à moi seul pour mener à bien cette mission. Elle est beaucoup trop importante. (Il hocha la tête en direction de R2-D2.) Tu as vu et entendu le message.

— Mais… Je ne peux pas me laisser embarquer dans une histoire pareille, protesta Luke. J’ai du travail à faire ; nous avons la récolte à rentrer — même si oncle Owen accepte d’engager quelques bras supplémentaires. Non, je ne peux rien faire. Pas maintenant. D’ailleurs, tout cela est si loin d’ici. Toute cette histoire ne me concerne vraiment pas.

— On croirait entendre ton oncle, fit remarquer Kenobi sans rancœur.

— Oh, sacrebleu ! L’oncle Owen… Comment vais-je lui expliquer tout ça ?

Le vieil homme réprima un sourire, conscient que le destin de Luke avait déjà été fixé en dehors de lui. Il avait été scellé cinq minutes avant qu’il n’apprenne la façon dont son père était mort. Il avait été décidé avant cela même, quand il avait entendu le message complet. Il avait été fixé dans la nature des choses quand il avait vu pour la première fois le portrait implorant de la belle sénateur Organa, gauchement projeté par le petit droïde. Kenobi haussa les épaules en son for intérieur. Ce destin avait vraisemblablement été fixé avant même la naissance du garçon. Non que Ben crût à la prédestination mais il croyait réellement à l’hérédité et à la Force.

— Souviens-toi, Luke, la souffrance d’un seul homme est la souffrance de tous. Les distances n’ont rien à faire avec l’injustice. Si on ne l’arrête pas suffisamment tôt, le mal finit par atteindre tous les hommes et par les engloutir, qu’ils l’aient combattu ou ignoré.

— Je suppose, confessa Luke nerveusement, que je pourrais effectivement vous emmener au moins jusqu’à Anchorhead. De là-bas, vous pourrez trouver à vous embarquer pour Mos Eisley, ou l’endroit que vous voudrez.

— Très bien, acquiesça Kenobi. Cela fera très bien l’affaire pour commencer. Ensuite, tu feras ce que tu estimeras, ce que tu sentiras juste.

Luke se détourna, vraiment perplexe.

— D’accord. Pour le moment je ne me sens pas très bien…

La cellule était très faiblement éclairée. Seulement le strict minimum. Il y en avait à peine assez pour voir le noir métal des murs et du haut plafond. La cellule était conçue pour maximiser les sentiments de détresse des prisonniers et elle y réussissait fort bien. Au point que l’unique occupante sursauta quand un ronronnement commença de résonner dans un coin de la pièce. La porte métallique qui s’ouvrit était aussi épaisse que son corps – comme si, songea-t-elle amèrement, ils avaient peur qu’elle puisse traverser quelque chose de moins massif avec ses mains nues pour toute arme.

Tendant le cou au-dehors, la jeune femme vit plusieurs gardes impériaux se mettre au garde-à-vous dans le couloir. Les dévisageant d’un air de défi, Leia Organa recula contre le mur du fond.

Son expression décidée disparut dès qu’une monstrueuse silhouette noire entra dans la cellule, glissant en douceur comme sur des rails. La présence de Vador lui écrasa l’esprit aussi complètement qu’un éléphant écraserait une coquille d’œuf. Ce scélérat était suivi par une sorte de bonhomme filiforme tout parcheminé, à peine moins effrayant malgré son allure de nain à côté du Seigneur Noir.

Dark Vador fit un geste à quelqu’un dehors. Un engin qui bourdonnait comme une abeille géante approcha et glissa dans l’ouverture de la porte. Leia suffoqua à la vue du sombre globe de métal. Il flottait grâce à des répulseurs autonomes et évoquait une araignée aux bras métalliques innombrables. Ces bras étaient munis d’une multitude de délicats instruments.

Leia examina craintivement l’étrange engin. Elle avait entendu des rumeurs à propos de telles machines, mais elle n’avait jamais vraiment cru que des techniciens impériaux construisaient ces monstruosités. Incorporés dans sa mémoire sans âme, la sphère portait toutes les barbaries, tous les outrages connus de l’humanité – et de plusieurs races non humaines.

Vador et Tarkin restaient debout, tranquillement, pour donner tout le temps à la jeune femme d’étudier le cauchemar en suspension. Le gouverneur en particulier ne croyait pas que la simple présence de l’engin provoquerait en elle un choc suffisant pour l’amener à révéler les informations dont il avait besoin. Non pas, se disait-il, que la séance qui suivrait ne s’annonçât particulièrement désagréable. Il y avait toujours beaucoup à apprendre dans ce genre de face-à-face. Et le sénateur promettait d’être un sujet des plus intéressants.

Au bout d’un long moment, il s’avança vers l’engin.

— Et maintenant, Sénateur Organa, Princesse Organa, nous allons parler de la localisation de la principale base rebelle.

L’engin avança lentement vers elle, augmentant son bourdonnement. Sa forme sphérique indifférente effaça Vador, le gouverneur, le restant de la cellule… la lumière…

Des sons étouffés traversaient les murs de la cellule et l’épaisse porte, résonnant dans le couloir de l’autre côté. Ils faisaient à peine intrusion dans la paix et le silence du couloir longeant la pièce hermétiquement close. Même ainsi, les gardes en faction immédiatement devant la cellule se trouvaient des excuses pour s’éloigner et rester à une certaine distance, là où ces sons étrangement modulés ne pouvaient plus du tout être entendus.