7
LUKE et Ben installaient R2-D2 à l’arrière du speeder tandis que 3PO surveillait l’arrivée éventuelle d’autres soldats.
— Si le navire est aussi rapide que son capitaine est hâbleur, tout ira bien, remarqua le vieil homme avec satisfaction.
— Mais deux mille — et quinze mille de plus quand nous atteindrons Alderaan !
— Ce ne sont pas les quinze mille qui m’inquiètent ; ce sont les deux premiers, fit Kenobi. Je crains que tu ne doives vendre ton speeder.
Luke laissa errer son regard sur l’appareil, mais les joies qu’il lui avait fait connaître autrefois avaient disparu – disparu avec d’autres choses qu’il valait mieux ne pas trop évoquer.
— Ça ne fait rien, assura-t-il avec indifférence. Je ne reviendrai jamais sur cette planète.
De leur point de vue, à une autre table, Solo et Chewbacca observaient les Impériaux parcourir le bar. Deux d’entre eux lancèrent un coup d’œil incertain au Corellien. Chewbacca grogna et les deux soldats hâtérent un peu le pas.
Solo se tourna vers son associé, un sourire sardonique aux lèvres.
— Chewie, cette affaire peut sauver nos têtes. Dix-sept mille ! (Il secoua la tête sans y croire.) Ces deux cocos doivent vraiment être au bout du rouleau, Chewie. Je me demande pourquoi on les recherche. Mais j’ai accepté, pas de question. Ils payent suffisamment pour cela. Allons-y, le Faucon ne se préparera pas tout seul.
— Tu vas quelque part, Solo ?
Le Corellien ne put identifier la voix car elle sortait d’un traducteur électronique. En revanche il n’eut aucun mal à reconnaître l’auteur et le canon qu’il appuyait contre ses côtes.
La créature avait deux pieds et à peu près une taille humaine mais sa tête évoquait plus le délire d’un estomac malade. Elle avait d’immenses yeux à facettes qui saillaient sur son visage vert petit pois. Une crête de courtes épines ornait le dessus du grand crâne tandis que les narines et la bouche étaient contenues dans une trompe, façon tapir.
— À dire vrai, répliqua lentement Solo, j’allais justement voir ton patron. Tu peux dire à Jabba que j’ai l’argent que je lui dois.
— C’est ce que tu as dit hier, et aussi la semaine dernière, et la semaine d’avant. C’est trop tard, Solo. Je ne retourne pas voir Jabba pour lui raconter tes sornettes.
— Mais j’ai vraiment l’argent, cette fois ! protesta Solo.
— Parfait. Donne-le-moi maintenant, s’il te plaît.
Solo se rassit lentement. Les mignons de Jabba avaient la gâchette facile. La créature prit un siège en face de lui ; le canon de l’affreux petit pistolet ne quittait pas la poitrine de Solo.
— Je ne l’ai pas ici sur moi ; dis à Jabba…
— Je crois que c’est trop tard. Jabba préférerait avoir ton navire.
— Sur mon cadavre, dit Solo d’une voix dure.
La créature ne parut pas impressionnée.
— Si tu insistes. Viens-tu dehors ou préfères-tu que j’en finisse ici ?
— Je ne crois pas qu’ils aimeraient un second meurtre ici, souligna Solo.
Une sorte de rire sortit du traducteur de la créature.
— Ils le remarqueront à peine. Lève-toi, Solo. Il y a bien longtemps que j’attends ce moment. Tu m’as mis dans une situation impossible vis-à-vis de Jabba avec tes excuses bidon, la dernière fois.
— Je crois que tu as raison, pauvre cave.
L’éclair et le bruit inondèrent ce petit coin de la taverne. Quand tout redevint normal, il ne restait de l’onctueuse créature qu’une petite tache visqueuse et fumante sur le sol de pierre.
Solo sortit de dessous la table sa main qui tenait encore l’arme fumante, attirant les regards médusés de plusieurs clients et les rires étouffés d’autres, plus expérimentés. Ils avaient su que la créature avait commis une erreur fatale quand elle avait donné à Solo l’occasion de mettre ses mains hors de vue.
— Il en faudra beaucoup d’autres de ton espèce pour m’avoir. Jabba le Hutt lésine toujours sur ses hommes de main.
Quittant la banquette, Solo lança au gérant une poignée de pièces de monnaie avant de s’en aller avec Chewbacca.
— Pour la femme de ménage.
Des soldats lourdement armés se hâtaient dans la ruelle étroite, lançant de temps en temps des regards méchants aux êtres vêtus de sombre qui colportaient des denrées exotiques sur de petits étals. Ici, dans le centre de Mos Eisley, les murs étaient hauts et étroits, transformant les ruelles en tunnels.
Personne ne se retourna sur eux avec colère ; personne ne proféra d’imprécations ni d’injures. Ces silhouettes en armure avançaient avec l’autorité de l’Empire, leurs armes bien en évidence et prêtes à servir. Tout autour, des hommes, des non-hommes et des robots se pressaient dans les entrées pleines d’ordures. Au milieu de cette accumulation de saletés et de détritus, ils échangeaient des renseignements et concluaient des transactions d’une légalité douteuse.
Un vent brûlant parcourut la ruelle et les soldats serrèrent leur formation. Leur précision et leur ensemble masquaient la peur qu’ils éprouvaient dans ces quartiers aussi fermés.
L’un d’eux s’arrêta pour tâter une porte ; il constata qu’elle était solidement fermée et verrouillée. Un homme couvert de sable qui traînait la jambe non loin assena au soldat une harangue à demi folle. Haussant intérieurement les épaules, le soldat lança au dément un regard acide avant de filer dans la ruelle rejoindre ses compagnons.
Dès qu’ils eurent disparu, la porte s’entrouvrit et un visage métallique apparut. Entre les jambes de 3PO, un tonneau de forme ramassée essaya de voir quelque chose.
— J’aurais bien préféré accompagner messire Luke plutôt que de rester avec toi. Mais les ordres sont les ordres. Je ne sais pas exactement quelle est la raison de tous ces ennuis mais je suis bien certain que ce doit être de ta faute.
R2 répondit par un impossible bip de ricanement contenu.
— Ne jure pas comme un charretier, l’avertit le grand droïde.
Dans le lot poussiéreux, on pouvait compter sur les doigts de la main le nombre de vieux speeders et d’autres moyens de transport capables de se déplacer. Mais Luke et Ben s’en moquaient bien pendant qu’ils marchandaient avec le grand propriétaire, légèrement insectoïde, car ils étaient là pour vendre, non pour acheter.
Aucun passant n’accorda aux trois silhouettes agitées la moindre curiosité. Des transactions analogues, qui ne regardaient personne que les intéressés, avaient lieu cinq cents fois par jour à Mos Eisley.
Finalement, on arriva au terme de l’échange de protestations et de menaces. Comme s’il lui faisait don de son propre sang, le propriétaire conclut la vente en donnant à Luke quelques petits objets métalliques. Luke et l’insectoïde échangèrent des au revoir polis et ils s’en allèrent chacun de leur côté, tous deux convaincus qu’ils avaient fait une bonne affaire.
— Il dit que c’est le mieux qu’il puisse faire. Depuis la sortie du XP 38, on ne les demande plus tellement, soupira Luke.
— N’aie pas l’air si découragé, lui dit Kenobi. Ce que tu as obtenu nous suffira. J’ai assez pour ce qui manque.
Quittant la rue principale, ils s’enfoncèrent dans une ruelle et croisèrent un petit robot qui conduisait un troupeau de créatures ressemblant à des fourmiliers tout maigres. En tournant le coin, Luke se retourna et lança un coup d’œil désolé à son vieux speeder – son dernier lien avec sa vie d’avant. Et puis il ne fut plus temps de regarder en arrière.
Quelque chose de petit et de sombre qui aurait pu être humain en dessous de tous les manteaux qui l’emmitouflaient sortit de l’ombre tandis qu’ils s’éloignaient après avoir tourné le coin. La chose continua de les contempler jusqu’à ce qu’ils eurent disparu au détour de la ruelle.
L’entrée du quai où se trouvait l’engin spatial en forme de soucoupe était complètement cernée par une demi-douzaine de créatures. Un vieux tas de muscles et de graisse, immense, surmonté par un crâne dégarni et couturé inspecta avec satisfaction le demi-cercle de spadassins. S’avançant devant eux, il lança vers le navire :
— Sors de là, Solo ! Tu es encerclé !
— Dans ce cas, vous regardez du mauvais côté, fit une voix calme.
Jabba le Hutt sauta – en soi un spectacle étonnant. Ses sbires firent volte-face et virent Han Solo et Chewbacca debout derrière eux.
— Tu vois, je t’ai attendu, Jabba.
— Je le savais bien, admit le Hutt, à la fois satisfait et inquiet, car ni Solo ni le grand Wookie ne semblaient armés.
— Je ne suis pas le genre de gars à fuir, dit Solo.
— Fuir ? Fuir quoi ? rétorqua Jabba.
L’absence d’arme visible inquiétait beaucoup plus Jabba qu’il ne voulait l’admettre. Il y avait quelque chose de bizarre et il valait mieux ne pas prendre de décisions hâtives avant de savoir exactement ce qui ne collait pas.
— Han, mon garçon, parfois tu me déçois. Je veux simplement savoir pourquoi tu ne m’as pas payé… comme tu aurais dû le faire depuis longtemps. Et pourquoi a-t-il fallu que tu grilles le pauvre Greedo comme ça ? Après tout ce que nous avons traversé ensemble, toi et moi ?
Solo sourit durement.
— Ça suffit, Jabba. Il n’y a pas assez d’émotion dans ta carcasse pour réchauffer une bactérie orpheline. Quant à Greedo, tu l’avais envoyé me tuer.
— Pourquoi, Han, protesta Jabba, étonné, pourquoi ferais-je cela ? Tu es le meilleur contrebandier de la profession. Tu as trop de valeur pour qu’on te grille. Greedo ne faisait que transmettre mon souci bien naturel concernant tes retards. Il n’allait pas te tuer.
— Je pense qu’il le croyait. La prochaine fois, n’envoie pas un de tes salopards à gages. Si tu as quelque chose à me dire, viens me voir en personne.
Jabba secoua la tête et ses bajoues tremblèrent – échos de chair paresseux de sa peine factice.
— Han, Han ! Si seulement tu n’avais pas jeté par-dessus bord cette cargaison d’épices ! Tu comprends… Je ne peux pas faire d’exception. Où serais-je si tous les pilotes qui travaillent pour moi jetaient leur chargement au premier navire de guerre impérial venu ? Et qu’ensuite ils me montrent leurs poches vides quand j’exige réparation ? Ce ne sont pas les affaires. Je sais être généreux, je peux pardonner, mais pas au point de faire faillite.
— Tu sais très bien que même moi je me fais pincer de temps en temps, Jabba. Crois-tu que j’ai jeté ces épices parce que je ne supportais plus leur odeur ? Je voulais tout autant les livrer que tu désirais les recevoir. Je n’avais pas le choix. (À nouveau le sourire sardonique.) Comme tu dis, j’ai trop de valeur pour griller. Or, j’ai un engagement et je peux te payer ce que je te dois, plus un petit quelque chose. Il me faut juste encore un peu de temps. Je peux te donner mille d’acompte, le reste dans trois semaines.
La forme flasque parut envisager la proposition et s’adressa non plus à Solo mais à ses sbires.
— Rangez vos armes.
Son regard et son sourire carnassier revinrent se fixer sur le Corellien.
— Han, mon garçon, je fais cela uniquement parce que tu es le meilleur et que j’aurai encore besoin de toi. Donc, dans la grandeur de mon âme et d’un cœur clément — et pour un supplément de, disons, vingt pour cent — je t’accorde un petit délai. Mais c’est la dernière fois. Si tu me déçois encore, si tu foules aux pieds ma générosité avec ton rire moqueur, je mettrai ta tête à prix pour une telle somme que tu ne pourras plus approcher d’un système civilisé pour le restant de tes jours, parce que sur tous, ton nom et ton visage seront connus d’hommes qui t’étriperont volontiers pour le dixième de ce que je leur promettrai.
— Je suis heureux que nous ayons tous deux mes intérêts à cœur, répliqua Solo avec affabilité comme Chewbacca et lui passaient devant les yeux ébahis des tueurs à gages du Hutt. — Ne t’en fais pas, Jabba, je te paierai. Mais pas parce que tu me menaces. Je te paierai parce que… c’est mon bon plaisir.
— Ils commencent à fouiller le centre du port spatial, déclara le commandant qui devait faire deux pas en courant et un normal pour rester à la hauteur de Dark Vador.
Le Seigneur Noir était profondément plongé dans ses pensées tandis qu’il descendait un des couloirs principaux de la station amirale, suivi par plusieurs assistants.
— Les rapports commencent juste à arriver, poursuivit le commandant. Ce n’est qu’une question de temps. Nous attraperons ces robots.
— Envoyez davantage d’hommes s’il le faut. Ne vous occupez pas des protestations du gouverneur planétaire — il faut que j’aie ces robots. C’est l’espoir qu’elle met dans l’utilisation de ces données qui est la clef de voûte de sa résistance aux épreuves mentales.
— Je comprends, seigneur Vador. Jusque-là, nous devons perdre notre temps avec le stupide projet du gouverneur Tarkin pour la briser.
— Voici le quai quatre-vingt-quatorze, dit Luke à Kenobi et aux robots qui l’avaient rejoint, et voici Chewbacca. Il a l’air tout excité.
De fait, le grand Wookie lui adressait de grands signes par-dessus la tête des gens et il hurlait des paroles incompréhensibles. Accélérant l’allure, aucun des quatre ne remarqua la petite chose vêtue de sombre qui les avait suivis depuis le garage.
La créature entra dans le vestibule et sortit un mini-émetteur d’une poche dissimulée dans sa robe aux replis multiples. L’émetteur avait l’air beaucoup trop neuf et récent pour appartenir à un spécimen aussi décrépit et pourtant il parlait dedans avec une assurance tranquille.
Le quai quatre-vingt-quatorze, remarqua Luke, ne différait guère d’une quantité d’autres quais au nom grandiose, dispersés à travers Mos Eisley. C’était essentiellement une rampe d’accès à un énorme puits creusé dans le sol rocheux. Il servait de rayon de débattement aux effets de la simple poussée antigravitationnelle qui expulsait les engins spatiaux hors du champ d’attraction de la planète.
Les calculs de poussée étaient assez simples, même pour Luke. L’antigravité ne pouvait opérer que lorsqu’on disposait d’une gravité suffisante pour s’appuyer dessus – celle d’une planète par exemple – tandis que le voyage en ultralux, au-delà de la vitesse de la lumière, ne pouvait se dérouler que lorsqu’un navire était sorti de ce champ de gravitation. D’où la nécessité d’un double équipement sur tous les engins qui voyageaient d’un système à un autre.
Le puits qui constituait le quai quatre-vingt-quatorze était aussi grossièrement taillé que la majorité de ceux de Mos Eisley. Ses flancs inclinés s’écroulaient par endroits au lieu d’être soigneusement polis comme les rampes de lancement installées sur des mondes plus peuplés. Luke eut l’impression que c’était un décor parfait pour l’engin spatial vers lequel Chewbacca les conduisait.
Cet ellipsoïde cabossé qu’on ne pouvait qu’à peine nommer navire donnait l’impression d’avoir été fait de vieux morceaux de coque et de rebuts d’autres appareils. La merveille, songea Luke, c’était que la chose avait en fait une forme. Essayer d’imaginer que ce véhicule pouvait voguer dans l’espace lui aurait donné une crise de nerfs, si la situation n’avait pas été aussi grave. Mais imaginer un voyage vers Alderaan dans ce pathétique…
— Quel tas de ferraille, murmura-t-il enfin, incapable de dissimuler plus avant ses sentiments. (Ils montaient le long de la rampe vers le sabord ouvert.) Cette chose ne peut pas vraiment voyager dans l’hyper-espace…
Kenobi ne fit aucune remarque et se contenta de faire un geste vers le sabord : une silhouette arrivait à leur rencontre.
Soit Solo avait une ouïe surnaturelle soit il avait l’habitude des réactions que suscitait le Faucon Millénium.
— Ce coucou est peut-être moche à voir, confessa-t-il en approchant d’eux, mais il en a dans le ventre et c’est ce qui compte. J’ai ajouté moi-même quelques dispositifs uniques. Quand je ne pilote pas, j’aime bien bricoler. Il atteint sans problème le facteur zéro cinq au-delà de la vitesse de la lumière.
Luke se gratta la tête, essayant de comparer l’appareil aux prétentions de son propriétaire. Soit le Corellien était le plus grand menteur de ce côté de la galaxie, soit ce vaisseau recelait plus de choses qu’on n’en voyait. Luke repensa au conseil du vieux Ben : ne jamais se fier aux impressions superficielles. Il décida de réserver son jugement sur le navire et son pilote jusqu’à ce qu’il les eût vus à l’œuvre.
Chewbacca était resté en arrière à l’entrée du quai. Il montait maintenant la rampe en courant. Tourbillon poilu, il se mit à parler à Solo avec véhémence. Le pilote le considéra calmement, hochant la tête de temps à autre, puis il aboya une brève réponse. Le Wookie se précipita alors dans le navire, ne s’arrêtant que pour presser les autres de le suivre.
— Il semble que nous soyons pressés, expliqua Solo mystérieusement, aussi, si vous voulez bien vous dépêcher de monter à bord, nous pourrons partir.
Luke était sur le point de risquer une ou deux questions mais Kenobi le poussait déjà en haut de la rampe. Les robots suivirent.
À l’intérieur, Luke fut légèrement surpris de voir le gros Chewbacca se glisser péniblement dans le fauteuil de pilotage qui, malgré quelques modifications, semblait écrasé par sa massive silhouette. Le Wookie brancha plusieurs contacts minuscules avec des doigts apparemment trop grands pour y parvenir. Les grandes griffes se mouvaient avec une grâce surprenante au-dessus des commandes.
Un profond ronronnement naquit quelque part à l’intérieur du navire. Luke et Ben s’attachèrent dans les sièges libres installés dans la cabine centrale.
Dehors, à l’entrée du quai, un long appendice de cuir émergea des sombres replis d’un manteau et, quelque part dans les profondeurs de chaque côté de cette imposante trompe, des yeux observèrent avec intensité. Ils tournèrent, avec le restant de la tête, tandis que déboulait une escouade de huit soldats impériaux. Comme on aurait pu s’y attendre, ils se dirigèrent droit vers l’énigmatique silhouette, qui murmura quelque chose au chef et montra le quai du doigt.
Le renseignement avait dû être important. Activant leurs armes et les levant en position de tir, les hommes foncèrent avec un bel ensemble vers l’entrée du quai.
Un éclair métallique attira le regard de Solo tandis qu’apparaissaient les silhouettes importunes des premiers soldats de choc. Solo estima qu’il y avait peu de chances qu’ils s’arrêtent pour entamer une conversation amicale. Ses soupçons se confirmèrent avant qu’il ait pu ouvrir la bouche pour protester contre cette intrusion, car plusieurs hommes tombèrent à genoux et ouvrirent le feu dans sa direction. Solo recula précipitamment à l’abri, se tournant pour hurler :
— Chewie ! Les écrans, vite ! Mets la gomme !
Un rugissement d’approbation rauque lui parvint en guise de réponse.
Sortant son pistolet, Solo réussit à tirer deux coups depuis l’abri relatif que lui offrait le sabord. Se rendant compte que leur proie n’était ni désespérée ni endormie, les soldats battirent en retraite pour se mettre à couvert.
Le lent ronronnement s’enfla en un hurlement, puis en un rugissement assourdissant tandis que la main de Solo s’abaissait sur le bouton du départ accéléré. Immédiatement, la trappe qui fermait le cockpit se verrouilla.
Alors que les soldats en retraite fonçaient pour sortir du quai, le sol se mit à trembler violemment. Ils se heurtèrent à une seconde escouade qui venait d’arriver en réponse à l’appel d’urgence qui se répandait rapidement. L’un des soldats, gesticulant comme un fou, essaya d’expliquer à l’officier qui venait d’arriver ce qui s’était passé sur le quai.
Dès que le soldat en eut terminé, l’officier sortit un émetteur-récepteur compact et cria dans le micro :
— Couverture aérienne… ils essaient de s’échapper ! Envoyez tout ce que vous avez à la poursuite de ce navire.
Dans tout Mos Eisley, les signaux d’alarme retentirent, en cercles concentriques à partir du quai quatre-vingt-quatorze.
Plusieurs soldats qui patrouillaient dans une ruelle réagirent à l’alarme générale au moment où ils virent le petit cargo s’élever gracieusement dans le ciel bleu clair au-dessus de Mos Eisley. Il leur fallut quelques secondes avant que l’un d’eux songeât à utiliser son arme.
Luke et Ben détachaient déjà leur ceinture d’accélération tandis que Solo passait devant eux, se rendant dans le cockpit du pas détendu et facile de l’habitué de l’espace. Une fois à l’avant, il tomba plutôt qu’il ne s’assit dans le fauteuil de pilotage et entreprit immédiatement de vérifier cadrans et instruments. Dans le siège voisin, Chewbacca grognait comme un moteur de speeder mal en point. Il abandonna l’étude de ses propres instruments assez longtemps pour montrer de son doigt énorme l’écran de poursuite radar.
Solo y lança un bref coup d’œil et se tourna avec irritation vers son propre tableau de bord.
— Je sais, je sais… ça ressemble à deux, voire trois chasseurs. Quelqu’un n’aime pas beaucoup nos passagers, pas de doute. Nous nous sommes mis dans une affaire délicate cette fois. Essaie de les tenir à distance comme tu pourras jusqu’à ce que je termine la programmation pour le saut dans l’hyperespace. Oriente les déflecteurs pour la protection maximum.
Ces instructions mirent fin à sa conversation avec le géant Wookie tandis que ses mains volaient au-dessus de la console du terminal d’ordinateur. Solo ne tourna même pas la tête quand un petit cylindre apparut dans l’encadrement de la porte derrière lui. R2-D2 exprima quelques remarques bip-bipantes, puis s’en fut.
Les hublots arrière montraient l’œil sinistre couleur citron de Tatooine qui rapetissait rapidement. Pas assez rapidement, pourtant, pour éliminer les trois points lumineux qui indiquaient la présence des vaisseaux de guerre impériaux lancés à leurs trousses.
Bien que Solo eût ignoré R2, il se tourna pour accueillir ses passagers humains.
— Nous en avons deux autres qui arrivent d’ailleurs, leur annonça-t-il en scrutant les instruments. Ils vont essayer de nous avoir avant le saut. Cinq navires… Qu’avez-vous donc fait tous les deux pour attirer tout ce monde ?
— Tu ne peux pas les distancer ? demanda Luke d’un ton sarcastique, sans tenir compte de la question du pilote. J’avais cru comprendre que la machine était rapide.
— T’énerve pas, gamin, sinon tu vas te retrouver en train de flotter vers chez toi. D’abord, ils sont trop nombreux. Mais nous serons en sécurité quand nous aurons fait le saut dans l’hyperespace. (Il eut un sourire de professionnel.) Personne ne sait filer un navire avec précision aux vitesses supra-lumineuses. En outre, je connais quelques trucs qui nous permettront de semer les plus obstinés. J’aurais bien aimé savoir plus tôt que vous étiez si populaires, les gars.
— Pourquoi ? demanda Luke d’un air de défi. Tu aurais refusé de nous emmener ?
— Pas forcément, répliqua le Corellien, refusant de mordre à l’appât. Mais j’aurais sûrement fait monter les tarifs.
Luke avait une réplique prête sur le bout de la langue. Elle y resta car il leva les bras pour se protéger d’un éclair rouge brillant qui donna à l’espace tout noir dans le hublot l’aspect momentané de la surface d’un soleil. Kenobi, Solo et même Chewbacca en firent autant. La proximité de l’explosion satura presque les boucliers phototropiques.
— Voilà où la situation devient intéressante, marmonna Solo.
— Encore combien de temps avant de faire le saut ? demanda Kenobi avec assurance, ne se souciant apparemment guère de savoir qu’à tout instant ils risquaient tous de cesser d’exister.
— Nous sommes encore sous l’influence de la gravité de Tatooine, fut la froide réponse. Il faudra encore quelques minutes avant que l’ordinateur puisse faire la compensation pour effectuer un saut précis. Je pourrais prendre moi-même la décision mais l’hypermoteur risquerait de claquer. Cela me donnerait un joli tas de métal fondu en plus de vous quatre.
— Quelques minutes, fit Luke effaré en regardant les écrans. À la vitesse à laquelle ils approchent…
— Voyager dans l’hyperespace, c’est pas vraiment comme rentrer la moisson, p’tit gars. Tu as déjà essayé de calculer un saut dans l’hyperespace ?
Luke dut secouer la tête.
— C’est pas un coup facile. Ce serait bien notre chance si, en se dépêchant comme on le fait, on passait juste à travers une étoile ou quelque autre phénomène spatial sympa comme un trou noir. Cela mettrait un terme vite fait à notre expédition.
De nouvelles explosions brillèrent à proximité malgré toutes les tentatives et évitements de Chewbacca. Sur la console de Solo, une lumière rouge commença de clignoter.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Luke nerveusement.
— Nous perdons un bouclier déflecteur, lui apprit Solo de l’air d’un homme à qui on va arracher une dent. Vous feriez mieux de retourner vous asseoir et de vous attacher. Nous sommes presque prêts à faire le saut. Ça pourrait faire mal si nous prenions un coup trop près au mauvais moment.
Dans la cabine centrale, 3PO était déjà solidement attaché dans son siège par ses bras métalliques, plus forts que toutes les ceintures d’accélération. R2 vacillait sous les chocs produits par les explosions d’énergie de plus en plus puissantes contre les déflecteurs protecteurs du navire.
— Ce voyage était-il vraiment nécessaire ? murmurait le grand droïde avec désespoir. J’avais oublié combien je déteste les voyages dans l’espace.
Il s’interrompit quand Luke et Ben firent leur apparition et commencèrent à s’attacher dans leurs fauteuils.
Bizarrement, Luke songeait à un chien qu’il avait eu autrefois quand quelque chose d’immensément puissant cogna la coque du navire avec la force d’un ange qui tombe.
L’amiral Motti pénétra dans la salle de conférences plongée dans le silence. Son regard se dirigea vers l’endroit où se tenait le gouverneur Tarkin, devant l’écran incurvé. Il s’inclina légèrement. Malgré la petite gemme verte qui avait fait son apparition sur l’écran, il annonça avec pompe :
— Nous avons pénétré dans le système d’Alderaan. Nous attendons vos ordres.
On frappa à la porte et Tarkin fit un geste faussement aimable à l’amiral.
— Attendez encore un instant, Motti.
La porte s’ouvrit et Leia Organa entra, flanquée de deux gardes armés, suivie de Dark Vador.
— Je suis…, commença Tarkin.
— Je sais qui vous êtes, gouverneur Tarkin, cracha la jeune femme. J’aurais dû m’attendre à ce que ce soit vous qui teniez la laisse de Vador. J’ai senti votre odeur méphitique dès que je suis montée à bord.
— Charmante, et si délicate, déclara Tarkin d’une façon qui suggérait qu’il était tout sauf charmé. Vous ne savez pas à quel point j’ai eu du mal à signer l’ordre d’en finir avec vous. (Son expression se transforma en un air de chagrin feint.) Bien sûr, si vous aviez coopéré à notre enquête, les choses auraient pu être différentes. Le seigneur Vador m’a informé que votre résistance à nos méthodes traditionnelles d’interrogatoire…
— De torture, vous voulez dire, le coupa-t-elle, légèrement tremblante.
— Ne jouons pas sur les mots, fit Tarkin en souriant.
— Je suis étonnée que vous ayez eu le courage de prendre la responsabilité de donner l’ordre vous-même.
— Je suis un homme très occupé, soupira Tarkin avec réticence, et les plaisirs que je me réserve sont peu nombreux. Voici l’un d’eux : avant votre exécution, j’aimerais que vous soyez mon invitée à l’occasion d’une petite cérémonie. Elle donnera à cette station de combat son certificat de marche opérationnelle tout en marquant le commencement d’une ère nouvelle, caractérisée par la suprématie technique impériale. Cette station est le dernier maillon de la nouvelle chaîne impériale qui unira les millions de systèmes de l’empire galactique une fois pour toutes. Votre chère Alliance ne nous préoccupera bientôt plus. Après la démonstration d’aujourd’hui, personne n’osera s’opposer à la volonté impériale, pas même le sénat.
Organa le regarda avec mépris.
— La force ne maintiendra pas l’unité de l’empire. La force n’a jamais maintenu très longtemps l’unité de quoi que ce soit. Plus vous resserrerez votre étreinte, plus les systèmes vous glisseront entre les doigts. Vous êtes un fou, gouverneur. Les fous étouffent souvent sous leurs propres illusions.
Tarkin eut un sourire de tête de mort ; son visage avait l’air d’un crâne recouvert de parchemin.
— Il sera intéressant de voir quelle sorte de trépas le seigneur Vador a imaginé pour vous. Je suis certain qu’elle sera digne de vous… et de lui. Mais, avant que vous ne nous quittiez, nous devons démontrer la puissance de cette station une fois pour toutes. D’une certaine façon, vous avez déterminé le choix du sujet de cette démonstration. Puisque vous avez refusé de nous livrer la localisation du repaire rebelle, j’ai estimé bon de choisir comme sujet de remplacement votre planète natale d’Alderaan.
— Non ! Vous n’avez pas le droit ! Alderaan est un monde paisible sans aucune armée. Vous ne pouvez pas…
— Vous préférez une autre cible ? demanda Tarkin, les yeux brillants. Une cible militaire, peut-être ? Nous sommes bon prince… dites-nous quel système. (Il haussa les épaules avec calcul.) Je commence à en avoir assez de ces jeux. Pour la dernière fois, où se trouve la base rebelle ?
Une voix annonça par un haut-parleur dissimulé qu’ils se trouvaient à portée d’antigravité d’Alderaan, approximativement six diamètres planétaires. C’était assez pour accomplir ce que tous les engins infernaux de Vador n’avaient pas réussi à faire.
— Dantooine, murmura-t-elle, les yeux fixés par terre, tout semblant d’orgueil évanoui. Ils sont sur Dantooine.
Tarkin laissa échapper un lent soupir de satisfaction puis il se tourna vers la noire silhouette toute proche.
— Et voilà, vous voyez, seigneur Vador ? Elle sait se montrer raisonnable. Il suffit simplement de poser la question correctement pour obtenir la réponse désirée.
Il dirigea son attention sur les autres officiers.
— Après en avoir terminé avec notre petit essai, nous nous hâterons de faire route sur Dantooine. Vous pouvez commencer l’opération, messieurs.
Il fallut plusieurs secondes pour que les paroles de Tarkin, prononcées sur un ton si banal, pénètrent dans le cerveau d’Organa.
— Quoi !
— Dantooine, expliqua Tarkin en examinant ses ongles, est trop éloigné des centres de population impériaux pour servir de sujet à une démonstration efficace. Vous comprendrez que, pour que les rapports concernant notre puissance se répandent rapidement dans tout l’Empire, nous avons besoin d’un monde turbulent plus central. N’ayez aucune crainte, cependant, nous nous occuperons de vos amis rebelles sur Dantooine le plus tôt possible.
— Mais vous avez dit…, commença à protester Organa.
— Seules comptent les dernières paroles prononcées, déclara Tarkin d’une voix coupante. Nous procéderons à la destruction d’Alderaan comme prévu. Ensuite, vous observerez avec plaisir en notre compagnie la façon dont nous anéantirons sur Dantooine la base de cette rébellion stupide et futile.
Il fit un geste à l’adresse des deux soldats qui l’escortaient.
— Emmenez-la au niveau d’observation principal (il sourit), et faites en sorte qu’elle assiste au spectacle depuis les premières loges.