CHAPITRE XXVIII

La coiffure de Mezhan Kwaad ondula pour saluer l’arrivée de Nen Yim au laboratoire.

— Parlez-moi de vos progrès, adepte ! exigea-t-elle sèchement.

— Nous avons bien avancé en votre absence, maîtresse. Il suffira d’une modification génétique mineure pour que l’implant-mémoire devienne permanent. Le seuil de résistance du sujet a déjà baissé depuis votre dernière visite.

— Oui, des jours de travail perdus ! s’irrita Mezhan Kwaad. Mais au moins vous étiez là, mon adepte. Vous avez continué avec compétence.

Nen Yim regarda Mezhan approcher du vivarium. Malgré son air perdu et son hébétude quasi continuelle, la Jeedai avait encore, au fond des yeux, des lueurs inquiétantes...

— Quel est votre nom ? demanda Mezhan Kwaad.

La jeune fille hésita à peine.

— Riina.

— Très bien. Nen Yim vous a expliqué ce qu’on vous a fait ?

— Un peu.

— Dites-moi de quoi vous gardez le souvenir.

— Les infidèles m’ont capturée quand j’étais enfant, à la frontière de leur galaxie. Ils m’ont modifiée pour que je leur ressemble et m’ont implanté de faux souvenirs avec leurs pouvoirs de Jeedai.

— Cela vous paraît-il exact ?

— Parfois... j’ai l’impression d’être... (Les poings serrés, elle haleta)... quelqu’un d’autre.

— Le conditionnement des infidèles était une réussite... Avant que nous vous arrachions à leurs griffes, ils ont cherché à effacer votre mémoire. Il y a eu beaucoup de dégâts.

— Je le sens..., répondit la Jeedai.

— Vous êtes née avec certains pouvoirs. On vous a nourri de mensonges à leur sujet. Mais nous faisons tout pour réparer ces ignominies. Hélas, Riina, les épreuves que vous avez subies ont peut-être détérioré ces pouvoirs...

— Je n’arrive même plus à y penser, dit la Jeedai.

Des gouttelettes jaillirent de ses conduits lacrymaux, roulant sur ses joues.

— Je vais vous aider... (Insonorisant de nouveau le vivarium, la maîtresse modeleuse ordonna à Nen Yim :) Arrêtez le Stimulateur.

L’adepte sursauta.

— Maîtresse, ce n’est peut-être pas avisé... La véritable personnalité du sujet reprend encore le dessus par moments. Nous avons fermé la plupart des synapses, mais si le facteur douleur est retiré...

— Les nouveaux souvenirs sont en place, n’est-ce pas ? Ils semblent fonctionner à merveille. Ils maintiendront notre sujet sur le droit chemin. Et ce ne sera pas long...

— Cette perturbation risque de nous retarder, insista Nen Yim.

— Qui est le maître ici ? dit Mezhan Kwaad, irritée. Mettez-vous en doute mes compétences ?

— Je suis un être pitoyable, maîtresse ! Bien entendu, je vous obéirai en tout. Je voulais seulement exprimer mes inquiétudes.

— Elles sont notées. Maintenant, désactivez le Stimulateur.

Nen Yim obéit. Mezhan Kwaad rendit de nouveau la membrane perméable au son. Sortant une petite pierre de la poche de son oozhith, elle la posa sur le sol.

— Autrefois, vous pouviez soulever un objet de cette taille par votre seule volonté, Jeedai. Recommencez.

— Je devrais faire appel à de faux souvenirs ! Ils me feront souffrir !

— Nous acceptons la douleur, incanta Mezhan Kwaad. Votre réticence est une faiblesse humaine qu’on a implantée en vous. Obéissez.

— Oui, maîtresse...

La Jeedai regarda la pierre, puis ferma les yeux. Son expression se ferma.

L’objet s’éleva, comme saisi par une main invisible. Mezhan Kwaad triompha.

— Nen Yim, analyse les zones cérébrales les plus actives !

— Oui, maîtresse.

— Riina, vous pouvez reposer la pierre, maintenant. La prisonnière obéit.

— Je croyais que ce serait douloureux...

— Vous voyez ? Votre guérison avance à pas de géant. Bientôt, vous vous souviendrez de votre véritable existence.

— J’aimerais tant..., commença la Jeedai.

— Oui ?

— J’ai l’impression d’être coupée en deux... Je voudrais redevenir un être complet !

— Vous y viendrez, affirma Mezhan Kwaad. N’ayez crainte. Maintenant, veuillez soulever de nouveau la pierre.

— Ces pouvoirs n’ont pas pour origine un seul centre cérébral, et ne sont pas générés par un organe précis, résuma Mezhan Kwaad, quand Nen Yim et elle examinèrent les résultats de leurs expériences. Elles se répartissent dans tout le réseau de neurones. Les ordres émanent du lobe frontal, le moteur de ses pensées cohérentes. Pourtant, il existe aussi une activité considérable dans le cervelet.

— Les ordres viennent peut-être de systèmes musculaires modifiés, avança Nen Yim.

— Je ne vois aucune preuve que cette jeune femelle ait été modifiée. Les infidèles semblent avoir une connaissance très sommaire de la biologie...

— Je voulais dire modifiée par sélection naturelle, d’une génération à l’autre.

— Une reproduction sélective ? Intéressant... D’après nos espions chez les infidèles, la « Force » est plus présente dans certaines familles. Les Jeedai s’accouplent souvent entre eux. Il nous faut d’autres spécimens si nous voulons progresser. L’incompétence des guerriers...

Elle sursauta et porta sa main à huit doigts à sa tête.

— C’est le moment. Je dois faire retirer la tumeur Vaa. Un retard de plus !

— Je croyais que c’était fait...

Mezhan Kwaad plissa le front.

— Pourquoi ?

— Vous avez été absente pendant deux cycles, maîtresse.

— En raison des idioties politiques de maître Yal Phaath ! Il a convoqué une réunion des maîtres, au sujet de la délégation des responsabilités sur le nouveau vaisseau-monde. J’ai été contrainte à une réclusion rituelle au plus mauvais moment.

— L’assistant que vous m’avez envoyé n’en a pas parlé ! Il m’a dit que vous aviez fait retirer votre tumeur Vaa.

L’effet de ces mots sur Mezhan Kwaad fut remarquable. Ses tentacules s’affaissèrent. Sa voix devint plus froide que de l’azote liquide.

— Quel assistant ?

— Tsun.

— Je ne connais personne de ce nom !

— Il m’a affirmé que vous me l’aviez envoyé !

— Et que je faisais retirer ma tumeur Vaa ?

— Oui. Il en savait long à mon sujet ! Et sur nos activités...

Mezhan Kwaad s’assit sur un coussin, se massant le crâne.

— Non..., soupira-t-elle. Il ne savait rien. Il soupçonnait que nous cédions à l’hérésie, et vous le lui avez stupidement confirmé. La convocation était une ruse pour m’éloigner. Yal Phaath a des preuves grâce à vous.

— Non !

— J’ai bien peur que si, lança une voix.

Se retournant, Nen Yim découvrit le commandant Tsaak Vootuh, flanqué de ses gardes personnels.

— C’est un damutek de modeleurs ! rappela Mezhan Kwaad. Je ne vous ai pas autorisé à y entrer.

— Et je me passerai de votre accord. J’agis sur ordre de maître Yal Phaath. Je suis chargé de vous mettre aux arrêts et de tout fouiller pour trouver des preuves.

— Des preuves de quoi ? cria Mezhan Kwaad. Ne nous insultez pas sans oser nous défier !

— Le chef d’accusation est l’hérésie, bien entendu, dit Tsaak Vootuh. Elle sera très vite étayée par des éléments incontournables, j’en ai le sentiment.