CHAPITRE XVI

 

Nen Yim regarda les vaisseaux du damutek se poser entre les arbres. Elle avait du mal à cacher sa satisfaction. Pourtant, trahir des émotions si puériles ne lui vaudrait rien de bon.

Circonspects et analytiques, les modeleurs ne regardaient rien avec émerveillement. Et ils n’agitaient pas les filaments de leur coiffure avec délectation...

Nen Yim ne fit donc rien de tout ça. Mais elle en mourait d’envie !

Une planète ! Enfin, techniquement, une lune... Mais un monde inconnu ! Les odeurs étranges qui s’en dégageaient, la bizarrerie de la pesanteur... Tout conspirait à lui faire bourdonner les tympans. Mais son excitation restait intérieure. À l’image du damutek au tronc épais, elle était une graine enfin arrivée dans le sol où elle germerait.

La terre...

Elle se pencha et ramassa une poignée d’humus noir. L’odeur, qu’elle n’avait jamais sentie, évoquait celle des canaux situés sous les mares de mernips, ou les exhalaisons des gueules luur des grands vaisseaux-mondes... Ce système absorbait les déchets à travers son vaste réseau de capillaires, les digérant puis les recyclant en aliments, en métaux et en air. Enfant, elle s’était souvent rendue devant la gueule luur de son vaisseau. Jusque-là, c’était la seule variante de vent qu’elle eût jamais connue.

— Votre première sortie sur un monde véritable, adepte ?

Nen Yim se tourna, pensant découvrir un autre adepte. Quand elle vit sa nouvelle maîtresse, Mezhan Kwaad, elle se hâta de placer les tentacules de sa coiffure en position de révérence.

— Vous pouvez poser les yeux sur moi, adepte.

— Oui, maîtresse.

Encore jeune, si Mezhan Kwaad n’avait pas été une modeleuse, elle aurait encore pu porter un enfant. Mais c’était l’unique forme de modelage interdite aux maîtres de sa caste. Son visage aux pommettes hautes portait les cicatrices frontales rituelles de son domaine. Sa main droite, celle d’un maître modeleur, comptait huit doigts. Conformément à l’esthétique de sa caste, d’autres modifications étaient plus discrètes. Les marques des sacrifices n’étaient pas externes. Et elle portait l’oozhith collant d’un maître, les cils minuscules frémissant quand la créature capturait les micro-organismes de l’air pour se nourrir.

— Répondez à ma question.

— Oui, maîtresse. Je n’avais jamais vu un univers extérieur à nos vaisseaux-mondes.

— Vos impressions ?

— Nos vaisseaux-mondes ont été construits pour défier les siècles. Yun-Yuuzhan a créé des planètes et des lunes au cours de milliards de cycles. Les ressources internes de cette lune se libèrent lentement... (Elle sonda la terre, à ses pieds.) Mais quelle sensation étrange... Et l’idée de la richesse inimaginable sur laquelle je me tiens. Sans parler de la vie ! Différente de la nôtre, d’une infinie variété, nullement créée pour nous servir !

La maîtresse modeleuse se rembrunit.

— Elle est faite pour nous servir. C’est la volonté des dieux : la vie doit nous servir. On vous l’a appris...

— Bien entendu, maîtresse. Je voulais seulement dire que nous ne l’avons pas encore modelée. Ce sera bientôt chose faite.

— En effet. Savez-vous pourquoi vous êtes une adepte, Nen Yim ? Pourquoi vous êtes ici, au lieu de corriger les mutations des rechams fixateurs du méthane dans une gueule luur détériorée ?

— Non, maîtresse.

— Parce que j’ai vu votre travail sur les cellules endocrines, dans le vaisseau-monde Baanu Kor.

— J’ai fait le nécessaire.

— Parfaitement bien ! À votre place, beaucoup se seraient contentés du modelage du tii. Pas vous. Vous avez utilisé le protocole Vul Ag, qui n’avait jamais été mis à contribution pour les cellules endocrines.

— Je pensais que ça rendrait les membranes osmotiques extérieures plus perméables et...

— Et vous aviez raison. La tradition est d’une importance capitale dans notre mission. Néanmoins, y adhérer trop étroitement mène parfois à une forme de pensée obtuse. J’ai besoin d’adeptes capables d’innover et de rompre au besoin avec la connaissance sacrée et immuable. Comprenez-vous ?

— Je crois, maîtresse, répondit Nen Yim, prudente. Une boule se forma dans sa gorge. La maîtresse était-elle au courant de... ?

Impossible ! Si elle avait su que Nen Yim avait frôlé l’hérésie, elle ne l’aurait pas promue. À moins qu’elle-même... ?

Non ! Pas un maître modeleur !

— Ne vous contentez pas de croire, corrigea Mezhan. Soyez sûre de vos connaissances, et vous irez loin. Ne comprenez-vous pas ? Après des générations, nous avons enfin une nouvelle galaxie foisonnante de vie à notre disposition. Il est temps de faire le travail pour lequel Yun-Yuuzhan nous a conçus.

Nen Yim regarda de nouveau les damuteks. Ayant fait éclater leur enveloppe protectrice, ils commençaient à s’étendre, devenant le matériau de modelage hautement spécialisé qu’ils étaient...

— Suivez-moi, adepte. Le moment est venu de recevoir votre main.

— Déjà ? demanda Nen Yim.

— Notre travail commencera demain. Nous avons une Jeedai en notre possession, vous le savez. Une pour le moment. Nous en aurons vite d’autres. Le Seigneur Suprême Shimrra en personne surveille nos activités. Nous ne le décevrons pas.

 

Nen Yim sortit du bain rituel et se drapa dans un oozhith sombre qui l’enveloppa. Elle sentit le picotement des cils minuscules qui s’immisçaient dans ses pores. Plus court que la norme, l’oozhith incomplet laissait ses bras et ses jambes quasiment à découvert. Elle lissa sa courte chevelure noire, puis tendit la main droite, l’étudiant comme si elle la voyait pour la première fois plutôt que la dernière... Ensuite, son assistante l’escorta dans la grotte de Yun-ne’Shel, où la maîtresse l’attendait.

La grotte sentait la saumure et l’huile. Petite et humide, réagissant faiblement au toucher, c’était une parente éloignée du yammosk.

L’impatience et l’inquiétude accélérèrent le pouls de Nen Yim. Elle s’agenouilla à l’entrée de la grotte : un trou noir de la taille d’un poing entouré de muscles massifs. Sans hésiter ni frémir, elle y plaça sa main.

D’abord, rien ne se passa. Puis les huit dents sortirent de leurs fourreaux et lui piquèrent le poignet.

La sueur perla sur son visage quand Nen Yim s’abandonna à la douleur. Avec une lenteur glaciale, les dents se fichèrent dans sa chair avant de cisailler les os. Les lèvres aspiraient le sang. La grotte amplifiait sa souffrance. Son souffle se fit rauque... Elle perdit la notion du temps. Tous les nerfs en feu, elle eut l’impression que les cils de son vêtement étaient devenus des aiguilles.

Enfin, avec un claquement audible, les dents se rejoignirent sur son poignet... Elle tenta d’inspirer à fond, de se calmer... afin de se préparer à la suite.

Ce fut rapide. La bouche pivota de quatre-vingt-dix degrés, le bras de Nen Yim tournant à peine d’un degré ou deux. La main sacrifiée se détacha avec un bruit humide. Nen Yim leva son moignon, l’air hébété, à peine consciente de l’assistante qui la prit par les épaules pour la guider vers un bassin obscur.

Elle s’y agenouilla, la tête lui tournant. Des créatures obscures frémissaient sous l’eau... attirées par l’odeur du sang.

Elle immergea son moignon ensanglanté.

Elle avait cru avoir connu les pires souffrances possibles. ... Elle se trompait.

Son corps supplicié se convulsa.

Elle ne voyait pas la créature accrochée à son poignet. Elle ne le voulait surtout pas ! Puis une lumière blanche explosa dans sa tête... Elle perdit momentanément conscience.

À son réveil, des larmes de honte coulèrent sur ses joues. La maîtresse était devant elle.

— La première fois, on s’évanouit toujours. Il n’y a pas de honte à ça... Si un jour vous recevez votre main de maîtresse, ce sera différent. Mais alors, vous serez préparée.

La main.

Nen Yim leva le bras.

Marquée par une épaisse sécrétion verdâtre, la greffe n’était pas tout à fait achevée... Quatre doigts effilés et un pouce sortaient d’une carapace mince mais souple. Des milliers de protubérances de détection couvraient les phalanges et la paume. Les deux doigts les plus éloignés du pouce se terminaient par des pincettes. Le plus proche du pouce portait une fine griffe rétractile.

Nen Yim essaya de fléchir sa nouvelle main. En vain.

— Il faudra quelques jours aux connexions nerveuses pour se stabiliser et un peu plus pour que votre cerveau s’adapte aux modifications les plus délicates. Réjouissez-vous, Nen Yim : vous voilà réellement une adepte. Vous vous joindrez à moi pour modeler la Jeedai, couvrant de gloire votre caste, votre domaine et les Yuuzhan Vong.

L'aurore de la victoire T1 - Conquête
titlepage.xhtml
SW_Conquete_v7_corriger_split_000.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_001.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_002.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_003.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_004.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_005.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_006.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_007.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_008.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_009.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_010.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_011.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_012.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_013.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_014.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_015.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_016.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_017.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_018.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_019.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_020.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_021.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_022.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_023.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_024.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_025.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_026.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_027.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_028.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_029.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_030.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_031.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_032.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_033.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_034.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_035.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_036.htm
SW_Conquete_v7_corriger_split_037.htm