CHAPITRE IX
La lutte que livrait Anakin à la gravité ne fit pas grand bien à la cime des arbres. Les protestations de Vehn s’étaient transformées en gémissements. Attaché sur le siège du copilote, Valin combattait sa nausée. Sannah continuait d’arroser l’ennemi à coups de turbolaser. Anakin perçut de la colère et de la frustration.
Tahiri aussi avait été son amie...
Elle l’était toujours !
Le transporteur se fraya un chemin sur un kilomètre avant qu’Anakin repère une clairière et n’y descende, poussant les amortisseurs d’inertie au maximum. Le vaisseau heurta une muraille de lianes et de ronces denses, mais moins qu’un grand arbre...
Anakin lâcha une torpille et inversa la poussée, filant vers la voûte de la jungle pour s’y dissimuler.
La torpille explosa, emportant avec elle cent mètres carrés de végétation.
— Venez-y donc, sales vautours ! cracha Anakin.
— Je les ai dans ma ligne de mire, annonça Sannah.
— Non. Attends !
Il la vit à travers la fumée de l’explosion : une navette de classe Sentinelle.
— Ils croient que nous nous sommes écrasés, dit Valin.
— Oui, répondit Anakin, remettant les moteurs en marche.
La navette modifiée essaya de fuir quand il jaillit des arbres. Trop tard. Anakin tira sa dernière torpille à protons. Le vaisseau de la Brigade de la Paix, englouti par une boule de feu, tomba en chute libre dans la jungle déjà en flammes.
— Anakin ! cria Sannah.
D’instinct, Anakin redressa – mais pas assez vite pour éviter certains impacts.
— Te voilà... Après toi, j’en aurai fini !
Des trois navires qui l’avaient pourchassé autour de la lune, il en restait un : une aile E. Mais alors que le transporteur réquisitionné par Anakin était si endommagé qu’il ne tarderait pas à devoir le poser, le chasseur ennemi, petit et rapide, était intact.
— Fais mouche une ou deux fois, Sannah, dit Anakin. Ça suffira.
— Je n’arrive pas à me verrouiller sur la cible !
Le chasseur fit un passage et le transporteur frémit sous les coups.
— Laissez-moi tirer ! cria Vehn.
— Quoi ?
— Je n’ai pas envie de mourir ! C’est mon vaisseau, et ce sont mes canons. Je les connais mieux que la gamine qui les manie ! Elle n’a jamais touché à un turbolaser, c’est visible. Oh là !
Vehn pâlit quand Anakin lança le vaisseau dans un tonneau.
— Tu crois que je te fais confiance ?
— Utilise tes fichus pouvoirs de Jedi ! Ne vois-tu pas que je suis sincère ?
Surpris, Anakin obtempéra... et ne détecta aucune fourberie chez l’homme.
— Tu tirerais sur tes amis ?
— Ce ne sont pas mes amis ! Le type était sincère.
Anakin se décida.
— Valin, détache-le et conduis-le à la tourelle. Vehn, si c’est une ruse, tu le regretteras.
— Ça ne pourrait pas être pire que maintenant !
Anakin perdit de l’altitude avec l’espoir de gagner quelques secondes. Il restait un moteur en état de marche. Une salve de plus l’éliminerait aisément.
— J’y suis ! annonça Vehn, arrivé à la tourelle. Remonte un peu, c’est tout ce que je demande.
— Compris ! dit Anakin.
Il refit monter le vaisseau. L’aile E en profita pour tirer, déchiquetant le dernier moteur, qui toussota... et rendit l’âme.
Un instant, le transporteur parut suspendu dans les airs, à cent mètres de la cime des arbres. Vehn tira sur l’aile E. Puis le transporteur tomba. Anakin poussa à fond la commande des répulseurs.
Il reprit conscience, un goût de sang dans la bouche. Était-il resté évanoui quelques secondes ? Des jours ? Par le transpacier du cockpit, il voyait de la végétation écrasée sur plusieurs centaines de mètres.
— Sannah ! Valin !
— Ils vont bien, répondit Remis Vehn. Un peu endoloris, c’est tout.
Anakin se tourna sur son siège... pour se retrouver face à la gueule d’un blaster. Il leva les yeux vers le jeune homme.
— Tu vas poser ce truc, n’est-ce pas ? dit Anakin, utilisant la Force.
— Ma foi...
— Pose-le tout de suite ! ordonna Anakin.
— Voilà...
— Parfait.
Anakin détacha les harnais de son siège, prit le blaster et le passa à sa ceinture.
— Par les Moffs désintégrés ! jura Vehn. Les Jedi sont vraiment des sorciers !
— Boucle-la ! grogna Anakin en se tournant vers Sannah.
Bien qu’inconsciente, elle avait une respiration régulière. Près d’elle, la coque froissée avait coincé son harnais. Anakin le trancha à coups de sabre laser. La jeune Melodienne gémit.
— Vehn, porte Sannah dehors. Ce transporteur nous réserve peut-être de mauvaises surprises.
— Mon vaisseau ! gémit Vehn. Je n’arrive pas à croire que tu lui aies infligé ça !
— Tes copains, tu veux dire ! cracha Anakin. Ceux qui ont assassiné un maître Jedi et capturé ma meilleure amie. Tu voudrais peut-être que je compatisse !
— Primo, rappela Vehn, ce ne sont pas mes copains. J’étais dans le coup pour l’argent, et je croyais que nous attaquerions des Jedi adultes, pas une ribambelle de mioches ! Secundo, loin de moi l’idée que tu puisses t’apitoyer sur mon sort, mais sans mon vaisseau, comment comptes-tu nous sortir de cette jungle ?
Sans répondre, Anakin examina Valin qui avait repris connaissance.
— Comment te sens-tu ? Tu pourras marcher ?
— Ça ira...
— Parfait. Va dehors, et mets-toi à couvert. Prudence : une jungle n’est jamais très sûre, même si notre mésaventure a probablement chassé la plupart des formes de vie...
Ensuite, il examina Sannah. Elle avait des bleus, mais pas de blessure grave.
— Emmène Sannah dehors, Vehn, répéta-t-il. Je te suis. Avant de sortir, il récupéra les menottes paralysantes.
— Ça ne va pas du tout ! protesta Vehn. Tu viens d’expliquer que la jungle était dangereuse, et au lieu de me fournir une arme, tu me remets ces menottes ! Et si un animal surgissait, en quête de quelque chose à se mettre sous la dent ?
— Il faudrait un charognard pour digérer un type comme toi..., lâcha Anakin.
— Très drôle ! Tu oublies vite que je t’ai aidé.
— Si tu attends des remerciements... ! Tu voulais sauver ta misérable peau, un point, c’est tout. Ferme-la !
— Elle s’en remettra ? ajouta Valin en regardant Sannah.
— Je crois.
Il toucha le front de la jeune Melodienne et l’effleura avec la Force, lui redonnant de l’énergie afin de la ramener à elle.
Elle ouvrit les yeux... Puis sursauta.
— Tahiri !
— Chut, dit Anakin. Nous nous sommes écrasés. Tu es un peu sonnée. Comment te sens-tu ?
— Comme si j’avais été empoisonnée par un purella et suspendue à sa toile... Valin va bien ?
— Je suis là, sain et sauf.
— Nous nous en sommes tous tirés, affirma Anakin.
Les yeux jaunes de la jeune fille s’emplirent de larmes.
— Non ! Maître Ikrit, et Tahiri...
— Maître Ikrit s’est sacrifié, confirma Anakin. Il ne voudrait pas que nous le pleurions. Il fait désormais un avec la Force. Tahiri...
— Elle est morte, n’est-ce pas ? demanda Valin.
— Non. Je la sens toujours dans la Force. Elle m’appelle !
Il captait sa peur mêlée de colère... Pour l’instant, il ne percevait pas de danger immédiat.
Il se tourna vers Vehn, assis à quelques mètres de là, les bras attachés autour d’un jeune arbre massassi.
— Que feront-ils d’elle, Vehn ? Où deviez-vous emmener les enfants ?
— Je te l’ai dit, j’ignorais qu’il s’agissait de gamins. Et je ne sais pas où nous étions censés les emmener.
— Mais vous deviez les livrer aux Yuuzhan Vong ?
Vehn lorgna les feuillages, au-dessus de sa tête.
— Oui...
— Où ? Quel est le point de rendez-vous ?
— Je n’en sais rien !
— Tu mens.
— Écoute...
— Je peux te forcer à dire la vérité. Et tu n’aimeras pas ça.
Anakin pensa que Jacen n’aurait pas approuvé ce type de menace.
Pas plus qu’oncle Luke.
À cet instant, il s’en fichait.
Vehn se dandina, mal à l’aise, mais ne dit rien. Anakin se leva d’un bond.
— Une minute, Jedi ! Ne me bousille pas la cervelle ! J’ai entendu un truc par hasard...
Anakin s’accroupit devant son prisonnier, ses yeux bleu glacier à hauteur des prunelles grises du pilote.
— Oui ?
— Je n’étais pas censé être au courant, mais les Yuuzhan Vong ont prévu de venir sur cette misérable planète. La Brigade de la Paix a décidé de les précéder et de capturer les Jedi pour eux.
— Pourquoi ? Pour leur éviter cette corvée ? Entrer dans leurs bonnes grâces ?
— Exactement. Une sorte de cadeau... Les types de la Brigade sont sérieux. Ils croient dur comme fer que notre galaxie est condamnée si nous ne donnons pas aux Yuuzhan Vong ce qu’ils exigent.
— Pourquoi dis-tu « ces types de la Brigade », comme si tu n’étais pas l’un d’eux ?
— Ils ont loué mes services de pilote, c’est tout.
Anakin fronça les sourcils, mais laissa tomber.
— Que fera la Brigade de la Paix, maintenant que ses agents ont tout fait capoter ?
— Comment sais-tu qu’ils ont perdu ? Ils ont deviné que tu avais caché les gamins quelque part. Ils ont du matériel de recherche, et de bons éclaireurs.
— Ils en seront pour leurs frais, lâcha Anakin. Et ensuite ? Les Yuuzhan Vong concluront peut-être que la Brigade était venue ici pour cacher les enfants ! Au mieux, ils seront furieux que vous ayez été assez stupides pour capturer une Jedi... et laissé filer une trentaine d’autres !
Vehn fronça les sourcils.
— Ils s’enfuiront peut-être. Ou ils essaieront de bluffer et de leur livrer leur unique prisonnière... Comment le saurais-je ? Ces types et moi n’avons pas gardé les banthas ensemble !
— Anakin ! dit Sannah. Tahiri et toi avez sauvé mon peuple. Je ne peux pas la laisser entre les mains de ces gens !
— C’est un peu tard pour s’en inquiéter, non ? Vous auriez dû partir avec Tionne et Kam. Vous avez cru que c’était un jeu, et vous vous trompiez !
— Anakin ! cria Sannah, indignée.
Puis elle baissa la tête.
— Tu as raison..., murmura-t-elle. C’est notre faute. La mienne. J’aurais dû parler à Kam. Rien ne serait arrivé. Maître Ikrit serait encore en vie.
De grosses larmes roulèrent sur les joues de la jeune fille.
Un instant, Anakin en éprouva une amère satisfaction. Elle mesurait enfin la gravité de ses actes, et son infinie stupidité !
Dents serrées, il se leva et s’éloigna.
Sans aller bien loin. Adossé au tronc d’un arbre géant, il prit de profondes inspirations, s’exhortant au calme.
Puis il rebroussa chemin. Dans la clairière, Sannah pleurait toujours.
Valin essuyait des larmes silencieuses.
— J’ai eu tort. Aucun de vous n’est à blâmer. Vous vouliez m’aider. C’est votre seule faute... La Brigade de la Paix est responsable de tout ça, avec les Yuuzhan Vong. Pas vous ! De plus, vous sentir coupables n’arrangera rien. D’autres vaisseaux ennemis nous ont peut-être repérés. Restons sur nos gardes. Il s’agit de réussir à faire redécoller ce maudit transporteur !
Vehn eut un rire amer.
— Nous avons dans le secteur les débris de trois bâtiments, dit Anakin. En bricoler un à partir des éléments récupérables ne devrait pas être sorcier. Et des secours sont en chemin. Peut-être suffirait-il que nous tenions le coup, dans une nouvelle cachette. Valin, tu feras l’inventaire de la nourriture et des médicaments. Vehn, tu l’aideras. Sans rien « oublier ». Sannah, à toi le blaster. Surveille le camp pendant que je pars en reconnaissance pour voir ce qui est récupérable. Si vous entendez des bruits suspects dans le ciel, cachez-vous et restez à l’abri ! Compris ?
— Oui, dit Sannah.
Valin hocha la tête.
— Parfait. Faites la sourde oreille à tout ce que Vehn dira. Ne touchez pas à ses menottes et ne vous approchez pas de lui. Je reviendrai le plus vite possible.