CHAPITRE V
Anakin contacta Tahiri à travers la Force. Il rencontra d’abord un mur infranchissable. Puis elle s’ouvrit à lui, leurs esprits se connectant avec une intensité propre à effrayer Anakin. Ils tombèrent dans une sorte de danse acrobatique, ralentissant mutuellement leur chute, se rattrapant et tournoyant de nouveau... Qu’ils se lâchent et ils perdraient le contrôle de la situation.
Anakin remarqua que des objets les suivaient : deux grenades ! Il les renvoya vers le haut, les faisant passer par la brèche qu’il avait ouverte.
Les deux jeunes Jedi atterrirent, légers comme des plumes, sur le toit de l’ascenseur.
— Super ! s’écria Tahiri. Voilà longtemps qu’on ne s’était plus autant amusés ! Et la façon dont tu as renvoyé ces grenades à l’expéditeur... Du grand art !
Avant qu’Anakin puisse répondre, la cabine d’ascenseur repartit vers les niveaux supérieurs. Anakin coupa les câbles d’alimentation de l’appareil. L’ascenseur s’immobilisa en sursaut. Tahiri se tailla un passage dans le toit de la cabine et recula, au cas où on leur tirerait dessus.
Rien ne bougea.
— Je ne perçois personne dans l’ascenseur, annonça Tahiri.
— Moi non plus. Je l’ai envoyé au troisième niveau des hangars, sous le temple. Quand Sannah et Valin sont sortis, on a dû le rappeler. D’après notre chute, nous sommes actuellement au...
Une explosion l’interrompit, six mètres au-dessus d’eux. Elle arracha une des portes extérieures de l’ascenseur.
Anakin sauta dans la cabine. Avec son sabre laser, il coupa la cloison puis le mur, révélant un hangar souterrain abandonné depuis l’époque de la première Étoile Noire.
— Pare leurs coups ! ordonna Anakin.
Pendant que Tahiri déviait les rayons venus du puits de l’ascenseur, il coupa les verrous magnétiques de sécurité gardant l’ascenseur immobilisé puis éteignit son sabre laser.
— Éteins aussi le tien !
— Mais...
— Vite !
Elle obéit et se colla contre la paroi de la cabine, esquivant les rayons venus d’en haut. Une autre grenade tomba sur le sol.
— Renvoie-la leur ! souffla Anakin.
La grenade repartit en sifflant.
— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? demanda Tahiri.
— Parce que je tiens l’ascenseur en place ! Au-dessus d’eux, la grenade explosa.
Anakin laissa la pesanteur reprendre ses droits. L’ascenseur tomba comme une pierre.
— Propulse-toi en l’air juste avant que nous touchions le fond, Tahiri !
L’ascenseur traversa les étages de hangars et les cavernes massassi.
— Tu n’as pas prêté grande attention aux leçons de physique ! cria Tahiri.
— Non. Attention au toit !
Grâce à la Force, ils décollèrent du sol de la cabine, passèrent par le trou du plafond et filèrent sur quelques mètres dans le puits de l’ascenseur. Sous eux, la cabine percuta le fond du puits avec un vacarme effrayant. Ils se laissèrent redescendre en flottant. L’ascenseur s’était écrasé, arrachant les portes extérieures de leurs charnières... Les Jedi purent sortir facilement.
L’Alliance Rebelle avait réaménagé en hangars des kilomètres carrés de cavernes massassi. Dessous, les grottes n’avaient pas été modifiées. L’ascenseur s’arrêtait au niveau le plus bas utilisé par les Rebelles. Ensuite, il fallait emprunter des escaliers, des couloirs tortueux et des portes secrètes.
— On nous cherchera d’abord au niveau supérieur, dit Anakin. On nous croira sortis de l’ascenseur là où j’ai découpé le mur... Quand on pensera à fouiller par ici... Attends un peu !
Il activa son comlink.
— Fiver ?
AFFIRMATIF, répondit le droïd sur le petit écran.
— Sors l’aile X du hangar. Évite tout poursuivant jusqu’à ce que je te recontacte. Compris ?
AFFIRMATIF.
— Bonne chance, Fiver...
Après une longue descente, Anakin s’arrêta devant un mur lisse.
Tahiri appuya à un endroit précis. Le mur pivota. Ils entrèrent et refermèrent derrière eux. À tâtons, Anakin ramassa une des deux lampes habituellement cachées à cet endroit.
— Maître Ikrit est passé par là... Avec Valin et Sannah.
— Oui, je les sens aussi.
— Ce que tu as fait tout à l’heure était chouette, Tahiri. Où as-tu déniché le sabre laser ?
— Anakin Solo, tu me crois incapable de fabriquer un sabre laser ?
— Je n’ai pas dit ça. Simplement, je ne pensais pas que...
— Exact. Tu ne pensais pas, et c’est toujours le cas. Il est grand temps que tu t’y mettes ! Maintenant, courons retrouver maître Ikrit !
Leur mémoire eût-elle eu des défaillances que l’odeur caractéristique d’œuf pourri du soufre aurait suffi à les guider. Ikrit, Valin et Sannah étaient assis au bord d’une source chaude souterraine, non loin d’un rayon lumineux qui tombait d’une centaine de mètres par un puits foré dans la roche.
— Je ne l’avais jamais vue en plein jour, murmura Tahiri.
Plus jeunes, ils étaient venus avec Kam et Tionne se prélasser dans l’eau tiède, s’ouvrir à la Force, contempler les lointaines étoiles, et essayer de mieux se comprendre eux-mêmes.
— Je suis content de vous revoir, dit Ikrit.
— Vous saviez que je viendrais, répondit Anakin.
— Oui. Mais j’en suis quand même heureux !
— Et maintenant ? demanda Valin.
Sous son attitude stoïque, Anakin sentait la peur de son compagnon.
— Vous attendrez ici. Vous devriez y être en sécurité. Moi, je monterai par là... (Tahiri lui flanqua un coup de coude.) Hum... Tahiri et moi grimperons par là tant qu’il fait jour. Puis nous nous cacherons et nous volerons... euh, réquisitionnerons un vaisseau de la Brigade assez grand pour nous tous.
— Et assez petit pour passer par ici.
— Exact. J’ai repéré un transporteur qui devrait faire l’affaire.
— Tu te souviens de l’itinéraire ? demanda Tahiri.
— Vous avez déjà fait ça ? s’inquiéta Ikrit. Rejoint la surface à partir d’ici ?
— Euh, oui, dit Anakin. Un jour où nous nous ennuyions...
— Je croyais ne jamais vous avoir quitté des yeux... Je dois me faire vieux..., soupira Ikrit.
Le maître Jedi en avait effectivement l’air – plus que jamais, pensa Anakin. Sa voix aussi chevrotait.
— Êtes-vous malade, maître Ikrit ?
— Non. Triste.
— À cause de quoi ?
— Ma mélancolie est sans objet. Ce n’est rien. Allez, et réussissez, comme toujours. Mais rappelez-vous... (Ikrit se tut, puis ajouta d’une voix plus assurée et autoritaire qui donna à Anakin l’impression d’avoir de nouveau onze ans :) ... Souvenez-vous : ensemble, vous êtes plus que la somme de vos personnes. Ensemble, vous pourriez... J’en ai assez dit. Ensemble, voilà l’essentiel. Allez, maintenant !
À la tombée de la nuit, ils se réfugièrent dans une grotte exiguë, sous l’entrée du puits. Un peu à l’étroit, ils étaient cependant invisibles. Épaule contre épaule, ils respirèrent profondément, tentant de délier leurs muscles ankylosés.
— Tu étais sûr que je ferais tout rater ! l’accusa soudain Tahiri.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Nous n’avons pas eu le temps d’en parler jusqu’à maintenant.
— Chut ! Se taire serait plus intelligent, tu ne crois pas ? Des oreilles indiscrètes traînent partout...
— Nous sentirons nos adversaires approcher à travers la Force avant d’être à portée d’oreille.
— Sauf s’ils ont des Yuuzhan Vong avec eux. Il est impossible de les percevoir avec la Force.
— C’est vrai ?
— Oui.
— Et alors ?
— Alors quoi ?
Tahiri lui flanqua une tape sur l’épaule.
— Tu pensais vraiment que j’allais tout flanquer par terre ? Nous faire tous capturer ?
— Je n’ai pas dit ça.
— Non, bien entendu. Tu ne voudrais pas chagriner la petite Tahiri.
— Tu te comportes comme une gamine !
— Non ! Comme quelqu’un dont le meilleur ami a oublié jusqu’à son existence.
— C’est ridicule !
— Vraiment ? Quand tu as quitté l’Académie avec Mara, t’es-tu soucié de me dire au revoir ? Depuis, m’as-tu envoyé un message, ou contactée à travers la Force ? Essayé, au moins ? Tout à l’heure, tu n’as guère apprécié notre chute contrôlée... Un peu plus et j’allais devoir me réceptionner toute seule !
— C’est toi qui as résisté. Nous tombions comme des pierres, et tu m’as rejeté.
— Elle est forte, celle-là ! C’était toi qui résistais !
— C’est de la folie ! Tu...
Il se remémora soudain la scène. Y avait-il un fond de vérité dans ces accusations ? Quand Tahiri et lui faisaient équipe, déterminer qui éprouvait quoi devenait parfois difficile.
— Tu vois ? lâcha-t-elle, glaciale.
Anakin resta silencieux. Et Tahiri aussi, pour une fois.
— Tu m’as manquée, avoua-t-il enfin. Personne ne me connaît aussi bien que...
— Exact. Et tu entends ne pas concéder ce privilège à qui que ce soit d’autre. Tu veux garder tous ces trucs dans ta tête, où personne n’ira y toucher. Chewbacca... Même lors de ta dernière visite, tu as refusé d’en parler. Pire qu’une tombe... Maintenant, tu prétends que ça n’a plus d’importance. Sans compter Centerpoint...
— Tu as raison. Je ne veux pas en parler. Pas maintenant.
Les épaules de sa compagne tremblèrent. Il comprit qu’elle pleurait.
— Allons, Tahiri !
— Que sommes-nous devenus, Anakin ? Il y a un an, tu étais mon meilleur ami !
— C’est toujours vrai.
— Alors, je ne voudrais pas savoir comment tu traites les autres ! Ça doit être vraiment moche !
— Oui, reconnut Anakin.
Sans réfléchir, il prit la main de Tahiri. D’abord, elle ne réagit pas. Ses doigts étaient froids et apathiques entre les siens... Avait-il fait une erreur ?
Quand elle lui serra la main, un flot de chaleur se déversa en lui. Elle se nicha contre son épaule, pleurant toujours. Un silence moins tendu les enveloppa.
Sa respiration redevint plus régulière. Elle s’était endormie. À la faible lueur orange de la géante gazeuse, il aperçut son visage familier et pourtant différent. Comme si sous les traits de la fillette qu’il connaissait depuis toujours se profilait inéluctablement... du nouveau.
De quoi donner envie de l’étreindre et de fuir loin d’elle ! Il prit conscience que ses sentiments ambigus à l’égard de Tahiri n’étaient pas nouveaux...
Enfants, ils avaient été les meilleurs amis du monde.
Aujourd’hui... Ils n’étaient plus des gamins.
Le bras ankylosé par le poids de la jeune fille, il s’arma de patience, n’osant plus bouger de peur de la réveiller.
Anakin secoua Tahiri une heure avant le lever de la planète orange. Le soleil n’était pas encore couché.
— C’est le moment.
— Parfait... Ce trou a de quoi rendre claustrophobe. Les autres vont toujours bien ?
— Je n’ai rien perçu de négatif dans la Force. Prête ?
— Fin prête, mon petit héros !
Ils quittèrent leur abri pour s’enfoncer dans la jungle. L’odeur piquante de buissons de feuilles-bleues écrasés indiquait que la zone avait été fouillée. Pour le moment, le calme était revenu.
Ils arrivèrent sans encombre au terrain d’atterrissage.
— J’aime bien celui-là, murmura Anakin, désignant un transporteur, un peu à l’écart. Je ne crois pas avoir de problèmes à le piloter, et nous le ferons descendre par le puits.
— C’est toi le chef, capitaine !
Anakin examina le bâtiment plus attentivement, puis entreprit de se glisser sur le terrain d’atterrissage. Un garde, à plusieurs centaines de mètres, se tourna vers eux. Une légère suggestion mentale lui fit croire qu’Anakin et Tahiri étaient de simples jeux de lumière...
Assis devant le transporteur, un autre garde se leva dès qu’il les aperçut.
— On a besoin de vous de l’autre côté du temple ! lança Anakin, un petit geste à l’appui.
L’homme hésita, se grattant le menton.
— On a besoin de moi ailleurs... J’y cours !
— À plus tard ! lâcha le Jedi quand le type partit d’un bon pas.
— Que se passe-t-il ? demanda un jeune homme en sortant du vaisseau.
Il paraissait à moitié endormi. À la vue d’Anakin et de Tahiri, les yeux écarquillés, il tendit une main vers son blaster. Il s’immobilisa quand le sabre laser d’Anakin s’activa avec un sifflement caractéristique, la pointe pourpre de l’arme se dardant à quelques centimètres de ses yeux gris.
— Pas d’histoires !
— Je suis connu pour être un type sans histoires, répondit le jeune homme. Demandez à qui vous voudrez... Euh, ça vous gênerait de reculer un peu ce truc ?
— Vous avez des menottes à bord ?
— Peut-être...
Anakin haussa les épaules.
— Je peux vous couper les deux bras et obtenir le même résultat, dit-il.
— Dans le placard, là-bas ! fit vivement le type.
— Prends-les, Tahiri. Ton nom ?
— Remis Vehn.
— Tu pilotes ce vaisseau ?
— Oui.
— Il y a des trucs que je devrais savoir avant de prendre le commandement ?
Vehn grimaça quand Tahiri lui tira les bras dans le dos pour lui passer les menottes.
— Rien qui me vienne à l’esprit...
— Parfait. Mais tu nous accompagnes. Si quelque chose te revient, n’hésite pas !
Sabre laser désactivé, Anakin gagna le panneau de commande guère différent de celui du Faucon Millenium, le vaisseau de son père.
Vehn se racla la gorge.
— Euh, je viens de me souvenir... Avant d’engager les moteurs à répulsion, il faut taper un code.
— Vraiment ? Et en cas de négligence ?
— La cabine se remplit d’un gaz mortel...
— Ravi que la mémoire te soit revenue si vite ! Le code, s’il te plaît.
Vehn s’exécuta et Anakin tapa la commande.
— Comprenons-nous bien. Je m’appelle Anakin Solo, et voilà mon amie Tahiri Veila. Nous sommes des Chevaliers Jedi. Ceux que tu es venu capturer et livrer aux Yuuzhan Vong... Si tu nous mens, nous le saurons. Si tu cherches à nous dissimuler quelque chose, nous nous en apercevrons et nous trouverons vite de quoi il s’agit. La seule variable, c’est la gravité des dommages que nous t’infligerons pour l’apprendre.
Vehn ricana.
— Ils avaient tous raison ! Les Jedi et leurs fichus idéaux ! Un écran de fumée, voilà tout !
Anakin jeta un regard furieux au type.
— Quand je chercherai à kidnapper des gamins pour les livrer aux Yuuzhan Vong, nous reparlerons de nos idéaux ! En attendant, ou tu as quelque chose d’utile à dire, ou tu la boucles !
Il se tourna vers les commandes.
— Fais attention, Tahiri. Le voyage sera un peu mouvementé avant que j’aie cet appareil en mains. Et surveille Vehn. S’il sourcille, tu l’assommes.
— À vos ordres, capitaine Solo !
Anakin activa les moteurs à répulsion. Le vaisseau s’éleva. Avant de fermer la rampe, il entendit des cris éclater.
— Appelle maître Ikrit, Tahiri, ajouta Anakin. Préviens-le que nous arrivons.
Ça va barder...