Cher Zack,
C’est la seconde fois que je t’écris ce qu’aucun père ne devrait jamais écrire à son fils : une lettre avant de se suicider. La première, c’était avant de t’amener au train, pour t’expliquer mes raisons de rester et de poursuivre un combat que je soupçonnais être une bataille perdue.
Je suis toujours ici et je mène toujours ce combat.
Tu m’as été enlevé de la plus cruelle des manières. Cela fait près de deux ans que tu me manques terriblement, que j’essaie de trouver un moyen de te libérer des griffes de ceux qui te détiennent. Tu me crois mort mais je ne le suis pas – pas encore. Je vis, je vis pour toi.
Je t’écris ces mots au cas où tu me survivrais et le Maître aussi. En ce cas – qui est à mes yeux le pire des scénarios possibles – j’aurai commis un crime grave contre l’humanité ou ce qui en restait, j’aurai sacrifié le dernier espoir de liberté de notre race asservie pour que tu puisses vivre, toi, mon fils. Que tu vives comme un être humain, non contaminé par cette plaie du vampirisme propagée par le Maître.
Mon espoir le plus cher est que tu te sois maintenant rendu compte que ce que fait le Maître est le mal sous sa forme la plus vile. Une sage maxime affirme que l’histoire est écrite par le vainqueur. Aujourd’hui, je ne parle pas d’histoire mais d’espoir. Nous avons eu autrefois une vie commune, Zack. Une belle vie, dans laquelle j’inclus aussi ta mère. Rappelle-toi cette vie, je t’en prie, son soleil, ses rires et sa joie. C’était ton enfance. Tu as dû grandir beaucoup trop vite et si tu ne sais plus trop qui t’aime vraiment, qui veut ton bien, c’est compréhensible et pardonnable. Je te pardonne tout. Pardonne-moi la trahison que je commets pour toi. Ma propre vie est un prix dérisoire à payer pour sauver la tienne, mais celle de mes amis et l’avenir de l’humanité… c’est un prix exorbitant.
J’ai souvent perdu espoir en moi, jamais en toi. Mon seul regret est que je ne verrai pas l’homme que tu deviendras. Puisse mon sacrifice te guider sur le chemin du bien.
J’ai maintenant une autre chose très importante à te dire. Si ce plan se termine aussi mal que je le crains, cela signifiera que je suis devenu un vampire. Et tu dois savoir qu’à cause du lien d’amour qui m’unit à toi mon être vampirique te cherchera sans cesse. Si, quand tu liras cette lettre, tu m’as déjà tué, je t’en remercie. Je t’en remercie infiniment. N’éprouve aucun sentiment de culpabilité, aucune honte, uniquement la satisfaction d’une bonne action accomplie. Je suis en paix.
Mais si pour une raison ou une autre tu ne m’as pas encore libéré, détruis-moi dès que tu en auras l’occasion, je t’en prie. C’est ma dernière requête. Il faudra aussi que tu exécutes ta mère. Nous t’aimons. Si tu as trouvé ce journal là où j’ai l’intention de le laisser – sur ton lit d’enfant, dans la maison de ta mère, Kelton Street, Woodside, Queens −, tu découvriras sous le lit un sac d’armes d’argent qui, je l’espère, te rendront la vie plus facile dans ce monde. C’est tout ce que j’ai à te léguer.
Le monde est cruel, Zachary Goodweather. Fais ce que tu peux pour le rendre meilleur.
Ton père,
Ephraïm Goodweather