CHAPITRE XXVII

Dans cette explication ponctuée de coups de revolver qui éclata entre deux hommes dans un bureau proche du Hanover Square, « Pois Vert » joua le rôle du troisième larron. Alerté par les agents de service, il arriva sur les lieux et cueillit les deux bonshommes. Il reconnut aussitôt l’un d’eux, car le cherchant depuis plusieurs jours, il s’était procuré de nombreuses photos de lui. C’était Harry le Valet. Il accusait son compagnon de trahison et sa colère lui avait fait oublier la prudence la plus élémentaire. « Je tiens l’auteur du cambriolage de la Canadian Bank, annonça aussitôt au téléphone « Pois Vert » à son supérieur. Ils s’accusent mutuellement d’avoir fait disparaître leur butin et ils ont failli s’entretuer. Je vais tout de suite passer à l’examen de leur bureau. »

L’inspection du bureau ne lui apprit pas grand-chose. Les seuls indices qu’il recueillit furent une chaise renversée, un mur éclaboussé d’encre, un encrier brisé et enfin le coffre-fort grand ouvert, vide et ne portant aucune trace d’effraction. Il y avait aussi une corde dont une extrémité était attachée au balcon, tandis que l’autre pendait librement à l’extérieur de la fenêtre ouverte. « Pois Vert » tira sur la corde : elle était fine, légère, souple mais très solide. Un homme pouvait l’enrouler autour de sa taille, sous ses habits, sans faire le moindre bourrelet. Le sous-inspecteur de Scotland n’était pas loin de croire que « Chat Solitaire » s’était aventuré dans ces parages. Il se livra à une petite enquête auprès des autres locataires de l’immeuble, mais aucun d’eux ne put le renseigner utilement.

À Scotland Yard, en examinant les rapports de ses subalternes, il s’arrêta à une piste assez vague, mais qui lui parut prometteuse. Il s’agissait d’un nouveau virtuose de la cambriole fraîchement débarqué à Paris, et que l’on pouvait trouver dans un certain bar proche de la Place de l’Opéra. Le lendemain, à onze heures moins le quart, « Pois Vert » se trouvait à la gare Victoria, prêt à prendre le rapide de Paris. Sur le quai, il vit un jeune homme s’approcher de lui.

« Bonjour, Monsieur Lester », dit-il en le reconnaissant.

Il n’était pas mécontent d’avoir un compagnon de voyage. Julian, lui aussi, semblait ravi. Ils prirent place dans un compartiment, l’un en face de l’autre.

« Vous quittez Londres pour longtemps ? demanda Mr. Lester.

– Oh ! non, une petite visite à Paris, histoire de rafraîchir mes connaissances en français. »

En fait de connaissances en français, « Pois Vert » savait tout juste dire « bonjour » et « merci », mais il était plein d’indulgence pour son ignorance.

« Moi, je vais en Suisse, déclara Julian. À Londres, il n’y a pas moyen de travailler. Je compte terminer mon ouvrage dans une paisible retraite alpine. Le spectacle des hautes cimes m’a toujours inspiré. Je voudrais même me défaire de mon cottage sur le Solent. Si vous pouviez me trouver un acquéreur, n’oubliez pas de me faire signe. »

La conversation roula ensuite sur le sujet qui défrayait les journaux : le cambriolage de la Canadian Bank.

« Il paraît que ce sont les deux individus qu’on a arrêtés pendant qu’ils réglaient leurs comptes à coups de revolver qui ont fait le coup, suggéra Mr. Lester.

– Ce n’est pas certain, répondit « Pois Vert ». Il ne faut pas prendre à la lettre tout ce qu’on écrit dans les journaux. Je connais certaines pièces du dossier qui me font hésiter sur mes conclusions, mais c’est un secret professionnel…

– Évidemment », répéta Julian, et il n’insista plus.

Le voyage jusqu’à Dover fut fort agréable. Les deux compagnons bavardèrent amicalement pendant toute la durée du parcours et le temps passa rapidement.

« Je pourrais vous faciliter les formalités de la douane, proposa aimablement le sous-inspecteur Pickles.

– Oh ! ne vous donnez pas la peine, répondit Julian. Je n’ai pas d’autres bagages que ces deux valises. Malheureusement, je ne vois pas de porteur libre. »

« Pois Vert », qui n’avait emporté qu’une serviette de cuir, s’offrit à aider son compagnon. Il prit une valise et la transporta sur le quai du Simplon qui devait emmener Mr. Lester vers sa paisible retraite.

Ils ne devaient plus jamais se revoir, et même les meilleurs amis de Julian ne devaient plus entendre parler de lui. Néanmoins, Julian Lester, qui n’était pas un ingrat, n’oublia pas « Pois Vert » et lui garda, au fond de son âme, une vive reconnaissance pour l’avoir aidé à transporter dans le train le produit du cambriolage de la Canadian Bank.

Avant de partir, Julian avait écrit à John Morlay une lettre pathétique dans laquelle il lui souhaitait beaucoup de bonheur aux côtés de Marie Fioli, et où il faisait en quelque sorte figure de martyr de l’amitié.

La lettre à Marie n’était pas moins émouvante. Il ne lui reprochait rien, mais lui faisait comprendre qu’il partait le cœur brisé. Il partait pour un pays étranger, afin d’oublier celle qui aurait pu, si elle l’avait voulu, le faire remonter du fond de l’abîme où un destin implacable l’avait précipité. Mais l’amour ne connaissait pas de lois, etc… etc…

Il avait choisi pour écrire cette lettre un papier légèrement parfumé.