C’était de la part de miss Dodge une si terrible dérogation à ses principes sévères et un tel acte de courage que Raymond demeurait confondu de la promptitude de sa résolution.
Ce n’était pas précisément le « pain de ses vieux jours » qu’elle allait risquer, car il était clair que jamais Mlle Simone ne laisserait manquer de rien sa dévouée gouvernante, mais elle allait s’exposer à une séparation dont l’idée lui était plus pénible que celle de la mort.
Et Raymond qui ne l’avait seulement pas remerciée, qui l’avait laissée s’éloigner sans savoir où et comment elle lui apprendrait le résultat de sa démarche !…
Mais il ne s’en tourmentait pas outre mesure. Grâce à ce logement qu’il avait loué, il savait qu’il serait toujours à même de rejoindre la digne institutrice dès qu’elle risquerait un pied dehors.
La décision de Mlle Simone était un bien autre sujet d’angoisses.
Consentirait-elle à cette aventure que lui faisait demander Raymond, et qu’il eût payée de la moitié de son sang ?
Il était persuadé que c’était comme autrefois, comme toujours, à la fortune de la pauvre enfant qu’on en voulait, et rien qu’à sa fortune, et il se disait :
– Que je lui parle, et je la décide à l’abandonner à qui la convoite si ardemment, cette fortune maudite.
C’était l’espérance, la fleur vivace qui résiste à tous les orages, qui refleurissait dans son âme.
Et le bien-être qu’il en ressentait se reflétait si visiblement sur son visage, que lorsqu’il rentra pour dîner :
– Tu es satisfait de ta journée, mon fils ? lui demanda Mme Delorge, qui était certes à mille lieues de soupçonner la nature de ses soucis.
– Oui, ma mère, répondit-il.
– Tu as revu nos amis, sans doute ? Tu as pu t’assurer par toi-même de la réalité de nos espérances.
– J’ai vu Me Roberjot, dit-il, pour dire quelque chose, car la confiance candide de sa mère le gênait beaucoup.
Mais si Mme Delorge se paya de ses vagues réponses, il n’en devait pas de même être de Mlle Pauline. Se trouvant seule, après le dîner, avec son frère :
– Pauvre Raymond, lui dit-elle, en lui prenant la main, tu es donc moins malheureux !…
Il ne put retenir un mouvement d’impatience, dépité de l’insistance de sa sœur à pénétrer son secret.
– Qu’imagines-tu donc ?…
Il la regardait dans les yeux. Elle devint cramoisie, et, essayant de dissimuler son embarra sous un éclat de rire :
– Dame ! répondit-elle, je ne sais pas… au juste. Seulement la politique tracasse Me Roberjot bien autrement que toi, et jamais je ne lui ai vu des regards comme les tiens…
Et comme il se taisait :
– Je n’insisterai pas, ajouta sérieusement la jeune fille. Et cependant, j’aurais peut-être des confidences à échanger contre les tiennes.
À tout autre moment, Raymond eût voulu avoir l’explication de cette phrase au moins singulière. L’égoïsme de la passion retint les questions sur ses lèvres.
Il se dit en lui-même :
– Oh ! oh ! il paraît que Mlle Pauline Delorge aime quelqu’un, et c’est là ce qui la rend si clairvoyante.
Puis il n’y pensa plus du reste de la soirée, qu’il passa entre sa mère et sa sœur. Et lorsqu’il eut regagné sa chambre, il ne songeait qu’à une chose, c’est que le lendemain était le premier jour de l’An, et que très probablement il n’aurait pas deux heures à lui pour courir jusqu’à la rue de Grenelle-Saint-Germain.
Il ne se trompait pas. C’était chez Mme Delorge que, depuis des années, venaient déjeuner, le premier janvier, les rares amis qui lui étaient restés fidèles.
Dès neuf heures, arrivaient Mme Cornevin et ses filles, puis l’excellent M. Ducoudray, l’œil plus brillant que les pierres d’une paire de boucles d’oreilles qu’il apportait à Mlle Pauline.
Me Roberjot ne tarda pas à apparaître, les bras chargés de bonbons ; et dès son entrée :
– Eh bien ! s’écria-t-il, le voici donc venu, le premier jour de cette fameuse année de 1870 qui doit donner à la France le bonheur et la liberté !…
– Amen ! fit M. Ducoudray. Et en attendant, nous sommes toujours sans ministère.
– Toujours, répondit Me Roberjot, de ce ton de bonne humeur qui avait résisté à tous les tracas et à toutes les déceptions de sa vie. Ah ! l’enfantement est laborieux. Mais soyez sans inquiétude, demain l’Officiel parlera, et nous connaîtrons enfin le ministère Ollivier.
Raymond s’était rapproché.
– Et pensez-vous toujours, demanda-t-il, qu’il doit être l’avant-dernier ministère du second Empire !
– Je le pense plus que jamais… s’écria l’avocat.
Et sans soupçonner, certes, quels effroyables malheurs allaient fondre sur la France, en cette sinistre année de 1870 :
– Dans un an, ajouta-t-il, à pareil jour, je vous donne rendez-vous. Alors, vous me direz ce que sont devenus tous ceux qui jouissent de leur reste, le comte de Combelaine et le duc de Maumussy, et cette chère princesse d’Eljonsen, et mon excellent ami Verdale !…
Le lendemain, ainsi qu’il l’avait annoncé, le Journal officiel publiait le nom des hommes choisis par Émile Ollivier, et qui allaient constituer avec lui ce ministère fameux qui portera dans l’histoire le nom de ministère du 2 janvier.
Et la vérité vraie, incontestable sinon incontestée, est que la France eut, ce jour-là, comme un éblouissement d’espérance et de liberté.
En lisant le nom des hommes qui allaient prendre la direction des affaires, on crut que la ruine prochaine, dont les symptômes se multipliaient de plus en plus alarmants depuis quelques mois, allait être conjurée.
On crut qu’une transaction pacifique éviterait les horreurs d’une lutte sanglante sur des décombres.
– On va donc respirer ! disait-on. La sécurité va donc renaître ! Les affaires vont donc reprendre !…
Que devenaient dans de telles circonstances les théories de Mme Delorge, qui avait toujours attendu, qui attendait encore avec une imperturbable confiance quelque dégringolade effroyable, soudaine, foudroyante, qui livrerait à sa vengeance les assassins, dix-huit ans impunis, de son mari !…
Et Raymond lui-même ne s’était-il pas parfois, dans le secret de son cœur, bercé de ce décevant espoir, que quelque grande commotion politique détacherait Mme de Maillefert de ses amitiés nouvelles et sauverait Mlle Simone ?
– Chimères !… se disait-il maintenant. Illusions vaines !… C’est sur moi, sur moi seul, qu’un homme doit compter !…
Ce qui n’était pas une illusion, c’est que, de plus en plus, la situation de Mlle Simone était menacée.
La veille même, une lettre qu’il avait reçue de M. de Boursonne était venue confirmer ses craintes et l’avertir de se hâter.
« Il court ici de singuliers bruits, écrivait le vieil ingénieur, et avec une persistance qui me les fait prendre au sérieux, malgré leur invraisemblance.
« On assure que Mlle Simone, ne devant plus revenir à Maillefert, se décide à vendre toutes ses propriétés, et même le château. D’après M. Bizet de Chenehutte, qui est décidément un brave garçon, la vente aurait lieu dans les premiers jours du mois prochain. Ce qui désole les gens du pays, c’est qu’on annonce que tout est d’avance acheté en bloc par un gros capitaliste de Paris.
« Comme de raison, je vous fais grâce des commentaires.
« Vous, là-bas, vous devez savoir la vérité. Mandez-la moi donc, s’il vous plaît, pour que je conserve ma réputation d’homme bien informé. Et par là même occasion, dites-moi un peu ce que vous devenez. »
Hélas !… Raymond n’en savait pas plus que son vieil ami.
Aussi, est-ce avec la résolution plus que jamais arrêtée de parvenir, coûte que coûte, jusqu’à Mlle Simone, qu’il arriva vers deux heures à son appartement de la rue de Grenelle-Saint-Germain.
Une surprise immense l’y attendait.
Lorsqu’il entra dans la loge pour prendre sa clef :
– On est venu vous demander ce matin, monsieur, lui dit la concierge.
Sa première idée fut que la vieille femme, dans une intention qui lui échappait, plaisantait.
Qui donc savait qu’il avait loué cet appartement ? Personne.
Et l’eût-on su, comment eût-on pu venir l’y demander, puisqu’au lieu de son nom, il avait donné celui de la famille de sa mère ?
– Quand donc est-on venu ? interrogea-t-il.
– Ce matin.
– Qui ?
– Un monsieur, vêtu dans le dernier genre, tout ce qu’il y a de plus comme il faut. J’étais en train de balayer mes escaliers : il appelle, moi je me penche sur la rampe, et je lui crie :
– Qu’est-ce que vous voulez ?
Il lève la tête :
– Je voudrais savoir, répond-il, si mon ami est chez lui.
– Quel ami ?
– Eh ! celui qui a aménagé au troisième avant-hier.
– M. de Lespéran, alors ?
– Précisément.
– Là-dessus, je lui dis que vous étiez absent, et il a paru très contrarié. Il m’a cependant remerciée très poliment, et il est parti en disant qu’il repasserait…
Raymond réfléchissait, et à son premier étonnement, l’inquiétude succédait.
Ce mystérieux visiteur ne s’était pas présenté en demandant M. de Lespéran. Il s’était arrangé de telle sorte que c’était la portière qui lui avait appris sous quel nom s’était établi rue de Grenelle son nouveau locataire.
Mais il semblait à Raymond très important que la concierge ne soupçonnât rien.
– Ce doit être, dit-il, quelqu’un de mes amis. Vous a-t-il laissé son nom ?…
– Ma foi, non !…
– Et vous ne le lui avez pas demandé ? Non. C’est vraiment bien fâcheux. Pourtant, si vous pouviez me donner son signalement exact !… Voyons, comment était-il, jeune, vieux ?…
– Ni l’un ni l’autre.
– Grand ou petit ? Mince ou gros ?…
– Entre les deux.
– Brun ou blond ?
– Oh ! pour cela, tout ce qu’il y a de plus blond, blond ardent, s’entend.
– Avait-il un accent ?
– Je n’ai pas remarqué.
Tout espoir d’être renseigné s’évanouissait. Raymond comprit qu’insister serait inutile.
– Une autre fois, dit-il à la portière, il faudra, je vous prie, demander le nom des gens qui viendront en mon absence.
Mais cette insouciance qu’il affectait, elle était bien loin de son âme.
De ce fait résultait pour lui la certitude qu’il était suivi, épié. Par qui ? dans quel but ?
Une fois, le souvenir de Laurent Cornevin traversa son esprit. Il le repoussa.
– Si Laurent, se dit-il, avait à me parler, il viendrait me trouver chez ma mère ou m’écrirait pour me donner un rendez-vous…
N’importe, c’était un souci nouveau ajouté à tous ceux de Raymond ; souci cuisant s’il en fut, irritant, de toutes les minutes.
Il cessait de s’appartenir, en quelque sorte. Il ne devait plus faire un pas, désormais, sans être tourmenté de cette idée qu’il traînait à ses talons quelque mouchard immonde, qu’il était incessamment épié, que chacune de ses démarches avait un témoin invisible, tapi dans l’ombre et dressant un rapport…
Une telle infamie était bien digne de M. Philippe, conseillé par M. de Combelaine.
Cette journée, du reste, qui commençait si mal, ne lui devait pas être favorable.
C’est en vain que, jusqu’à la nuit, il demeura l’œil cloué à l’ouverture qu’il avait pratiquée à la persienne, il n’aperçut ni Mlle Simone, ni miss Lydia Dodge.
Et il ne fut pas plus heureux les jours suivants, encore que littéralement il ne bougeât plus de son observatoire ; si bien qu’à la fin de la semaine il ne savait plus que croire ni qu’imaginer.
Miss Dodge l’avait-elle donc trompé ? N’avait-elle paru céder à ses instances que pour se débarrasser de lui ? Avait-elle au contraire tenu sa promesse et avait-elle été impitoyablement renvoyée ?
Le désespoir s’emparait de Raymond, lorsqu’enfin le dimanche matin, un peu avant huit heures, juste comme il venait d’arriver, il vit apparaître sur le perron Mlle Simone.
Elle était habillée ; elle allait sortir ; elle sortait.
Mais ce n’était pas comme d’ordinaire la fidèle Lydia Dodge qui l’accompagnait. C’était une femme de chambre que Raymond ne connaissait pas, qui devait être une des femmes de la duchesse, et qui portait un livre d’heures…
Il n’en descendit pas moins en toute hâte et assez vite pour que Mlle Simone n’eût pas disparu quand il arriva dans la rue.
Mais elle était loin, déjà ; elle marchait d’un bon pas… Elle suivait la rue de Grenelle-Saint-Germain, elle tournait la rue Casimir-Périer… Il était clair qu’elle se rendait à Sainte-Clotilde.
Raymond, alors, la devança et se retourna. Leurs yeux se rencontrèrent. Elle tressaillit et baissa la tête, mais elle ne s’arrêta pas et entra dans l’église…
– Et cependant elle m’a vu, pensait-il, elle m’a reconnu !… Tout espoir est-il donc perdu ?…
Ce qui le préoccupait, c’était de savoir par où Mlle Simone sortirait, afin de la devancer et de se trouver sur son passage.
Bientôt il n’eut plus de doute.
La messe terminée, elle resta agenouillée quelques instants encore, puis, se levant, elle traversa la nef, se dirigeant vers la grande porte qui donne sur le square.
Il sortit alors par une des portes latérales, et tournant l’église au pas de course, il arriva au bas des marches, juste comme Mlle Simone les descendait.
Il hésitait à l’aborder, pourtant, à cause de cette femme de chambre étrangère… Mais elle n’hésita pas, elle. Venant droit à lui :
– Ce que vous faites là est mal, monsieur Delorge !… lui dit-elle.
Lui était saisi de douleur de retrouver Mlle Simone si pâle et si amaigrie. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Ce qui n’empêche que c’est d’une voix ferme, et en le regardant fixement, qu’elle ajouta :
– N’avez-vous donc pas reçu ma dernière lettre ?
– Pardonnez-moi.
– Ne vous y disais-je pas de m’oublier ? qu’il le fallait ?…
Raymond hochait la tête.
– Dans cette dernière lettre, répondit-il, vous me disiez : « Je suis la plus misérable des créatures. » Alors moi je viens vous dire : « Mon âme, mon intelligence, ma vie, tout vous appartient. Est-ce que tout entre nous, joie ou malheur, ne doit pas être commun ? » Qu’arrive-t-il ? J’ai le droit de vous le demander, j’ai le droit de le savoir. Il faut que je vous voie, que je vous parle…
Elle devenait indécise, mais la femme de chambre se rapprochait :
– Eh bien !… soit, dit-elle vivement ; à quatre heures, demain, ici…
Certes, il n’y avait rien dans l’attitude de Mlle de Maillefert, dans son accent ni dans ses regards qui pût encourager les espérances de Raymond…
Mais le pire malheur n’était-il pas préférable à ses horribles perplexités ?…
Aussi le lendemain, bien avant l’heure indiquée, il était devant Sainte-Clotilde et errait lentement autour du square.
Le ciel était gris, le temps froid, le sol détrempé. Le jardin était désert. Personne ne passait le long des grilles…
Mais la nuit venait, avancée par le brouillard. Quatre heures sonnèrent. L’instant d’après, deux femmes apparurent au coin de la rue Casimir-Périer : miss Lydia et Mlle Simone…
La pauvre gouvernante n’avait donc pas été renvoyée !
Vivement Raymond s’avança… Mais Mlle Simone l’avait aperçu, et venant à lui :
– Offrez-moi votre bras, lui dit-elle d’une voix brève, et marchons…
Il obéit ; et tout aussitôt :
– Car vous en êtes venu à vos fins, poursuivit durement la jeune fille. Vous l’exigiez, me voici…
– Je l’exigeais !…
– Assurément, et à ce point que c’était comme une persécution. Mon frère ne vous a-t-il pas rencontré déjà, près de notre hôtel, et n’est-ce pas sa modération seule qui a évité une altercation ?…
Un geste de colère, de regret peut-être, échappa à Raymond.
– C’est juste, fit-il. M. Philippe ne m’a même pas frappé.
– Et ce n’est pas tout !… Vous avez circonvenu ma gouvernante et vous l’avez décidée à enfreindre mes ordres et à violenter ma volonté !…
Était-ce bien Mlle Simone qui parlait ainsi !… Était-ce possible !… Était-ce vraisemblable !…
– Je voulais vous voir, commença Raymond, je voulais…
– À quoi bon !… interrompit la jeune fille, d’un accent tranchant et froid comme l’acier. Est-ce pour me contraindre à vous répéter ce que je vous ai écrit ? Soit, je vous le répète : Nous sommes à tout jamais séparés, nous devons nous oublier, il le faut, je le veux…
Elle parlait très haut, sans aucune réserve, comme si elle eût été hors d’elle-même… Si bien qu’il était fort heureux que le square fût désert, et que d’ailleurs miss Dodge veillât.
– Eh bien ! s’écria Raymond, c’est de cette séparation que j’ai à vous demander compte…
– À moi ! prononça la jeune fille, d’un ton que n’eût pas désavoué sa mère. Et de quel droit ? Depuis quand ne suis-je plus libre et maîtresse de mes actions ? Ce que je fais, il me plaît de le faire…
Heureusement, il est de ces exagérations qui, dépassant le but, le découvrent.
À mesure que Mlle Simone le traitait plus durement, le jour se faisait dans l’esprit de Raymond. Il s’arrêta court, et plongeant dans les yeux de la jeune fille un de ces regards qui remuent la vérité au plus profond de l’âme :
– Ah ! ce que vous faites est sublime !… s’écria-t-il.
– Monsieur, balbutia-t-elle, décontenancée. Raymond…
Mais lui, sans se laisser interrompre :
– Me jugez-vous donc si au-dessous de vous, continua-t-il, que je ne puisse vous comprendre ?… Détrompez-vous. Croyant que je dois vous perdre, vous essayez d’atténuer mon désespoir. Quand une abominable intrigue vous arrache à mon amour, vous voulez paraître me renier volontairement. Vous élevant pour moi jusqu’à l’héroïsme du sacrifice, vous tâchez de vous perdre dans mon cœur, avec cette pensée que, si je pouvais vous mépriser, je vous regretterais moins et me consolerais…
Sous la flamme de cette parole, elle se débattait, elle essayait de protester.
– Vous oubliez donc, continuait Raymond, le serment que nous avons juré !… C’est ensemble que nous devons lutter la lutte de la vie, ensemble que nous devons périr ou être sauvés…
Visiblement, Mlle de Maillefert avait trop compté sur ses forces : elle faiblissait.
– Je vous en conjure, murmura-t-elle, ne me parlez pas ainsi…
– Il le faut, je le dois, et vous… vous me devez la vérité…
– Eh bien ! donc… commença l’infortunée.
Mais elle s’arrêta aussitôt, avec un mouvement d’horreur, et violemment :
– Jamais !… s’écria-t-elle, jamais, c’est impossible…
Raymond sentait la victoire lui échapper.
– Faudra-t-il donc, s’écria-t-il, que je vous sauve malgré vous !…
Elle se redressa sur ce mot, et admirable d’énergie :
– Qui vous dit que je veux être sauvée ? prononça-t-elle. Je ne dois pas l’être, je ne le serai pas. Il est trop tard, d’ailleurs. Tout ce que vous tenteriez maintenant ne servirait plus qu’à rendre peut-être inutile un horrible sacrifice librement consenti. Pour vous, j’aurais dû ne pas venir. Pour moi, j’emporte l’espérance que le souvenir de la pauvre Simone ne vous sera pas sans douceur… Car, ne vous abusez pas, c’est la dernière fois que nous nous revoyons…
– Non, je ne vous laisserai pas partir ainsi.
Déjà elle avait repris le bras de miss Lydia.
– N’insistez pas, dit-elle, laissez-moi tout mon courage, j’en ai besoin… Adieu !
Lorsque Raymond revint à lui, après avoir erré toute la soirée par les rues de Paris, il était sur le boulevard, devant un groupe où un homme disait :
– Victor Noir a été tué par le prince Pierre Bonaparte, j’en suis sûr, j’arrive d’Auteuil…