CHAPITRE II
 
Le retour du Club des Cinq

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PENDANT ce temps, Claude et ses cousins se rapprochaient de la villa des Mouettes, à grands coups de pédales. Dagobert, le chien de Claude, bondissait joyeusement derrière eux.

« Enfin, nous allons retrouver notre joli village de Kernach, dit Annie. J’aime ta maison, Claude. C’est si agréable, le matin, en s’éveillant, de pouvoir contempler la mer ! Elle est là, presque sous nos fenêtres ! Et puis, il y a ton île dans la baie, où nous pourrons pique-niquer s’il fait beau !

— Je me plais beaucoup aux Mouettes, dit Mick, enthousiaste. Maria nous fait de la bonne cuisine et de bons gâteaux ! Et puis, ta mère est si gentille, Claude ! C’est dommage que notre oncle ne supporte pas le bruit.

— Cette fois, je pense qu’il nous laissera nous amuser, car il doit avoir terminé ses travaux les plus importants, dit Claude. Quel dommage que vous ne restiez qu’une semaine ! J’aurais aimé vous garder plus longtemps avec moi !

— Une semaine, c’est déjà bien, dit François. Tenez, voilà la baie de Kernach, plus bleue que jamais ! »

Ils se sentaient tous émus de revoir ce délicieux coin de Bretagne, où ils avaient passé ensemble tant de bonnes vacances.

« Quelle chance tu as, Claude, d’avoir à toi cette jolie petite île, qui brille là-bas au soleil ! dit Annie.

— C’est vrai, répondit Claude. Jamais je n’ai été aussi heureuse que le jour où maman me l’a donnée. Elle, appartenait à notre famille depuis très longtemps, bien sûr, et maintenant elle est à moi ! Nous irons tous là-bas demain. »

Ils arrivaient au terme du voyage.

« Je vois le toit de la maison ! annonça François, qui tenait la tête du peloton. La cheminée de la cuisine fume. C’est bon signe ! Notre déjeuner est en train de cuire, et peut-être aussi… Devinez quoi ?

— Une tarte ! Je la sens d’ici ! » s’écria Mick.

 Tout le monde rit. Les plus gourmands se sentirent soudain l’estomac creux.

Ils pénétrèrent dans le jardin. Quand leurs bicyclettes furent rangées dans le garage, Claude enfla ses poumons et cria bien fort :

« Maman ! Nous sommes arrivés ! Où es-tu ? »

Soudain, Annie s’accrocha à son bras. « Claude, lui dit-elle, qu’est-ce que c’est que ça ? Regarde ! À la fenêtre, là ! »

Tout le monde se tourna vers l’endroit désigné par Annie. Claude constata, ébahie :

« Mais… C’est un singe ! »

Dagobert avait vu, lui aussi, l’étrange museau noir écrasé contre la vitre. Il partit comme une flèche en direction de la porte d’entrée. Claude le rappela, mais en pure perte. Dagobert voulait faire son enquête. S’agissait-il d’un petit chien ? Ou d’une sorte de chat inconnue de lui ? Quoi qu’il en soit, cette tête-là ne lui revenait pas du tout, et il allait au plus tôt en débarrasser les lieux ! Il se mit à aboyer de sa plus grosse voix, fonça dans l’entrée et faillit renverser un petit garçon qui se trouvait sur son passage. Le singe, terrifié, sauta sur une armoire ancienne.

« Laisse mon singe tranquille, espèce de grosse brute ! » cria une voix furieuse. Par la porte ouverte, Claude vit Pilou donner une bonne tape à Dagobert. Aussitôt elle se précipita sur le jeune inconnu et, l’agrippant par les épaules, le secoua comme un prunier.

« Qu’est-ce que tu fais ici, toi ? De quel droit frappes-tu mon chien ? Tu as de la chance qu’il ne t’ait pas mordu ! » lui dit-elle.

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Enfin, elle lâcha Pilou, se tourna vers Berlingot et ajouta : « D’où sort cet animal ?

— Il est à moi », sanglota Pilou.

Le petit singe, tout tremblant, se cachait comme il pouvait en haut de l’armoire, et protestait avec véhémence, en son langage.

Les cousins de Claude survinrent en même temps que Maria, la cuisinière, alertée par le bruit.

« Que se passe-t-il ? demanda-t-elle. Claude, tu sais bien que ton père va sortir de son bureau d’une seconde à l’autre… Qu’il va encore se fâcher… Dagobert, tais-toi ! Oh ! Vous pleurez, Pilou ? Séchez vos larmes et emmenez vite votre singe ailleurs, sinon Dagobert va l’avaler tout cru !

— Je ne pleure pas ! dit Pilou rageusement, en se frottant les yeux. Viens, Berlingot. Si ce chien veut te faire du mal, je le… je le… »

Dans son indignation, il ne trouvait plus ses mots.

« Écoute le conseil de Maria. Prends ton singe et va le mettre à l’abri », dit gentiment François. Il trouvait que Pilou ne manquait pas de courage, de vouloir se mesurer avec un chien comme Dagobert !

Pilou siffla ; aussitôt le singe se laissa tomber sur l’épaule du jeune garçon, et lui passa les bras autour du cou. Il gémissait doucement.

« Pauvre petit, il pleure, lui aussi, constata Annie, toute émue. Je ne savais pas que les singes pouvaient pleurer. Dagobert, je t’en prie, cesse d’aboyer. C’est mal de faire peur à des animaux plus faibles que toi !

— Ne dirait-on pas que Dagobert abuse de sa force ? dit Claude, en fronçant ses sourcils noirs. Ne crois-tu pas qu’il a des excuses ? Que veux-tu qu’il fasse quand, rentrant chez lui, il y trouve un singe et un garçon inconnu ? Qui es-tu, toi ? demanda-t-elle en se tournant vers Pilou.

— Je ne te le dirai pas, déclara fièrement celui-ci.

Il sortit de la chambre avec son singe sur l’épaule. Maria, qui est-ce ? demanda François. Que fait-il ici ?

— Je savais bien que vous ne seriez pas contents, dit Maria, Le professeur Lagarde est arrivé ce matin avec son fils…

— Le professeur Lagarde ! s’exclama Claude, Personne ne nous a prévenus que…

— Il a écrit à ton père qu’il voulait le voir tout de suite, dit Maria.

— Quand partent-ils ? demanda Claude.

— Il paraît qu’ils doivent rester une semaine, répondit Maria.

— Quoi ? C’est trop fort ! Une semaine ! Le professeur Lagarde, son fils et son singe ! Comment maman a-t-elle consenti à cela ? C’est une trahison ! cria Claude.

— Allons, Claude, calme-toi, dit François. Laisse Maria continuer.

— Eh bien, ils sont arrivés avant qu’on ait le temps de les prévenir qu’il n’y avait pas de place ici pour les loger, expliqua Maria. En ce moment, ton père est enfermé dans son bureau avec le professeur. Ils sont déjà plongés dans leurs chiffres et se moquent bien du reste ! Pendant ce temps-là, ta mère et moi nous nous cassons la tête pour essayer de loger tout le monde…

— Où pensez-vous mettre la famille Lagarde ? demanda Claude.

— Le professeur, son fils et le singe vont partager la chambre d’amis, répondit Maria,

— Mais… C’est là que François et Mick doivent coucher ! objecta Claude, de plus en plus agitée. Je vais aller voir maman et lui dire que c’est impossible…

— Ne t’énerve pas, Claude, réfléchissons ensemble, dit François. Il y a peut-être un moyen d’arranger les choses. Quel dommage que nous ne puissions pas retourner chez nous ! La maison est fermée, maintenant.

— Je ne vois qu’un endroit où je pourrais vous caser, vous les garçons : c’est le grenier, dit Maria. Malheureusement, il est poussiéreux et plein de courants d’air. Si vous voulez bien y coucher, je mettrai deux matelas là-haut pour vous.

— Bon, soupira François, résigné. Nous nous installerons donc dans le grenier. Où est tante Cécile ? Que pense-t-elle de ces complications ?

« Elle est très ennuyée, forcément, répondit Maria. Mais, comme d’habitude, elle ne pense qu’aux autres, pas à elle-même. Elle voudrait faire plaisir à tout le monde. Vous la connaissez, elle est trop bonne, la pauvre madame ! Ce professeur Lagarde, quel homme tout de même ! Il est arrivé dans cette maison comme chez lui, avec son galopin et… son singe ! À mon avis, le singe est le plus sympathique des trois ! »

La mère de Claude arriva en coup de vent.

« Bonjour, mes chéris, dit-elle, souriante. J’ai entendu Dagobert aboyer. Ce bon Dagobert, comment réagira-t-il quand il verra le singe du professeur ?

— Il a déjà réagi, dit Claude. Maman, comment as-tu pu laisser ces gens-là s’installer chez nous, alors que tu nous attendais ?

« Assez, Claude », dit François, peiné de voir le doux visage de sa tante se rembrunir en entendant ces paroles de reproche. « Tante Cécile, ne t’inquiète pas, nous t’aiderons. Nous te ferons les courses, nous irons pique-niquer dans l’île de Kernach, nous resterons dehors autant que possible…

— Tu es un brave garçon, François, dit sa tante, très touchée. Oui, mes enfants, nous nous trouvons tous dans une situation difficile. Nous manquons de place. Et puis, le professeur Lagarde n’est pas un hôte ordinaire. Il ne se soucie jamais de l’heure des repas, ce qui est vraiment désagréable. Que voulez-vous, c’est un savant… »

Il y eut un silence.

« Nous coucherons dans le grenier, tante Cécile, dit François. Ce sera très amusant. Chacun de nous tâchera de se rendre utile. »

Dagobert s’approcha de la porte entrouverte et se mit à aboyer. Il venait de reconnaître l’odeur du singe. En effet, celui-ci se balançait sur la rampe de l’escalier en discourant à sa manière.

« Que peut-il bien dire ? se demandait Dagobert, intrigué. Aurait-il l’audace de se moquer de moi ? »

Le singe, en voyant le chien, se mit à sautiller sur la rampe ; il semblait ricaner. Alors, Dagobert n’y tint plus. Il fonça tête baissée dans l’escalier, en aboyant de toutes ses forces.

La porte du bureau s’ouvrit et livra passage, non pas à un seul, mais à deux savants irrités.

« Qu’est-ce que c’est ?

— Ne pouvons-nous être un moment tranquilles ? criaient-ils ensemble.

— Seigneur ! » s’exclama Mme Dorsel, qui prévoyait avec effroi que ce genre de scène allait se reproduire vingt fois par jour, entre le Club des Cinq et les deux savants. « Allons, messieurs, ne vous fâchez pas, s’empressa-t-elle d’ajouter. Notre chien n’est pas encore habitué au singe de Pilou. Retournez dans le bureau, s’il vous plaît. Je ferai en sorte qu’on ne vous dérange plus.

— Ouah ! ouah ! » fit Dagobert de sa plus grosse voix en fixant sur M. Lagarde un œil peu rassurant.

Le professeur disparut aussitôt dans les profondeurs du bureau.

« Si Dagobert recommence à s’en prendre à mon ami, je le chasserai de cette maison ! dit M. Dorsel, avant de disparaître à son tour.

— Quoi ? cria Claude, rouge de colère. Maman, regarde donc ce singe qui est maintenant sur l’horloge. C’est cette sale bête qu’il faut renvoyer d’ici, pas notre brave Dagobert ! »

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