CHAPITRE XVI
Dans les cavernes
LE LENDEMAIN matin, Claude se réveilla brusquement. Dagobert la poussait du museau. De toute évidence, il voulait attirer son attention sur quelque chose d’important.
« Qu’y a-t-il, Dago ? » demanda la fillette.
Dagobert répondit par un aboiement, et courut vers l’escalier.
« Va voir les garçons et fais-leur comprendre ce que tu veux », dit Claude en se renfonçant sous ses couvertures.
Dagobert descendit l’escalier s’arrêta dans la chambre où dormaient les trois garçons. Il s’approcha de François et le réveilla, à coups de tête répétés. François grogna et s’étira.
« Ah ! C’est toi, Dago, dit-il. Que veux-tu ?
— Ouah ! Ouah ! » fit Dagobert, énergiquement. Puis il s’élança dans l’escalier et gagna le rez-de-chaussée.
« Tiens ! Il a entendu quelqu’un », se dit François, tout en bâillant.
Il se résigna à se lever, et à rejoindre Dagobert. Le verrou de la porte était toujours tiré. Il ne vit rien d’anormal dans le phare ; alors, il ouvrit la porte pour jeter un coup d’œil au-dehors. Sur la première marche, il y avait deux bouteilles de lait.
« Eh bien, Dago, c’est stupide de m’avoir réveillé à cause du laitier », dit François.
Il prit les deux bouteilles et referma la porte au verrou.
« Cet homme a du mérite de nous porter son lait jusqu’ici », pensait le jeune garçon.
Eh bien, Dago, c’est stupide de m’avoir
réveillé à cause du laitier.
Comme il était bien réveillé et que la faim lui donnait déjà des tiraillements d’estomac, il se fit un plaisir de préparer le café et de secouer tous les dormeurs pour le petit déjeuner.
Après les grognements d’usage au moment du réveil, chacun retrouva le sourire en engloutissant de nombreuses tartines de beurre et de confiture. Le café au lait fut jugé très bon. Comme l’avait prévu Pilou, ce séjour dans le phare leur donnait à tous un considérable appétit !
Berlingot se conduisit mal. Il trempa une patte dans la confiture, puis la lécha. Dérangé par une bonne claque, il se sauva et laissa partout sur son passage des empreintes poisseuses.
Après une chasse mouvementée, les enfants réussirent à cerner Berlingot. Quand il se vit pris, il se laissa choir sur l’épaule de Pilou et s’accrocha à son cou désespérément.
« De mieux en mieux ! cria Pilou. Essuie tes pattes sur moi, crétin ! »
Lorsque Pilou et son singe furent enfin débarrassés de leur confiture, les enfants firent rapidement le ménage puis songèrent à sortir.
« Il me semble qu’il y a beaucoup de vent, aujourd’hui, fit remarquer Mick.
— Sortons quand même, dirent les autres, en chœur.
— Ouah ! » fit Dagobert, pour marquer son approbation.
Avant de partir, Annie écrivit une carte à sa tante Cécile.
« Je ne parle pas du vol, dit-elle à ses frères. Tante Cécile serait bouleversée, et peut-être qu’elle nous demanderait de rentrer immédiatement ! Et que penseraient Oncle Henri et le professeur Lagarde ?
— Ils ne doivent pas s’ennuyer, ces deux-là, dit Mick. Tante Cécile est sûrement obligée de les appeler vingt fois pour les arracher à leurs chiffres au moment des repas ! »
Quand tout le monde fut prêt à partir, Dagobert s’élança vers l’escalier. Il aimait tant à se promener !
« Mon pauvre Dago, il faut que tu restes ici, pour garder le phare en notre absence, lui dit Claude. Nous n’avons pas de clef. De l’extérieur, nous ne pouvons pas tirer le verrou… Garde la maison ! Tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ? »
Les oreilles de Dagobert retombèrent tristement ; il donna un petit coup de patte à Claude, comme pour lui dire :
« Je t’en prie, ne m’oblige pas à rester tout seul ici !
— Garde la maison, répéta Claude, fermement. C’est une drôle de maison, mais tu en es responsable. Ne laisse entrer personne. Couche-toi sur le paillasson et attends-nous.
Dago regarda François et Annie, comme s’il attendait d’eux un secours, puis se résigna à obéir.
Claude le caressa et lui parla encore : « Sois patient. Tu sortiras bientôt. Alors, l’un de nous restera ici. Mais pour le moment, nous voulons partir tous ensemble. Garde la maison ! »
Dagobert se coucha sur le paillasson, et mit son museau sur ses pattes. Il regardait toujours Claude avec une expression triste et soumise dans ses beaux yeux marron.
Claude lui fit une dernière caresse et ils quittèrent tous le phare.
La marée basse leur permit de passer par les rochers pour gagner la plage.
Ils aperçurent de loin le vieux Yann qui rêvait en fumant la pipe. Quand ils furent près de lui, Mick dit poliment :
« Bonjour, monsieur Le Briz.
— Bonjour, les enfants, dit Yann. Bonjour, singe ! Te voilà encore sur mon épaule ! Quelles nouvelles de ton pays ? »
Les enfants se mirent à rire très fort en voyant Berlingot se pencher sur l’oreille velue du vieux marin pour lui faire un discours de sa façon.
Quand leur fou rire fut calmé, François prit la parole :
« Nous voudrions bien visiter les grottes aujourd’hui, dit-il. En particulier la caverne des Naufrageurs.
— Je ne vous conseille pas de prendre Sylvestre pour guide, dit le vieux. Tout ce qui n’est ni trop chaud, ni trop lourd, il faut qu’il l’emporte ! Il est capable de voler les boutons de votre veste sans que vous vous en aperceviez ! Maintenant, si vous voulez que je vous fasse visiter les grottes, moi, je vous montrerai des tas de choses que ces deux fieffés coquins ne connaissent même pas !
— Bien sûr, nous sommes tout à fait d’accord pour vous prendre comme guide, dit François. D’ailleurs, Sylvestre est certainement furieux que nous ayons dénoncé son frère à la police. Nous vous donnerons un autre paquet de tabac pour votre peine… »
Le vieux Yann se leva avec une étonnante agilité.
« Allons-y ! dit-il en se mettant gaillardement en marche. Suivez-moi ! »
Tout le monde lui emboîta le pas sans se faire prier. Berlingot resta sur l’épaule du grand-père Le Briz tout le long du trajet. Ils rencontrèrent quelques personnes qui se retournèrent avec curiosité sur leur passage. Le vieil homme en paraissait ravi.
Il amena sa petite troupe au pied d’une falaise, qu’ils contournèrent. Ils arrivèrent alors sur une plage rocailleuse. Yann se dirigea vers un trou béant, au flanc de la falaise.
« Voilà l’entrée des grottes, dit-il. J’espère que vous avez des lampes de poches ?
— Bien sûr, dit François. Nous avons chacun la nôtre. Y a-t-il quelque chose à payer ?
— Non. Les gens donnent un pourboire à Guillaume ou à Sylvestre, pour leur faire faire le tour des cavernes. Je me charge de Sylvestre. Ne gaspillez pas votre argent avec ce gars-là ! »
Ils suivirent une galerie qui les conduisit à la première grotte, de belles dimensions. Quelques lanternes accrochées aux parois l’éclairaient faiblement.
« Prenez garde, maintenant, dit Yann. Le sol est glissant par endroits. Venez par ici ! Passez sous l’arche ! »
Il faisait froid el humide dans la grotte, et les enfants avançaient précautionneusement, pour éviter de marcher sur les algues laissées par la mer. Puis, soudain, Yann tourna et s’enfonça dans une voie tout à fait différente : ils descendirent, descendirent profondément dans les entrailles de la terre !
« Eh bien, nous allons vers la mer, à présent, il me semble, dit François, surpris. Les cavernes s’étendent donc sous la mer ? Et non pas dans la falaise ?
— C’est juste, dit Yann. Le chemin que nous prenons conduit à des cavernes creusées très profondément dans le roc, sous la mer. Si vous prêtez l’oreille, vous pouvez déjà entendre le bruit des vagues au-dessus de votre tête ! »
À cette pensée, les enfants éprouvèrent une curieuse sensation. Annie regardait la voûte de la galerie avec crainte et dirigeait vers elle la lumière de sa lampe de poche, comme pour vérifier s’il n’y avait pas quelque menace d’effondrement !
Mais non, elle ne vit sur le roc qu’un peu de moisissure.
Berlingot, frileux comme tous les singes, n’appréciait pas du tout cette promenade. Il se mit à protester, de plus en plus haut. Non seulement il avait froid, mais surtout la peur le gagnait. Comme personne ne faisait attention à lui, il se fâcha et poussa le cri le plus perçant dont il fût capable.
« C’est stupide, tu m’as fait peur ! lui dit Annie. Oh ! Vous entendez, le cri de Berlingot se répercute dans la galerie ! On dirait une centaine de singes criant à la fois ! Nos voix font écho aussi ! ».
Berlingot, épouvanté, se mit à pleurer comme un tout petit enfant et s’accrocha désespérément à Pilou.
« N’aie pas peur, tu ne risques rien avec moi », lui dit Pilou en le serrant dans ses bras.
« Vous n’avez encore rien entendu. L’écho est bien plus sonore après le deuxième tournant », annonça Yann.
Quand tout le monde fut arrivé à cet endroit, Yann poussa un cri aigu qui se répéta dix fois. Le tunnel sembla plein de cris. De terreur, Berlingot lâcha Pilou, sauta à terre et s’enfuit de toute la vitesse de ses petites pattes…
« Berlingot ! Reviens ! Tu vas te perdre !
— Te perdre ! Te perdre… répéta l’écho.
— Ne t’inquiète pas pour ton singe, lui dit Yann. Il saura bien nous retrouver, quand il sera remis de sa frousse !
— Je vais attendre ici qu’il revienne, dit Pilou, la voix tremblante d’émotion.
— Nous ne pouvons pas te laisser tout seul ! s’écria François. Allons, sois raisonnable, viens ! »
Pilou les suivit, à regret. Ils débouchèrent dans une grotte, éclairée également par de pauvres lanternes. En approchant, ils avaient entendu un murmure de voix, et se demandaient qui se trouvait là.
Ils virent trois personnes bien mises — des visiteurs sans doute — accompagnées par un grand gaillard à cheveux noirs et drus, d’aspect fort antipathique. Les enfants pensèrent qu’il s’agissait de Sylvestre, le frère de Guillaume.
Dès que Sylvestre — car c’était bien lui — vit le vieux Yann, il rugit :
« Décampe ! C’est mon boulot de montrer les grottes. Venez par ici, les enfants ! »
Mais Yann n’avait pas la langue dans sa poche et il répondit vertement à son ennemi. Les enfants crurent devenir sourds, tant les injures échangées prenaient d’ampleur avec l’écho. Les visiteurs, craignant une rixe, s’en retournèrent vers la sortie.
Annie prit son frère par le bras :
« Ils ne vont pas se battre, dis ? souffla-t-elle. Pauvre Yann, à son âge, il ne pourrait pas se défendre… »
Mais Yann ne semblait pas le moins du monde impressionné. Pourtant, Sylvestre s’avançait vers le vieillard, le poing levé. Il criait :
« Je t’ai dit cent fois que je ne voulais pas te voir ici ! C’est moi qui suis guide, compris ? Moi et mon frère Guillaume…
— Toi et ton frère Guillaume, vous êtes deux fameuses fripouilles », compléta Yann.
Il cracha par terre et tourna le dos délibérément à l’homme en furie.
« Attention ! » cria François, angoissé.
Sylvestre fonçait sur Yann, prêt à le frapper…