CHAPITRE VIII
 
Voilà le phare !

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LE PARCOURS fut des plus agréables, car la route longeait la côte, qui s’incurvait mollement à cet endroit. Certains points de vue sur la mer et les rochers se révélèrent si beaux que chacun s’arrêta de plaisanter pour mieux les admirer. Dagobert, le nez à la portière regardait lui aussi. « Je me demande pourquoi Dagobert passe toujours sa tête au-dehors quand nous sommes en voiture, dit Claude. Est-il sensible à la beauté du paysage, ou a-t-il mal au cœur ?

— Peut-être les deux, répondit François. Il paraît que les chiens sont, encore plus que les humains, sensibles à l’odeur de l’essence. Et voyez ce pauvre Berlingot ! Lui non plus n’est pas dans son assiette ! »

En entendant le nom de son ami le singe, Dagobert rentra la tête un court instant, l’examina en remuant les oreilles et, comme apitoyé, lui donna un coup de langue sur le nez. Berlingot ne bougea pas ; on eût dit qu’il craignait qu’un geste ne le rendît encore plus malade.

Ils s’arrêtèrent pour déjeuner sur une petite plage. Tout le monde déballa ses provisions de route. Berlingot, soudain ressuscité, s’installa sans façon sur les genoux du chauffeur nanti d’un bon repas froid et sut, par son impayable mimique, se faire offrir ce qui lui plaisait.

Quand ils se remirent en route, François demanda :

« Dans combien de temps arriverons-nous au cap des Tempêtes ?

— Dans une demi-heure environ, répondit le chauffeur. Où allez-vous vous installer ? Le garagiste ne me l’a pas précisé.

— Au phare, dit François. Le connaissez-vous ?

— Bien sûr que je le connais. Mais personne n’y habite, dit le chauffeur qui croyait à une plaisanterie. Descendez-vous chez des amis ?

— Non, nous allons réellement nous installer dans le phare, dit Pilou. Il est à moi.

— Pas possible ! Eh bien, vous avez là un château avec une vue splendide, dit le chauffeur. Je suis né au cap des Tempêtes. Mon arrière-grand-père vit toujours dans notre maison familiale. Dans mon enfance, il me racontait des histoires sur le phare. Il paraît qu’une fois des naufrageurs ont réussi à s’y introduire. Après s’être emparés du gardien, ils ont éteint la lanterne pour qu’un grand navire vienne se briser sur les rochers !

— C’est horrible ! Ce bateau a-t-il vraiment fait naufrage ? demanda Annie.

— Oui. Il s’est fracassé sur les rochers. Alors les bandits ont attendu la marée basse pour s’emparer de tout ce qui les intéressait, parmi les débris. Il faudra que vous alliez voir mon arrière-grand-père, et que vous lui demandiez de vous raconter ses histoires d’autrefois. Peut-être même vous montrera-t-il la caverne des Naufrageurs…

— Pilou nous en a parlé, dit Claude. Peut-on réellement la visiter ? Est-il vrai qu’il y ait encore des bandits qui s’y cachent quelquefois à l’heure actuelle ?

— Non, rassurez-vous. Les naufrageurs ont disparu depuis longtemps.

— Comment s’appelle votre arrière-grand-père ? Où demeure-t-il ? demanda Claude, qui venait de décider d’aller voir cet homme dès que possible.

— Vous demanderez Yann Le Briz, dit le chauffeur. On vous indiquera sa maison Il est connu de tout le village. D’ailleurs, s’il y a un rayon de soleil, vous le trouverez assis sur le quai en train de fumer la pipe. Il n’est pas commode, mais il aime bien les enfants. Il vous racontera des tas de choses intéressantes !

— Yann Le Briz, répéta François pensivement. Yann, c’est Jean en breton, n’est-ce pas ? Il n’y a plus beaucoup d’hommes qui portent encore ce joli nom de Yann ! »

Ils roulèrent quelques minutes en silence, puis le chauffeur se mit à pester contre un troupeau de vaches qui lui barrait la route.

« Cornez un bon coup, suggéra Pilou.

— Un conducteur prudent se garde bien de corner lorsqu’il passe près d’un troupeau de vaches, mon garçon. Le bruit les effraie, et elles se mettent à sauter de tous les côtés ! » répliqua le chauffeur.

Pilou se rencogna, vexé de ne pas tout savoir sur l’art de conduire.

Un peu plus tard, le chauffeur leur désigna un point dans le lointain.

« Nous approchons, dit-il. Ces rochers, là-bas, tout au bout de la côte, c’est le cap des Tempêtes !

— Pourquoi l’appelle-t-on ainsi ? Le mauvais temps y est-il fréquent ?

— Oui. C’est un lieu qui a été longtemps redouté des marins. Heureusement que le nouveau phare est très puissant ! Il y a là-bas des rochers si dangereux que les vieilles gens racontent que seuls les démons ont pu les disposer ainsi, pour faire le plus de mal possible. Quelques-uns de ces rochers affleurent à peine, ils peuvent ouvrir un bateau en deux ! D’autres sont dressés en dents de scie…

— Allons-nous bientôt apercevoir le phare ? demanda Claude, qui ne tenait plus en place.

— Quand nous serons en haut de cette colline, là devant vous, alors vous le verrez de loin. S’il vous plaît, dites à votre singe de retirer sa patte de ma poche. Il ne reste plus rien d’intéressant pour lui dedans !

— Tiens-toi bien, Berlingot ! » dit Pilou, si sévèrement que le petit animal se cacha le museau dans les pattes et se mit à gémir.

« Quel farceur ! dit Claude. Il fait semblant de pleurer.

— Ce n’est pas vrai ! protesta Pilou. Il a du chagrin. C’est un animal très sensible. »

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Ses amis se mirent à rire et le plaisantèrent sur la sensibilité de Berlingot jusqu’au moment où, enfin, le phare se révéla à leurs yeux.

« Est-ce bien lui ? demanda Annie, qui l’aperçut la première.

— Oui, dit le chauffeur. Pour un vieux phare, il a encore de l’allure, n’est-ce pas ? Il a été construit avec de belles pierres. Et voyez comme il est haut ! Les vagues sont parfois énormes à cet endroit, aussi il a fallu le faire assez haut pour que la lumière ne soit pas masquée par l’écume des vagues sur les vitres.

— Où se tenait le gardien ? demanda Mick.

— Il y a une pièce assez confortable en dessous de la lanterne, dit le chauffeur. Mon arrière-grand-père m’a emmené une fois dans ce phare. Je m’en souviens encore, car j’ai été très impressionné !

— Eh bien, mon père, lui, a vécu là tout un été ! déclara Pilou. J’ai passé quelques jours avec lui. C’était formidable !

— Pourquoi votre père vivait-il dans un phare ? demanda le chauffeur, curieux. Il voulait se cacher, ou quoi ?

— Se cacher ? Oh ! non ! C’est un savant, mon père ! dit Pilou fièrement. Il voulait seulement travailler en paix, ne pas être dérangé… Echapper au téléphone et aux visites !

— Et quand vous étiez avec lui, que devenait sa tranquillité ? demanda le chauffeur, taquin.

— Heu… De toute façon, ce n’est pas tellement calme, là-bas, dit Pilou. Les vagues font du bruit, le vent aussi, et les mouettes… Mais mon père n’y faisait pas attention. Il ne remarque que les sonneries, ou les éclats de voix, ou les coups frappés à sa porte. Ces bruits-là l’agacent ! Il aimait beaucoup travailler dans le phare.

— Bon. J’espère que vous vous y amuserez bien, dit le chauffeur. Pour ma part, ça ne me plairait guère de n’avoir pour compagnie que la mer et les mouettes ! »

Lorsqu’ils descendirent l’autre versant de la colline, le phare disparut à leurs yeux.

« Nous allons arriver bientôt, dit Pilou. Heureusement pour Berlingot, qui a encore mal au cœur, dirait-on. Allons, mon vieux, du courage ! Tu vas pouvoir faire toutes sortes d’acrobaties, dans l’escalier du phare ! »

Le chauffeur s’arrêta au bord de la mer. Tout le monde descendit. Les enfants virent alors le phare, qui se trouvait à une bonne distance du rivage. Un petit bateau se balançait près de la jetée. Pilou le désigna à ses amis en s’exclamant joyeusement :

« C’est notre bateau ! Celui qui nous conduisait du phare au rivage à marée haute. Nous l’appelions L’Anguille…

— Est-il à toi ? demanda Claude.

— Mon père l’a acheté en même temps que le phare, par conséquent je pense qu’il m’appartient aussi. En tout cas, c’est le bateau qui sert lorsqu’on ne peut pas passer à pied sec sur les rochers.

— J’espère que vous ne serez pas bloqués dans le phare par une tempête, dit le chauffeur. N’essayez pas de sortir avec ce petit bateau si la mer est trop mauvaise. Voulez-vous que je vous donne un coup de main pour transporter vos affaires ?

— Avec plaisir, merci beaucoup », dit François.

Tandis que tous deux vidaient la voiture, les autres commencèrent à transporter les paquets à bord. Alors, un vieil homme, assis non loin de là, s’approcha d’eux.

« On m’a fait savoir de Kernach qu’il fallait que je sorte ce bateau, dit-il. Lequel de vous est le jeune Lagarde ?

— C’est moi ! dit Pilou. Le bateau m’appartient ! Venez, vous tous ! Embarquons-nous vite pour le phare ! »

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