CHAPITRE XIX
Quelle émotion !
LA TEMPÊTE souffla encore toute la nuit ; elle s’apaisa au petit matin. Quand les sept habitants du phare s’éveillèrent, le ciel était encore gris, il tombait une pluie fine, mais enfin, on pouvait mettre le nez dehors.
« Irons-nous d’abord faire nos commissions au village, ou commencerons-nous par les recherches dont nous avons parlé hier soir ? demanda Annie.
— Je suis d’avis que nous regardions d’abord s’il n’y a pas quelque part une ouverture dans les rochers. Le vent n’est pas encore complètement tombé, il peut se remettre à souffler très fort… Profitons de l’accalmie ! Quand les vagues sont trop grosses on ne peut pas se promener autour du phare… », dit François.
Ils sortirent. À marée basse, les rochers sur lesquels s’élevait le phare dominaient la mer d’assez haut.
Ils se séparèrent pour explorer, chacun de son côté, toutes les cavités qui pourraient conduire à un passage souterrain.
Au bout de quelques minutes, la voix d’Annie retentit :
« Venez voir ! criait-elle. Voilà un trou qui a l’air très profond ! »
Les autres enfants accoururent aussitôt, ainsi que Dagobert.
François inspecta la cavité.
« Tiens, c’est peut-être ce que nous cherchons, dit-il. Je vais descendre là-dedans ! »
Il se laissa glisser dans l’ouverture béante, en se retenant aux saillies du roc. Les autres le regardaient, le cœur battant. Dagobert aboya pour manifester son mécontentement de .voir disparaître ainsi François sous terre… Mais déjà le jeune garçon annonçait : « Ce n’est pas ça ! Je remonte ! »
Tous les visages s’allongèrent. Quelle déception !
« C’est dommage ! » soupira Mick. Il s’aplatit par terre et tendit les bras vers François pour l’aider à remonter.
« Je n’aimerais pas rester coincé là-dedans, grommela François, qui éprouvait quelques difficultés à sortir du trou.
— Il pleut à verse, maintenant, dit Annie. Nous n’allons pas pouvoir aller tout de suite au village…
— Tant pis, dit Claude. Je suis trempée. Rentrons vite dans le phare et faisons-nous un bon café pour nous réchauffer ! »
Ils coururent se mettre à l’abri. En refermant la porte, François exprima tout haut sa pensée :
« Le serrurier n’est pas encore venu. Si nous allons dans les cavernes, il faut laisser Dago ici, et c’est bien dommage !
— Ouah ! » fit Dagobert, comme pour protester.
Ils montèrent tous dans la cuisine. Annie fit du café.
Alors qu’ils le savouraient tranquillement, Dagobert bondit soudain et se mit à gronder de façon terrifiante…
Tout le monde sursauta. Annie renversa une partie du contenu de sa tasse…
« Dagobert, qu’y a-t-il ? » demanda Claude, fort inquiète.
Le chien se tenait devant la porte fermée, les poils du cou tout hérissés, l’air féroce…
« Qu’as-tu, Dago ? dit François en ouvrant la porte. Y aurait-il quelqu’un en bas ? »
Dagobert bondit dans l’escalier en spirale et le descendit si vite qu’il tomba et roula sur les dernières marches. Claude poussa un cri :
« Dago ! Tu es blessé ? »
Mais Dagobert s’était déjà relevé et se précipitait sur la porte d’entrée en grondant de plus belle. Annie en eut froid dans le dos. François, qui avait suivi Dagobert, constata que le verrou était toujours tiré.
« C’est peut-être le laitier qui est venu jusqu’ici », dit-il.
Il fit glisser la targette et voulut sortir pour s’en assurer. Mais la porte refusa de s’ouvrir ! François eut beau secouer la poignée en tous sens, rien n’y fit !
Tous les enfants, descendus en hâte, entouraient maintenant François.
« Laisse-moi essayer, pria Mick.
— Essaie si tu veux. Je crains bien que quelqu’un ne nous ait enfermés… » dit François, consterné.
La stupéfaction se peignit sur les visages. Puis Claude éclata : « Enfermés ! Qui a osé faire ça ?
— On peut facilement le deviner, répondit François. C’est celui qui est venu l’autre jour nous voler la clef, entre autres choses !
— Guillaume ! s’exclama Mick. Guillaume ou Sylvestre, peu importe. L’un des deux, en tout cas. Quel toupet ! Qu’allons-nous faire ? Nous ne pouvons plus sortir ! Pourquoi ont-ils fait cela ?
— J’ai bien peur que ce ne soit pour nous empêcher de rechercher le trésor, dit François. Nous espérions que Berlingot se souviendrait de l’endroit où il a trouvé la pièce d’or, et nous y conduirait ; eux ont pensé la même chose. Ils nous ont enfermés ici pour être tranquilles, pour avoir le temps de découvrir le trésor avant nous ! »
Claude à son tour s’acharnait sur la poignée de la porte.
« Nous sommes prisonniers ! criait-elle. Les bandits ! Ils nous le paieront !
— N’arrache pas la poignée, lui dit François, cela ne nous avancerait guère. Retournons dans la cuisine, nous réfléchirons ensemble à cette complication inattendue… »
Tous remontèrent l’escalier en silence. Ils s’assirent autour de la table de la cuisine. Un étrange malaise s’emparait d’eux, à la pensée qu’ils étaient prisonniers dans ce phare, si loin de tout…
« Nous sommes dans de beaux draps ! constata Mick. Qu’allons-nous faire ? »
François, l’aîné, qui se sentait un peu responsable des autres, ne cachait pas son inquiétude.
« Nous ne pouvons pas sortir du phare, c’est certain, dit-il. D’autre part, comment obtenir qu’on vienne à notre secours ? Il n’y a pas le téléphone, ici. Ce n’est pas la peine d’essayer de crier pour attirer l’attention, nous sommes trop loin du village pour qu’on nous entende… Personne ne se doutera que nous sommes enfermés ici. Les commerçants nous ont bien remarqués, mais, s’ils ne nous voient plus, ils penseront simplement que nous sommes repartis chez nous !
— Nous mourrons de faim ! gémit Annie.
— Oh ! non ! Nous trouverons bien une solution », dit Mick, en essayant de sourire pour rassurer sa sœur. « Mais ce n’est pas facile : nous sommes bloqués ici, et personne ne peut entrer ! Celui qui nous a enfermés n’a sûrement pas laissé la clef sur la porte. »
Ils discutèrent longtemps. À force de parler, ils eurent faim. Ils essayèrent de se rationner, de crainte de se trouver bientôt sans provisions, mais leur appétit réclamait.
« L’air me creuse, dit Claude, j’ai toujours faim !
— Je vous avais prévenus. Quand on vit dans un phare, on mange deux fois plus qu’ailleurs ! dit Pilou.
— Si seulement le serrurier se décidait à venir demain matin ! En tout cas, nous essaierons d’attirer l’attention du laitier, décida François. Pourvu qu’il puisse passer sur les rochers ! Nous écrirons sur un papier : « Au secours ! Nous sommes enfermés dans le phare ! » Mais comment s’y prendre pour faire passer ce papier de l’autre côté de la porte sans qu’il s’envole ?
— Il faudrait une grande feuille dont la moitié seulement dépasserait sous la porte, à l’extérieur. L’autre moitié serait fixée sur le sol, à l’intérieur, proposa Annie. Comme ça le papier ne pourrait pas s’envoler !
— Cela vaut la peine d’essayer », dit Mick,
Il alla fouiller dans ses affaires et revint avec une feuille de papier d’emballage. Il découpa dedans un grand rectangle, et écrivit l’appel au secours en grosses lettres. Puis il descendit attacher son papier au paillasson, et fit dépasser sous, la porte le message au laitier ;
Il revint dans la Cuisine.
« Espérons qu’il fera meilleur demain matin, dit-il, car jamais le pauvre homme ne se risquerait sur les rochers par un temps pareil ! »
La nuit tomba vite, car le ciel était chargé de nuages ; le vent se mit à hurler de façon sinistre. Les mouettes renoncèrent à leurs jeux hardis et rentrèrent au nid.
Ce soir-là, les cinq prisonniers jouèrent aux cartes. Ils firent de louables efforts pour être gais, pour plaisanter. Mais le cœur n’y était pas. Chacun, en secret, se sentait angoissé : si la tempête allait durer longtemps ? Si personne ne venait jusqu’au phare, ni laitier, ni facteur, ni serrurier… S’il ne leur restait plus rien à manger, que deviendraient-ils ?
« Allons, du courage ! dit François, qui voyait baisser le moral de ses troupes. Nous nous sommes trouvés dans des situations pires que celle-ci !
— Je ne le crois pas », murmura Annie.
Il y eut un silence, pendant lequel on entendit Dagobert pousser un long soupir, comme s’il partageait leurs soucis. Seul, Berlingot se sentait d’humeur à faire des pitreries. Il fut très vexé de voir que ses meilleurs numéros n’avaient aucun succès et finit par se réfugier près de son ami Dagobert.
« Ecoutez, j’ai une idée, dit enfin François. Mais je ne sais pas ce qu’elle vaut. En tout cas, si demain nous ne recevons aucune aide, nous pourrons essayer… »
Il s’interrompit, le regard perdu dans le vague.
« Quoi donc ? demandèrent quatre voix impatientes.
— Eh bien, vous savez que lorsque je suis descendu dans les fondations du phare, j’y ai vu un puits dans lequel l’eau pénètre en tourbillonnant… Il est possible que ce puits ait été aménagé dans une cavité du roc qui existait déjà ! Les maçons y auraient coulé du ciment pour en faire un puits de fondation solide, afin que le phare puisse résister aux plus fortes tempêtes ! »
Chacun resta songeur. Puis Mick frappa sur la table si bruyamment qu’il fit sursauter ses compagnons :
« Tu as trouvé, François ! s’écria-t-il. Oui, ce puits cimenté représente une petite partie d’une galerie creusée dans le roc, qui rejoint sans doute les cavernes que nous avons visitées. C’est pourquoi nous n’avons pas trouvé d’issue au-dehors, ce matin ! Les maçons l’ont utilisée pour leur puits !
« Allons, du
courage ! » dit François, qui voyait
baisser le moral de ses troupes.
— C’est cela. Vous avez tous compris, n’est-ce pas ? demanda François. Il faut descendre à marée basse dans le puits, et aller s’assurer que celui-ci communique bien avec les cavernes.
— Et dans ce cas, il n’y aura plus qu’à sortir par la falaise, compléta Claude. Quelle merveilleuse idée ! Nous pourrons nous échapper par ce moyen. Sylvestre et Guillaume en feront une tête, quand ils l’apprendront ! Tentons l’aventure ! »