Une émission de chiottes

Si l’absence de toilettes peut se faire cruellement sentir, il existe aussi des circonstances plus exceptionnelles où leur présence n’est pas des plus souhaitables.

Il m’arrive très souvent d’intervenir en direct à Sud Radio pour donner des renseignements ou des conseils sur l’actualité médicale. Éric Mazet, qui anime une des nombreuses émissions d’informations de ce média national largement écouté dans le Midi de la France, m’a attribué un sobriquet qui me colle de très près puisque, depuis son initiative, bon nombre de personnes me surnomment « le Toub ».

La plupart du temps, je ne suis sollicité qu’à la toute dernière minute pour participer bénévolement à cette véritable mission de service public. Comme dans toute urgence, je dois m’adapter au mieux en essayant de concilier cet impondérable avec une vie familiale et professionnelle assez bien remplie. Autant dire que les choses ne sont pas toujours simples, loin de là ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fut bien le cas en cette belle soirée de juin.

Lorsque mon portable sonna, mon épouse et moi dégustions une entrecôte aux morilles dans une des nombreuses brasseries du centre-ville. Carole, l’assistante d’Éric Mazet me demanda s’il m’était possible de passer à l’antenne une heure plus tard pour donner quelques détails pratiques sur une épidémie de gastro-entérite qui sévissait depuis quelques jours dans la région toulousaine. A priori, cela ne devait me poser aucun problème car j’interviendrais par téléphone et ce délai nous laissait largement le temps de finir notre repas. J’acceptai donc de bonne grâce ce nouveau rendez-vous. Oui mais voilà, dans la vie, les choses ne se passent pas nécessairement comme prévu ; le dessert tarda à être servi et nous attendions encore l’addition lorsque Carole me rappela :

 

« Allô ! C’est Carole, je te mets en ligne. Tu passes juste après le flash d’infos. Tu peux pas changer d’endroit ? Y a beaucoup de bruit, là… »

 

Effectivement, la salle était bondée et en plus je m’imaginais mal dissertant sur la gastro-entérite à côté de mes voisins de table qui n’avaient pas encore débuté leur digestion. Je me précipitai dehors. C’était pire ; le trottoir était envahi par une bande d’étudiants qui brandissaient des canettes de bière en hurlant. Je rentrai de nouveau et demandai à un des serveurs un endroit calme ; non, il n’en connaissait aucun, ni ici ni à proximité. Les informations s’achevaient, encore trente secondes de pub et j’allais passer à l’antenne. Où se réfugier ? Un endroit calme et fermé : les toilettes, me souffla ma femme devant mon air dépité. Bien sûr, elle avait raison, pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ?

 

– … Et nous retrouvons maintenant le Toub qui va nous donner quelques conseils pour affronter cette épidémie de gastro-entérite. Bonsoir, Jean-Jacques !

– Bonsoir, Éric !

– Ouh là là ! ça résonne beaucoup, tu téléphones d’une grotte ou d’une cathédrale, ou quoi ? Ha ha ha !

– Non, non, ni l’un ni l’autre ! Hé hé !

– Bon, très bien, alors, as-tu des infos à nous donner sur cette épidémie de gastro qui sévit autour de nous ? Quelles sont les précautions à prendre ? Quels sont les risques, si risques il y a, bien sûr ? Cela va-t-il durer encore longtemps ? On t’écoute, Toub !

 

Au bout d’environ cinq minutes d’explications médicales sur les mécanismes, la prévention et le traitement des diarrhées, un long bruit évocateur se fit entendre dans les toilettes des femmes. De toute évidence, ma voisine était atteinte de la fameuse pathologie contagieuse ! La déflagration fut terrible et sans équivoque. Mais le plus gênant pour moi était que les auditeurs de Sud Radio devaient penser que j’étais l’auteur de ce pet phénoménal, suivi de peu par un vacarme exonératoire qui se termina dans un ruissellement de chasse d’eau.

 

« Je vois que le Toub n’est ni dans une grotte ni dans une cathédrale ! Ha ha ha ha ha ! » fit Mazet.

 

Je n’eus même pas le temps de répondre. Une voix très en colère qui retentit derrière la porte le fit à ma place. C’était celle d’un homme qui s’impatientait en tambourinant à la porte. Il ne se doutait pas que ses hurlements allaient être entendus par des milliers de personnes.

 

« Bon, y en a marre maintenant, ça fait un quart d’heure que vous discutez là-dedans. C’est pas un parloir, et moi j’ai envie d’aller aux chiottes !!! »

 

Les aléas du direct, comme dirait l’autre… Oui, ce fut vraiment une émission de chiottes !