L’ambition N’a Pas De Limites

Andy Hoare

— Donne-moi un relevé, Joachim, s’époumona Brielle Gerrit contre le vent violent. J’y vois que dalle !

— L’augure indique deux cent cinquante, madame, répondit le compagnon et conseiller de Brielle, sa voix à peine audible dans la cacophonie assourdissante de la tempête. Nous devrions avoir un visuel d’un moment à…

— Là, l’interrompit Brielle. Elle fit halte, tendant son cou pour regarder en hauteur. Une forme sombre se détachait sur la masse tourbillonnante des nuages pourpres. Elle essaya d’en estimer la hauteur mais ses sens, perturbés, n’étaient pas en mesure d’appréhender la géométrie extraterrestre de l’édifice. La structure titanesque aux parois constituées de plaques aurait pu se trouver à quelques mètres de Brielle ou bien à plusieurs kilomètres.

— Deux cent cinquante. Brielle répéta l’estimation annoncée par son conseiller quant à la distance qui les séparait de leur destination. Alors même qu’elle fixait la structure des yeux, ses parois vertigineuses semblaient se mouvoir, comme si le moindre changement de perspective engendrait de nouvelles surfaces, de nouveaux angles. Si tu le dis. Tout le monde est prêt ?

Brielle se retourna pour inspecter son petit groupe, dont elle distinguait les membres à travers le voile omniprésent de la tempête. Elle releva la visière de sa combinaison de survie renforcée. L’air glacé gifla ses joues exposées. Elle plissa les yeux face au vent et contempla avec satisfaction le déploiement de la dizaine de soldats armés qui l’avait suivie à la descente de son vaisseau, le Fairlight, qui se trouvait en haute orbite autour de ce monde mort qu’elle était venu explorer en quête de richesses pour son clan de libres-marchands. Chacun d’entre eux était lourdement armé et engoncé dans une solide armure. Leur visage disparaissait sous d’imposants respirateurs. Leur chef, le taciturne Santos Quin, fit un pas en avant, suivi de la silhouette beaucoup plus frêle de l’Adepte Seth, leur astropathe en chef.

— Tout est prêt, ma dame, répondit Quin, dont le visage tatoué était presque entièrement dissimulé par la visière de sa combinaison. Mais la tempête enfle, ajouta-t-il en levant la tête vers les cieux tourmentés.

— Entendu, rétorqua Brielle en opinant du chef avant de se tourner vers l’astropathe. Et vous, adepte, avez-vous quelque chose à déclarer ?

L’adepte fit un pas en avant et inclina la tête devant sa maîtresse. À travers la visière de son casque, on pouvait distinguer le visage de celui-ci : une masse repoussante de tissus cicatriciels. Ses yeux n’étaient que des orbites vides, son nez et sa bouche à peine visibles. L’unification des âmes, le rituel sacré qu’avait subi l’astropathe et qui le liait à l’Empereur, avait tellement dévasté son corps qu’il en concevait une douleur permanente. Et pourtant, même s’il ne disposait plus des capacités sensorielles humaines classiques, l’adepte Seth possédait une perception bien supérieure à celle de tout autre être humain.

++ Cet endroit est mort pour moi, maîtresse, ++ répondit l’astropathe. Sa gorge était si ravagée que sa voix n’était qu’un raclement guttural. Cependant, Brielle entendait très distinctement ses mots car il les projetait dans son esprit. ++ Mort, et pourtant je perçois des échos, des fantômes de pensées antiques ou les traces des songes d’un être assoupi. Je ne saurais dire.++

Le rictus moqueur qui barrait le visage de Santos Quin en entendant les mots de l’astropathe n’échappa pas à Brielle. Elle savait que, de par ses origines indigènes, Quin ne prêtait que peu de crédit aux pouvoirs de Seth. Et pourtant, elle savait à quoi l’astropathe faisait allusion car il lui avait semblé percevoir d’infimes échos, des pensées lointaines portées par des vents agités. Elle ne savait quel esprit étranger avait enfanté de telles pensées mais elle croyait, elle espérait, elle comptait sur le fait qu’ils ne s’agissaient que d’échos d’une puissance antique et depuis longtemps éteinte.

— Très bien, dit Brielle en abaissant sa visière. Continuons. Restez aux aguets.

Brielle se tenait devant le mur noir et grêlé de l’immense structure xenos. Bien qu’elle ne se trouvât qu’à une coudée du mur, elle ressentait le besoin de tendre le bras, de le toucher de la main, juste pour être sûre. Malgré l’épaisseur du gant de sa combinaison de survie, Brielle sentait le froid irradier de cette matière à l’aspect minéral, un froid qu’elle ressentait dans sa chair mais aussi dans son âme.

— Maîtresse. Brielle retira sa main en entendant la voix de l’astropathe. Je vous en prie, tachez de ne pas…

— Je sais, Seth, répliqua Brielle. Je sais. Elle balaya les alentours du regard puis s’adressa à Quin. Nous devons trouver une entrée. Dis à tes hommes de se disperser.

Le guerrier acquiesça en silence et s’éloigna pour parler aux soldats. Quelques secondes plus tard, ils étaient partis, tout comme son conseiller Joachim Hep, en quête d’un point d’entrée dans la structure cyclopéenne. Seul Quin était resté. Brielle vit qu’il testait le mécanisme de son bolter avant d’ajuster ses jumelles senseur et de scruter l’œil de la tempête. Quoiqu’il arrive, il veillerait sur sa maîtresse.

Brielle se retourna pour reprendre l’examen de la structure extraterrestre. Elle leva la tête et se fit la réflexion que soit la chape des nuages s’était abaissée, soit les plaques de la structure, en perpétuel mouvement, s’étaient allongées ; Désormais, le sommet semblait perdu dans la tempête. Elle repensa, une fois de plus, aux risques inhérents à une telle expédition mais elle savait que ce genre de mondes pouvait receler des trésors inestimables. En tant qu’héritière directe du puissant clan Arcadius, il lui incombait d’étendre sa renommée à travers la galaxie, de percer les ténèbres au nom de l’Empereur, d’affronter tous les dangers tapis au cœur du vide sidéral et de les vaincre, au nom de l’humanité. Et, ajouta-t-elle pour elle-même avec un sourire en coin derrière sa visière, d’amasser richesse et gloire au passage.

Brielle espérait, et son clan avec elle, que ce monde anonyme, situé au cœur du vide sidéral entre deux bras spiraux, regorgerait de tels trésors. Des ruines de civilisations beaucoup plus anciennes que l’Imperium étaient disséminées à travers toute la galaxie. Sur des planètes comme celle-ci, se trouvaient des mausolées poussiéreux scellés bien avant que les hommes n’aient levé la tête vers les cieux surplombant l’antique Terra. Ces mausolées, une fois découverts, renfermaient, disait-on, des reliques créées par des races extraterrestres depuis longtemps éteintes, de puissants artefacts pour lesquels les nobles oisifs, membres des castes dirigeantes de l’Imperium, étaient prêts à débourser des sommes astronomiques. La grande majorité de ces artefacts était considérée comme des objets d’art, sans fonction définie. D’autres faisaient l’objet d’études, jusqu’à ce que leurs fonctions et leurs capacités exotiques soient mises à jour. Brielle savait que les collectionneurs passionnés et les experts auto-proclamés dans le domaine proscrit de la xenologie vendraient père et mère pour acquérir de tels objets.

Et pourtant, elle ne cessait de ressentir une peur diffuse, le sentiment indéfinissable que cette planète morte renfermait quelque chose d’horrible.

— Je sens des remous, ma dame, l’avertit l’adepte Seth, comme si par sa voix s’exprimait une crainte sans nom qui se tapissait à la périphérie de la conscience de Brielle.

— Que ressens-tu, Seth ? s’enquit-elle, scrutant les environs à la recherche du moindre de signe de danger. Quin cala son bolter contre son poitrail et fit un pas en direction de sa maîtresse.

— Je perçois… une flamme vacillante… la flamme est l’âme, presque éteinte mais qui refuse de mourir…

— Je ne peux pas me contenter de ça, Seth, rétorqua Brielle, ravalant une remarque moins diplomatique. Courons-nous un danger ?

— Quelque chose sait que nous sommes…

Avant que l’astropathe ait pu finir sa phrase, le canal vox crépita. Des bruits parasites assourdissants agressèrent l’ouïe de Brielle puis la voix de Joachim Hep se fit entendre.

— …une entrée. Je répète, nous avons trouvé une entrée.

— Restez où vous êtes, répondit Brielle sans savoir si Hep l’avait entendue malgré les importantes interférences atmosphériques. Quin, ouvre le chemin.

— Ces dégâts sont-ils récents, Joachim ? demanda Brielle à son conseiller. Malgré son âge, il était presque aussi grand et massif qu’un Space Marine. Elle patientait pendant qu’il étudiait l’énorme fissure dans la paroi verticale de la structure xenos. Aucun détail n’échappait à son œil d’expert.

— Je dirais que oui, madame, répondit Joachim, sans quitter des yeux le spectacle qui s’offrait à sa vue. Des millénaires d’assauts orageux ont provoqué ce résultat, mais la fissure en elle-même est assez récente.

Le regard de Brielle alla de son conseiller à la gigantesque fracture dans le mausolée xenos. Même si elle ne faisait qu’un mètre de large, la fissure remontait tout le long de la structure sur plusieurs centaines de mètres apparemment, à moins que la satanée géométrie des lieux ne leur jouât des tours. Brielle se rapprocha et sentit que Quin ne la quittait pas d’une semelle. Elle se pencha pour examiner les rebords irréguliers de la fissure afin de se faire une meilleure idée de ce qu’était cette matière et de ce qui avait pu l’endommager.

++ Le temps, ma dame. La voix de l’adepte Seth résonna dans l’esprit de Brielle. Seul le temps aurait pu endommager un tel édifice. ++

Brielle haussa un sourcil et gratifia son astropathe d’un regard désabusé, consciente qu’il avait lu ses pensées immédiates. Elle se retourna et s’approcha encore plus de la surface fissurée. Elle crut déceler des traces infimes de réparation, à une échelle microscopique. Peut-être que cet édifice pouvait se régénérer, songea-t-elle. Cela pourrait expliquer comment il avait soutenu les assauts de ce monde au climat hostile pendant de si longs millénaires.

— Allons-y, dit Brielle, s’aventurant dans la fissure avant que Quin ait pu prendre la tête.

Au bout d’à peine quelques mètres, Brielle se retrouva plongée dans d’insondables ténèbres. Elle s’arrêta, permettant à ses autres sens de prendre le relais de sa vue. Elle étendit sa capacité de perception aussi loin que possible afin de mieux appréhender son environnement. Elle tendit l’oreille. La tempête faisait toujours rage dehors, mais à présent son vacarme était étouffé, distant. Elle entendit aussi le bruit des masques respirateurs de ses compagnons et perçut le pas lourd et assuré de Santos Quin. Il la dépassa et prit la tête de l’expédition afin de contrer tout péril auquel le groupe et sa maîtresse seraient confrontés.

Profitant des ténèbres encore un instant, Brielle porta la main au mécanisme latéral de son casque. Une paire de jumelles vint se positionner par-dessus sa visière. Le mécanisme vrombit lorsque les lentilles se mirent en action pour révéler à Brielle ce que ses yeux ne pouvaient voir. Les jumelles étaient capables de percevoir une grande variété de longueurs d’ondes. Elles surimposaient ce qu’elles enregistraient à la propre vision de Brielle.

Les ténèbres laissèrent place à un kaléidoscope de couleurs bigarrées et d’interférences parasites. Brielle ajusta une molette sur le côté de son casque et les images se transformèrent en quelque chose de compréhensible. Devant Brielle, s’étendait un tunnel circulaire dans lequel elle et son groupe venaient de pénétrer. Elle regarda en arrière et constata que le tunnel, qui se poursuivait dans les deux directions, était perpendiculaire à la paroi extérieure dans laquelle ils avaient pénétré en passant par la fissure.

Rassurée par l’absence de danger immédiat, Brielle joua de sa molette pour passer d’un réglage à l’autre. La vue qui s’offrit à elle se modifia : un camaïeu de verts vifs céda la place à un paysage noir ponctué de taches violettes, puis à un blanc aveuglant moucheté d’ombres turquoise. Elle relâcha la molette sur un décor de verts profonds et aperçut, sur un mur incurvé à proximité, une icône au tracé complexe. Elle s’approcha, consciente que Quin l’imitait. L’icône était composée d’une série de cercles et de lignes qui devaient constituer une forme d’écriture extraterrestre antique.

— Joachim. Elle se tourna vers son conseiller. Ce dernier fit un pas en avant et dépassa Santos Quin, lequel bougonna tout en s’écartant. Passe en réglage sigma-douze et jette un œil à ça.

Joachim, qui avait déjà abaissé ses jumelles, porta la main à son casque et ajusta les réglages. Un instant plus tard, ses yeux parcouraient les murs du couloir.

— Je n’ai jamais rien vu de tel, madame, dit Joachim Hep après une longue pause. Même si ça me rappelle…

— Quoi donc ? demanda Brielle, plus tout à fait sûre de vouloir entendre la réponse de son conseiller.

— Les écrits mécaniques des serviteurs de l’Omnimessie, madame.

— Mais cet endroit est ancien, répliqua Brielle, aussi bien pour apaiser ses propres doutes que pour répondre à son conseiller. Il a été bâti des millénaires avant l’apparition du Mechanicus. Il ne peut y avoir de lien.

— En effet, madame, répondit Hep en acquiesçant solennellement.

— Alors poursuivons, ordonna Brielle. Par ici.

Elle fit mine de reprendre la marche mais, cette fois-ci, laissa Santos Quin prendre la tête. L’indigène progressait au cœur des ténèbres le bolter dressé, utilisant ses propres jumelles pour percer la pénombre. Le guerrier avait recours à des signes de main silencieux pour indiquer à ses soldats l’ordre de marche approprié et s’assurer que Brielle, Hep et l’adepte Seth soient bien protégés au centre de la colonne. Brielle laissait toute latitude à Quin car, bon gré mal gré, elle n’oubliait pas qu’après tout elle hériterait du mandat commercial de sa maison de libres-marchands. Quin se contentait d’accomplir le devoir que le père de Brielle lui avait assigné.

Avant de s’aventurer dans le tunnel circulaire, Brielle fit une courte pause. Il lui semblait avoir entendu, de manière presque imperceptible, un bruit incongru, comme un cliquetis métallique. Elle tendit l’oreille, en vain. Après avoir jeté un regard en direction des hommes de queue, elle reprit sa progression.

— Silence total, murmura Brielle dans son transmetteur vox, tout en avançant pour regarder par-dessus l’épaule de Quin. Elle savait qu’elle n’avait nul besoin de donner une telle directive, car les soldats suivaient les ordres de l’indigène qui, immobile et silencieux, était adossé au mur incurvé marquant la fin du couloir.

Brielle contemplait une vaste étendue plongée dans un noir absolu. Elle s’apprêtait à abaisser ses jumelles pour observer les lieux avec un spectre différent lorsqu’elle aperçut une faible lueur verte dans les ténèbres. Elle fixa la zone du regard, sa vue s’adapta et au bout de quelques minutes elle se fit une meilleure idée de l’espace qui s’étendait devant le groupe. Brielle ne put retenir un hoquet de surprise.

Le couloir dans lequel se trouvait le groupe s’ouvrait sur une sorte de chambre si gigantesque que Brielle fut saisie par le sentiment oppressant de sa propre insignifiance tandis qu’elle essayait en vain d’en appréhender les dimensions enténébrées. Brielle avait l’impression de n’être qu’un insecte rampant sur les dalles érodées de la plus majestueuse des cathédrales dont les arches se perdaient dans les ténèbres. Un frisson glacé lui parcourut l’échine lorsqu’elle se rendit compte que cette impression n’était pas uniquement le fruit de son imagination.

La salle était si vaste que sa surface semblait s’incurver et suivre la courbure de la planète sur laquelle elle se trouvait. Brielle rejeta cette idée. Un édifice aussi massif serait apparu sur leurs radars pendant qu’ils étaient en orbite et les mesures effectuées pendant leur approche n’indiquaient pas que le mausolée fût si gigantesque. Toutefois, la géométrie de ce lieu se jouait des sens de Brielle. Tout comme elle avait été incapable d’évaluer la taille réelle du bâtiment de l’extérieur, il lui était à présent impossible d’en estimer les dimensions de l’intérieur. C’était une sensation extrêmement déplaisante.

Au fur et à mesure que ses yeux s’adaptaient à la pénombre, elle aperçut, sur le sol sombre de la salle, l’ondoiement de ce qui ressemblait à une mer de poussière. Depuis combien de temps cet endroit existait-il pour que s’accumule une telle couche de sédiments ? Elle s’approcha et vit de petites dunes dont les crêtes étaient illuminées de ce halo vert qui nimbait toute chose.

— Joachim, dit Brielle à son conseiller qui se trouvait derrière elle. Sais-tu d’où provient cette lumière noire ?

Brielle patienta pendant que Hep scrutait l’immensité qui les entourait. Elle se tourna vers lui pour écouter sa réponse.

— Non, madame, répondit-il. C’est peut-être le résultat d’une luminescence diffuse, une source d’énergie que nos augures ne peuvent détecter.

— Ma dame, grommela Quin à voix basse. Brielle reporta son attention vers le guerrier, alertée par le ton de sa voix. Droit devant, à cent mètres.

Brielle plissa les yeux, cherchant à distinguer l’endroit indiqué par Quin. Elle finit par le trouver.

— Des traces ? murmura Brielle.

— Oui, ma dame, répondit Quin dans un grognement. Même si je ne vois pas ce qu’une créature si petite pourrait se mettre sous la dent ici.

Brielle acquiesça.

— Quand ? demanda-t-elle.

L’indigène posa les yeux sur sa maîtresse.

— Des heures ou des décennies, ma dame. Cet endroit est tellement figé dans le temps que je ne saurais dire.

Brielle allait répondre mais elle fut interrompue par l’adepte Seth.

++ Une éternité… et un jour, maîtresse,++ murmura-t-il doucement dans l’esprit de Brielle.

++ Une époque révolue et pourtant à venir.++

Brielle, que l’attitude de l’astropathe rendait de plus en plus mal à l’aise, répliqua sèchement :

— Exprime-toi clairement, Seth, de grâce.

L’astropathe tourna son visage grotesque vers Brielle. Elle savait qu’en dépit de sa cécité, il la fixait droit dans les yeux.

— Je m’excuse, maîtresse, susurra-t-il. Je sais que tout ceci est sibyllin. Mais mes sens, tout comme vos yeux, ont bien du mal à percevoir les dimensions réelles de cet endroit. Ce lieu, maîtresse, croule sous le poids de millénaires qu’il nous est impossible d’appréhender. Peut-être les dieux eux-mêmes…

— Ça suffit, grogna Quin. Le regard de Brielle s’attarda encore sur le visage de l’adepte Seth puis elle se tourna vers le guerrier. De tels discours ne nous mènent nulle part.

Brielle inspira profondément, raffermissant sa volonté, puis fit un pas dans l’immense salle. Elle se retourna vers le groupe, ses bottes soulevant des nuages de poussière pluri-millénaire. En les voyant, elle ressentit le frisson du danger et sut que son père désapprouverait s’il la voyait agir de la sorte. Cette impression ne dura que quelques secondes pour être remplacée par l’immensité sépulcrale du mausolée.

— Ça suffit, effectivement, souffla-t-elle tout en s’aventurant sur cet océan de poussière.

Peu de temps après avoir mis pied dans la salle, le groupe atteignit les traces que Quin avait repérées depuis l’entrée. L’instinct de chasseur de l’indigène lui avait permis d’estimer qu’une espèce d’insecte d’environ un mètre de long était à l’origine de ces traces. En outre, la fine couche de sédiments qui les recouvrait indiquait que la piste était récente. Cette information n’avait en rien apaisé la sensation de malaise que ressentait Brielle, sensation qui ne faisait que se renforcer au fur et à mesure que le groupe progressait dans cette mer de poussière.

Au début, Quin avait conseillé aux explorateurs d’avancer avec prudence et de marcher à petit pas afin d’éviter de soulever devant eux de lourds panaches de cette épaisse poussière qui tapissait le sol. Brielle se vit très vite contrainte de revenir sur cette consigne, sinon ils n’auraient pas progressé d’un iota. Et puis, se dit-elle, qui aurait bien pu les observer ? Elle n’avait pas de réponse à cette question.

Tout en marchant, Brielle essaya une fois de plus de mieux appréhender la nature de son environnement. Elle leva la tête pour regarder en l’air et fut instantanément submergée par une vague de nausée en voyant bouger les panneaux, tout là-haut. Elle reporta son regard vers le sol et fut frappée par une nouvelle vague de nausée qui la fit tituber puis s’arrêter.

— Madame ? Joachim Hep fut aux côtés de Brielle en un instant, agrippant d’une poigne ferme l’épaulière de sa combinaison de survie. Un instant plus tard, le reste du groupe fit halte, les soldats prenant position tandis que leur chef taciturne rebroussait chemin en direction de Brielle.

— Je vais bien, Joachim, déclara Brielle. Je vais bien. C’est cet endroit. Il me chamboule les sens.

— Je ne vous le fais pas dire, madame, répliqua le conseiller de Brielle. Il recula après s’être assuré que sa maîtresse était en mesure de continuer. Moi non plus je n’arrive pas m’y faire.

À ces mots, Quin intervint :

— Ma dame, combien de temps s’est écoulé d’après vous depuis que nous avons pénétré dans cette salle ?

Brielle regarda le guerrier, confuse, voire perturbée pendant un court instant par les motifs hypnotiques des tatouages qui ornaient son visage.

— Combien de temps ? répéta-t-elle, tournant la tête en direction du chemin qu’avait parcouru le groupe. Je dirais… Empereur miséricordieux…

— Combien de temps, ma dame, insista Quin ?

Brielle se tourna vers l’indigène, la gorge soudain sèche.

— Trois, quatre…

— minutes, demanda Quin ?

— …heures, dit Brielle, qui se souvenait très précisément de l’aspect de l’entrée du passage à cent mètres de là.

— …millénaires, murmura l’adepte Seth.

— Derrière nous, murmura Brielle dans son transmetteur-vox après avoir discrètement désactivé l’amplivox externe. Elle fit un effort pour ne pas modifier sa démarche ou l’ordre de marche du groupe pendant leur progression dans la salle poussiéreuse.

— Oui, ma dame, répondit Quin. Il avait suivi son exemple et ajusté ses propres appareils de communication de la même manière.

— Combien de temps, demanda Brielle ?

— Selon moi ? Quin tourna la tête tout en marchant, levant un sourcil sardonique.

— Bien vu, concéda Brielle. Combien de temps ? répéta-t-elle.

— Pas plus de trente minutes, déclara Quin.

— Peux-tu me dire où ? demanda Brielle. Elle avait elle-même perçu du mouvement vers l’arrière du groupe depuis plusieurs minutes.

— Dans cette pénombre, répondit Quin, c’est difficile d’être catégorique. Mais je dirais que nous sommes suivis par un individu qui utilise les dunes de poussière pour progresser à couvert, derrière nous et sur notre gauche.

Brielle dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas se tourner dans la direction qu’avait indiquée Quin. Elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer une cible se positionnant derrière son crâne. Sous son casque renforcé, son cuir chevelu se mit à la démanger. Elle ressentait le besoin impérieux et inexplicable de retirer son casque et de secouer ses mèches trempées de sueur, collées à son cuir chevelu. Elle reprit ses esprits, ajusta sa démarche et progressa doucement dans la poussière, tous ses sens tournés vers l’arrière du groupe, à l’affût du moindre signe de poursuite.

Brielle crut entendre une voix lointaine, si douce qu’elle n’était guère plus qu’une pensée. Elle se tourna vers l’astropathe et remarqua que sa tête était penchée sur le côté, comme si lui aussi prêtait l’oreille attentivement. Elle se concentra sur ce murmure ténu, percevant des bribes de mots extraterrestres sans parvenir à les discerner entièrement.

++ Il y en a d’autres, maîtresse ++. Le message émis en pensée par l’astropathe effleura son esprit. Sa bouche flétrie, couturée de cicatrices, ne bougeait pas du tout.

++ Ou ça ? ++ Elle composa cette réponse dans sa tête, sans savoir si l’astropathe l’entendrait. Evidemment, il l’avait bien entendue, car il répondit immédiatement sur le même mode :

++ Partout, maîtresse. Tout autour de nous. Ils dorment… Mais leur sommeil est agité. ++

Brielle ferma sciemment son esprit. Elle avait ressenti une pointe de folie dans les pensées de l’astropathe, un sentiment de terreur froide qui confinait à la démence. Son regard croisa brièvement celui de Quin, qui répondit par un signe de tête. Dans l’intervalle où l’attention de Brielle avait été accaparée, le groupe avait atteint l’autre côté de l’immense salle. Elle jeta un œil en arrière et constata qu’ils avaient parcouru cette incroyable distance dans un laps de temps qu’elle estimait à seulement cinq ou six heures.

Brielle se tenait devant un large gouffre aux rebords incroyablement précis qui balafrait le sol de pierre noire du poussiéreux mausolée extraterrestre. Très loin en contrebas, brillait une lumière verte surnaturelle, la même lumière, se dit-elle, qui nimbait la salle qu’ils venaient de traverser. Ici, toutefois, elle brillait avec une intensité quasi aveuglante. Très loin au-dessus de leurs têtes, la voûte se perdait dans les ténèbres. Pour Brielle, le seul moyen de progresser consistait à franchir le gouffre.

— Déployez le filin, ordonna-t-elle.

Santos Quin adressa un signe à l’un des soldats qui s’avança et sortit de son sac un imposant lance-grappin. Les pieds écartés, il pointa le lance-grappin en direction d’un point situé au-delà du gouffre, à une quarantaine de mètres.

— Feu ! ordonna Quin.

Le lance-grappin émit une détonation assourdissante, une déflagration qui emplit le silence du mausolée. Brielle connut quelques secondes de pure panique, convaincue que leur présence venait d’être détectée et que le vacarme entraînerait un assaut imminent. Elle regarda tout autour d’elle et s’attendit presque à voir surgir des ombres les silhouettes terrifiantes de gardiens immortels. Elle se ressaisit, mais devina que les autres avaient dû partager le même sentiment. Même Quin jetait des regards circonspects aux alentours.

L’impact du grappin touchant le sol de l’autre côté du gouffre sortit Brielle de sa rêverie. Elle regarda le module à l’autre bout du filin s’activer. Les crochets mécaniques se déplièrent et mordirent dans la pierre avant que le dispositif ne s’éteignît quelques secondes plus tard. Les crochets étaient fermement ancrés dans le sol. Le soldat activa un mécanisme au niveau du lance- grappin et le filin se tendit. Grâce à un système similaire de crochets mécanisés placé à la base du lance-grappin, le soldat fixa le dispositif au sol et recula.

Brielle se dirigea vers le filin mais Quin et Hep s’avancèrent pour lui bloquer le passage.

— Avec tout le respect, madame, dit Hep, s’inclinant pour amoindrir l’outrecuidance de son intervention. S’il vous plaît, Brielle, poursuivit-il à voix basse. Je ne peux pas vous permettre de traverser en premier. Votre père me ferait fouetter par ses hommes de main.

Brielle sourit sous cape, même si elle était quelque peu contrariée. Elle n’aimait pas l’idée que d’autres prennent des risques à sa place. Et pourtant, elle savait que son conseiller, l’un des plus anciens amis de son père, avait raison. Elle sourit de bonne grâce, s’inclina à son tour et fit un pas sur le côté.

— Quant à moi, intervint Santos Quin, je ne peux vous autoriser à passer le premier, Joachim. Le guerrier leva une main pour faire taire toute contestation éventuelle de la part de Hep. J’ai moi aussi des devoirs à respecter.

Brielle, amusée, observait Joachim Hep. Ce dernier soupesa les mots de Quin puis s’effaça à son tour. L’indigène s’approcha du lance-grappin solidement arrimé. D’un geste, il ordonna à ses troupes de se déployer et de couvrir l’autre côté du gouffre qu’il s’apprêtait à franchir. Déroulant une corde de sa ceinture, Quin s’attacha au filin puis se laissa basculer au-dessus du gouffre.

Brielle regardait Quin progresser au-dessus de l’abîme, lentement d’abord, puis de plus en plus vite. Elle crut un instant voir la lumière verte qui irradiait des profondeurs s’animer, comme en réponse à cette intrusion, mais mit cette impression sur le compte de la tension qui l’habitait. Un bruit attira son attention et elle se tourna vers l’adepte Seth. Elle vit que l’astropathe marmonnait dans sa barbe, sa bouche grotesque prononçant des mots incohérents étouffés par le casque de sa combinaison de survie.

— Seth, murmura-t-elle, désireuse de ne pas troubler le silence stygien du mausolée. L’astropathe semblait ne pas avoir entendu l’appel de sa maîtresse. Seth ! siffla-t-elle entre ses dents.

— Maîtresse ? répondit Seth, comprenant enfin qu’on lui adressait la parole.

— Qu’y a-t-il, Seth ? demanda Brielle, essayant une fois de plus de ne pas s’alarmer du comportement de l’astropathe.

— Je… balbutia l’adepte. Je pense que nous devrions partir immédiatement, maîtresse.

— Partir ? Qu’est-ce que tu me chantes, Seth ? Que se passe-t-il ?

— Les dormeurs, maîtresse… Leurs rêves… Je ne peux pas…

Brielle évalua la situation dans son for intérieur. Son astropathe semblait se déconnecter de plus en plus de la réalité, mais elle avait besoin de lui, non seulement pour communiquer avec son vaisseau resté en orbite mais aussi en raison de ses formidables pouvoirs, indispensables en cas de danger. Tout indiquait pourtant que ces mêmes pouvoirs étaient en train de causer sa perte ; Brielle pressentait que les échos des rêves des antiques bâtisseurs de cet immense mausolée affectaient l’astropathe d’une manière ou d’une autre. Elle savait qu’elle serait peut-être amenée à ordonner à l’un des soldats de neutraliser Seth afin de l’entraver et de le droguer jusqu’au terme de la mission, ce qui handicaperait sérieusement leurs efforts. Elle ne pouvait se permettre de perdre l‘adepte, du moins pas dans l’immédiat.

— Ma dame ?

Brielle entendit Quin lui parler sur le canal vox. Elle se retourna et vit que l’indigène avait franchi le gouffre sans encombre.

— Ma dame, je vais demander à l’un des soldats de s’occuper de l’adepte, soyez sans crainte. Vous pouvez désormais traverser en toute sécurité, si vous le voulez bien.

— Merci, Santos, répondit Brielle. Elle remarqua que l’un des soldats, sur un ordre discret de Quin, se dirigeait de l’astropathe. Elle s’approcha du bord du gouffre et se tint immobile quelques instants, les yeux rivés sur les profondeurs luminescentes. Elle perdit de nouveau tout sens de l’orientation, une impression qu’elle imputa plus à l’étrange géométrie des lieux qu’à un quelconque vertige. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elle avait parfois l’impression que les parois se croisaient de manière irrationnelle, comme si la perspective était complètement délirante. Elle inspira profondément, chassa ces considérations de son esprit et déroula une corde de sa ceinture. Elle s’assit au bord du gouffre et fixa la corde au filin rattaché au grappin.

En un seul mouvement, Brielle se balança sous le filin et se retrouva suspendue au-dessus du vide. Elle testa la corde qui la reliait au filin afin de s’assurer qu’elle était bien arrimée puis elle commença à progresser au-dessus du gouffre. Loin au-dessus d’elle, Brielle ne discernait guère plus que les ténèbres. Tout là-haut, la voûte scintillait. Sûrement des reflets diffus des énergies actiniques qui se déchaînaient en dessous d’elle, pensa-t-elle. Tout en se hissant, une main après l’autre, elle se concentrait non pas sur les centaines, les milliers de mètres en contrebas, mais sur ces minuscules points de lumière verte qui brillaient dans les ténèbres, loin au-dessus d’elle. Elle estimait avoir parcouru la moitié du chemin lorsqu’elle remarqua que les points lumineux au-dessus d’elle semblaient gagner en intensité.

— … les rêves… la flamme vacillante… ils s’agitent…

Brielle entendait l’adepte Seth dans le canal vox et tendit le cou vers Quin. Elle vit que l’indigène, les yeux levés vers le plafond, était comme hypnotisé par les mêmes lumières qui avaient capté son attention pendant sa traversée.

Elle regarda de nouveau vers la voûte et constata que les points lumineux avaient doublé d’intensité et plongeaient droit sur elle !

— Ma dame ! cria Quin. Attention !

Le guerrier leva son bolter à deux mains, la crosse calée contre son épaule. L’arme aboya en un staccato assourdissant. La rafale inonda les ténèbres d’un feu orange aveuglant.

Suspendue de manière précaire au beau milieu du gouffre insondable, Brielle avait soudain pleinement conscience du caractère inconfortable de sa situation. Elle n’avait pas le temps de chercher du regard les cibles sur lesquelles Quin faisaient feu, ni même de les affronter. Elle serra donc les dents et entreprit de se hisser le long du filin, une main après l’autre.

Même si elle se consacrait pleinement à la traversée, l’air autour de Brielle était saturé de lumières aveuglantes. Les soldats déchaînaient le feu de leurs fusils à pompe lourds sur des ennemis que Brielle ne pouvait voir.

— Ma dame ! entendit Brielle, surprise de constater que la voix de Quin était toute proche. Elle tourna la tête et s’aperçut que, tant bien que mal, elle avait franchi le gouffre. Quin tendait une main vers elle pour l’aider à grimper par-dessus le rebord du gouffre. Elle fixait sa main gantée tendue lorsque quelque chose derrière lui attira son regard.

— Quin !

Le guerrier suivit le regard de sa maîtresse, fit immédiatement volte-face et leva son bolter d’une main.

L’arme aboya dans un vacarme assourdissant à si courte distance, malgré le casque de la combinaison de Brielle. Quelque chose explosa et Brielle et Quin furent mitraillés de minuscules débris métalliques. Brielle constata avec soulagement que sa combinaison était intacte. Les plaques renforcées l’avaient protégée de ces éclats métalliques potentiellement mortels.

— Est-ce que tu es blessé ? demanda Brielle, consciente que Quin était plus proche de la détonation qu’elle.

— Rien de grave, ma dame, répondit Quin, avant de crier un avertissement aux soldats de l’autre côté du gouffre.

Brielle regarda de l’autre côté de l’abîme, en direction du reste du groupe. Elle vit les soldats déployés en demi cercle, le dos tourné au gouffre, Joachim Hep et l’adepte Seth au centre de leur formation. Pendant que les combattants faisaient feu au cœur des ténèbres au-dessus d’eux, Hep tentait de convaincre Seth de traverser le gouffre.

Des créatures insectoïdes émergèrent des ténèbres au-dessus de leurs têtes dans un scintillement argenté, chacune mesurant un peu plus d’un mètre de long. Une lumière verte, similaire à celle qui rayonnait si intensément dans les profondeurs de l’abîme, brillait au niveau de ce que Brielle estimait être la tête de ces créatures. L’une des créatures métalliques fondit sur un soldat. La lumière verte au niveau de sa tête gagnait en intensité et l’assaillant se retrouva nimbé d’un halo d’énergie pulsatile. Le soldat actionna le levier sur le côté de son fusil à pompe et libéra une décharge à bout portant mais la créature esquiva le projectile tout en plongeant vers sa cible.

Plus l’assaillant se rapprochait du soldat, plus le halo vert qui l’entourait gagnait en intensité. Au dernier moment, le soldat imprima une rotation à son arme et frappa de la crosse, enfonçant le robuste métal dans la tête de son adversaire. La lumière verte explosa lorsque le fusil à pompe pénétra dans la partie antérieure du corps de la créature. Le soldat recula et s’étala de tout son long à quelques centimètres du rebord du gouffre. Son adversaire poursuivit sa course folle et s’abîma dans les profondeurs pulsatiles, loin en contrebas.

— Tout le monde traverse, allez ! s’époumona Brielle tout en saisissant le pistolet bolter accroché à sa hanche. Tenant l’arme à deux mains, elle tira sur l’assaillant insectoïde le plus proche, qui décrivait des cercles au-dessus d’elle.

— Hep ! Cria-t-elle. Fais traverser Seth, tout de suite !

Sans attendre de réponse, elle pressa la détente. Le pistolet de Brielle aboya et le projectile fit mouche, s’enfonçant dans la carapace de la créature. L’impact fit violemment dévier l’insecte. Avant qu’il ait pu rectifier sa trajectoire, il explosa à un millier de fragments métalliques. Le détonateur miniature du bolt venait de s’activer après avoir pénétré l’armure de la créature, provoquant des dégâts mortels.

Pendant que Hep forçait l’astropathe à s’agripper au filin et l’aidait à traverser, Brielle et Quin mitraillaient de plus belle, leurs bolts venant à bout de trois créatures supplémentaires. Tout à coup, les assaillants battirent en retraite, comme en réponse à un ordre muet.

— Y a-t-il des blessés ? Brielle demanda à Quin.

— Pas de blessés graves, ma dame, répondit le guerrier. Je ne pense pas que ces créatures aient été conçues pour le combat.

Brielle regarda Quin.

— Explique-toi.

— Ma dame, il me semble que ces créatures ne faisaient que tester nos défenses et notre puissance de feu. Je crois qu’elles n’étaient guère plus que des sentinelles.

— Des sentinelles ? répéta Brielle. Des sentinelles censées garder quoi ?

— Cet endroit, ma dame, répliqua Quin. Ils protègent ce tombeau des intrus. Des profanateurs.

— Des pillards, acheva Brielle, s’autorisant un sourire en coin.

— Ils sont proches désormais, maîtresse… Ne pouvez-vous les entendre ? Brielle entendit Seth marmonner à ses côtés tandis que le groupe progressait dans un dédale de couloirs étroits. A son corps défendant, elle commençait à perdre patience avec l’astropathe, mais elle savait qu’elle ne pouvait y faire grand-chose.

— Qu’entends-tu donc ? répliqua Brielle. Je t’en conjure, Seth, exprime-toi clairement.

— J’entends ceci…

Brielle se retourna tout en marchant et vit que Seth faisait courir sa main le long d’une paroi. Ses doigts gantés, insensibles, suivaient les gravures complexes qui en recouvraient la surface.

— Comment ça ? demanda Brielle, consciente qu’il était peu probable qu’elle reçoive une réponse cohérente mais désireuse d’empêcher l’astropathe de sombrer plus avant dans la démence.

— Tout est lié, maîtresse… tout. Ils ne rêvent pas vraiment, du moins pas comme nous…

Brielle secoua la tête et reporta son regard vers le chemin qui s’ouvrait devant eux. Les couloirs que le groupe empruntait étaient étroits et obscurs. L’unique source d’éclairage provenait de la lueur verte émise par les arabesques infinies de l’écriture extraterrestre qui ornaient les murs. Elle s’efforça de ne pas regarder ces écritures de trop près. À ses yeux, les réseaux de cercles et de lignes formaient des nœuds et des liens, décrivaient des hiérarchies et des progressions, racontaient la domination d’une race extraterrestre, un mode de vie duquel l’humain était totalement absent.

Elle secoua la tête une fois de plus, cette fois-ci pour dissiper les idées étranges qui s’insinuaient dans son esprit lorsqu’elle s’approchait trop des motifs qui ornaient les parois.

— Seth, dit-elle. Ne pose pas tes mains sur les parois…

— Nous devons partir, l’interrompit l’astropathe, s’arrêtant net. Nous devons rebrousser chemin, maîtresse, immédiatement.

Brielle fit halte et se tourna vers l’astropathe, prête à le réprimander ou à le faire neutraliser. Puis elle perçut un écho, un son provenant de derrière le groupe.

— C’est le gouffre, ma dame, indiqua Quin lorsqu’elle tourna la tête vers lui pour lui demander son avis. Les créatures sentinelles.

— Ce sont elles ! hurla Seth, qui fit volte-face comme pour s’enfuir.

— Retenez-le, ordonna Brielle. Quin fit un signe au soldat le plus proche qui s’approcha de l’astropathe par derrière et lui saisit les deux bras au niveau des coudes.

— Pour quelle raison les sentinelles s’activeraient-elles de nouveau ? demanda Brielle sans grand espoir qu’un membre de sa suite lui répondît. Elle échangea un regard avec Santos Quin tandis qu’il levait son bolter et reprenait sa progression le long du couloir. Elle s’attarda un instant, tendant l’oreille pour percevoir ces sons dont les échos étaient en train de mourir pour laisser place au silence. Elle crut un instant que les sentinelles allaient peut-être de nouveau les attaquer. Elle chassa cette idée et emboîta le pas à Quin.

Laissant derrière elle les sombres couloirs couverts d’arabesques, Brielle pénétra dans une immense salle circulaire. Le lieu était dominé par des centaines de galeries superposées dont les plus hautes se perdaient tout là-haut dans les ténèbres. Des alcôves s’alignaient à chaque étage. Chacune d’elles contenait une statue humanoïde luisant légèrement.

— Joachim ? interrogea Brielle tandis que son conseiller se portait à ses côtés. Qu’en penses-tu ?

Hep embrassa du regard l’immensité de la salle, scrutant les galeries d’un œil expert.

— Jamais rien vu de tel, madame, répondit-il. Mais je connais une demi-douzaine de cartels qui débourseraient une fortune pour en acquérir ne serait-ce qu’un.

— C’est ce que je pense aussi, répliqua Brielle avec un large sourire qui ne seyait guère aux lèvres de la fille du détenteur d’un mandat commercial. Elle s’avança vers la statue la plus proche. Elle se tenait près de la silhouette métallique et nota qu’on lui avait donné la forme d’une sorte de guerrier squelette dont la tête consistait en un crâne, un masque de mort impassible. En travers de son imposant buste ou apparaissaient des côtes, elle tenait ce qui se révélait être indubitablement une arme.

— Dans les catacombes de Skard étaient alignés des gardiens des tombes en métal, dit Brielle à haute voix, se souvenant d’une expédition dans les caveaux souterrains de ce monde damné deux ans auparavant. Leur vente a permis au clan d’acheter une planète entière…

— En effet, madame, rétorqua Joachim, qui se tenait à côté de sa maîtresse. Mais ils étaient composés de rhodium pur. Ceux-là ont l’air…

— Mécaniques ? le devança Brielle. Elle suivait des yeux les nombreux câbles et tuyaux qui partaient de cavités pratiquées dans les alcôves et s’enfonçant dans les statues. Est-ce que l’un de ces câbles venait de bouger ? Il ne s’agit pas juste d’offrandes funéraires. Une technologie xenos est à l’œuvre ici.

— Ils dorment… Les sanglots de Seth parvinrent jusqu’à Brielle. Deux soldats maîtrisaient l’astropathe mais il continuait à déblatérer des phrases incohérentes. Nous devons fuir ! hurla Seth, sa voix se répercutant pendant de longues secondes jusqu’aux galeries les plus élevées.

— Neutralisez-le, exécution ! ordonna Brielle aux soldats qui maîtrisaient l’astropathe. Elle s’excuserait plus tard, quand le groupe serait de retour sur le vaisseau, les soutes remplies de merveilles technologiques xenos.

Puis une voix emplit la salle.

— Vous feriez mieux de l’écouter.

Instantanément, Santos Quin fut aux côtés de sa maîtresse, le bolter levé tandis qu’il cherchait des yeux l’origine de cette voix. D’un seul geste, il ordonna aux soldats de former un cercle protecteur autour de Brielle, Seth et Hep.

Brielle releva la visière de son casque et s’adressa aux ténèbres :

— Qui me parle ? Elle pivotait tout en parlant, à l’affût de tout indice quant à l’identité de son interlocuteur.

— C’est moi qui vous parle, répondit la voix. Elle possédait un timbre étrangement lyrique, pas vraiment humain mais pas totalement extraterrestre non plus. Brielle suivit la voix jusqu’à sa source et vit une silhouette élancée émerger d’un sombre portail à l’autre bout de la salle.

— Ce lieu nous appartient au nom du droit de conquête, annonça Brielle tout en s’avançant vers le centre de la salle tandis que ses hommes pointaient leurs armes vers l’intrus. Partez ou vous en subirez les conséquences.

— Les conséquences ? rétorqua la silhouette en s’avançant, émergeant des ombres. Un doute commença à poindre dans l’esprit de Brielle. Crétins pathétiques, reprit son interlocuteur d’un ton méprisant. Vous n’avez aucune idée de la folie qui est la vôtre. Alors que la galaxie s’écroule autour de vous, vous vous vautrez dans votre fange, entraînant toute la création dans votre chute.

— Une telle arrogance ne peut provenir que de la bouche d’un eldar, répliqua Brielle, certaine que l’intrus appartenait à cette race. Elle fit halte au centre de la salle et mit les mains sur les hanches, libérant subrepticement la lanière qui retenait son pistolet bolter et le fourreau de sa lame tronçonneuse.

La silhouette approcha et s’arrêta en face de Brielle. Son intuition se révélait exacte. Devant Brielle se tenait une silhouette humanoïde grande et élancée vêtue d’un long manteau de tissu aux reflets changeants comme la peau d’un caméléon. L’eldar portait dans son dos un long fusil qui confirmait, si besoin était, sa caste.

— Guerrier mirage ? demanda Brielle, cherchant à déstabiliser l’extraterrestre par sa connaissance des eldars. Tout en parlant, elle compta trois autres xenos tapis dans les ombres à quelques mètres de là.

— En effet, répondit l’eldar calmement, inclinant légèrement la tête sur le côté. Si vous connaissez mes semblables alors vous savez qu’il est suicidaire d’ignorer mon avertissement. Quittez cet endroit. Obéissez aux suppliques de votre prescient. Il a vu la vérité tandis que vous êtes aveuglés par votre cupidité.

Sentant la colère monter en elle, Brielle leva un index vindicatif et s’avança vers l’eldar. Sa botte renforcée cogna un objet qui se trouvait sur le sol poussiéreux devant elle.

— Je sais que vous parlez par énigmes. Je sais que vous mentez. Je sais qu’on ne peut pas vous faire confiance, cracha-t-elle, pointant l’eldar du doigt. Je sais que vous massacreriez un million d’humains si vos sorciers vous annonçaient que cela vous éviterait de vous fêler un ongle !

— Et quand bien même, enfant ? répliqua sèchement l’eldar, ignorant le sarcasme mais saisissant parfaitement le sous-entendu de Brielle. Mon peuple a vu des dieux naître et mourir alors que votre race s’extrait à peine de la fange qui l’a engendrée. À quoi bon la raison, la sagesse : vous ne recherchez que votre propre destruction et vous souciez comme d’une guigne d’enflammer la galaxie ce faisant.

— Encore des mensonges, rétorqua Brielle. Elle regarda l’objet à ses pieds. À moitié enseveli par des millénaires de poussière, se trouvait une hampe ouvragée terminée par une lame nimbée d’une faible lueur verte. Toujours plus de mots pour dissimuler votre égoïsme arrogant.

— Je le dis à nouveau, déclara l’eldar, suivant le regard de Brielle vers le bâton à ses pieds. Ne dérangez rien et peut-être survivrez-vous. Peut-être survivrons-nous…

— Vous osez proférer des menaces ? l’interrompit Brielle. Vous osez me donner des ordres ? Elle se baissa et saisit le bâton. Il était lourd et froid. Je dérangerai qui bon me semble, xenos.

— Non ! cria l’eldar, perdant de sa superbe. L’extraterrestre regarda autour de lui, comme s’il cherchait quelque chose dans les galeries, ses yeux en forme d’amande emplis de peur. Il se saisit du long fusil accroché à son dos.

Avant que Brielle ait pu réagir, l’air autour d’elle s’embrasa lorsqu’une douzaine d’armes firent feu en même temps. L’eldar tituba, le corps criblé de projectiles. Ses congénères répliquèrent dans la seconde, leurs armes crachant une pluie de projectiles silencieux et pourtant mortellement précis.

Brielle leva le bras droit d’un geste vif et activa une décharge de l’une des armes miniatures qu’elle portait à ses doigts : des anneaux de mort délicatement ouvragés. Un jet de liquide chimique s’enflamma et se dirigea vers l’eldar le plus proche. Ce dernier comprit le danger et roula de côté. Le liquide, se consumant d’un feu orangé, échoua à quelques centimètres de sa cible. Brielle maudit sa déveine car l’anneau ne contenait qu’une seule charge. Soudain, des gouttelettes enflammées se dispersèrent et des éclaboussures atteignirent la cape légère aux reflets changeants de l’eldar. Avant d’avoir réalisé ce qui lui arrivait, l’eldar se retrouva englouti par un brasier dévorant.

Avec une cruauté froide qui masquait la révulsion qu’elle ressentait, Brielle tira son pistolet bolter, ajusta calmement la torche vivante devant elle et lui mit une balle en plein crâne, mettant un terme à la souffrance du pauvre hère.

Tandis que s’éteignaient les derniers échos de la détonation sourde du bolt à l’intérieur du crâne de l’eldar, les projectiles xenos fendaient l’air tout autour d’elle. Brielle plongea sur le côté, le bâton toujours en sa possession. Elle atterrit, roula et s’accroupit pour constater que la fusillade était déjà finie. Les extraterrestres qui l’avaient prise pour cible étaient morts ou grièvement blessés. Celui qu’elle avait tué avec son lance-flammes miniature finissait de se consumer. Plusieurs membres de sa suite se tordaient au sol, réprimant des cris de douleur causés par des blessures pas plus grosses que des piqûres mais qui, elle le savait, avaient probablement provoqué d’énormes dégâts internes.

— Le xenos ! cria Hep. Il est encore en vie, madame, attention !

Brielle regarda vers le centre de la salle et vit que l’eldar était étendu au milieu d’une mare de sang qui grandissait à vue d’œil. Redressant la tête, il la fixait du regard. Voyant qu’il ne représentait plus aucun danger, Brielle se releva en s’appuyant sur le bâton extraterrestre.

— Ecoute-moi, humaine, dit l’eldar en crachant du sang. Si vous partez maintenant, vous pourrez peut-être éviter une catastrophe dont vous ne sauriez mesurer l’ampleur.

Brielle avait rejoint l’eldar et contemplait son corps brisé. Le sifflement d’un gaz d’échappement leur parvint d’une des galeries en hauteur. Elle s’agenouilla près de l’eldar et se pencha pour recueillir ses dernières paroles.

— Il est des forces dans cet univers dont vous ignorez tout, murmura l’eldar, son regard embrumé balayant les plus hautes galeries de la salle. Des êtres assoupis depuis des millénaires portent leur attention sur nous une fois de plus…

Un éclat de rire strident et caquetant résonna derrière Brielle. Elle fut frappée par le sentiment terrible que les élucubrations de l’adepte Seth contenaient peut-être une parcelle de vérité.

— Quelles forces ? demanda Brielle. Quels êtres ?

Elle tourna vivement la tête, persuadée d’avoir perçu un mouvement dans l’une des alcôves à proximité.

— Ma dame… intervint Quin.

— Attends ! l’interrompit Brielle, consciente que l’eldar s’éteignait petit à petit mais convaincue qu’elle devait entendre ce qu’il avait à lui dire. Parle, exigea-t-elle.

— Votre race le découvrira bien assez tôt, répondit l’eldar dans une quinte de toux. Il vomit du sang sur sa poitrine. Un sifflement aigu se fit entendre tout près. Brielle jeta un œil vers les alcôves les plus proches et les statues squelettiques qu’elles renfermaient.

— Mais toi… Les lèvres ensanglantées du xenos s’étirèrent en un sinistre sourire. Il fixait Brielle qui venait de se retourner vers lui. Tu le sauras plus vite que tu ne crois…

Avant que l’eldar ait pu achever sa phrase, le sol recouvert de poussière autour de lui sembla s’effondrer. Sous les yeux horrifiés de Brielle, l’eldar s’enfonça dans la poussière. L’extraterrestre écarquilla les yeux de terreur, conscient du sort qui l’attendait. Quelques secondes plus tard, une zone de poussière de trois mètres de diamètre s’enfonçait pour laisser place à une vaste fosse circulaire. L’eldar bascula puis disparut dans une cascade de poussière.

— Ma dame ! hurla Quin. Brielle regardait le trou noir qui venait de s’ouvrir sous ses yeux et se tourna vers Quin.

— Quoi ?

Pour seule réponse, l’indigène regarda vers l’alcôve la plus proche. À l’intérieur, une paire de lumières vertes brillait. Plissant les yeux, Brielle vit que les yeux de la statue métallique s’étaient animés. Elle leva la tête, pivotant sur elle-même pour embrasser du regard les rangées entières de galeries qui s’alignaient sur toute la hauteur de la salle, jusque dans les ténèbres loin au-dessus d’elle. À l’intérieur de chacune de ces milliers d’alcôves, sans exception, une paire de points lumineux luisait faiblement.

Brielle brandit son pistolet bolter tandis qu’un grondement infrasonore semblait provenir du sol, très loin en profondeur. Devant elle, une lueur verte surnaturelle apparut dans le trou noir au centre de la salle. Elle fit un pas en arrière et ses suivants l’encadrèrent, leurs armes levées.

— Madame, je suggère que nous… commença Hep.

— Je sais, l’interrompit Brielle. Elle ressentait de la colère et un sourd effroi. En un instant, ses rêves de richesse s’évaporèrent, remplacés par le seul instinct de survie. Elle s’aperçut que la lame du bâton qu’elle tenait en main brillait d’une vive lueur. À travers le gant de sa combinaison, elle sentait le froid qui émanait du manche de l’arme.

Soudain une colonne de lumière verte aveuglante surgit du trou devant elle. Des particules de poussière scintillèrent, comme happées par le faisceau. Le grondement sourd gagna en puissance. Le sol tremblait désormais.

— Retraite ! lança Brielle.

Un cri déchira l’air et leur vrilla les tympans, couvrant le grondement toujours plus fort provenant du sol qui tremblait. Brielle fit volte-face et vit l’adepte Seth se plier en deux, les deux mains de chaque côté de son casque comme si l’astropathe essayait en vain de se couvrir les oreilles. Elle entendit le rugissement du bolter de Quin et reporta son attention vers la colonne de lumière verte.

À l’intérieur du puits, s’élevait une silhouette. Au début, tout ce que Brielle arrivait à distinguer était une forme humanoïde nimbée d’un halo de lumière pulsatile. Au fur et à mesure que la silhouette s’élevait, Brielle s’aperçut qu’elle flottait, comme si elle était portée par la lumière elle-même. Elle était gigantesque, plus de trois mètres de haut. Son corps squelettique tout en métal était vêtu de haillons qui s’agitaient comme sous l’effet d’un courant d’air invisible.

— On s’en va, ordonna Brielle tandis que la silhouette lévitait désormais à une dizaine de mètres au-dessus du puits. Exécution !

Avant que ses hommes aient pu réagir, les yeux de la créature s’animèrent d’un feu identique à celui qui couvait dans le regard des autres statues mais en cent fois plus intense. Sa tête en forme de masque de mort pivota, comme s’il s’éveillait. Il contempla le spectacle qui s’offrait à lui.

Le terrible regard se posa d’abord sur la forme recroquevillée de l’adepte Seth. L’astropathe hurla de plus belle et vomit à l’intérieur de son casque, son visage disparaissant sous les fluides dégoulinants. La lumière dans les yeux du squelette s’intensifia encore et un bruit étouffé provint du casque de l’astropathe. L’intérieur de sa visière se couvrit d’un mélange de sang frais rouge vif et de matière grise. Brielle, horrifiée et interdite, regarda le corps sans vie de Seth s’effondrer au sol dans un grand nuage de poussière.

S’extrayant de ce brutal état de choc, Brielle leva son pistolet bolter. Un point rouge vacillant apparut sur le crâne de la silhouette. Murmurant une prière silencieuse à l’Empereur afin qu’il guide son bras, elle pressa la détente. Son tir fit mouche mais le bolt explosa, ne laissant qu’une légère marque sombre à l’endroit de l’impact. La créature ne semblait même pas avoir eu conscience de l’attaque.

Un instant plus tard, Quin beugla un chapelet d’insultes typique de son monde natal barbare. Le guerrier brandit son bolter et vida en quelques secondes un chargeur entier sur l’ennemi. Plusieurs dizaines de balles, dont chacune aurait réduit en charpie un être humain, ricochèrent sur la silhouette de métal qui les surplombait.

— Quin ! hurla Brielle par-dessus le vacarme assourdissant des fusils des soldats qui se joignaient à la fusillade. C’est inutile ! On s’en va !

Mais l’indigène semblait ne pas avoir entendu sa maîtresse, ou avait succombé à un accès de frénésie suicidaire primitive. Brielle le saisit par l’épaule mais il la repoussa tout en rechargeant son bolter.

— Allez-y ! cria Quin.

Brielle s’apprêtait à réitérer son ordre mais en voyant la fureur bestiale dans les yeux de Quin, elle sut que ç’aurait été en pure perte.

— J’ai prêté serment, déclara le guerrier dont les yeux brûlants illuminaient le visage tatoué. J’ai promis à votre père… Je vous en prie, ma dame, permettez-moi de tenir ma promesse.

Regardant tout autour d’elle, Brielle vit les statues de métal à l’intérieur des alcôves au niveau du sol s’animer et s’avancer vers le centre de la salle. Elle réalisa également que Quin essayait de temporiser pour lui permettre de s’échapper, au péril de sa vie. Elle envisagea l’espace d’une seconde de lui ordonner de partir, de l’implorer de partir mais elle savait que ce serait peine perdue. Incapable de parler, elle remercia le guerrier d’un hochement de tête, son pistolet dans une main et le bâton dans l’autre. Une partie d’elle-même souhaitait que le sacrifice du guerrier ne fût pas vain et qu’il connaîtrait une fin honorable.

— Suivez-moi ! lança Brielle tout en battant retraite vers le couloir. Joachim Hep apparut à ses côtés, brandissant un pistolet laser. Il précédait de peu une douzaine de soldats. Brielle entendit Quin faire de nouveau feu de son bolter, et se mit à courir en direction du corridor.

Un guerrier métallique bloquait le passage. Instinctivement, elle leva son pistolet bolter et fit feu à bout portant. Ses compagnons l’imitèrent immédiatement si bien que la carcasse squelettique tituba sous l’impact des multiples projectiles qui firent mouche.

L’espace d’un instant, Brielle crut que la structure métallique de l’ennemi serait invulnérable à leurs attaques, à l’instar de la créature qui flottait au-dessus du puits de lumière verte. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant de vives étincelles surgir de sa poitrine, suivies un instant plus tard par une petite explosion.

— Encore ! ordonna-t-elle, logeant trois bolts supplémentaires dans le buste de l’ennemi. Les soldats firent cracher leurs fusils à pompe, faisant reculer l’adversaire tant et plus.

Soudain, le squelette de métal vola en éclat, anéanti par une déflagration au niveau de sa cage thoracique. Des éclats de métal déchiquetés fusèrent dans toutes les directions, l’un deux fracassant la visière blindée du casque de Brielle et lui entaillant profondément le front.

Malgré le sang qui lui coulait dans les yeux, Brielle poursuivit sa course effrénée. Le couloir atteint, elle se retourna une dernière fois..

Quin avait de nouveau cessé le feu son arme de toute évidence à court de munition. Tandis qu’il éjectait le chargeur vide en forme de serpe, la créature posa son regard sur lui, comme si elle venait de s’apercevoir de sa présence.

Quin inséra un nouveau chargeur d’une main ferme et soutint le regard de braise de l’ennemi. La créature tendit un long bras métallique sur lequel des lambeaux de tissu claquaient comme sous l’effet d’une brise éthérique. Quin leva son bolter une fois de plus, son visage tatoué déformé par la rage, tandis qu’une lumière verte naissait dans la paume de la main de la créature.

L’indigène se tordit de douleur. Son arme tomba lourdement au sol. Brielle cria son nom mais il était trop tard. Sous ses yeux, la combinaison de survie de Quin fondait littéralement. D’abord les plaques renforcées ; elles se dissolvaient, comme si on épluchait le métal, une couche d’atomes après l’autre. Puis le tissu s’évanouit, dévoilant la peau tatouée. Un instant, Quin se tint nu devant le démon de métal qui le surplombait. Puis les tatouages qui couvraient son corps disparurent, tout comme sa peau quelques secondes plus tard.

Les hurlements d’agonie de Quin vrillèrent l’air poussiéreux du tombeau tandis que sa peau se résorbait et qu’apparaissaient les muscles à nu. Couche après couche, sa chair se détachait de son corps, réduite à néant par le pouvoir terrifiant de la radiation verte. Seul subsista le squelette de Quin, qui se découpait sur la colonne de pure lumière verte. Bientôt, celui-ci disparut aussi, les derniers morceaux de moelle réduits en cendres et dispersées par le vent surnaturel.

Avant que Brielle ait pu réagir, l’abomination flottante finit de s’éveiller et sortit de la colonne de lumière couleur d‘émeraude avant d’atterrir dans un vacarme infernal. Comme un seul homme, plusieurs milliers de squelettes firent un pas en avant. Ceux qui se trouvaient au niveau du sol encerclaient Brielle et ses compagnons. Elle comprit que l’issue était inéluctable mais ne se rendrait pas sans combattre. Elle prit une grande inspiration et leva son pistolet bolter dans un ultime acte de défi.

En une fraction de seconde, l’abomination de métal avait traversé la salle et toisait Brielle de toute sa hauteur. Son doigt accentuait la pression sur la détente tandis que la créature la fixait de ses yeux verts et ardents. Elle tendit la main. Brielle se prépara à connaître le même sort que Quin, sa peau brûlant par anticipation devant l’horreur d’une telle fin.

Mais au lieu de crépiter d’une lumière verte, sa main semblait faire un geste. Brielle retint son souffle et son doigt se décrispa l’espace d’une seconde. Sa matière grise fonctionnait à plein régime pour déchiffrer le geste de la créature.

Et puis elle comprit. Le démon de métal exigeait qu’elle lui rendît le bâton qu’elle tenait dans la main gauche.

— C’est ça que tu veux ? grogna-t-elle, bandant ses muscles et se campant sur ses jambes. Alors le voilà ! Dans un effort titanesque, Brielle lança le bâton vers son adversaire. En plein vol, la lame s’embrasa d’un feu vert presque aveuglant. Avec une précision implacable, la pointe percuta la créature squelettique en pleine cage thoracique et pulvérisa le métal qui jusque-là avait repoussé des dizaines de tirs de bolters. Un faisceau de lumière verdâtre surgit, accompagné d’un hurlement aigu et métallique. Le bâton poursuivit sa course et s’enfonça un peu plus dans le buste de la créature.

L’abomination squelettique était crucifiée par sa propre arme. Une intense lueur se déversait désormais de la blessure dans toutes les directions. La créature était figée, incapable de se mouvoir. Son masque de mort abyssal fixait Brielle tandis qu’elle se tordait, à l’agonie. L’espace d’un instant, Brielle se sentit la cible d’une haine indicible d’échelle cosmique. Elle perçut sa totale insignifiance devant cette puissance maléfique qu’elle ne pouvait appréhender. Ce sentiment la quitta une seconde plus tard, et elle détourna le regard de ce spectacle hypnotique.

Brielle remarqua que les guerriers squelettes avaient cessé leur progression dans la salle, comme s’ils partageaient la douleur qu’elle avait infligée à leur seigneur. Elle entrevit une chance de s’échapper, la saisit et s’y accrocha de toutes ses forces.

— Hep ! cria-t-elle par-dessus l’horrible hurlement métallique du géant de métal terrassé. Rassemble les hommes. J’en ai vraiment ma claque de cet endroit !

Brielle se tenait sur la passerelle du Fairlight, Joachim Hep à ses côtés. La blessure à son front avait été bandée. Hep avait le bras droit en écharpe.

— Il s’en est fallu de peu, madame, dit Hep d’une voix neutre.

Cet euphémisme fit lever un sourcil à Brielle. Elle se tourna vers son conseiller.

— Oui, Joachim, répondit-elle. Nous avons payé le prix fort. Santos nous manquera. Mais, poursuivit-elle, tout ça n’aura peut-être pas été en vain.

Hep regarda sa maîtresse, la perplexité se lisant sur son visage rugueux.

— Madame… commença-t-il.

— Du calme, Joachim. Brielle sourit et leva la main pour prévenir toute objection de la part de son conseiller quant à ce qu’elle s’apprêtait à dire. Si ce que le guerrier mirage nous a révélé est exact, il doit exister dans l’univers d’autres endroits comme celui-ci, d’autres mausolées. Elle indiqua de la tête le vide sidéral qu’ils contemplaient par la baie vitrée. Réfléchis un instant, Joachim. Réfléchis. Nous avons pénétré dans ce tombeau en ne sachant pas ce qui nous attendrait.

— Madame…

— À côté de cet endroit, Skard ressemble à un marché aux ordures d’une cité ruche, dit-elle, un sourire aux lèvres. Pense un peu à ce que le Mechanicus donnerait pour mettre la main sur cette technologie. Ils vendraient père et mère pour étudier un seul de ces guerriers mécaniques… Imagine si nous pouvions signer des contrats avec chaque forge : un exemplaire pour chacune d’elle, avec droits d’exclusivité…

— Brielle ! l’interrompit Hep. Votre père me mettrait dans un lance-torpilles si je vous laissais…

— La prochaine fois, poursuivit Brielle, une lueur malicieuse dans le regard, nous saurons à quoi nous attendre. Le souffle coupé à l’idée des richesses qu’elle pourrait entasser dans les coffres de sa maison, elle continua. La prochaine fois, Joachim, aucun eldar prétentieux ne nous mettra de bâtons dans les roues. La prochaine fois, à nous le magot…