ÉPILOGUE
Il n’y a pas eu, il n’y aura pas de guerre des mondes. Tout d’abord parce que Teuf-Teuf a bien voulu répondre à notre appel et ajouter foi à nos supplications multiconjuguées.
La digne ferraille nous a arrachés à ce monde et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés sur notre bonne et vieille planète, dans le champ même d’oncle Peter, culbutés au milieu des choux et le nez dans la poussière.
Ah ! que de choux, que de choux, je n’en ai jamais autant vu de ma vie : des choux-fleurs, des choux-raves, des choux-navets, et des choux tout court. La plupart de ces derniers provenant des graines krutches envoyées par Bud, lesquelles se sont mêlées, de-ci, de-là, à celles semées par oncle Peter.
Et les graines ont germé et les choux ont déjà poussé parce que le temps sur Terre ne s’écoule pas de la même façon que dans les autres mondes où nous avons été précipités. Et dans ces choux, l’affreuse chose s’est accomplie. Les bébés cornus s’agitent, braillant ou suçant leur pouce. Et, bien entendu, encore, oncle Peter a su profiter de la situation si j’en juge par la foule compacte massée derrière le rideau de barbelés qui entoure le champ de bébés. Il est lui-même à la caisse en train de déchirer les billets.
— Complet ! s’écrie-t-il en déchirant le dernier. Je vous dis que c’est complet. Prochaine séance dans une heure. Allez, ouste !
— Hé ! maman, fait une petite voix de l’autre côté des barbelés, c’est donc vrai que les enfants naissent dans les choux ?
Et la maman de répondre :
— Prends-en de la graine, ma fille, prends-en de la graine.
— Par ici, regardez ! Je crois que j’ai trouvé Aglagla.
C’est la voix d’Archie. Nous nous relevons tous, nous courons vers lui. Dans le chou énorme qu’il nous indique, un bébé tout rose, avec des cornes argentées, nous apparaît, l’air… particulièrement royal. Aucun doute, il doit s’agir, en effet, de la princesse Aglagla.
Nous en sommes là, lorsqu’une grosse voix retentit derrière nous.
— Hé ! vous, les resquilleurs, par où êtes-vous entrés ? Sortez de ce champ immédiatement.
C’est un flic et il n’a pas l’air de plaisanter.
— Un instant, fais-je, j’ai une communication à passer.
— Une quoi ?
Il me frime, intrigué, mais je n’en ai cure (à Vittel ou ailleurs, comme vous voudrez) et me mets immédiatement en contact avec Teuf-Teuf.
— Teuf-Teuf, je t’en prie, écoute-moi…
— Seulement trois secondes, me répond Teuf-Teuf, juste le temps de rematérialiser ce brave Grobol dans son monde d’origine… Attention… Attention… voilà qui est fait. Allez-y maintenant, je vous écoute.
— La situation, tu la connais aussi bien que nous, n’est-ce pas ? Alors il faut que tu adresses un message à l’Empereur, que tu lui expliques ce qui se passe. Dis-lui que nous avons retrouvé la princesse Aglagla et qu’il envoie un commando pour nous débarrasser de tous ces bébés…
— Hé ! me coupe le flic, à qui parlez-vous comme ça ?
— Ne me coupez pas, ce n’est pas fini.
Je reprends :
— Heu… dis-lui aussi qu’en échange de nos loyaux services, nous te gardons avec nous.
— Je transmets le message immédiatement, bon maître, me renvoie Teuf-Teuf, et que Dieu nous protège.
— Bravo, éclate Margaret, ça c’est parler. Nous gardons Teuf-Teuf, et qu’ils ne s’avisent pas de venir nous la reprendre.
Nous en restons tous bouche bée… Dieu du ciel, Margaret reparle normalement !
— C’est le choc au moment du transfert, émet Archie.
— Ou tout simplement le changement d’air, ajoute Gloria, tandis que le flic continue à nous regarder d’un drôle d’air.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Attendez encore un instant, fais-je, il y a la suite.
Et la suite arrive dans les 10 secondes qui suivent. Il y a comme un craquement dans l’air autour de nous et puis l’apparition brutale d’une demi-douzaine de Cornus vêtus de combinaisons brillantes. Bigre de bougre, ils n’ont décidément pas perdu de temps !
Accompagnés d’Archie, ils se précipitent vers le chou d’Aglagla, autour duquel ils font le salut traditionnel, établissent ensuite un rapide inventaire de tous les autres choux-à-bébés, puis reviennent vers nous le bras tendu. Geste solennel scellant nos accords. En effet, trop heureux d’avoir enfin retrouvé sa fille, la princesse Aglagla, l’Empereur des Cornus nous abandonne sans réserve son « honorable et vénérable Machine ».
— Mais enfin, qui sont ces gens ? s’insurge le flic. Et d’où viennent-ils ? Je vous préviens qu’on ne se moque pas impunément de la justice (26).
— Il a raison, dis-je. On a lancé le bouchon un peu trop loin. Faut arranger ça, messieurs.
Le chef du commando m’approuve, tout en indiquant les badauds ahuris massés derrière les barbelés.
Pendant ce temps, ses copains ont commencé l’évacuation d’Aglagla et des autres mouflets. Après quelques voyages-éclair, ils réapparaissent pour la dernière fournée.
— Ne vous inquiétez pas, nous dit le chef en sortant un petit boîtier de sa poche, ces gens n’auront aucun souvenir de ce qui vient de se passer. Ils se demanderont simplement ce qu’ils sont venus faire ici, mais ce n’est pas grave.
Clic… clac… le boîtier crépite, à droite, à gauche, un rayon balaie la foule et puis, hop ! les Cornus disparaissent.
— À notre tour d’en faire autant, fais-je en entraînant ma petite équipe, et sans me soucier du flic qui nous salue, tout en se demandant bien pourquoi il le fait.
Fendant la foule, surprise, égarée, nous embarquons, un instant plus tard, dans la voiture d’oncle Peter, garée non loin de là.
Un coup d’accélérateur, trois tours de volant, et nous voilà chez nous, où, déjà, Teuf-Teuf a repris sa place sous le hangar de tôle ondulée (27). Et c’est alors que nous pénétrons dans le bungalow que la voix de Bud nous fait retourner d’un bloc :
— Hé !… hé !… Attendez… Y a la sirène dans la piscine.
Petit Jésus, c’est ma foi vrai ! Nous nous précipitons vers la piscine et découvrons en effet la jeune et adorable Sardy folâtrant à la surface de l’eau.
— Hello ! glouglousse-t-elle.
— Sardy ! Que faites-vous là ?
C’est clair et sans bavures. Sardy a opté pour notre monde, et son désir a été exaucé. Décidément, l’Empereur des Cornus n’a rien à nous refuser !
— Mais c’est impossible ! clamé-je. Je ne peux pas vous garder ici.
— Et il n’est pas question non plus que nous l’embarquions chez nous, ajoute Archie, nous avons des chats, vous le savez. Ils ne feraient pas bon ménage avec ce pois… enfin, avec cette… Ah ! non… non…
Impossible encore de la refiler aux Crooney, nos voisins d’à côté. Ils n’apprécieraient certainement pas ce genre de cadeau.
Quant à Funnigan, mon patron, inutile d’y compter. Le pauvre vieux est déjà au bord de la démence, nous ne ferions qu’aggraver son cas.
Alors ? Alors que faire ?
Eh bien, amis lecteurs, il ne me reste qu’une solution. C’est de l’offrir à celui d’entre vous qui m’écrira le premier. Et franco de port et d’emballage. Gratuit… Cadeau… Et même un bouquet en prime à celui qui nous en débarrassera dans les 48 heures… Vu ?
— Mais veillez quand même à cette question, intervient alors Teuf-Teuf. Surveillez tout cela de très près.
Et d’ajouter devant notre étonnement, avec un petit air ironique :
— Dame, tout le monde sait que les histoires de sirènes se terminent toujours… en queue de poisson.
— Hé !… hé !… renvoie Margaret, mais elle est en pleine forme ! Notre Machine est en plein « boum ».
Oui, oui, en plein « boum », c’est possible, mais moi, une Machine amoureuse qui commence à faire de l’esprit, ça m’inquiète.
Oui, oui… ça m’inquiète beaucoup. Pas vous ?