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- Non, attendez...
Ma phrase s'acheva par un gémissement. Ido avait enfoncé son pouce dans mon épaule, exactement comme mon maître lorsqu'il avait voulu m'imposer sa volonté lors de la cérémonie. Les deux gardes esquissèrent un salut puis s'éloignèrent.
Ido rit doucement.
— Votre pouvoir demeure encore en moi.
Il lâcha mon épaule mais la souffrance et l'épuisement me donnaient le vertige, si bien qu'Ido et Dillon durent presque me porter jusqu'à la cour de la maison du Dragon. J'entendis une porte coulisser. Levant la tête, je cherchai Rilla de mes yeux embrumés. Elle courut vers moi.
— Vous allez bien, seigneur ? Où sont vos gardes ?
Elle fit face à Ido.
- Que faites-vous avec lui ? Lâchez-le, je vais m'occuper de lui.
- Reculez, servante, rugit-il. Nous allons le conduire dans sa chambre.
Elle observa sire Ido et Dillon tandis qu'ils me faisaient franchir le seuil et me déposaient sur le grabat dans la pièce obscure. Ido s'assit à côté de moi, soi-disant pour me soutenir. En fait, il enfonça encore ses doigts dans ma chair en guise d'avertissement.
— Votre maître n'a besoin que de repos, déclara-t-il. Il est en proie à la fatigue des Yeux du dragon.
Rilla me regarda d'un air hésitant.
— Est-ce vrai, seigneur?
- Sire Eon vous demande de sortir, dit Ido avec douceur. Allez lui préparer une collation et laissez-le se reposer.
Je me débattis, dans l'espoir d'effacer de ses yeux la magie du dragon dont ils devaient briller. Cependant, le visage de Rilla se détendit et prit une expression soumise. Après s'être inclinée, elle sortit de la chambre.
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— Va-t'en, ordonna Ido à Dillon.
Sans même attendre que la porte soit refermée, l'Œil du dragon se tourna vers moi.
Soudain libérée, je basculai sur le grabat. Je me reculai en hâte, jusqu'au moment où mon dos heurta le mur. Mon corps était encore ankylosé après les longues heures passées à lui obéir.
— Laissez-moi ! m'écriai-je d'une voix faible.
— C'est un peu tard pour ça, non ? dit-il en souriant et en redres sant ses épaules. Vous avez donc cru avec Brannon que vous pour riez berner l'empereur et le Conseil des Yeux du dragon ?
Il éclata de rire.
— Apparemment, vous aviez raison. Tout le monde s'y est laisse prendre. Même moi.
Il se pencha pour caresser ma cheville. Je fis un bond pour échap per à sa main. La peur donnait à mon corps une énergie nouvelle.
— Mais je suis au courant, maintenant. Et cela vous met dans une situation plus que délicate, n'est-ce pas?
Je le regardai, en guettant le moindre mouvement dans ma direction.
— Je dirais que vous êtes absolument en mon pouvoir, poursui vit-il en riant de nouveau tout bas. De toutes les façons.
J'enfonçai mes doigts dans les draps. Allait-il encore faire de moi son esclave ? Je ne pourrais pas le supporter.
— Comment avez-vous fait? demandai-je. Comment avez-vous pu m'asservir ainsi?
— Si étrange que cela paraisse, je n'en sais rien. Je suppose que nous avons été reliés par mon dragon.
Il haussa les épaules.
— Quoi qu'il en soit, mon pouvoir s'en est trouvé décuplé.
C'était grisant. Dommage que l'effet s'affaiblisse déjà, mais nous chercherons à y remédier.
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L'effet s'affaiblissait. Cela signifiait-il qu'il n'était plus en mesure île me subjuguer? je me raccrochai à cette lueur d'espoir.
Brannon a tout hasardé pour vous.
Il m'observa un instant.
Vous faire passer pour une Ombre de Lune était très astu-i icux. Mais êtes-vous vraiment infirme? Ou s'agit-il également il'une mascarade?
| e détournai les yeux. La trahison de mon maître m'était toujours douloureuse.
- Vous êtes donc estropiée. Dommage. Cela dit, je vois maintenant la femme en vous, et elle n'est pas sans charme. Cela faisait-il partie de votre pacte avec Brannon ?
Vous êtes répugnant, lançai-je avec toute la force de ma haine.
)c sais que vous l'avez tué. Vous me dégoû...
La gifle manqua me faire tomber et laissa une marque brûlante sur ma pommette. En voyant la lueur qui s'allumait dans ses yeux, je frissonnai. Il me rappelait le garde de la saline.
— Avez-vous envie de continuer?
Sa voix était douce. Je levai mes genoux pour me protéger.
- Comment avez-vous fait pour communier avec mon dragon ? demanda-t-il. Et pourquoi ne communiez-vous pas avec le vôtre ?
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Je baissai les yeux sur le drap. Cela faisait si longtemps que je cachais ma véritable identité, que je gardais le silence sur mon échec. Cette fois, il ne m'était plus possible de feindre. Sa main se leva de nouveau.
- je l'ignore, me hâtai-je de répondre.
— Vraiment?
Je tressaillis quand ses doigts effleurèrent l'éruption laissée par la drogue sur ma peau.
— Vous êtes sûre?
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— Je ne me suis pas unie correctement à mon dragon lors de li cérémonie. Il s'est dérobé à moi.
L'impression de manque était toujours aussi cruelle.
— Mais je peux appeler votre dragon. Je ne sais pas pourquoi.
— Moi non plus.
Il secoua la tête.
— Décidément, vous êtes un mystère. Mais je crois que j'ai la 1le de votre énigme.
— Que voulez-vous dire ?
— Le livre noir.
Mon visage inexpressif ne l'impressionna pas.
— Non, ça ne marche pas. je sais que vous avez volé le livre rougi dans ma bibliothèque, ainsi que ma réserve de drogue solaire.
Instinctivement, je serrai le volume contre moi. Quand je m'en rendis compte, il était trop tard.
— Voilà donc sa cachette !
Il saisit mon poignet et remonta la manche de ma robe. Je sente, avec répugnance sa main chercher le lien de perles sur ma peau II glissa de force un doigt sous les perles et tira dessus. Elles résisté rent. Leur loyauté ranima mon courage.
— Je vois que les perles sont en harmonie avec vous. Cela doit avoir un sens.
Il me serra plus fort.
— Donnez-moi ce livre.
Je me débattis, mais il saisit ma mâchoire et projeta violemment ma tête contre le mur.
— Si vous ne me le donnez pas, je vais vous infliger un traite ment que vous n'avez jamais imaginé.
La souffrance brouillait ma vision. Je hochai la tête et il lâcha prise. En poussant les perles sur mon bras, je les lis tomber sur le grabat avec le volume rouge.
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Ido tendit vers lui une main prudente. Les perles se dressèrent i omme un serpent prêt à attaquer. Il recula aussitôt.
— Intéressant.
Il me regarda.
— Avez-vous essayé de prendre le livre noir?
- Non, je n'en avais pas envie.
— Vu ce que j'ai lu, cela ne m'étonne pas, dit-il en poussant un grognement approbateur.
Je ne pus retenir un mouvement de surprise.
- Que voulez-vous dire?
Nous nous ressemblons plus que vous ne le croyez. Nous recherchons tous deux le pouvoir, et nous avons besoin de savoir.
Je me raidis. Cette fois, il se trompait.
J'ai entrepris de déchiffrer le livre noir, poursuivit-il. Son écri-lure est très ancienne et j'ai mis longtemps à comprendre même le peu que j'ai élucidé. Il décrit un moyen d'unir tous les pouvoirs îles Yeux du dragon en une arme unique.
- Le Rang de Perles? chuchotai-je.
II éclata d'un rire ravi.
— Décidément, nous nous valons. Brannon vous en a parlé, bien sûr. Vous avez raison : il s'agit d'une description du Rang de Perles, jusqu'à maintenant, je ne comprenais pas vraiment ce que je lisais.
Mais à présent que j'ai découvert votre petite mascarade...
11 se pencha et lit glisser sa main sur la soie de ma manche.
- Le texte affirme que le Rang de Perles exige l'union du Soleil et de la Lune. J'étais certain que vous étiez concernée, mais en tant qu'Ombre de Lune. Vous imaginez mon malaise. Les eunuques ne sont guère de mon goût. Puisque vous êtes une femme, cependant, lout devient nettement plus logique. Nous n'avons eu qu'un avant-goût de notre union, aujourd'hui. Songez à ce qui se passera quand non seulement nos pouvoirs, mais nos corps ne feront plus qu'un.
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Je secouai la tête avec dégoût. Il posa sa main sur ma joue et me força à le regarder.
— Bien entendu, il faudra régler d'autres détails avant de poil voir créer le Rang de Perles, mais cela ne nous empêche pas de faire connaissance dès maintenant... d'autant que vous êtes plulnt séduisante, il faut en convenir.
— Je vous mordrai, lançai-je.
— Faites donc, répliqua-t-il. Je vous rendrai morsure pour moi sure.
— Je vais crier. Tout le monde accourra.
11 haussa les épaules.
— Allez-y, si vous avez envie d'être éventrée pour expier li fureur de l'empereur et du Conseil des Dragons.
Je serrai les dents.
— C'est une mort affreuse, murmura-t-il. Surtout quand l'ope ration dure une bonne heure. Évidemment, vous pourriez choisit de mourir pour m'échapper.
Il s'interrompit, comme s'il réfléchissait à cette hypothèse.
— Mais je ne crois pas que vous soyez du genre à vous suicidei Vous me ressemblez trop. Tant qu'on est vivant, on a une chaîne de gagner.
Il savait qu'il m'avait prise au piège. Du bout du doigt, il caressa doucement ma pommette. Puis sa main trouva ma natte d'Œil du dragon et la tira brutalement pour me forcer à renverser la tête en arrière. Je me détournai de sa bouche, de sa barbe humide d'on guents parfumés.
— Eona, chuchotèrent ses lèvres sur ma peau. Un si joli nom, et si bien caché.
Je luttai contre cet homme osant se servir de mon vrai nom, qu'il m'avait arraché au cœur de mon être. Mes ongles s'enfonce rent dans sa chair, sans résultat. Je serrai les lèvres, mais sa bouche 388
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se pressa sur la mienne. 11 sentait la vanille et l'orange, comme son dragon. Dans ma surprise, j'abandonnai mes lèvres à son baiser. Il recula, aussi étonné que moi.
- Peut-être vos goûts sont-ils plus semblables aux miens que vous ne voulez l'admettre, dit-il.
11 prit mon menton dans sa main.
- Vous pourriez vous joindre à moi volontairement. A nous ileux, nous pourrions nous emparer du pays.
je sursautai.
- Vous voulez devenir empereur ?
- Il serait absurde d'acquérir le pouvoir du Rang de Perles pour le donner à un autre.
- Le Grand Seigneur Sethon est-il au courant de vos projets?
Il lâcha mes cheveux et éclata de rire.
- Vous comprenez vite. Mais ne croyez pas que vous pourriez comploter avec Sethon contre moi. Personne n'écoutera une femme ayant souillé de sa présence les manoirs sacrés des dragons.
Surtout quand j'aurai révélé que vous ne vous êtes pas unie au dragon Miroir, je serais même surpris qu'on ait la patience de vous eventrer.
11 passa son index sur ma gorge.
- Au moins, ee serait rapide.
11 disait vrai. Dès qu'il aurait démasqué mon imposture, je serais exécutée. Son doigt se posa sur ma bouche.
- Gardez le silence, Eona. Faites ce que je vous dis, et vous res-terez en vie. Si vous êtes sage, peut-être même éviterai-je de vous laire trop mal. Vous comprenez?
je hochai faiblement la tête.
- C'est bien.
Il tapota ma joue.
Je détournai mon visage, incapable de cacher ma terreur en