Postface

 

 

Impulsion électromagnétique :

coup de tonnerre dans un ciel obscur

 

La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique ont marqué le tournant de ma carrière dans la marine. Le Bœing E-6 de commandement nucléaire que je pilotais n’allait plus voler vingt-quatre heures sur vingt-quatre en surveillance continue d’une éventuelle attaque atomique « coup de tonnerre dans un ciel clair ». J’ose espérer que, si les anthropologues militaires décidaient un jour d’étudier les groupes de chasseurs-cueilleurs de la pré-Guerre froide, ma carrière pas vraiment spectaculaire serait notée sur ces deux seules statistiques : aucun aéronef perdu, aucun holocauste nucléaire à mon compte.

Durant ma jeunesse à Los Alamos, au Nouveau-Mexique, j’étais captivé par tout ce qui touchait à la guerre nucléaire, au point d’en marquer l’orientation de ma carrière. J’ai bondi sur l’occasion, en tant qu’enseigne, le jour où il m’a été donné d’effectuer une visite du site d’essais du Nevada. C’est devant le spectacle d’une ville fantôme et de l’énorme cratère créé par l’essai SEDAN, mesurant près de 400 m de large et plus profond qu’un terrain de football, que j’ai pris conscience du terrible effet destructeur des armes atomiques. Dès lors, j’allais consacrer le plus clair de mon temps à compenser mes tâches quotidiennes de sentinelle constamment prête au conflit nucléaire par la colère que m’inspiraient ses probables conséquences, en dévorant tout ce que je pouvais sur le sujet.

J’ai lu le roman apocalyptique écrit par Pat Frank en 1959, Alas Babylon, et me suis senti encouragé par le défi de l’homme face à l’annihilation et par son aptitude à vivre dans un monde post-nucléaire. L’image de Slim Pickens en major T.J. « King » Kong enfourchant sa bombe dans Dr Folamour me procurait un salvateur contrepoint d’humour noir chaque fois que j’inventoriais le contenu des coffres-forts contenant les codes nucléaires. Une fois capitaine, je relus le classique de Nevil Shute, Le Dernier Rivage, en me demandant si je posséderais le courage du capitaine de sous-marin Dwight Towers qui faisait si tranquillement face à la fin du monde civilisé.

J’aurais aimé que mon imagination me permette de goûter le roman de mon ami Bill Forstchen, Une seconde après, comme une œuvre de science-fiction, mais je n’ai pas pu. Ce fut une lecture bouleversante, effroyable, dans la mesure où je savais que tout cela pouvait arriver.

Une explosion à Impulsion Electromagnétique (IEM) sur les États-Unis aurait des conséquences dévastatrices pour notre pays. La détonation d’une arme nucléaire produit une radiation gamma de haute énergie qui se propage en rayonnant. Lorsque la déflagration a lieu en haute altitude – à plus de 40 000 mètres – les rayons gamma orientés vers la terre interagissent dans la stratosphère avec les molécules de l’air pour produire des ions positifs et des électrons arrachés aux atomes des molécules, interaction appelée diffusion Compton, du nom du physicien couronné du prix Nobel en 1927 pour sa découverte de ce qu’on nommera l’effet Compton. La radiation gamma interférant avec les molécules de l’air produit une ionisation lorsque les électrons sont éjectés pour laisser derrière eux les ions positifs, beaucoup plus massifs. Ces électrons se déplacent à une vitesse proche de la lumière et génèrent une impulsion de courant électrique. Le champ magnétique terrestre piège ce courant électrique, occasionnant un champ électromagnétique puissant et bref, appelé impulsion électromagnétique instantané{2}.

En outre, une explosion nucléaire en haute altitude produit une IEM relativement lente, de plusieurs centaines de secondes, dont les effets sont comparables aux perturbations d’une tempête solaire géomagnétique lorsqu’elles distordent le champ magnétique terrestre, provoquant des courants induits à très basse fréquence dans le sol et dans les longues lignes de transmission électrique. Les dégâts d’une IEM sur les équipements électriques et électroniques ont été déterminés au cours de différents essais nucléaires et par l’utilisation de simulateurs IEM{3}

La population ne peut pas ressentir cette impulsion d’énergie intense et invisible qui, de plus, n’affecte pas le corps humain. Si on la compare avec la foudre, une explosion IEM est à la fois beaucoup plus rapide et produit sur un plus large secteur de dangereux survoltages propres à griller les circuits électriques et électroniques. Une arme nucléaire bien conçue qui exploserait en haute altitude au-dessus du Kansas pourrait provoquer des dégâts sur à peu près tous les États-Unis d’Amérique. Notre société technologique et sa lourde dépendance sur des systèmes électroniques de plus en plus sophistiqués pourrait être mise à genoux par une série de pannes en cascade de nos infrastructures critiques. Notre vulnérabilité augmente de jour en jour, proportionnellement à notre dépendance sans cesse accélérée vis-à-vis de l’électronique.

Lorsqu’il décrit les conséquences potentiellement catastrophiques d’une attaque IEM sur les États-Unis, l’ex-président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, remarque que « ce n’est pas une vaine spéculation mais une information provenant des découvertes collectives de neuf scientifiques américains distingués, auteurs du Rapport de la Commission destinée à évaluer la Menace sur les États-Unis posée par une attaque à Impulsion électromagnétique (IEM){4}. »

Malheureusement, le rapport de la commission destinée à évaluer la menace sur les États-Unis posée par une attaque à impulsion électromagnétique (IEM){5} est sorti exactement le même jour que le rapport de la Commission sur le 11 Septembre, qui a orienté l’attention d’à peu près toute l’Amérique sur son rétroviseur, à la recherche de ce qui a pu nous empêcher de prévenir la tragique attaque terroriste de 2001. Alors qu’à la télévision, les commentateurs discouraient sur le rapport du 11 Septembre et présentaient des analyses approfondies de ce « manque d’imagination », les sombres avertissements et les recommandations de la commission de l’IEM passaient complètement inaperçus face au compte-rendu des erreurs passées du Congrès.

Alors, pourquoi tant d’hésitation à considérer avec réalisme la menace d’une attaque IEM ? Les sceptiques continuent à régurgiter leurs bavardages bureaucratiques du style : « bien que techniquement faisable, c’est hautement improbable » ou « nous ne disposons d’aucun renseignement fiable des services secrets sur ce point et nous devons rester concentrés sur les questions à court terme », et autres réponses toutes faites d’avant le 11 Septembre, quand il était de bon ton de minimiser la menace.

Heureusement, s’il n’existe pas de méthode objective pour analyser les risques relatifs, ni d’évaluation des coûts qu’il y aurait à comparer les désastres à grande échelle, il serait largement rentable de prévenir, d’envisager et de pouvoir assumer ces désastres à grande échelle au même titre que les ouragans, les inondations et les coupures de courant régionales. Le travail méthodique de la commission IEM fournit une vision claire de la nature du problème, des stratégies de soulagement et des recommandations. La solution « est faisable et bien dans nos cordes autant qu’à la hauteur de nos ressources{6} ».

L’un des membres de cette commission, le docteur Lowell Wood, a fait remarquer que le physicien nucléaire impliqué dans les armes IEM depuis trente ans caractérise un événement IBM comme une « machine à voyager dans le temps qui ramenait notre continent au XIXe siècle. » Comme on lui objectait que la technologie de cette époque passée ne pourrait suffire à faire vivre notre population actuelle, il répondit abruptement :

— Oui, je sais. La population devra se réduire en fonction des possibilités de la technologie{7}.

Les compétences agricoles, les chevaux et les mules auront vite fait de manquer. Alors que les armes IEM ne font pas la distinction entre cibles militaires et civiles, il est particulièrement impératif que notre infrastructure électrique soit consolidée en fonction de l’IEM.

Il ne faut pas considérer une attaque IEM comme un « coup de tonnerre dans un ciel clair » de la Guerre froide mais s’y préparer comme à un « coup de tonnerre dans un ciel obscur » asymétrique. Nous sommes prévenus que notre pays est « vulnérable et virtuellement peu protégé contre une attaque IEM qui pourrait endommager ou détruire nos infrastructures électroniques essentielles civiles et militaires, avec des conséquences catastrophiques susceptibles d’entraîner l’effondrement permanent de notre société{8}. » Dans la seconde qui suivrait une attaque IEM, il sera déjà trop tard pour se poser deux questions simples : qu’aurions-nous dû faire pour prévenir l’attaque, et pourquoi ne l’avons-nous pas fait ?

 

Capitaine Bill Sanders, marine américaine.