15
Teneniel Djo regardait le magicien d’un autre monde se débattre contre ses liens – des lanières de whuffa, bien entendu. Ces stupides étrangers (deux mâles) essayaient de se libérer dès qu’ils pensaient qu’elle regardait ailleurs. Leur naïveté l’amusait. Le plus beau des deux, incapable de lancer un sort, n’était que du menu fretin. Le mage, lui, constituait une prise de choix.
Elle les conduisait à travers les collines, se souciant comme d’une guigne qu’ils tentent de s’échapper. Sa sérénité était telle qu’elle n’avait pas pris la peine de ligoter leur petite machine roulante.
Un astrodroïd. Teneniel n’en avait jamais vu, mais elle savait de quoi il s’agissait. Qu’il lui fausse compagnie ne l’inquiétait pas. Comme les autres prisonniers, il n’irait pas loin…
En revanche, s’inquiétant de ce qui se terrait dans la forêt, la jeune femme tournait souvent la tête pour s’assurer qu’on ne la suivait pas. Quelque chose lui nouait l’estomac, présageant d’ennuis à venir. Elle murmura un sort de découverte et sentit que les serviteurs des ténèbres se tapissaient dans les broussailles.
Elle habitait ce secteur depuis quatre ans, mal à l’aise de se trouver si près de la prison impériale. Jamais jusqu’à ce jour elle n’avait senti autant de Sœurs de la Nuit en mouvement. Il allait lui falloir toute son énergie pour ne pas tomber entre leurs mains.
Elle poussa ses prisonniers jusqu’au sommet d’une butte boisée et grimpa sur un rocher pour scruter la piste. Les montagnes étaient infranchissables, et elle n’osait pas entraîner les deux étrangers sur les chemins les plus dangereux. L’être mécanique ne s’en serait pas sorti, et les deux hommes auraient eu besoin de leurs mains…
Teneniel lança un second sort de découverte. Les Sœurs de la Nuit les encerclaient presque. Elle en repéra une à deux kilomètres au sud, une autre à trois kilomètres à l’ouest, et une derrière à l’est, à moins de huit cents mètres.
Au nord se dressaient les montagnes, impossibles à négocier pour qui ne lévitait pas. Or, elle doutait que ses prisonniers la laissent user sur eux de son pouvoir.
Un vrai casse-tête.
— On nous poursuit, hein ? demanda le sorcier.
Teneniel acquiesça.
— Libère-moi ! Quels que soient tes ennemis, je peux t’aider.
La jeune femme fit la moue. Jamais elle n’avait rencontré un étranger digne de confiance. Et celui-là ne savait même pas qui les traquait. Ignorait-il l’existence des Sœurs de la Nuit et de leurs laquais impériaux ?
Etait-ce une ruse ?
— Si je te libère, tu promets de ne pas t’échapper ?
L’esclave à la fière allure tendit l’oreille.
— Si je reste avec toi… que feras-tu de moi ? demanda le sorcier.
— Je te conduirai à mon village, répondit-elle, honnête, où les sœurs de mon clan verront que ta capture fut honorable. Reconnu comme ma propriété, tu vivras dans ma hutte et tu me feras des filles. Es-tu d’accord avec ce plan ?
C’était une proposition en or. Elle retint son souffle.
— Non. D’abord, je te connais à peine…
— Comment ? s’étrangla Teneniel. Suis-je si vilaine que tu préfères être captif des Sœurs de la Nuit ? Préfères-tu t’accoupler avec l’une d’elles, et voir tes filles maîtriser leurs sortilèges ?
— J’ignore qui sont les Sœurs de la Nuit, avoua le sorcier.
— Pourtant, tu les sens autour de nous, n’est-ce pas ? Ça n’est pas suffisant ? Tu serais un père idéal pour mes filles. Un sorcier mâle, quelle rareté ! Plutôt que te laisser à ces mégères, je préférerais te tuer. Sache qu’il en va de même pour tes compagnons.
Elle saisit un des blasters qu’elle leur avait confisqués. Le droïd faisait une cible tentante…
— Non ! cria le sorcier. Mes amis n’intéressent pas les Sœurs de la Nuit. C’est toi et moi qu’elles veulent, toi et moi qui les attirons. Libère mes amis, elles ne les inquiéteront pas. Ensemble, nous nous échapperons !
— Seras-tu le père de mes enfants ?
Le sorcier la regarda des pieds à la tête ; à l’évidence, il la trouvait séduisante. Autour d’eux, les feuillages bruissaient. Le danger se précisait.
— Peut-être, répondit l’homme. Mais ce sera mon choix. Et je ne suis pas venu ici pour prendre femme… Je ne t’appartiens pas, et je refuse que tu tues qui que ce soit, y compris toi-même.
Le sabrolaser du sorcier se détacha de sa ceinture, s’activa et coupa ses liens. Docile, il vint se loger dans la main de son propriétaire.
— Eh bien, j’ai ma réponse… murmura Teneniel.
Toute la journée, elle s’était demandé si on pouvait garder un sorcier enchaîné. Démonstration était faite que non. Et sa façon de lancer des sorts sans dire un mot le rendait encore plus redoutable.
— Dis-moi, étranger, as-tu un nom ?
— Je suis Luke Skywalker, un Chevalier Jedi. Je te présente mes amis, Isolder et R2-D2.
— Un chevalier ? s’étonna la jeune femme. Tu ne ressembles pas à un guerrier, Luke Skywalker !
Le Jedi libéra le prince hapien en deux coups de sabrolaser.
Teneniel s’adressa à Isolder et à R2 :
— Votre ami et moi allons attirer les Sœurs de la Nuit loin d’ici. Comme il le dit lui-même, vous ne les intéressez pas. Si vous voulez être en sécurité, dirigez-vous vers la montagne qui est droite comme un mur. (Elle désigna un pic, à environ quarante kilomètres.) Là, vous trouverez les sœurs de mon clan.
Elle n’ajouta pas qu’ils redeviendraient ses esclaves s’ils survivaient au voyage. Comme reproducteur, Isolder ne l’intéressait pas, mais elle était sûre de pouvoir le vendre une petite fortune.
Elle rendit son blaster au Hapien, espérant que cela l’aiderait à sortir vivant de l’aventure. Il avait déjà son paquetage sur le dos…
— Suis-moi, Luke Skywalker.
— Appelle-moi Luke…
Elle acquiesça et s’enfonça dans les bois en direction de l’est. Son sort de découverte encore actif, elle sentait la Sœur de la Nuit, à moins de cinq cents mètres de là.
Teneniel tenta de structurer un plan et de recenser ses sorts de combat. Hélas, courir et réfléchir en même temps était difficile. Troublée, ignorant quelle décision prendre, elle se demanda si elle n’était pas sous l’influence d’un charme.
L’idée sortit de sa tête avant qu’elle ait pu l’étudier. Son pouvoir principal était de déclencher des tempêtes de Force. Dans les conditions présentes, cela pouvait être un bon moyen de camouflage.
Oui, c’était ça ! Déchaîner une tempête et en profiter pour fuir au nez et à la barbe de leur ennemie. Un plan génial !
Luke courait sans effort. Au début, Teneniel pensa qu’il avait une grande résistance. Après quelques minutes, elle vit qu’il ne transpirait pas comme tout être normal l’aurait dû.
Avait-il lancé un sort ? Oui, c’était probable. Agacée, la jeune femme dut reconnaître qu’il était peut-être plus puissant qu’elle le pensait. Oh, elle l’avait capturé sans mal, et il s’était bien moqué d’elle en tirant sur ses liens comme un singe. Mais il n’avait pas peur d’elle, et il connaissait des sortilèges qu’aucune de ses sœurs ne maîtrisait.
— As-tu toujours besoin de mots pour lancer un charme ? lui demanda-t-il sans cesser de courir.
— Oui, ou au moins de gestes… Certaines d’entre nous savent le faire en silence, comme toi…
Teneniel haleta, à court d’oxygène. Luke accéléra un peu. Elle le suivit, transpirant à grosses gouttes. Sûr qu’il ne la voyait pas à son avantage, pour le moment !
Au village, il faudrait qu’elle change de vêtements.
La Sœur de la Nuit ne pouvait plus être loin devant eux. Teneniel commença à psalmodier pour préparer son sortilège. Elle s’immobilisa, bientôt imitée par Luke. Autour d’elle, l’air tremblait au contact de son pouvoir. A leurs pieds s’étendait une vallée semée de jeunes arbres. Vêtue d’une robe pourpre, la Sœur de la Nuit avançait au milieu d’une vingtaine d’impériaux en tenue de camouflage.
L’un cria :
— Là-haut !
Avant qu’il ait dégainé son blaster, Teneniel jeta son sort. Le vent magique se leva, tourbillonnant si violemment que les feuilles mortes et les brindilles se lancèrent dans une folle spirale qui aveugla à demi leurs ennemis.
Les arbres plièrent…
Luke serait bien resté à regarder le spectacle, mais Teneniel le prit par le bras et l’entraîna dans la tempête. Avançant à l’aveuglette, les deux fuyards s’aperçurent bientôt que le vent faiblissait. Se concentrant, la jeune femme lui redonna de la vigueur.
Teneniel sentait toujours sa Némésis à moins de vingt mètres sur leur droite. A l’instant où elle crut l’avoir abusée, un trait de lumière bleue transperça les tourbillons de poussière et la frappa à la poitrine, l’envoyant valser dans les airs.
La Sœur de la Nuit se campa devant eux, des flammèches dansant encore autour de ses doigts. Vite relevée, Teneniel reconnut son adversaire. C’était Orcheron, une femme jadis puissante dans son clan. Douée pour les illusions, elle les avait attirés dans un piège.
Orcheron sourit et frappa de nouveau. Les flammes fouillèrent la chair de Teneniel comme des griffes. Le monde perdit de sa consistance. L’énergie bleue frôla la poitrine de la jeune femme, qui devint plus froide que la mort. Des tentacules de feu s’enroulèrent autour de son bras droit. Le membre sembla mourir sur l’instant.
Alors, la force bleutée s’insinua dans l’oreille de Teneniel, la privant de tous les sons. Quand elle toucha un de ses yeux, la moitié du monde disparut.
La lumière de feu aspirait la vie de chaque cellule de son corps. Cette chose lui arrachait des parts d’elle-même comme une lame géante.
Incapable de fuir ou de se battre, la jeune femme ne put même pas pousser un cri quand elle sentit ses jambes se dérober.
Durant sa chute, le temps sembla ralentir. Orcheron gloussa sinistrement ; la force meurtrière jaillit à flots de ses doigts, finissant de détruire le sort de Teneniel.
Le vent tomba…
Alors Luke activa son sabrolaser et attaqua. Surprise, Orcheron tenta de déverser sa maléfique puissance sur le Jedi.
Trop tard ! Le sabrolaser décapita la sorcière.
Des flammes rouges jaillirent du cou sans tête. Face à cette éruption, Luke se voila la face pour se protéger de la sombre tempête qu’il avait déchaînée.
Quand les flammes moururent, quatre Impériaux se ruèrent sur le Jedi en tirant. Déviant les traits de blaster, il les tailla en pièces en quelques mouvements.
Retrouvant sa voix, Teneniel se remit à chanter. Luke la prit par le bras et la soutint tandis que le vent renaissait.
Titubant, elle se laissa guider hors de la tempête, loin du champ de bataille…
Alors elle se tut, et Luke dut la porter jusqu’à un bosquet. Teneniel se souvint de l’existence d’une grotte.
Ils s’y engouffrèrent.
La jeune femme se laissa glisser sur le sol. Luke examina ses blessures. La lumière bleue lui avait laissé d’atroces brûlures. Du sang coulait de sa bouche, indice de graves dommages internes.
Elle se mit à pleurer, consciente qu’elle allait mourir.
Luke tira sur sa tunique jusqu’à ce qu’elle se déchire. Lui imposant les mains, il l’aida à sombrer dans un sommeil profond mais agité…
Dans son rêve, Teneniel était une petite fille, et sa mère venait de mourir. Les sœurs du clan de la Montagne qui Chante avaient couché le corps sur une table de pierre pour l’habiller et peindre le visage aux couleurs de la chair.
Sachant que sa mère n’était plus, Teneniel ne pouvait supporter de voir les sœurs essayer de créer une illusion de vie. Alors elle s’engagea dans un escalier et passa devant une tenture à l’image d’une sœur de jaune vêtue qui tenait une lance.
Derrière se trouvait la Salle des Guerrières, où les apprenties comme elle, quels que fussent leurs dons, n’avaient pas le droit d’entrer, même si leur mère était un grand chef de guerre.
Teneniel écarta la tenture et franchit le seuil. La pièce était immense, le plafond et le mur du fond se perdant dans les ombres. Creusée à même la montagne, la salle étouffait tous les sons, y compris la respiration haletante de l’enfant.
Sur la gauche, Teneniel remarqua une fenêtre assez large pour que vingt femmes s’y tiennent côte à côte. De forme ovale, elle ressemblait à une bouche géante. Une rangée de lances appuyées contre le rebord figuraient des dents rappelant un peu celles des rancors.
Un long moment, Teneniel sentit le terrible vide qui émanait de la pièce, puis celui qui s’insinuait lentement en elle.
La bouche m’a avalée, songea-t-elle.
Elle ferma les yeux, tentant d’oublier le corps roide de sa mère, ses doigts repliés comme des serres dans la mort.
Le cri de terreur d’une petite fille éclata, lui vrillant les tympans. Elle se mit à courir, écartant des dizaines de tentures, traversant une multitude de pièces.
Dans chacune, des sorcières mangeaient, se prélassaient sur des coussins de cuir, bavardaient, riaient, lançaient des sorts.
Le cri de la petite fille se faisait de plus en plus fort, mais personne ne semblait s’en soucier…
Quand Teneniel s’éveilla, des heures plus tard, il faisait nuit dehors, Luke ayant posé près d’elle un petit dispositif lumineux. Délestée de sa tunique, la jeune femme constata que le Jedi l’avait enveloppée dans une couverture tirée de son paquetage.
La douleur avait disparu. Elle se sentait bien, merveilleusement bien…
Elle toucha sa poitrine, puis son visage. Les blessures étaient encore chaudes, mais elle entendait, et elle voyait.
Inspectant la grotte, elle remarqua que les murs étaient couverts de peintures représentant des femmes dans diverses postures. Certaines avaient les mains posées sur la tête de leurs compagnes, une lévitait au-dessus d’une foule, une autre traversait un mur de flammes.
La grotte faisait une vingtaine de mètres de long. Des os humains gisaient à l’aplomb de la paroi du fond. Le squelette d’un rancor dominait le sinistre assortiment.
Le Jedi n’était pas là, mais il avait laissé son paquetage. Teneniel se leva et but un peu d’eau à sa gourde. Ses pieds étant gelés, elle fourra un peu de paille dans ses bottes et se recoucha.
Elle était encore faible, la tête lui tournant pour d’autres raisons que la fatigue. Le Jedi l’avait guérie sans entonner la moindre mélopée. Parmi ses sœurs capables de soigner, aucune n’aurait pu en faire autant. Les charmes médicinaux étaient les plus délicats. Souvent, Teneniel se demandait si ses compagnes ne mettaient pas un peu d’ostentation à les chanter. Cela dit, tout le monde était d’accord : sans incantation, pas question de guérir.
Luke Skywalker était un sorcier d’envergure.
Quand elle dormait à la belle étoile, la jeune femme s’était souvent demandé à quoi ressemblaient les autres mondes. Elle connaissait les Impériaux, si fiers de leurs armes et de leurs uniformes blindés. Mais ils n’auraient pas pu lancer le sort le plus simple, et ils tremblaient devant les Sœurs de la Nuit.
Skywalker était d’une autre trempe. Depuis toujours, elle rêvait d’un homme comme lui.
Sous la couverture, elle toucha sa poitrine, là où le Jedi avait posé les doigts.
Un jour, quelqu’un me guérira du vide… Oui, un jour…
Un bruit la fit sursauter. Luke venait d’entrer, suivi par Isolder et R2. Il s’assit près d’elle et lui caressa la joue.
— Tu te sens mieux ?
La jeune femme hocha la tête, ne sachant que dire. Puis elle chercha les yeux de Luke. Elle l’avait perdu. Maintenant qu’il l’avait sauvée, elle ne pourrait plus se prétendre sa propriétaire.
— Les Sœurs de la Nuit se sont réunies à l’endroit où nous avons combattu. Puis elles ont fait demi-tour. J’ignore si c’est pour aller chercher des renforts…
— Elles savent que nous sommes deux, souffla Teneniel. Tu as tué Orcheron, une de leurs grandes guerrières. Elles auront eu peur de perdre…
— Et les soldats de Zsinj ? demanda Isolder. Des centaines d’hommes…
Dépourvu de pouvoir, comment aurait-il pu comprendre ?
— Ils ne comptent pas, expliqua Teneniel. Les tuer est un jeu d’enfant.
— Je n’aime pas ça, grogna le prince. Je déteste être coincé dans cette grotte.
— Les Sœurs de la Nuit ne nous combattront pas ici, assura Teneniel. Le sang des Anciens fait de cette caverne un lieu sacré.
Elle s’assit et désigna les os humains, près de la carcasse du rancor.
— Croyez-vous vraiment qu’elles ne viendront pas ? insista le Hapien.
— Même les morts ont des pouvoirs, souffla la jeune femme. Nos ennemies n’oseront pas s’attirer leurs foudres.
Luke acquiesça. Lui, au moins, il comprenait.
— Pourquoi tes ancêtres se laissaient-ils capturer par les rancors ?
— Il y a très longtemps, les Anciens débarquèrent des étoiles. C’étaient des guerriers et leurs machines fabriquaient des armes interdites : des soldats mécaniques qui ressemblaient à des hommes. Ils les vendaient à qui en voulait, pour presque rien…
« Alors vos chefs les bannirent, les condamnant à vivre sur ce monde. Ils ne reçurent ni métal ni machine, et aucune arme. Ainsi ils furent une proie pour les prédateurs…
Teneniel ferma à demi les yeux. Elle avait entendu tant de fois cette histoire qu’elle pouvait voir les prisonniers arrivant sur Dathomir. Très violents, coupables de crimes contre la civilisation, ils méritaient cet exil. Beaucoup se croyaient au-dessus des lois, considérant leurs armes comme des jouets.
Les priver de moyens de nuire avait été une sage décision.
— Pendant des générations, ils vécurent comme des bêtes. L’extinction les menaçait quand la justice des étoiles envoya Allya sur Dathomir.
Les yeux de Luke se voilèrent.
— C’était une Jedi vouée au mal, déclara-t-il. L’Ancienne République ne voulant pas l’exécuter, elle fut exilée. Ses pairs espéraient que le temps et la solitude la détourneraient du Côté Obscur.
— Elle se servit de ses sorts pour apprivoiser les rancors et se procurer de la nourriture, reprit Teneniel. Elle légua ses pouvoirs à ses filles, et leur enseigna à chasser les mâles, comme je l’ai fait avec Luke. Tandis que les rancors continuaient à dévorer les autres humains, les descendants d’Allya prospérèrent de génération en génération. Plus tard, des clans se formèrent. La chasse aux mâles devint une amicale compétition. Des règles furent établies, interdisant le recours à la mauvaise magie. Au temps de ma grand-mère, nous chassâmes les rancors sauvages des montagnes et les massacrâmes. La paix allait peut-être régner…
« A l’époque de ma mère, les Sœurs de la Nuit, des renégates, s’unirent. Au début, elles n’étaient pas nombreuses, mais…
— … Toutes celles qui les combattaient avec les mêmes tactiques rejoignirent leurs rangs…
Teneniel regarda le Jedi.
— De telles choses arrivent donc sur d’autres mondes ? Certaines sœurs prétendent que c’est une maladie qui nous transforme. D’autres pensent que c’est à force d’utiliser la magie. Mais quels sorts en particulier ? Nous les testons depuis des générations…
— Aucun en particulier, et tous en général, fit Luke, énigmatique. A quel âge mourut la fille d’Allya qui vécut le plus longtemps ?
— Seize saisons, je crois…
— Presque une enfant, murmura Luke. Elle était trop jeune pour maîtriser la Force… Teneniel, votre pouvoir ne vient pas des sorts, mais de la Force, qui existe dans tous les êtres vivants. Les filles d’Allya en étaient abondamment pourvues, c’est pourquoi elles la maîtrisaient un peu. Mais ce ne sont pas les mots qui font votre pouvoir, ni l’un ou l’autre sort qui le corrompt : c’est l’intention qui motive un sortilège, donc la nature de votre désir. Si ton cœur est corrompu, tes actes le seront. Ecoute ton cœur, et tu comprendras. (Teneniel s’agita.) Tout à l’heure, tu aurais pu tuer Orcheron et les soldats. Tu as préféré fuir. Ta générosité m’a surpris…
— Si je tue nos ennemies, je finirai par devenir comme elles, expliqua la jeune femme.
— Tu as laissé la Force te guider, et c’est bien. Mais tu es trop cruelle. Tu voulais nous enlever, Isolder et moi. Crois-tu pouvoir pratiquer l’esclavage et conserver ton innocence ? Tu m’as aussi attaqué…
— Je n’essayais pas de te tuer, juste de te capturer. Je ne t’aurais pas blessé gravement.
— Ne sais-tu pas qu’il est mal de priver un être de sa liberté ?
Elle le regarda, mal à l’aise.
— J’espérais t’aimer… Sinon, je t’aurais vendu à quelqu’un te désirant davantage. Il n’y a rien de mal à cela. Les descendantes d’Allya ont toujours chassé leurs compagnons de cette manière.
— Toutes le font-elles ? demanda Luke, un peu moins calme.
— Une femme riche peut acheter un homme. Hélas, je suis pauvre.
Isolder intervint.
— Et les soldats, qu’ont-ils à voir avec les Sœurs de la Nuit ?
— Il y a huit saisons, un chef vivant dans les étoiles les a envoyés construire une nouvelle prison. Une renégate de notre clan nommée Gethzerion s’est alliée à eux, les aidant à rattraper les esclaves en fuite. Au début, les Impériaux l’aimaient bien. Ils promirent d’en faire une guerrière et de lui offrir la gloire. Quand ils découvrirent ses pouvoirs, les choses changèrent ; alors ils décidèrent de la bloquer à jamais sur Dathomir. Les chefs détruisirent les vaisseaux, condamnant leurs propres hommes à l’exil. On dit que Gethzerion tua tous les officiers. Depuis, la troupe lui obéit au doigt et à l’œil. Elle a promis la liberté à ces hommes si elle parvenait à fuir la planète. A les voir tellement faibles et bêtes, elle pense pouvoir régner un jour sur l’Univers. Pour l’instant, elle se contente de combattre les clans, tuant certaines sœurs, en emprisonnant d’autres… Beaucoup se sont rangées sous sa bannière.
— Qu’a-t-elle fait des occupants de la prison ? demanda Luke.
— Elle les garde en esclavage dans l’espoir de s’en servir un jour comme monnaie d’échange.
— Elle sait ce qu’elle fait… Teneniel, elle espère vous attirer toutes du Côté Obscur. Avec une armée pareille, elle pourrait devenir une puissance qui compte dans la galaxie. Dis-moi, combien de Sœurs de la Nuit y a-t-il ?
— Pas plus d’une centaine.
Un court moment, elle espéra que Luke lui dise comment s’en débarrasser. Hélas, sa réponse le fit seulement blêmir.
— Combien de magiciennes dans votre camp ?
Teneniel retournait rarement au village. Depuis trois mois, elle ne s’y était plus montrée. Avec les mortes et les prisonnières, sa réponse était peut-être optimiste.
— Entre vingt-cinq et trente…