11
Leia entra comme une furie dans le Faucon Millenium. Rageuse, elle ôta son casque et le jeta si violemment sur le sol qu’il rebondit trois fois avant de percuter une cloison. Han Solo la suivit jusqu’au salon, où Chewie et C-3P0 jouaient sur la console holographique.
— Bravo, Han Solo, mille fois bravo ! cria la princesse. Tu nous as mis dans un fantastique pétrin ! Tu veux que je te dise pourquoi les hommes de Zsinj ne nous cherchent plus ? Parce qu’ils savent que nous sommes fichus !
— Je n’y suis pour rien ! se défendit le Corellien. Ma planète fourmille d’intrus ! Dès qu’on sera sorti de ce mauvais pas, je ficherai tous ces gens dehors, c’est moi qui te le dis.
Chewbacca émit un ululement dubitatif.
— Tu verras, espèce de tas de poils !
— Il verra quoi ? s’étrangla Leia. Il y a des monstres dehors. Pour ce qu’on en sait, ils sont peut-être des millions !
— Des monstres ? couina C-3P0.
Il se leva d’un bond en gesticulant.
— Inutile de t’affoler, railla Han, à part les limaces de l’espace, je n’ai jamais entendu parler de mangeurs de métal de cette taille.
Chewbacca gémit.
— Quelle taille ? demanda le droïd.
— Nous ne les avons pas vus, expliqua Leia. Mais si on se fie à leurs empreintes, un seul peut nous avaler tout crus à son petit déjeuner et se servir de C-3P0 comme cure-dents.
— Fichtre ! Fichtre ! Fichtre ! s’exclama le droïd.
— Princesse, arrête d’inquiéter notre ami métallique. Ce sont peut-être d’inoffensifs herbivores.
Han tenta de passer un bras autour des épaules de la jeune femme, mais elle se dégagea et brandit vers lui un index vengeur.
— J’espère bien que non ! cracha-t-elle. Si ces créatures sont herbivores, tu imagines la taille de leurs prédateurs ? Au lieu de venir ici, j’aurais dû t’arracher es yeux ! D’abord un seigneur de la guerre, puis des monstres. Qu’est-ce qui nous attend demain ? Han, qu’espérais-tu d’une fichue planète gagnée au sabacc ?
— Calme-toi, Leia. Je fais de mon mieux…
— Ah non ! N’espère plus m’embobiner ! Ça n’est pas un jeu, Han. Nos vies sont menacées. Qui aime qui et qui veut épouser qui n’a plus la moindre importance. Nous devons partir d’ici, et vite !
Dès que sa vie était en danger, Leia se mettait dans tous ses états. Avec son attitude beaucoup plus décontractée, Han aurait parié qu’il appréciait bien plus les choses qu’elle. Mais la médaille avait un revers…
La princesse aimait la vie avec une profondeur et une passion inconnues du Corellien. Depuis la défaite de l’Empire, la jeune femme laissait plus de latitude à ses sentiments.
De son héritage alderaanien, elle gardait un respect infini pour toutes les créatures vivantes. Comme elle avait dû souffrir pendant les années de guerre.
A force d’enterrer ses sentiments, n’en avait-elle pas oublié une partie ? Comme son amour pour lui, par exemple ?
— N’aie crainte, la consola-t-il. Nous nous en sortirons, c’est juré. Chewie, nous aurons besoin d’armes. Sortons l’artillerie et les nécessaires de survie du vaisseau. Nous avons vu une ville à quelques jours de marche. Qui dit agglomération dit moyens de transport. Nous volerons le navire le plus rapide, et adieu Dathomir.
Chewie grogna. Il s’élevait contre l’idée d’abandonner le Faucon.
— Ça ne me plaît pas plus qu’à toi, mon vieux. Mais il est bien caché. Un jour, nous reviendrons le chercher…
Il déglutit, incapable de dire un mensonge de plus. Deux ou trois saisons dans ces montagnes, avec-la pluie et la neige, et le Faucon ne serait plus qu’un tas de rouille. Et, en mettant les choses au mieux, il faudrait dix ans pour que la Nouvelle République ait chassé Zsinj de ce territoire.
Leia dévisagea Han comme si elle n’en croyait pas ses yeux.
— Tu dis depuis toujours que le Faucon est mon jouet favori, princesse. Il est peut-être temps que je grandisse…
Il ouvrit un placard, en tira un casque, puis une combinaison de camouflage.
— Pour C-3P0, expliqua-t-il. Il brille trop…
Le droïd était déjà au pied de la rampe de débarquement. Il scrutait la forêt.
Leia et Chewie s’occupaient de préparer le Faucon à la solitude qui l’attendait.
Han rejoignit le droïd.
— J’ai quelque chose pour toi, annonça-t-il. J’espère que ça ne va pas brouiller tes senseurs ou diminuer ta mobilité…
— Des vêtements ? Général, j’ignore quels effets ils peuvent me faire. Je n’en ai jamais porté.
— Eh bien, il faut un début à tout…
Il s’apprêta à revêtir C-3P0 de la combinaison, non sans une certaine gêne. Les gens très riches se faisaient habiller par des droïds, c’était connu. Mais il n’avait jamais entendu parler du contraire.
— Général, le mieux serait de me laisser ici. Mes reflets métalliques attireront les prédateurs, vous laissant le temps de fuir.
— Ne t’en fais donc pas pour les prédateurs… Nous avons des blasters, et rien ne leur résiste.
— Je crains de ne pas être conçu pour me déplacer sur ce terrain, insista C-3P0. C’est trop humide. Dans dix jours, mes jointures grinceront comme des roonats…
— J’emporterai de l’huile.
— Si les soldats de Zsinj nous poursuivent, ils nous localiseront à cause de mes circuits. Je ne suis équipé d’aucun système de camouflage électronique.
Han se mordit les lèvres. C-3P0 avait raison. Sa présence pouvait les trahir.
— Ecoute-moi bien : on baroude ensemble depuis longtemps et je n’abandonne jamais un ami.
— Un ami ? s’étonna le droïd.
Han réfléchit. Selon toute vraisemblance, le voyage serait fatal à C-3P0. Bien que le mot « ami » fût exagéré, Solo ne détestait pas le droïd. Mais le laisser en arrière revenait à le détruire d’une autre manière.
Dans la nuit retentit le cri d’un animal. Han trouva qu’il semblait plutôt pacifique, mais ça ne voulait rien dire. Un prédateur géant venait peut-être de dire à ses copains : « Dépêchez-vous, je sens notre dîner ! »
— Ne te torture pas le processeur, dit Han en finissant d’habiller son compagnon de métal.
Avec son casque et sa combinaison, C-3P0 ressemblait à un auguste. Solo chercha un moyen d’apaiser ses angoisses.
— Tu es un droïd-protocole, pas vrai ? Si tu veux payer ton voyage, rends-toi utile. Par exemple, aide-moi à reconquérir le cœur de Leia.
— Ah ! s’exclama C-3P0, excité par cette idée, ne vous tracassez pas, général, je trouverai un moyen…
— Parfait, parfait, approuva Han.
Il s’engagea sur la rampe au moment où Leia arrivait avec un fusil-blaster et un sac de survie.
Avant d’entrer dans le vaisseau, il entendit le droïd déclarer à la princesse :
— Avez-vous vu combien le roi Solo est splendide, ce soir ? C’est sans conteste un très bel homme…
— Oh, ferme-la, C-3P0 ! le rabroua la jeune femme.
Han sourit puis il alla s’équiper.
Il prit un sac de survie, un fusil-blaster, une tente gonflable, des lunettes à infrarouges et un chapelet de grenades qui semblait bien pratique au cas où il lui faudrait enfoncer quelque chose dans la gueule d’un animal géant.
Ensuite, il sortit pour la dernière fois de son vaisseau et ferma le sas.
Sans se retourner, il s’enfonça dans la forêt où les rayons de la lune faisaient briller l’écorce blanche des arbres.
Les bois sentaient la sève fraîche et une bonne odeur de fougère. Sous leurs pieds, la sécheresse de l’été ralentissait le pourrissement des feuilles mortes. Avec un peu d’imagination, ils auraient pu se croire en vacances.
Mais Han sentait qu’ils se trouvaient sur une planète étrangère. La gravité, trop légère, lui donnait l’impression d’avoir de la foudre dans les jambes.
Cette caractéristique physique de Dathomir expliquait peut-être la présence de créatures géantes sur son sol. Avec moins de gravité, les corps des plus grands animaux ne devaient pas avoir subi le phénomène de tassement courant sur nombre d’autres planètes.
Levant les yeux, Solo jugea que même les arbres étaient étrangers. Trop fins et trop hauts – près de quatre-vingts mètres – ils lui donnaient des frissons dans le dos.
Ils virent très peu d’animaux. A un moment, des rongeurs au faciès vaguement porcin les regardèrent passer. Quand Han tourna la tête, ils s’enfuirent si vite qu’il aurait volontiers cru que leurs pattes étaient équipées de moteurs d’hyperdrive.
Les naufragés marchèrent pendant trois heures. Arrivés au sommet d’une colline, ils firent une courte pause pour observer leur destination. Au loin brillaient les lumières d’une ville.
Soudain, le tonnerre gronda et des éclairs déchirèrent le ciel. Minute après minute, le bruit se rapprochait…
— On dirait qu’un orage se dirige vers nous, constata Leia. On ferait bien de descendre de là pour chercher un abri.
Han étudia le ciel.
— Ce n’est pas un orage, annonça-t-il. Plutôt un ouragan, ou une tempête de sable venue du désert.
Au gré des éclairs, il avait repéré une sorte de tourbillon géant. C’était étrange. La tempête semblait ramassée sur elle-même, comme si…
Leia le tira de sa méditation.
— Quoi que ce soit, je ne veux pas être prise dedans.
Ils se hâtèrent de descendre. Quand ils furent de nouveau sous la protection des arbres, Han se sentit un tout petit peu mieux.
Ils dressèrent leur camp près d’un arbre géant, à quelques mètres d’un amas de rochers aux pieds desquels courait un ruisseau. A la taille des blocs de roc – certains étant plus grands qu’un homme – on devinait la férocité des flots qui devaient rouler ici pendant la saison des pluies.
Choisir ce site pour camper alors qu’une tempête se préparait pouvait sembler mal avisé, mais c’était un risque calculé. Les rochers fournissaient d’excellents abris contre les intempéries. En cas d’attaque, la position serait facile à tenir.
Ils dressèrent leurs tentes, mangèrent un peu, et stérilisèrent une bonne quantité d’eau.
— Chewie et toi prenez la première garde, lança Han en tendant un blaster à C-3P0.
Le droïd saisit l’arme d’une main malhabile.
— Général, vous savez que mes programmes m’interdisent de faire du mal à un organisme vivant.
— Si tu vois quelque chose, tire en l’air ou au sol, et fais autant de raffut que possible.
Sur ces bonnes paroles, le Corellien alla se coucher. Dès qu’il fut dans sa tente, étendu sur un matelas gonflable, il ferma les yeux et s’endormit.
Trente secondes plus tard, du moins fut-ce son impression, les cris de C-3P0 et le son d’un blaster le réveillèrent.
— Général Solo, j’ai besoin de vous ! Au secours ! Vite !
Han sortit de sa tente, blaster au poing, au moment où Leia jaillissait de la sienne. Ils entendirent un craquement métallique…
A moins de dix mètres se dressait un bipode TR-TT de l’Empire. Il était perché sur un rocher comme une autruche métallique, ses blasters jumelés braqués sur Han et Leia.
Le Corellien se demanda comment le véhicule avait pu approcher sans être repéré par le droïd, qui levait les bras, l’air penaud.
Dans le cockpit, derrière le pare-brise en transparacier, le pilote et le mitrailleur regardaient leurs proies. Les voyants du tableau de bord baignaient leurs visages d’une lueur verte surréaliste.
Le pilote parla dans son micro.
— Vous deux, lâchez vos armes et mettez les mains sur vos têtes !
Han regarda autour de lui ; il ne vit aucun signe de Chewbacca et de son arbalète-blaster.
— Euh, demanda-t-il, y aurait-il un problème ? Nous sommes là pour pêcher… J’ai un permis.
Le pilote et le mitrailleur se regardèrent. Cette seconde d’hésitation suffit à Solo.
Il saisit Leia par le bras et la propulsa loin de lui. Puis il dégaina, sauta derrière un rocher et tira sur le pare-brise en priant pour que son blaster perce le transparacier et touche le pilote.
Le trait d’énergie rebondit contre le matériau blindé. Son pistolet-blaster n’avait pas la puissance requise et il avait laissé les grenades dans sa tente.
— Sortez de là ou nous détruisons votre droïd.
— Fuyez ! cria C-3P0. Ne songez pas à moi !
Le mitrailleur ouvrit le feu, faisant voler des éclats de roche tout autour de Solo. Une odeur d’ozone emplit l’air. Un fragment de rocher se planta dans la paume gauche de Han. Sortant de derrière un autre rocher, Leia tira puis se mit de nouveau à l’abri.
Enfin Solo aperçut Chewie. Caché derrière un arbre, il était en train d’épauler son arbalète-laser. Il tira, endommageant la coque du bipode.
Le pilote tenta de faire pivoter son cockpit pour voir d’où venait l’attaque. Leia jaillit à la vitesse de l’éclair et tira trois courtes rafales sur le point faible du bipode : son système d’articulation hydraulique.
Le véhicule ennemi bascula sur le flanc. Ses pattes géantes battirent l’air.
Han s’approcha de C-3P0, ramassa le fusil-blaster qu’il avait laissé tomber et courut vers le bipode.
— Sortez de là ! cria-t-il aux deux hommes d’équipage. Vous n’irez plus nulle part dans cet engin.
Le mitrailleur ouvrit le hayon supérieur ; les deux hommes sortirent, les mains en l’air.
Solo planta le canon de son fusil-blaster sous le nez du pilote.
— Vous êtes sur une planète interdite, rugit le mitrailleur. Vous feriez mieux de partir.
— Interdite ? répéta Leia. Pourquoi ?
— Les indigènes ne sont pas commodes avec les étrangers, expliqua le pilote. Vous ne le saviez pas ?
— Les risques nous amusent, grommela Han.
— Ces indigènes n’auraient-ils pas des pieds d’un mètre de long ? demanda Leia.
Le pilote se rembrunit.
— Ma dame, ces créatures-là sont juste leurs animaux de compagnie.
De la radio du bipode vaincu s’éleva une voix :
— Patrouille sept au rapport ! Avez-vous capturé le général Solo ? Attendons confirmation !
Chewie désintégra la radio d’un trait d’arbalète-blaster.
Posant son arme, il prit les deux prisonniers par le cou et cogna leurs casques l’un contre l’autre avec assez d’énergie pour que leurs propriétaires s’endorment pour le compte.
Le Wookiee grogna et leva les yeux vers la colline.
— Il suggère que nous nous dépêchions de filer, traduisit C-3P0.
Leia avait déjà commencé à plier les tentes.