7. 
« Si le regard pouvait tuer… » 
Anna réprima un sourire ironique et appuya le pied sur la pédale de contrôle de l’eau tout en tendant la main vers la brosse imprégnée de produit désinfectant. 
Elle avait dû fixer Luke de la même façon le jour où elle l’avait vu pour la première fois, dans cette même salle d’opération ; lui en voulant d’être là, alors qu’elle se sentait parfaitement capable d’accomplir le travail sans lui. 
A présent, c’était son tour. Il se retrouvait pour la première fois au bloc avec elle depuis leur petite conversation, à la fête de Noël. Ensuite, le sujet n’avait plus été abordé pendant un jour ou deux. Anna avait eu la nette impression que Luke l’évitait, ce qui l’avait plutôt arrangée, car ainsi elle avait eu le temps de se remettre de la gêne causée par le souvenir du baiser encore proche. Elle pouvait maintenant faire comme s’il n’avait jamais existé. 
Peut-être Luke espérait-il qu’elle oublierait aussi son intention de l’assister systématiquement pendant les opérations. Mais il n’en était rien. Elle était tout simplement venue, sans y être invitée. 
Luke semblait particulièrement concentré sur le nettoyage de ses mains – sous les ongles et entre les doigts – et de ses avant-bras, jusqu’aux coudes. 
A un moment, il marmonna quelque chose qui ressemblait au mot « chantage ». 
– Pardon ? 
– Rien, grommela-t–il. 
Il s’avança vers une infirmière pour qu’elle l’aide à attacher sa blouse, puis éleva la voix. 
– C’est bien que vous ayez trouvé le temps de vous joindre à nous ce matin, Anna. 
– Je n’aurais pas voulu manquer ça, répondit-elle calmement. Le cas est plutôt compliqué, et je suis certaine que je vais encore beaucoup apprendre. 
L’infirmière approuva de la tête. 
– C’est la même chose pour nous tous, renchérit-elle. La galerie est pleine à craquer, aujourd’hui. 
Anna se tourna vers Luke et lui sourit. 
« Vous voyez ? disait son sourire. On me remarquera à peine. Vous et moi sommes les deux seules personnes à connaître la véritable raison de ma présence ici. » 
Son visage redevint sérieux, mais elle soutint son regard. 
« Il vaudrait mieux vous y habituer, poursuivit-elle en silence. Que cela vous plaise ou non, il faudra faire avec. » 
Elle ne s’attendait pas à ce qu’il réagisse en la bombardant chirurgien en chef pour cette opération, qui fut longue et difficile. La patiente était une femme d’une cinquantaine d’années. La tumeur qu’elle avait au poumon avait déjà enroulé ses tentacules autour des principaux vaisseaux sanguins qui renvoyaient le sang au cœur. Elle ne s’était rendu compte de rien, jusqu’à ce qu’elle ait une défaillance cardiaque. Elle avait aussi les chevilles enflées et le souffle court. 
La patiente fut sous by-pass pendant près de cinq heures, tandis que les deux chirurgiens unissaient leurs efforts pour libérer les vaisseaux, et devaient retirer un lobe du poumon. Lorsque tout fut fini, Anna était épuisée, mais elle put commencer à se détendre une fois que le cœur eut recommencé à battre de lui-même. 
Alors seulement, elle se rendit compte de la manière habile dont Luke avait géré cette opération qu’elle était censée superviser. Il l’avait encouragée à faire le travail etavait mis une telle pression sur elle qu’elle n’avait pas eu le temps de se concentrer sur Luke lui-même. 
Astucieux… En l’observant et en la poussant à élargir ses compétences, il avait dû se concentrer tout aussi intensément que s’il avait opéré seul. 
En travaillant ensemble, ils avaient été étonnamment en symbiose, à tel point qu’Anna s’en serait rendu compte aussitôt si Luke avait perdu le fil. Mais cela ne s’était pas produit. De son côté, elle avait été mise à l’épreuve et avait beaucoup appris. Pour tous les observateurs extérieurs, ils avaient travaillé comme une équipe soudée, en totale harmonie. 
Cette initiative s’était donc avérée un franc succès, et pas seulement sur le plan personnel, conclut silencieusement Anna. La qualité de vie de la patiente allait être grandement améliorée ainsi que sa longévité, avec un peu de chance. 
Quant à Luke, même s’il n’était pas prêt à le reconnaître, cette opération était aussi un bonus pour lui et il avait fait plus que sauver la face. Personne n’avait pu se douter de quoi que ce soit. On avait vu un chef de service utilisant ses dons exceptionnels, à la fois pour opérer et pour transmettre son savoir. Sa cote avait encore dû monter de quelques points. 
Anna était épuisée, mais ravie : cela pourrait marcher, entre eux. 
***
Durant les jours qui suivirent, elle remarqua qu’elle était souvent l’objet de l’attention de Luke. Elle pouvait sentir son regard peser sur elle, même quand ils se trouvaient à bonne distance l’un de l’autre. Partout, tout le temps, ses yeux la suivaient. Ou bien était-elle trop consciente de sa présence ? 
Finalement, c’était une bonne chose que Luke soit grincheux. Cela voulait dire qu’il ne pensait plus à sa fâcheuseinitiative de vouloir le distraire en l’embrassant. Ou s’il y pensait, il ne désirait sûrement pas renouveler l’expérience. 
C’était parfait pour Anna, puisqu’elle ne souhaitait qu’une chose : pouvoir se focaliser de nouveau sur sa carrière. 
***
Luke aurait dû être soulagé que les fêtes de fin d’année soient passées. 
Enfin, il allait pouvoir reprendre le cours normal de son travail, sans cette gaieté forcée que tant de gens affichaient pour l’occasion. Même ses patients lui souhaitaient la bonne année, et il avait dû s’inventer des excuses pour ne pas avoir à participer à d’autres fêtes. Et puis, tous ces sourires qu’il fallait produire en remerciement… 
Son meilleur refuge avait été le bloc opératoire. Là, pas de guirlandes ni de cotillons. Il ne tolérait aucun bavardage, si bien qu’il n’avait pas à supporter d’entendre ses collègues se raconter les bons moments passés en famille. 
Le seul inconvénient, c’était qu’Anna avait suivi à la lettre sa décision de le superviser. La réponse de Luke ne s’était pas fait attendre : puisqu’elle voulait être là, il la mettait à contribution au-delà de ses espérances. 
A sa surprise, Anna s’était transformée en élève modèle et tout le monde aurait pu croire qu’elle était venue là pour ça. Quant à lui, il avait adoré lui servir de professeur, ce qui lui avait également permis de canaliser ses connaissances. Elle avait compris ses explications avec une rapidité surprenante et les avait habilement mises en application. 
Et s’il voulait être parfaitement honnête avec lui-même, il avait été soulagé de l’avoir près de lui. 
Juste au cas où… 
Ensuite, Luke avait tellement pris l’habitude d’observer Anna pendant l’opération qu’il continua après, sous le prétexte qu’il voulait vérifier si elle ne l’observait pas. Il était facile de créer des occasions pour cela : il fallaitfaire le point sur le cas de certains patients, discuter de problèmes dans le service ou de projets de recherche… 
Il découvrit qu’Anna passait presque autant d’heures à l’hôpital que lui, ce qui excluait toute vie personnelle. Comment trouvait-elle le temps de rénover son petit cottage ou de s’occuper suffisamment de son toutou ? Après tout, cela ne le regardait pas. 
Ce qui le concernait davantage, c’était ce baiser qu’elle lui avait donné – ou plutôt qu’ils avaient échangé. S’en souvenait-elle toujours ? Etait-il possible qu’elle y pense aussi souvent que lui ? 
Parfois, quand il l’observait, il espérait trouver dans ses yeux une lueur qui lui indiquerait qu’elle n’avait rien oublié… Qu’elle se demandait si ce serait aussi extraordinaire que la première fois s’ils renouvelaient l’expérience… Et qu’elle avait envie de recommencer. 
***
Un matin du début de l’année, Anna se retrouva dans le bureau de Luke avec un interne, afin qu’ils discutent tous les trois de différents projets de recherche. 
– Les principales causes d’hospitalisation prolongée, de morbidité et de mortalité suite à une opération du cœur sont les hémorragies et les infections, rappela Luke. Et bien souvent, l’infection est une séquelle de l’hémorragie. Il y a eu beaucoup d’études sur ce sujet, mais j’aimerais que nous puissions tester différentes méthodes et y ajouter certains paramètres. Tenez, j’ai photocopié des articles pour vous. 
Les yeux de l’interne s’arrondirent de surprise, ainsi que ceux d’Anna. Depuis quand Luke était-il là, pour avoir trouvé le temps de rechercher et de reproduire toutes ces informations ? Et il était censé profiter d’un jour de congé ! N’y avait-il pas d’autres endroits où il aurait aimé se trouver, ou d’autres gens avec lesquels il aurait aimé passer un moment ? 
A cet instant, son bipper sonna, ce qui lui valut un regard acéré de la part de Luke. 
Elle réprima un soupir. 
– Puis-je utiliser votre téléphone ? 
– Bien sûr. 
C’était Ben Carter, qui avait besoin d’elle pour une urgence. 
– Je suis avec Luke, répondit-elle. Nous arrivons tous les deux. 
– Que se passe-t–il ? demanda Luke pendant qu’elle raccrochait. 
– Un hélicoptère va atterrir dans quelques minutes. Il transporte un garçon de treize ans en hypothermie et instable. L’activité ectopique augmente et il peut faire un arrêt cardiaque à tout moment. Ben souhaiterait que l’on soit prêts à intervenir pour le réchauffer, par by-pass si nécessaire. 
– Aujourd’hui, je ne suis pas censé être ici, fit remarquer Luke. 
Anna avait déjà atteint la porte. Elle se retourna et vit l’interne abasourdi. Luke avait un air étrange, hésitant entre la méfiance et l’espoir. 
Le temps pressait. La vie d’un enfant était en jeu. 
– Oui, mais vous êtes là, rétorqua-t–elle simplement. Et j’ai besoin de vous. 
Tous les deux la suivirent, mais ce fut la haute silhouette de Luke marchant à côté d’elle qui lui donna confiance. 
En un rien de temps, ils avaient reformé une équipe. 
Aux urgences, il y avait foule. Les sauveteurs en hélicoptère étaient là, avec leurs gilets fluo et leurs casques. Ils étaient en train de transférer leur patient avec d’infinies précautions et les ordres fusaient. 
– Doucement ! La fonction cardiaque est fragile. 
– Perfusion de dextrose, pas de saline. Il faut la réchauffer au micro-ondes. 
– Assurez-vous que l’oxygène est chauffé et humidifié. 
– Il nous faut un électrocardiogramme. 
– Quelle est sa température actuellement ? 
– Dix-neuf degrés cinq. 
Luke siffla doucement. 
– La température la plus basse que l’on ait enregistrée sur quelqu’un qui a survécu sans détérioration neurologique était de treize degrés, dit Anna à voix basse. 
Dans un coin de la pièce, la mère du garçon avait l’air terrifié. 
Ben Carter dirigeait l’équipe de réanimation et n’était pas satisfait du taux de saturation d’oxygène dans le sang du jeune patient. 
– Je vais l’intuber, déclara-t–il. Il faut le stabiliser le plus rapidement possible. Toute personne qui n’est pas directement impliquée dans le processus est priée de s’écarter, s’il vous plaît. Il est essentiel de procéder avec le minimum de mouvements. 
L’un des paramédicaux recula, se retrouvant au niveau d’Anna et Luke qui observaient la scène. 
– Que s’est-il passé ? lui demanda-t–elle. 
– Le gamin a reçu une paire de patins à glace pour Noël. Sa famille habite dans une ferme plus au nord, non loin d’un barrage. Lui et son frère sont allés faire du patin mais à un endroit où la couche de glace était trop mince et il est passé au travers. Il a fallu une demi-heure à son frère pour trouver une branche assez grosse pour le tirer hors de l’eau, et une autre demi-heure pour courir chercher les secours. Quant à nous, nous sommes arrivés au bout de quatre-vingt-dix minutes, sous un vent glacé. La première température corporelle que nous avons eue était de dix-huit degrés. 
Luke regardait Ben et son équipe assurer les voies respiratoires du garçon tout en écoutant ses voisins. 
– Rythme cardiaque ? s’enquit-il. 
– Lente fibrillation atriale. 
Tout ce qui était en dessous d’une température centralede trente degrés pouvait entraîner une arythmie cardiaque et un arrêt. Le jeune garçon était dangereusement froid, mais il y avait encore de l’espoir, se dit Anna. 
On utilisa une couverture qui diffusait un courant d’air très chaud sur la peau du patient. Des perfusions chaudes en intraveineuse furent administrées pour tenter de réchauffer le sang, mais ces méthodes étaient trop lentes dans un cas d’hypothermie aussi sévère. 
Ben aperçut Luke. 
– J’ignorais que vous étiez de service aujourd’hui. 
– C’est que je ne le suis pas, répondit Luke avec un petit sourire en direction d’Anna. 
Il était là parce qu’elle le lui avait demandé, mais il voulait qu’elle sache que cela lui convenait. 
– Je suis content que vous soyez tous les deux présents, dit Ben. 
– Qu’est-ce que vous envisagez ? questionna Luke. 
Ben fit la grimace. 
– Un réchauffement externe devrait permettre de gagner seulement deux degrés cinq par heure. Il est trop froid pour attendre aussi longtemps. Avec un cœur-poumons artificiel, on pourrait atteindre sept degrés cinq en une heure. 
– Mais c’est un procédé difficilement envisageable à moins d’un arrêt cardiaque. 
– Je ne sens plus le pouls, annonça un interne à cet instant. 
– Réanimation ! ordonna Ben. 
Il interrogea Luke du regard. Ce dernier fit un bref signe de tête. 
– Un choc électrique. Si ça ne fonctionne pas, amenez-le au bloc sous réanimation. 
– En charge, annonça quelqu’un. Ecartez-vous. 
Luke toucha le bras d’Anna. 
– Allons-y. Mieux vaut se préparer dès maintenant. 
***
Le cœur était froid, immobile. 
Ce garçon était en état de mort clinique, mais ils tentaient de le ramener à la vie. 
Luke pouvait lire le stress dans les yeux d’Anna. Il savait que ses lèvres étaient fortement serrées sous le masque. Si léger qu’il fut, il perçut son tressaillement quand ses mains touchèrent l’organe glacé dans la petite poitrine qu’ils venaient juste d’ouvrir. 
– Il faut faire vite, rappela-t–il calmement. 
Anna hocha la tête. Les deux chirurgiens travaillèrent ensemble dans une atmosphère tendue. Les canules furent mises en place. Le sang du jeune patient circulait maintenant à travers le cœur-poumons artificiel, tout en étant réchauffé. 
Sur le plan chirurgical, il n’y avait plus grand-chose à faire jusqu’à ce que le by-pass soit retiré. Ils pourraient ensuite réparer les vaisseaux ayant contenu les canules. Puis – avec un peu de chance – ils redémarreraient le cœur, fermeraient la poitrine et n’auraient plus qu’à attendre que le patient se réveille, en espérant que ses fonctions cérébrales aient survécu à ce terrible traumatisme. 
***
Plusieurs heures plus tard, Luke retrouva Anna dans son bureau, d’où elle ne cessait de faire des allées et venues entre les soins intensifs et les salles. Elle n’avait fait qu’une brève apparition à la cantine, où elle n’avait d’ailleurs rien mangé. 
– C’est beaucoup trop long, dit-elle, à peine fut-il entré. 
– Tous les paramètres sont bons… 
– Je sais, je sais. 
Anna se mit à faire les cent pas, les bras serrés autour du corps comme pour se réconforter. 
– Et s’il y avait une complication ? 
Elle prit une brève inspiration. 
– Avez-vous vu sa mère, Janet ? Savez-vous qu’il a un frère de six ans son aîné, et qu’elle a fait deux faussescouches avant que Jamie ne vienne au monde, sur le tard ? Et si… Et s’il ne s’en sortait pas ? 
– Anna… 
Luke se tint devant elle pour la forcer à s’arrêter et la saisit par les deux bras. Il ne l’avait jamais vue ainsi. 
Elle avait l’air si inquiète, si désespérée… 
– La sédation ne se dissipe que lentement. Cela lui prendra du temps pour commencer à respirer par lui-même et il ne se réveillera pas avant. 
– Mais si… ? 
– Stop, ordonna-t–il. 
Il la tenait toujours, penché sur son visage. Ses grands yeux verts étaient rivés sur les siens et on aurait dit qu’elle buvait ses paroles de réconfort, ne demandant qu’à le croire. 
Le regard de Luke se posa sur sa bouche. Un léger frémissement de ses lèvres ouvrit quelque chose de profondément enfoui en lui. 
– Ce qu’il vous faut, docteur Bartlett, c’est de la distraction, dit-il avec une grande douceur. 
Lentement, délibérément, sa langue titilla sa lèvre inférieure. 
– Mmm… 
Il n’avait pas besoin d’autre permission. Prenant sa tête entre ses mains, il se pencha vers elle. 
Cette fois, c’était lui qui avait pris l’initiative de l’embrasser. Et ce baiser, il ferait tout pour qu’Anna n’ait aucune chance de l’oublier. 
***
Lorsque Luke la toucha, Anna avait toujours les bras serrés autour du corps. En quelques secondes, le désir la submergea et la tête lui tourna. 
Ses lèvres étaient sur les siennes, généreuses, exigeantes. Elles voulaient une réponse. 
Toute la terrible tension accumulée en elle depuis qu’elle avait touché le petit cœur froid de Jamie se dissipa et ellese sentit envahie de milliers de sensations. Ses muscles se détendirent, ses bras se dénouèrent d’eux-mêmes et même ses os étaient en train de fondre ! Elle sentait son corps dur contre le sien et les battements sourds de son cœur. 
Il lui aurait suffi de la prendre dans ses bras et de l’allonger sur le sol… 
Luke s’écarta et, instinctivement, elle fit un geste pour le retenir. 
– Le téléphone…, dit-il gentiment. 
– Oh. Il vaudrait mieux que je réponde. 
Elle n’avait rien entendu. Il lui sourit, et c’était un vrai sourire qui éclairait tout son visage. 
Il hocha la tête en silence. 
Anna eut du mal à arriver jusqu’à l’appareil sans trébucher, mais l’annonce du consultant des soins intensifs la ramena immédiatement à la réalité. 
Quelques secondes plus tard, elle raccrocha et se tourna vers Luke. 
– Jamie respire, murmura-t–elle. Il a serré la main de sa maman. 
Horrifiée, Anna sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle ne pleurait jamais ! Et surtout pas devant des collègues masculins. 
Luke n’eut pas l’air de s’en formaliser. Il l’attira dans ses bras. Non pour l’embrasser cette fois, mais pour la serrer longuement contre lui. Il savait ce qu’elle ressentait. 
Cela lui donna le temps de se ressaisir. 
– Si nous y allons rapidement, on pourra le voir à son réveil. 
***
Une heure plus tard, ils faisaient partie du groupe qui entourait Jamie quand il cligna des yeux. Son père et son frère aîné se trouvaient là, mais sa mère était la plus proche et ce fut elle qu’il vit en premier. 
Il ouvrit la bouche, puis fronça les sourcils, comme s’ilne trouvait pas ses mots. Immobile, il contempla le visage ruisselant de larmes de sa mère. 
Tout le monde retenait son souffle. Debout, Luke et Anna se tenaient si près l’un de l’autre que leurs épaules se touchaient. Discrètement, il avança la main et leurs doigts s’enlacèrent. 
– Maman ? dit Jamie d’une voix éraillée, mais nette. Qu’est-ce qui s’est passé ? 
Anna sentit une pression sur ses doigts et tourna la tête pour rencontrer les yeux de Luke. C’était un regard de triomphe et de joie mêlés. 
Il lui lâcha la main avant que quiconque n’ait remarqué quelque chose mais le lien était toujours là. Elle l’avait vu dans ses yeux. 
Ce soir, il rentrerait avec elle. Ou bien elle irait chez lui. Peu importait. Ils n’avaient pas besoin de se consulter, la décision avait déjà été prise, tout à l’heure, dans son bureau. Ou peut-être même bien avant, mais ni l’un ni l’autre n’avaient alors franchi le pas. 
A présent, c’était fait. Tous deux savaient qu’ils ne pouvaient plus revenir en arrière.