CÉTAIT UNE PLANÈTE SI NÉGLIGEABLE, si proche de la frange galactique qu’elle n’avait pas de nom, mais un code et un numéro attribués en fonction de sa position. Le village, lui, avait un nom, quoique imprononçable par un humain.

Ça coûtait cher, d’aller là-bas. De s’y polter, en fait. Il fallait lâcher un paquet de fric pour obtenir les coordonnées nécessaires au poltage. Vu que la cible se trouvait au diable, l’ordinateur devait se surpasser, et les calculer à la septième décimale. Sinon, on prenait le risque de se matérialiser dans l’espace, à quelques secondes/lumière de sa destination ; ou sur la planète, mais à mille kilomètres d’altitude ou six cents de profondeur. Toutes éventualités susceptibles de valoir au polteur un inconfort extrême, voire une mort certaine.

Jamais personne n’avait eu de motif de s’y rendre… à part Anson Lathrop. Lathrop, lui, devait s’y rendre, puisque c’était là que Reuben Clay était mort.

Il paya donc une petite somme pour un endoctrinement dans la langue et les mœurs indigènes, et une grosse somme pour le calcul de son poltage – aller-retour.

Il arriva à destination vers midi, non pas au milieu du village – ça, même la septième décimale avait du mal à le garantir –, mais à moins de trente kilomètres de distance, comme il le découvrit ensuite, et de quatre mètres d’altitude.

Il se releva, s’épousseta, et se félicita de porter un sac à dos ; celui-ci avait amorti sa chute.

Pour le peu qu’il en voyait, la planète offrait un aspect lugubre. Le temps était couvert, le paysage incolore, si bien qu’il avait peine à discerner où l’horizon s’arrêtait et le ciel débutait. Le terrain plat formait une vaste plaine dépourvue de crêtes ou d’arbres et parsemée de broussailles.

Il avait atterri près d’un sentier, ce dont il se réjouit car, selon les données qu’on lui avait inculquées, il n’y avait sur ce monde aucune route, et guère de chemins.

Rajustant son sac à dos d’un haussement d’épaules, il entreprit de suivre la piste. Un kilomètre plus loin, il vit un panneau indicateur abîmé par les intempéries ; même si les symboles affichés lui restaient obscurs, il lui sembla qu’il se dirigeait dans le mauvais sens, aussi fit-il demi-tour en espérant avoir correctement interprété le panneau.

Il atteignit le village à la tombée de la nuit, après une marche solitaire durant laquelle il n’avait rencontré qu’un animal étrange, d’aspect plutôt féroce, qui s’était assis pour le regarder passer en sifflant, comme perplexe.

La localité ne paraissait guère plus accueillante.

Ainsi qu’il le savait d’avance, elle évoquait un habitat de chiens de prairie tel qu’on en rencontrait dans l’ouest de l’Amérique du Nord, sur sa Terre natale.

Aux abords du village s’étalaient ça et là des lopins de terre où poussaient d’étranges végétaux ; sur certains d’entre eux, des créatures pareilles à de petits gnomes travaillaient dans l’obscurité croissante. Lorsqu’il s’immobilisa pour les héler, elles se contentèrent de le fixer du regard pendant un moment avant de se remettre au travail.

Il remonta l’unique rue, à peine plus qu’une sente, en considérant les entrées des terriers que dominaient des tumulus bâtis avec la terre d’excavation. Les monticules se ressemblaient tous ; aucune entrée ne présentait le moindre signe distinctif.

Devant certaines des entrées jouaient de minuscules gnomes – des enfants, songea-t-il – mais tous disparurent dans les terriers à son approche et n’en ressortirent pas.

Il longea la rue jusqu’à son extrémité opposée ; là, il vit, à quelque distance, ce qui lui parut être un monticule un peu plus massif dominé par une sorte de monument grossier, une spire trapue, pointée vers le ciel tel un doigt accusateur.

C’était quelque peu surprenant, car son endoctrinement ne faisait mention d’aucun monument, ni d’aucune structure à caractère religieux. Bien sûr, il se pouvait que les données soient fragmentaires ; on ne savait pas grand-chose de cette planète et de ses habitants.

Pourtant, il n’était pas déraisonnable de supposer que ces gnomes aient une religion ; on en rencontrait encore, de temps à autre. Indigènes, ou importées de la Terre, ou d’un des autres systèmes où des modes de croyance élaborés avaient fleuri.

Il revint sur ses pas et fit halte au centre du village. Nul ne venant à sa rencontre, il s’assit à même la terre au milieu de la rue, pour attendre. Il tira de son sac de quoi déjeuner, mangea, but de l’eau à la gourde stérile qu’il transportait, et se demanda pourquoi Reuben Clay avait choisi de passer ses derniers jours en un lieu aussi morne.

Non que cela ne s’accorde pas avec l’individu. C’était aussi un lieu des plus humbles, et Clay avait été un homme des plus humbles qu’on avait un temps surnommé « le Van Gogh de l’espace ». Il avait vécu en lui-même plus qu’au sein de l’univers alentour. Il n’avait cherché ni la gloire ni la reconnaissance, alors qu’il aurait pu obtenir l’un et l’autre – et, parfois, il semblait même les fuir. Toute sa vie, il avait donné l’impression de se cacher. De courir, poursuivi… ou poursuivant lancé dans une quête sans fin. Lathrop secoua la tête. Difficile de savoir qui était Clay : la proie, le chasseur ? S’il était la proie, que redoutait-il ? Et s’il était le chasseur, que traquait-il ?

Il entendit des pas traînants sur la terre battue et tourna la tête pour voir une des créatures venir vers lui. Vieille, à l’évidence ; le poil rare et gris. Plus elle approchait, et plus les stigmates de l’âge se révélaient : les yeux chassieux, la peau ridée, les sourcils broussailleux, les doigts raidis.

Le gnome s’immobilisa et s’adressa à lui. Il tâcha de déchiffrer son langage.

« Bonne vue à vous, monsieur. »

Il n’avait pas dit monsieur, bien entendu, mais c’était la traduction la plus approchante.

« Bonne ouïe, répondit Lathrop avec cérémonie.

— Bon sommeil.

— Bon manger. »

Enfin, ils se retrouvèrent à court de politesses.

Le gnome, qui restait debout près de lui, le dévisagea puis déclara : « Vous êtes comme l’autre.

— Clay.

— Plus jeune.

— Plus jeune, reconnut Lathrop. Pas beaucoup plus.

— Juste ce qu’il faut. » Le gnome l’entendait comme un compliment.

« Merci.

— Pas malade.

— En bonne santé, dit Lathrop.

— Clay était malade. Il…» Il ne dit pas est mort. Plutôt s’est interrompu ou s’est terminé, mais aucune ambiguïté ne pouvait subsister.

« Je sais. Je suis venu parler de lui.

— Il a vécu avec nous, dit le gnome. Il (est mort ?) avec nous. »

Il y a combien de temps ? voulut demander Lathrop. Il se rendit compte, non sans surprise, qu’il était impossible de formuler cette question. Les gnomes ne possédaient pas de mots pour évaluer la durée ou le passage du temps. Ils utilisaient le passé, le présent et le futur, pour conjuguer leurs verbes, mais leur langage ne permettait pas de mesurer l’espace ou le temps.

« Vous l’avez…» Pas d’équivalent pour enterré. Pas de mot pour tombeau. « Vous l’avez planté ? »

Il sentit l’horreur que sa question éveillait.

« Nous l’avons (…) »

Mangé ? se demanda Lathrop. Certaines tribus d’antan, sur Terre ainsi que sur d’autres planètes, mangeaient leurs morts. C’était leur manière à elles de leur rendre honneur.

Mais ce n’était pas mangé.

Brûlé ? Dressé sur un échafaud ? Laissé à l’air libre ?

Non, rien de tout ça.

« Nous l’avons (…), insista le gnome. C’était son vœu. Nous l’aimions. Nous ne pouvions pas faire moins. »

Lathrop s’inclina en témoignage de gratitude. « Je suis honoré que vous ayez agi ainsi. »

Son geste parut apaiser le gnome.

« Il était inoffensif », dit-il. Le terme ne signifiait pas tout à fait inoffensif. Gentil, peut-être. Non-cruel. Et un peu lent. Ça n’avait rien que de très naturel, car tout étranger, marginalisé par ses défauts de compréhension, paraît un peu lent au peuple qui l’accueille.

Comme s’il avait deviné la teneur de ses réflexions, le gnome ajouta : « Nous ne le comprenions pas. Il avait ce qu’il appelait un pinçohédépigment. Il faisait des rayures. »

Des rayures ?

Pinçohédépigment ? Ah, un pinceau et des pigments. Oui.

Des rayures ? Bien sûr. Les habitants de cette planète étaient daltoniens. Les peintures de Clay ne pouvaient leur apparaître que sous l’aspect de rayures.

« Il a fait ça ici ?

— Oui. Ça, ici.

— Je me demande… Puis-je voir ce qu’il a fait ?

— Certainement, dit le gnome. Si vous me suivez. »

Ils traversèrent la rue et s’approchèrent de la bouche d’un terrier. Lathrop se baissa pour s’engager dans le tunnel qui, au bout de trois ou quatre mètres, s’évasait, devenant une pièce, une sorte de grotte en terre.

Il y avait de la lumière. Une lueur ténue, qui provenait de petits tas de matière rougeoyante placés dans de simples coupelles en argile disposées autour de la pièce.

Chimioluminescence, songea Lathrop. Sans doute du bois en décomposition.

« Là », dit le gnome.

Le tableau était appuyé contre la paroi du terrier : un carré multicolore tout à fait déplacé au sein de ce décor. En d’autres circonstances, la pénombre n’aurait pas permis de le discerner, mais la peinture semblait émettre une lueur propre qui faisait ressortir les couleurs, au point qu’on avait l’impression d’apercevoir un autre monde par une fenêtre ouverte dans l’obscurité. À mesure que Lathrop étudiait la toile, l’effet devenait de plus en plus prononcé, jusqu’à ce que l’image, inachevée, se révèle dans ses moindres détails. Ce n’est pas une lueur, se dit-il. C’est une brillance.

Et il s’agissait d’un Clay. On ne pouvait pas confondre ce tableau, même inachevé, avec l’œuvre d’un autre peintre. Même sans savoir que le peintre avait passé ses tout derniers jours dans ce village, on reconnaissait son travail à coup sûr. On retrouvait son équilibre de la composition, sa maîtrise du dessin combinée à une certaine retenue, sa science du sous-entendu, son sens aigu du détail, et ses couleurs évidentes et précises. Mais il s’en dégageait autre chose, un sentiment de bonheur, un bonheur humble que nul triomphe n’entachait.

« Il ne l’a pas terminé, dit Lathrop. Il n’a pas eu le…» Le mot temps n’existait pas dans leur langue. « Il (s’est interrompu) avant de le finir.

— Son pinçohédépigment (s’est interrompu). Lui s’est assis et l’a regardé. »

C’était donc ça. Voilà ce qui c’était passé. Clay s’était trouvé à court de pigments, et il n’avait aucun moyen, voire peut-être pas le temps, de s’en procurer d’autres.

Alors Reuben Clay s’était assis dans ce terrier. Il avait contemplé son dernier tableau, en sachant que ce serait bel et bien le dernier qu’il peindrait, ultime grand œuvre destiné à rester inachevé, et il avait connu le désespoir. Quoiqu’il se pouvait fort qu’il n’ait jamais songé à le qualifier de « grand œuvre ». Il considérait ses tableaux comme des témoignages sur son état d’esprit, et voilà tout. Ils représentaient quelque chose en lui qui attendait de se voir donner une incarnation observable en un message artistique de Clay à son prochain, quel qu’il soit.

« Reposez-vous, dit le gnome. Vous êtes fatigué.

— Merci », dit Lathrop.

Il s’assit sur le sol en terre battue et s’adossa à la paroi, face au tableau.

« Vous le connaissiez », dit le gnome.

Lathrop secoua la tête.

« Mais vous veniez à sa recherche.

— J’espérais avoir de ses nouvelles. »

Comment expliquer au petit gnome ce qu’il voulait de Clay, pourquoi il s’était lancé sur sa piste quand tout le reste de l’univers l’avait oublié ? Comment expliquer à ces gens, qui ne distinguaient pas les couleurs et n’avaient peut-être aucune idée de ce qu’était un tableau, la grandeur de Clay ? Sa technique, l’économie et l’exactitude de ses nuances, sa capacité presque surnaturelle à lire l’essence des choses ?

Voir la vérité et la reproduire… non point une facette, mais la vérité entière sous une perspective authentique, dans des couleurs fidèles, en rendant son sens et son ambiance si exactement qu’il suffisait d’un seul regard pour tout saisir.

C’est peut-être pour ça que je suis parti sur ses traces, se dit Lathrop. Que j’ai consacré vingt années terrestres et des sommes folles pour apprendre tout ce qu’il y a à savoir sur lui. La monographie que je compte écrire à son sujet n’est guère qu’une vague tentative pour rationaliser ma quête – simple question de logique intellectuelle. Mais en fait, je cherchais la vérité. Au fond de moi, je cherchais la vérité qui réside en Clay et dans sa peinture. Parce que moi aussi, autrefois, je me souciais de vérité.

« C’est de la magie, dit le gnome en scrutant le tableau.

— En quelque sorte », admit Lathrop. Voilà qui pouvait expliquer pourquoi ils avaient accepté l’artiste : dans l’espoir qu’un peu de sa magie déteigne sur eux. Ce n’était peut-être pas leur unique motivation. Sur la fin, ils devaient en avoir d’autres, nécessairement, Clay n’étant pas le genre d’homme simple et modeste que des créatures aussi frustres sauraient aimer et respecter.

On lui avait permis de vivre parmi eux, et finalement comme l’un d’eux, et on ne lui avait sans doute même pas demandé de payer le vivre et le couvert. Peut-être avait-il peiné dans les champs ou effectué des petits travaux, mais on devait, dans l’ensemble, le considérer comme un invité ; aucun étranger ne pouvait s’intégrer, d’un point de vue économique, à une culture aussi ascétique.

Ils l’avaient aidé durant ses derniers jours, veillé durant son agonie, puis, après sa mort, lui avaient rendu hommage.

Quel mot avait utilisé le gnome, au juste ? Il n’arrivait pas à s’en souvenir. L’endoctrinement était insuffisant ; des termes manquaient, il subsistait des vides, des angles morts, et ça se concevait, dans un endroit pareil.

Il s’aperçut que le gnome attendait de lui qu’il explique cette magie, qu’il l’explique mieux que Clay ne l’avait fait. D’ailleurs, peut-être Clay n’avait-il même pas essayé.

Le gnome attendait, espérait, et ça s’arrêtait là. Jamais on ne demande à une autre race les détails de sa magie.

« C’est…» Pas de mot pour représentation ni pour image. «… un endroit que Clay a vu. Il s’est efforcé de lui donner vie. Il essayait de vous dire, de nous dire ce qu’il avait vu. Il essayait de nous le faire voir, à nous aussi.

— De la magie », conclut le gnome.

Lathrop renonça. C’était impossible. Pour le gnome, il n’y avait là que de la magie. Entendu : de la magie, donc.

On y voyait une vallée, que longeait un ruisseau aux sombres remous, plantée d’arbres massifs, nimbée par une vague de lumière qui ne tenait pas que de la simple clarté solaire. Nul être vivant n’apparaissait dans le tableau ; ce vide caractérisait Clay, un paysagiste qui n’éprouvait aucun besoin de peupler ses scènes de gens ou d’autres créatures.

Un coin tranquille, où règne un bonheur solennel, se dit Lathrop. Dans un tel lieu, on pouvait courir et rire, certes, mais pas trop vite ni trop fort – une retenue empreinte de respect baignait la composition.

« Il a vu beaucoup d’endroits, dit-il au gnome. Il en a mis beaucoup sur des…» Pas de mots pour toile ; peinture ou cadre. «… surfaces planes comme celle-ci. Bien des planètes différentes. Il essayait de capturer…» Pas de mot pour essence non plus. «… l’aspect de chaque planète.

— De la magie, répéta encore le gnome. Sa magie était très puissante. » Il se dirigea ensuite vers la paroi opposée et ranima un petit feu de tourbe dans un fourneau primitif bâti en boue. « Vous avez faim, déclara-t-il.

— J’ai mangé.

— Vous devez manger avec nous. Les autres vont venir. Il fait trop sombre pour travailler.

— Alors j’accepte », dit Lathrop.

Car il se devait de rompre le pain en leur compagnie, de s’intégrer à eux pour mener à bien sa mission. S’il ne devenait jamais l’un d’entre eux au sens où Clay l’avait été, au moins serait-il accepté. Aussi mauvais, aussi rebutant que soit ce qu’on lui servirait, il le partagerait avec eux.

Par ailleurs, il se pouvait que la nourriture ne soit pas trop exécrable. Des tubercules, des légumes, puisque, après tout, ils cultivaient des jardins. Des insectes conservés dans la saumure, peut-être, voire une décoction alcoolisée avec laquelle il lui faudrait se montrer prudent.

Car ils auraient des choses à lui dire, et ce sur des faits qu’il avait fini par désespérer de réunir, le récit des derniers jours de Reuben Clay. Voire un indice sur ces mystérieuses « années perdues » pendant lesquelles l’artiste avait disparu.

Avant, sa piste prenait fin près du bord de la galaxie, non loin d’ici. Année après année, sans faillir, Lathrop avait suivi cette piste d’étoile en étoile ; il avait rassemblé des données sur Clay, discuté avec ceux qui l’avaient connu, déniché un par un les tableaux qu’il avait peints, et puis il s’était retrouvé dans une impasse. L’artiste avait quitté une certaine planète et personne ne savait où il était allé ; des années durant, Lathrop avait enquêté sur sa destination, et il s’apprêtait à abandonner le jour où il avait enfin dégoté la preuve que Clay était venu mourir sur ce monde. Toutefois, il avait découvert par la même occasion que l’artiste n’était pas venu directement de la planète où sa piste s’interrompait alors, mais qu’il avait passé plusieurs années ailleurs. Il subsistait un trou dans l’histoire qu’il avait reconstituée – un intervalle dont la durée exacte resterait sans doute inconnue.

Peut-être exhumerait-il ici, dans ce village, un indice sur l’endroit où Clay avait passé cet intervalle. Mais ce ne serait qu’un indice, puisque la notion de temps, voire celle d’un ailleurs, n’avait aucun sens pour les gnomes.

Il se pouvait fort que le tableau lui-même constitue un indice. Qu’il représente l’endroit secret que Clay avait visité avant de venir mourir ici. Dans ce cas, l’indice serait ténu, se dit Lathrop. On pourrait passer trois vies – au moins – à explorer toutes les planètes possibles dans l’espoir vain de reconnaître la scène que Clay avait figurée sur sa toile.

Il observait le gnome qui s’affairait devant le fourneau. À part la complainte du vent dans la cheminée et à l’entrée du tunnel, on n’entendait aucun bruit. Le vent, une lande déserte, des hameaux en terre, voilà ce qu’il y avait ici, à la frange extrême de la galaxie, loin de la ronde des puissants soleils. Qu’est-ce que nous savons, se demanda-t-il, de ce que nous appelons notre galaxie, cet amas de matière jeté dans le gouffre de l’espace par un Poing majestueux ? Nous ignorons son commencement, sa fin, sa raison d’être ; nous sommes des créatures qui tâtonnent dans le noir en quête de réalités et, quand nous en percevons quelques-unes, c’est de façon incomplète, ainsi qu’un aveugle percevrait les choses dans ce terrier. En un sens, nous sommes aussi aveugles que lui – nous tous, l’ensemble des êtres qui peuple la galaxie. Et présomptueux et précoces par-dessus le marché, malgré notre cécité, car, avant de connaître la galaxie, nous devons nous connaître nous-mêmes.

Nous ne nous comprenons pas ; nous n’avons aucune idée de notre finalité. Nous avons essayé diverses méthodes pour expliquer notre existence, des méthodes matérialistes, des méthodes spiritualistes, et la logique pure, qui ne l’était pas tant que ça. Et, dans l’ensemble, nous nous sommes jeté de la poudre aux yeux, songea Lathrop. Nous avons ri de ce que nous ne comprenons pas, substitué le rire au savoir, usé du rire comme d’un bouclier pour parer à notre ignorance : une drogue pour apaiser notre panique. Autrefois, nous cherchions le réconfort dans le mysticisme et luttions bec et ongles pour éviter de trouver des réponses, car, pour qu’il continue de nous réconforter, il fallait que le mysticisme reste aussi vague qu’incertain. Jadis, nous souscrivions à la foi, luttions pour éviter qu’elle n’englobe des faits, car elle était, selon notre raisonnement tordu, meilleure que les faits.

Sommes-nous plus avancés d’avoir proscrit la foi et le mysticisme, d’avoir, par nos sourires narquois, banni la foi et les religions d’antan dans une galaxie qui ne jure plus que par la logique et les faits ? Ce n’est qu’une étape, se dit-il. L’adoption de la logique et des faits comme seules raisons d’être, ce besoin maladif d’explications : rien qu’une étape. Un jour lointain, il se peut qu’une nouvelle donnée nous permette de garder la logique et les faits, mais de retrouver le réconfort que nous offrait la foi et que nous avons perdu avec elle.

Le gnome cuisinait pour de bon, désormais. Une odeur appétissante envahissait le terrier – une odeur terrestre, ou presque. Oui, peut-être le repas ne serait-il pas aussi mauvais que Lathrop l’avait craint, après tout.

« Vous comme Clay ? demanda la créature.

— Comme lui ? Bien sûr. De la même espèce.

— Non. Non. Vous faites comme lui ? Vous faites des rayures comme il faisait ? »

Lathrop secoua la tête. « Je ne fais rien, maintenant. Je suis…» Comment dire à la retraite ? « Mon travail est fini. Désormais, je joue. » Il avait employé jouer car il n’existait aucun autre terme approchant.

« Vous jouez ?

— Je ne travaille plus. Je fais ce qui me plaît. J’apprends sa vie…» Pas de mot pour écrire. «… et je la raconte avec des rayures. Pas son genre de rayures. Un autre genre. »

Quand il s’était assis, il avait posé son sac à dos près de lui. Il le plaça sur ses genoux et l’ouvrit pour sortir un bloc-notes et un stylo. « Ce genre de rayures », expliqua-t-il.

Le gnome traversa la pièce pour se camper à ses côtés.

J’étais explorateur, écrivit Lathrop. J’utilisais les faits et la logique pour déterminer où nous allions. Je cherchais la vérité.

« Ce genre-ci. J’ai fait beaucoup de rayures de la vie de Clay.

— De la magie », dit le gnome.

Tout est là, dans ce bloc, se dit Lathrop. Tout ce que je sais de Clay, à part les années manquantes. Des pages et des pages de notes en prélude à l’écriture de son livre, des notes racontant l’étrange histoire d’un homme étrange qui errait d’étoile en étoile, qui peignait planète sur planète, et laissait ses tableaux éparpillés dans toute la galaxie. Un homme qui errait comme s’il cherchait davantage que de nouvelles scènes à coucher sur ses toiles. Comme si ses toiles n’étaient qu’un simple caprice, qu’un moyen aussi bizarre que pratique de gagner l’argent nécessaire à sa nourriture et aux poltages, cet argent qui lui permettait d’aller d’un système à l’autre. Sans faire le moindre effort pour conserver ses œuvres : il les vendait une par une, ou, parfois, les abandonnait.

Non que ses tableaux soient mauvais. Ils étaient bons, voire sublimes. Sur maintes planètes, on leur réservait une place d’honneur dans les galeries, ou ce qui en tenait lieu.

Clay n’était jamais resté longtemps au même endroit. Il ne tenait pas en place. À croire qu’il y avait un motif, ou un schéma, qui le poussait d’étoile en étoile.

Et la somme de son errance, de sa quête, l’avait amené ici, pour s’achever dans ce terrier, simple abri contre le vent et les rigueurs du climat.

« Pourquoi ? demanda le gnome. Pourquoi faire des rayures de Clay ?

— Pourquoi ? Pourquoi ? Je n’en sais rien ! »

Pourtant, peut-être découvrirait-il ici le pourquoi, non seulement de l’errance de Clay, mais aussi de son propre trajet à sa recherche.

« Pourquoi est-ce que vous rayez ? »

Comment répondre à ça ?

Comment Clay avait-il répondu ? Lui aussi, ils avaient dû l’interroger. Pas sur le comment ; jamais on ne demande le comment de la magie. Mais le pourquoi… oui, on pouvait se permettre de poser la question. Pas le secret de la magie : son but.

« Pour que nous sachions, dit Lathrop en butant sur ses mots. Pour que nous sachions, vous, moi, tous les autres sur d’autres étoiles, quel genre d’être…» D’homme ? «… était Clay.

— Il était (gentil ?). Il était des nôtres. Nous l’aimions. C’est tout ce que nous avons besoin de savoir.

— Vous, peut-être. Mais ça ne suffit pas à d’autres. »

Et pourtant… Bien rares seraient ceux qui liraient sa monographie une fois celle-ci écrite, sans doute ; rares ceux qui en auraient le temps, voire l’envie.

Enfin, songeait-il, je sais ce que je savais déjà depuis longtemps et que je refusais d’admettre : j’œuvre, non pas pour les autres, mais pour moi seul. Pas pour m’occuper ou meubler ma retraite, mais pour une raison plus profonde, un besoin plus fort. Un facteur ou un motif qui ne m’est encore jamais apparu. Un besoin que je n’identifie même pas. Dans un but qui me stupéfierait si je m’en avisais.

Le gnome retourna à son fourneau s’occuper du repas, et Lathrop resta assis, adossé au mur, à prendre conscience de sa lassitude. Il avait eu une rude journée. Ça n’avait rien de difficile, de polter, ça semblait facile, au contraire, mais ça puisait dans vos réserves. De plus, il avait parcouru trente kilomètres à pied pour atteindre ce village.

Le poltage était peut-être facile, mais on avait eu bien du mal à le mettre au point, car il avait fallu attendre la mise au rencard de croyances erronées ainsi que la disparition de certaines certitudes et du bouclier de préjugés dressé pour abriter l’Homme de sa propre ignorance. Les êtres humains qualifiaient souvent de superstitions tout ce qui échappait à l’entendement. S’ils pouvaient rejeter une « superstition » sans remords, ignorer un fait avéré comme le poltage sans en éprouver de la culpabilité leur posait plus de problèmes.

Des bruits de pas traînants dans le tunnel précédèrent l’entrée de quatre nouveaux gnomes. Ils portaient des outils de jardinage primitifs qu’ils appuyèrent contre le mur avant de se placer en rang pour fixer du regard l’homme assis par terre.

« En voici un comme Clay, dit le vieux gnome debout près du fourneau. Il va rester avec nous. »

Les quatre autres s’avancèrent pour se poster en demi-cercle autour de Lathrop. L’un d’eux demanda à l’aîné : « Il va rester ici et mourir ? » Un second ajouta : « Il n’est pas près de mourir, celui-ci. » On sentait chez eux comme une attente.

« Je ne vais pas mourir ici, déclara Lathrop avec gêne.

— Nous vous…», lui dit un troisième. Il avait usé du terme décrivant ce qu’on avait fait de Clay après sa mort. Il l’avait prononcé du ton sur lequel il lui aurait offert un pot-de-vin, comme s’il espérait le convaincre de rester ici et d’y mourir.

« Il ne voudrait peut-être pas, fit remarquer le dernier. Clay le voulait. Celui-ci a peut-être un avis différent. »

Une horreur diffuse régnait à présent. Leurs paroles et leur façon de le scruter d’un regard expectatif lui donnaient la chair de poule.

Sous le regard de ses congénères, le vieux gnome alla dans un des recoins du terrier chercher un sac qu’il déposa devant Lathrop pour desserrer la ficelle qui le fermait. On devinait que l’ouverture du sac constituait une grande occasion. Les gnomes suivaient la scène avec respect, d’un air solennel, dans la mesure où leurs corps trapus et disgracieux se prêtaient à exprimer la solennité.

La ficelle se défit enfin ; le vieux gnome attrapa le sac par le fond et en déversa le contenu sur la terre battue : des pinceaux, des tubes de peinture – vides, pour la plupart –, un vieux portefeuille usé, et un objet qu’il ramassa par terre et montra au Terrien.

Lathrop tendit la main, le prit, le contempla et, soudain, il sut ce qu’ils avaient fait à Clay, et quels derniers honneurs ils lui avaient rendu.

Il eut un rire gargouillant, un rire sans joie, car la joie n’avait rien à faire là-dedans. S’il riait, c’était par dérision face à la confusion des valeurs, à l’opposition des concepts. S’il riait, c’était parce qu’il devinait comment les gnomes en étaient arrivés à rendre cet ultime hommage à Clay.

Il voyait la scène comme s’il y était. Des jours durant, ils avaient transporté la terre pour édifier le monticule qu’il avait aperçu hors du village, en sachant que, pour leur ami d’une autre race, la fin approchait ; ils avaient voyagé loin pour trouver des arbres dans ce pays de broussailles ; puis ils les avaient rapportés sur leurs dos, car ils ignoraient la roue ; enfin, ils avaient assemblé les divers éléments, non sans mal, à l’aide de chevilles en bois plantées dans des trous creusés à grand-peine, puisqu’ils n’avaient pas de métal et ne savaient rien de la menuiserie.

Et ils avaient fait tout ça par amour pour Clay, et tout ce labeur, tout le temps qu’ils lui avaient consacré, n’étaient rien au regard de la gloire qu’il y avait à accomplir cette tâche, à l’accomplir avec dévotion.

Il contempla le crucifix, et crut comprendre enfin ce qui lui paraissait si étrange chez l’artiste – son éternelle recherche, son errance fiévreuse d’un système solaire à un autre, et même, par certains aspects, sa grande maîtrise qui désignait si clairement une vérité cachée, brouillée, sous les diverses vérités exprimées par son pinceau.

Clay était une sorte de survivant, un membre de cette secte de doux dingues issue de l’antiquité terrestre ; un de ceux qui, dans un cadre voué à la logique et à la dureté des faits, s’était cramponné au mysticisme et à la foi. Peut-être la foi seule ne lui avait-elle pas suffi, de même que les seuls faits, parfois, ne satisfaisaient pas Lathrop. Et que Lathrop, comme il s’en apercevait maintenant, n’ait jamais deviné le secret de Clay s’expliquait sans peine : on n’affichait pas sa foi sous le regard narquois d’un univers voué à la logique.

Pour eux, peut-être, ni les faits ni la foi ne tenaient debout tout seuls ; ils devaient se renforcer mutuellement.

Mais c’est faux, pensa-t-il. Je n’ai pas besoin de la foi. J’ai employé la logique pendant des années et nul n’a besoin de plus. S’il existe un autre besoin, il réside dans un fait qui reste à découvrir. Inutile de revenir à la foi.

Prenons un fait, dépouillons-le de la foi et du charabia qui l’entourent, et on a un outil. Ainsi l’homme a-t-il, voici déjà bien longtemps, dépouillé le phénomène de poltergeist de sa gangue d’incroyance, de ridicule, et, par conséquent, découvert le principe du poltage : un fait et un principe qui permettent à quelqu’un d’aller d’étoile en étoile ainsi qu’il aurait jadis descendu la rue pour rejoindre son bar favori.

Pour Clay, toutefois, ça avait dû se passer autrement. Limité aux seuls faits, il n’aurait jamais peint de la sorte ; il lui avait fallu sa foi toute simple et la petite lueur de celle-ci pour nourrir la chaleur et la conviction qui faisaient de ses tableaux ce qu’ils étaient.

C’était cette même foi qui l’avait lancé dans sa quête.

Lathrop contempla le tableau, vit la simplicité et la dignité qui en émanaient ; il vit la tendresse, le bonheur, et cette clarté transcendantale.

Il se souvenait de cette même clarté, médiocrement représentée dans les illustrations des vieux livres qu’il avait étudiés durant ses cours de Religion terrestre comparée. Un de ses professeurs s’était appesanti sur sa symbolique.

Il laissa tomber le crucifix, tendit la main et ramassa quelques-uns des tubes de peinture.

Le tableau était inachevé, lui avait dit le gnome, parce que Clay s’était trouvé à court de pigments. C’était vrai : les tubes étaient aplatis, roulés ; on y discernait l’empreinte en creux des doigts qui les avaient pressurés pour en extraire l’huile si précieuse jusqu’à la dernière goutte.

Il a fui à l’autre bout de la galaxie, songea Lathrop, et je l’ai retrouvé. Même après sa mort, j’ai continué, j’ai suivi la piste presque effacée qu’il avait laissée parmi les étoiles. Et j’ai suivi Clay parce que je l’aimais. L’individu n’entrait pas en ligne de compte – j’ignorais quel genre d’homme il était, et je n’avais aucun moyen de le découvrir –, mais je voyais dans ses tableaux une caractéristique que tous les critiques avaient ratée. Une caractéristique qui me parlait. Et j’aurai beau le nier de toutes mes forces, il pourrait s’agir de cette foi ancienne s’adressant à moi. Cette foi aujourd’hui perdue. Cette foi jadis assassinée par la logique.

Il se dit qu’il connaissait Clay, à présent. Par le biais de ce minuscule crucifix, de la symbolique du dernier tableau ; par le biais du tumulus qui se dressait au bout du village sur cette planète de troisième zone.

Et il savait aussi pourquoi ce devait être une planète de troisième zone.

Parce qu’il fallait de l’humilité à la foi de Clay. Cette foi avait toujours été humble, à la différence de la logique.

Lathrop pouvait désormais fermer les yeux et assister à la scène : les nuages sombres, les mornes plaines, les landes qui se perdaient à l’infini, la silhouette blanche sur la croix, la foule massée en dessous les yeux levés vers elle, marquée à jamais par cette cérémonie incompréhensible qu’elle avait organisée par amour pour celui dont la foi l’avait touchée.

« Est-ce qu’il vous a dit où il était avant d’arriver ici ? demanda-t-il aux gnomes. D’où il venait ? »

Ils secouèrent la tête. « Il ne l’a pas dit. »

D’un lieu où les arbres ressemblaient à ceux du tableau, songea Lathrop. D’un lieu où régnaient la paix, la dignité et la tendresse. D’un lieu baigné de cette clarté.

L’homme avait débarrassé le phénomène de poltergeist de sa gangue de superstition afin de mettre à jour le principe du poltage. Il en avait fait de même pour l’anti-gravité, la télépathie et autres, mais n’avait pas extrait la substantifique moelle de la foi. La foi se dérobait à l’investigation. La foi se suffisait à elle-même et n’admettait pas les faits.

Comment définir la foi ? Quel était son but ? Dans les maintes langues de la Terre antique, quel était le but de ceux qui souscrivaient à la foi ? Terrains de chasse bienheureux, Walhalla, Paradis, îles des élus… où était la foi, où étaient les faits ? Impossible d’en décider, à moins de ne vivre que par sa foi, et personne, à de rares exceptions près, ne vivait plus que par sa foi, aujourd’hui.

Cependant, ne pouvait-il exister, dans la somme de la vie et du savoir galactiques, un autre principe qui s’avérerait transcender la foi et les faits ? Un principe encore inconnu, mais qui apparaîtrait à l’issue d’une évolution intellectuelle dont la durée se mesurerait en ères géologiques ? Clay avait-il, et ce par hasard, découvert ce principe ? Il cherchait des réponses hors du temps, devançait le savoir : par ce fait, il n’aurait fait qu’entrevoir ce principe à venir, mais il l’aurait entrevu.

La foi avait échoué, aveuglée par le flamboiement de sa gloire. Les faits auraient-ils échoué eux aussi, éblouis par l’éclat dur de leur logique ?

Mais, en abandonnant et la foi et les faits, et armé d’un meilleur outil de compréhension, un homme ne pourrait-il chercher et trouver l’accomplissement et le but auxquels la vie aspirait, consciemment ou non, depuis le premier frisson de conscience parmi les myriades de systèmes solaires ?

Lathrop prit le tube de blanc, en dévissa le bouchon, pressa jusqu’à produire une minuscule goutte de peinture. Tenant le tube bien droit, il saisit un pinceau et transféra la petite quantité de blanc sur la brosse.

Il lâcha le tube, traversa le terrier et s’accroupit devant le tableau. Plissant les yeux dans la pénombre, il tâcha de localiser l’origine de la lumière qui baignait le paysage.

Il crut l’apercevoir dans le coin supérieur gauche, juste au-dessus de l’horizon, sans toutefois en être totalement sûr.

Il tendit le pinceau. Le retira.

Oui, ce devait être là. Un observateur se tiendrait sous les arbres, tourné vers la source de lumière…

Attention, songea-t-il. Fais bien attention. Contente-toi d’une suggestion, pour la symbolique. Une touche de blanc, pas davantage. Un trait vertical, un autre perpendiculaire au premier, plus court, plus proche du sommet que de la base.

Le pinceau pesait lourd dans sa main.

La brosse effleura la toile, et il la retira de nouveau.

C’est ridicule, se dit-il. Ridicule et absurde. Mais il n’y arrivait pas. Il ne savait pas comment faire. La suggestion se révélerait maladroite et trahirait l’intention initiale. Ce serait une profanation.

Il laissa le pinceau lui échapper et le regarda rouler par terre.

J’ai essayé, dit-il à Clay.