PITRE NEUF

Etre talonné par le temps représente somme toute un avantage, car cela vous oblige à user de moyens que la réflexion vous détournerait d’employer (17). Un citronnier… Pardon, qu’est-ce que je raconte ! Je voulais dire : ainsi tenez, présentement, à l’arrêt sur le promontoire servant de hauteur qui domine l’hacienda de la veuve Nino-Clamar, je contemple l’immense propriété et je me dis que je suis prêt à tout pour y pénétrer. Le procédé importe peu. Seul, le résultat compte. Air connu ! Qui veut la fin, veut…, etc. Faut pas avoir peur de se rebâcher les lieux communs de notre enfance, mes lapinoches ! Le proverbe populaire, comme les godasses éculées, n’est pas reluisant mais il soulage. Ayez toujours un dicton à portée de la bouche et nous ne blesserez jamais de la pensée.

(17) C’est à des phrases de cette qualité qu’on mesure ce que j’aurais pu donner si je m’étais mis écrivain. au lieu de me mettre san-antonieur. D’accord, je ferais ch’suer tout le monde, mais j’aurais des articles dans les Nouvelles littéraires.
Longeant la route, il y a un court de tennis. Sur ce court un couple fait des balles. Lui est un grand beau mec brun et bronzé ; elle une adorable blonde platinée, bronzée aussi, avec des jambes que je vous recommande pour vos parties de polochon. Elle porte une jupette que le vent retrousse, débusquant ainsi un pétrousquin qui assurerait le succès de vos vacances, quand bien même il pleuvrait à torrents. De temps à autre, au moment de ramasser les balles, le couple se retrouve au filet et se roule quelques pelles voraces. Je suppose qu’il s’agit là de la fille et du gendre de Mme Nino-Clamar. Des jeunes mariés, probablement.

Ma décision, je ne la prends pas, non : c’est elle qui me prend. Elle s’empare de moi sans que j’eusse à barguigner ni n’y songeasse. Faut se laisser aller, dans ces cas-là. Ton lutin intérieur agit pour toi. Fais-lui confiance, mec ! Obéis-y ! Il te mènera toujours sur les chemins de la réussite parce que lui, il a du pif.

Voilà que je sors mon couteau suisse à quarante-huit usages de ma fouille et dégage la lame-serpette. Un vrai petit druide ! J’allume une gauloise, pour faire plus frappant ! Et je fredonne la Druide de Schubert (paroles de Francis Blanche de l’Académie française). Le couteau posé sur le siège voisin, je dévale la pente à petite allure.

La Vévé tintinnabule comme un collier de négresse et pétarade plus fort qu’un bourrin au manège.

Le Santonio, tout son être est tendu, espérez. L’œil clairvoyant, il a. La détente sans cran de sûreté.

Je mate les grilles vertes du tennis. Le court commence à une boucle de la petite route poudreuse comme un rahat-loukoum Sur la droite, en face du tennis, l’est un gros eucalyptus au tronc boursouflé. Voilà qui me convient tout ce qu’il y a de parfaitement.

Je prends un peu de vitesse. Puis, parvenu à deux mètres de l’arbre, je champignonne à bloc, en amorçant un dérapage con trop laid. Ce que je souhaite se réalise : ma Coccinelle part en profil droit contre l’arbre. Même amorti, un choc reste un choc, j’ai beau m’y préparer en me cramponnant au volant, j’en détecte trente-quatre chandelles (y en a deux qui me sont cachées par le pare-soleil).

Pourtant je déambulais pas à plus de cinquante. Après ça vous vous demandez comment il peut subsister parfois un rescapé à bord d’un Boeing qui se plante à mille à l’heure dans le pic Harest !

J’open ma portière, non sans avoir récupéré mon ya qui a roulé sur le plancher. Je fais deux mètres, manière de me placer à l’arrière du véhicule, après quoi je chique au gus commotionné et je me laisse choir sur le talus. Un coup de serpette dans le boudin ! Il rend son âme fragile. Pousse son dernier soupir qu’une toile d’araignée contenait encore. Good bye, goodyear ! And good morninge, Dunlop ! Je glisse le coutif dans ma pocket.

A présent faut attendre un peu. A votre bon cœur, m’sieur-dame ! Le tap-tap des raquettes s’est tu. Je perçois quelques exclamations. Et puis un double bruit de pas sur le chemin. C’est le moment de revenir à toi, San-A. ! Je m’agenouille sur la route. Je suis poussiéreux. Ma pommette droite me fait souffrir. Y ayant porté la main, je constate qu’elle est entamée et saigne. Je me barbouille un peu le visage de mon sang français. Je chique au julot hébété.

Les deux tennismen se pointent en courant. Dieu, que la fille est belle ! De près, elle est féerique. Le mec qui se la respire n’a pas le droit d’en conserver l’exclusivité. Ce ne serait pas moral ! Un crime de lèse-amour ! Et puis d’abord, j’veux pas ! Faut que je lui prenne part au cérémonial. Que je la concélèbre, comme on dit dans la liturgie esthétique. J’en exige ! M’en faut !

— Il est blessé ! écrie la prodigieuse créature dans un espagnol teinté d’accent américain.

— Ce ne doit pas être très grave, murmuré-je (en anglais). Mon pneu arrière droit a éclaté. Rien d’étonnant, voyez le carrosse que j’ai déniché. Dur de faire le rallye de Monte-Carlo avec cette poubelle, eh ? Si j’avais su, j’aurais expédié ma Rolls par bateau. En tout cas, merci d’avoir pris la peine de vous déranger. Je suis navré de perturber votre partie. De même qu’un cigare n’a plus le même goût lorsqu’on le rallume, un match de tennis perd de son mordant quand on l’a interrompu…

Je m’écoute causer.

Je m’exhorte :

» Vas-y, mon gamin ! Chauffe ! Chauffe, Tonio ! Faut que tu les aies au gras-double ! A la menteuse. A la sympathie ! Que t’oublies rien. Que tu frappes tout terrain ! T’es un rupin en vacances ! Un beau garçon blasé ! Gentil ! Drôle ! Le zig de bonne compagnie ! Séduisant ! Courageux ! Oublie pas le geste désinvolte, le revers de main pour étancher négligemment le sang qui te pisse sur la devanture. C’est ta seule chance. Si ça foire, tu pourras plus rambiner, never (Orléans, Blois, Tours et Nantes). Toute la sauce, mec ! Faut les subjuguer, mon frère ! Néglige rien. Sors le grand développement ! Appelles-en à ta pointe de vitesse. »

J’enveloppe l’ensorcelante blonde d’un regard qui filerait des frissons à Sainte-Foy-lès-Lyon vierge-martyre, j’y mets tout mon potentiel séductif. Dans ce regard j’lui parle de mon comportement sexuel. Lui raconte la topographie de mes trois ménestrels. Lui ouvre des horizons salaces vertigineux. Lui pratique le lapin sauteur, le cordonnet abusif, la bougie démoniaque, le ramoneur fantasque. Lui explique la minouche triangulaire. Lui promets mon zémerveil, dans le raz d’Adda (18). Je lui cigogne le parvis ! Lui hisse mon pêne (19). Je lui raconte la manière que Sodome a rencontré Gomorrhe et comment qu’y z’ont fait pour avoir des filles de Lotte (à l’américaine) ensemble ! Je lui déballe ma cartoucherie ! Lui fais espérer le reste ! Me certifie conforme.

(18) Lequel est justement un affluent du Pô !

(19) Y a que moi qui me marre, mais c’est toujours ça !

Je vois dans l’angle droit de sa prunelle gauche qu’elle intercepte le message. Me reçoit cinq sur cinq.

— Regardez un peu ce qu’on m’a loué, exalté-je en désignant la Vévé. Ils appellent ça une auto ! Le plus fort c’est qu’ils semblaient le penser. Un cimetière de bagnoles refuserait de l’héberger. Enfin, si je suis blessé, elle, du moins, est bien morte ! Ce sera ma consolation. Je viens très probablement de sauver des vies ! Je lui ai porté l’estocade ! Olé ! Motte la bête ! M. Volkswagen verrait ça, il en avalerait la Croix de fer de son grand-père ! Je vais arracher le sigle. Par pudeur ! L’Allemagne ne mérite pas cette infamie ! Elle a assez souffert, la malheureuse, avec toutes ces invasions et ces réévaluations. Voilà qui est fait. La carcasse est anonyme ! Bon pour la fosse commune ! Pas d’inscription, ou alors si : ceci fut une auto jadis, voilà tout ! Quelle folie fis-je de venir à Tenerife sans voiture. Moi qui en ai quatorze ! Neuves ! Mon vice c’est de les roder. Notez qu’une Rolls ça ne se rode pas. On vous la livre avec toutes ses avaries de vieillesse. Elle sent le neuf, mais c’est du chiqué. Un parfum d’usine. Une illusion. Elle est canonique dès le berceau. C’est une messe de requiem ! Belle, noble ! Avec grandes z’orgues ! Mais ici les chemins ne sont pas conçus pour. Inaptes à la recevoir. J’eusse mieux fait de m’expédier l’une de mes Porsche. Petits coursiers fringants ! Pur-sang arabes ! Ou non, attendez, une Alpine de ma chère France. Une merveille ! Une montre suisse ! Le rêve ! La mobilité sur quatre roues. La vraie, celle qui vous rend léger et puissant, invincible ! Une Alpine occulte ! Qui régénère, qui Régie Renault. Petit bouquet de chez nous ! Bluet, marguerite, coquelicot ! C’est la bicyclette de l’homme moderne. Ne jamais se déplacer sans. L’Alpine dans le train, toujours ! Jamais forget ! Quand je pars en voyage et que je fais ma check list dans ma salle de bains, je me la récite en bon ordre. Entre ma brosse à dents et mon rasoir électrique. Avant l’after shave… Alpine ! Ici, c’eût été l’idéal. Tiens, au fait, je vais me la faire expédier en express.

— Vous saignez ! dit la femme en riant. Venez vous faire panser au lieu de plaisanter.

— Je saigne ? feins-je.

» C’est ma foi vrai. Bast ! il n’importe. Six litres, madame, quelle réserve ! Et je réassortis très rapidement car je me paie une pinte de bon sang toutes les cinq minutes, étant d’un tempérament optimiste ! Enfin, puisque vous avez la bonté de me proposer un brin de toilette… Je m’efforcerai de ne pas trop éclabousser le carreau de votre buanderie,

— Vous avez eu de la chance ! note l’homme en espagnol.

— C’est ce qu’on dit toujours aux gens dont la malchance n’est pas allée au bout de son propos, réponds-je. Vous ne pouvez pas savoir le nombre d’hémiplégiques, de manchots, de borgnes, de dératés, de trépanés, auxquels on est en train de dire, à cette minute même, qu’ils ont de la chance.

Nous passons un portail de bois orné de gros clous gaulois (à têtes rondes).

— Vous êtes français ? murmure la fille.

— A perdre haleine, madame.

Elle dit je ne sais quoi à son compagnon, lequel regagne le court de tennis. Moi, je regagne le cours de mes préoccupations. Il ne pense qu’à la soirée de mercredi, Sana. Objectif unique. Et pourtant je n’ai pas d’ordre concernant la chose. Je prends cette initiative sous mon bonnet. Au pif. J’oublie « l’Homme » au bénéfice de sa mission. Ce qui revient à dire que je laisse quimper la mienne pour la sienne ! Tout ça est vraiment pas banal. La pensée de Marie-Marie placardée quelque part dans l’île ne me taraude pas outre mesure. Cependant elle est entre les pattes d’une bête féroce. Un type qui a fait autant de morts que la bataille de Stalingrad…

— Français de Paris ? roucoule la blonde.

Si c’est la fille de la veuve Nino-Clamar, elle doit habiter les U.S.A. depuis sa prime enfance, car son accent est drôlement marqué. Par contre, son époux, lui, est Espanche pur fruit. Bagué hidalgo garanti ! Avec un quèque chose d’aristo décadent. Un petit grand d’Espagne, quoi, en fait !

— De Paris, oui, madame. Marquis Antoine de San-Antonio, pour vous servir.

Elle miaule un « Aoooô » charmé.

On a beau se démocratiser, se faire masser le pied de veau et tatouer la faucille et le marteau sur l’enclume, un titre nobiliaire (comme la vésicule) produit toujours de l’effet. Dans la haute, comme dans la vraie société. Le jour qu’ils te foutront, Jean Rostand à la une de Jours de France en non-lieu et place de la princesse Mabraguett de Danemark ou de la reine Ellalerbeth II d’Irlandie, ce jour-là, oui, tu pourras croire qu’il y a quelque chose de changé dans le royaume de France (-Dimanche) !

— Marquis, dit-elle.

— Par mon père, oui, madame. Mais, malgré notre noblesse, nous ne sommes point pauvres et nous pouvons payer les tuiles neuves de notre château de ma fille, car nous avons réalisé une jolie fortune dans les parfums.

— Dans les parfums ! Mais c’est merveilleux. Comment se nomme votre marque ?

— Royal-Bérurier, madame.

— Et c’est quoi, votre spécialité ?

— Nous sommes des généralistes de la senteur. On fait tout dans nos usines de Grasse, depuis « l’odeur à lécher », jusqu’à la « Grasse-Mâtinée », en passant par l’eau du quai de Javel. 12 000 litres de parfum sont distillés chaque jour, à 100 nouveaux francs le centilitre ; je vous laisse calculer notre chiffre d’affaires quotidien car je n’ai pas mon ordinateur sous la main.

Ça y est, mes jolies pendardes : elle est ferrée, la blondinette. Je l’amuse. Elle en reveut. Son regard vert pétille. La volatile-pas qui me chope par le bras. M’emmène dans ses appartements privatifs, lesquels sont situés au reste-chaussé de la magnifique demeure. Je ne vous décris pas cette dernière. Une maison de grossium, vous savez. ça ressemble à une autre, comme l’appartement 3024 du bâtiment A d’un H.L.M. à l’appartement 3025 du bâtiment B d’un grand t’ensemble.

La seule chose qui diffère sensiblement, c’est la situation de la piscine par rapport à la maison, et aussi la tenue des larbins, parfois. Etre très riche, c’est comme être pauvre : ça évite d’avoir de l’imagination. Les très pauvres se meublent au bazar, les très riches appellent un décorateur. Tous les bazars et tous les décorateurs se ressemblent et proposent les mêmes solutions. Qu’est-ce que je voulais vous dire ? Ben non, rien… Ah ! si : l’appartement privé de la belle blonde. C’est pas la première fois qu’une bergère de la gentry (comme on dit en littérature agréée par l’Etat) m’emmène dans son boudoir, puis dans sa salle de bains. Ce ne sera pas non plus la dernière. Chaque fois ça me fait plaisir. C’est doux, soyeux, capiteux et ça sent bon le machin de prix. On marche dans et non sur de la moquette. Les portes sont capitonnées de satin et y a des gravures Louis XV qui représentent des mères Pompadour en train de jouer a la bergère avec des cannes enrubannées, pendant que des mectons perruqués leur débitent des conneries, le tricorne plaqué sur la poitrine.

La déesse des tennis me fait asseoir sur un tabouret. Armée d’alcool et de coton, la v’là qui joue à l’infirmière. Les bonnes femmes adorent ça. Quand elles peuvent maculer leurs jolis doigts avec du sang d’homme, elles sont dans le bonheur.

— Ça fait mal ? elle demande.

Ça me fait d’autant moins mal que j’ai le nez dans l’échancrure de sa chemisette blanche, pile à l’endroit où un bouton n’est pas agrafé. Vue saisissante sur ses poids d’horloge bien remontée. Un joyau de la nature ! Elle a une merveilleuse odeur de sueur. Quèque chose qui vous bouscule dans les vertiges. Je me mets à penser à des machins tellement salingues que si je les écrivais ci-dessous vous me prendriez pour un écrivain porno et que les Danois m’achèteraient les droits.

— Vous habitez l’île toute l’année ? je susurre, manière d’embrayer la bétonneuse.

Car faudrait tout de même penser au boulot, mes frérots ! Pas laisser chuter le côté professionnel, qu’ensuite, même s’il revenait au galop, il risquerait de trouver le pont-levis remonté.

— Oh, non, j’y viens un mois l’hiver. Le reste du temps, j’habite Madrid et New York.

» Tiens donc, comme sa maman », me dis-je.

— Puis-je savoir votre nom afin de le réciter dans mes prières, madame ? galantiné-je.

— Dorothy Nino-Clamar.

Sur l’instant, je pige mal. Comment se fait-il qu’elle ait gardé son teint et son nom de jeune fille ?

Ma chandelle s’éclaire dans les secondes qui succèdent.

— Je suis veuve, me dit-elle. Depuis quatre ans. Je m’occupe des affaires de mon défunt mari, avec l’aide de sa fille et de son gendre que vous avez vu.

Pour une stupeur, c’est une surprise, hein ? Je la pressentais pas du tout commak, la dame Nino-Clamar. Je me figurais la veuvasse espagote, avec mantille noire, robe noire, visage de cire, regard baissé. Et qu’est-ce je tombe sur quoi ? Sur une pétulante Américaine d’une trentaine damnée, belle à faire dégobiller les plus belles danseuses du Casino de Petit (là que Zizi interprète la chanson de Roland). Une sœur tellement frénétique du concasseur que je vous en mettrais la main aux fresques qu’elle s’envoie son beau-gendre !

Ah merde, moi j’en peux plus de constater ça. Et puis cette douce paluchette qui me promène du coton imbibé, lentement, lentement sur la frite, comme soucieuse de faire durer le plaisir. Y a de quoi accrocher ses bitos à la patère (noster) du vestiaire en laissant sa tête à l’intérieur ! Sont-ce les vapeurs de l’alcool à 90° qui me chavirent ?

Ce n’est pas faire preuve de misérabilisme intellectuel que de le supposer. Toujours est-il que mon bras droit se pose au bas de la chute de reins de Dorothy.

Ça s’appelle jouer son va-tout. Au lieu de rebuffer, la petite Nino-Clamar a un léger sourire et elle cambre le dos pour s’approcher plus fort. Ayant déjà le pif dans son décolleté, que voulez-vous que je fasse de mieux, hein ? Bon, je le fais tout de même.

Une envolée sublime, mes petits canailloux.

J’aurais pas la modestie chevillée au corps, parole, je serais content de moi.

Du point de vue technique, surtout.

On arrive à réaliser des exploits pleins de prouesses, de nos jours. Y a un dépassement de l’homme très net. Une formidable conjugaison des sens et du muscle.

L’énergie et le sensoriel en étroite union, mes poules. Joignez à ça une précision diabolique. Une économie de mouvements rendant ceux-ci totalement efficaces.

Faudra bientôt qu’on organise les Jeux olympiques de l’amour. Ça s’impose. Et puisque les Nordiques ont ouvert les portes, soyons pas bêcheurs : allons inaugurer chez eux cette nouvelle discipline.

Là, oui, on verrait du sport en chambre authentique ! De la compétition farouche. Une empoignade féroce, question prestige national. Espérez : ça serait plus les Amerloques et les Ruskoffs qui monopoliseraient les médailles. Finito, le règne des grandes puissances. Les petits auraient leurs chances. Ça se bigornerait noirement entre Méditerranéens. Tiens, je vois une razzia française en Minette géante. L’or, l’argent. Le combiné ! L’Italie en vitesse pure, probable. Au spécial, on aurait sûrement du suif avec l’Espagne et le Liban. Les épreuves de Sodomie polyvalente verraient le triomphe d’un pays de la Nord-Afrique, vous pensez ! A moins que les Grecs… Y a que pour les imposés du bouillavage artistique qu’on pourrait, les Latins, se faire souffler l’or par un patelin tel que l’Autriche ou la Tchécoslovaquie. L’Onanisme reviendrait probable à un Scandinave quéconque, de même que le Zob à quatre. Ah, le baron Coubertin avait pas prévu la découlade de son initiative. L’essentiel est de participer, il a dit.

J’opine.

Et pour participer, je participe, craignez rien.

Surtout que la tenue de Dorothy se prête aux ébats impromptus. Un geste à faire pour lier complètement connaissance avec elle ! Certes, une salle de bains n’est pas un territoire idéal, niais j’aime bien le pique-nique en amour. On rivalise d’ingéniosité, tous les deux. Elle a droit, avant toute chose, au tabouret pivotant. Ça, c’est l’abaissé du métier. Et la mandoline Jacob-Delafon, dites, vous connaissez ? Avec jet ascensionnel ? Le coup du lavabo n’est pas mal non plus. Le côté « reste accoudé au balcon, tu vas voir passer les coureurs » ! La savonnette bondissante ! Le manche à brosse vibrant. Le coup de peigne à Brutus ! La vaseline marocaine ! Toute la lyre, quoi, dirait Victor Hugo.

Et j’attire votre attention à l’écart, mes gredins : cette séance s’opère en un laps de temps record. Du concentré d’émotion. La bande-annonce de mon long métrage ! Des amuse-c… ! Mais quelle ardeur ! Quel synchronisme !

Je la laisse quimper en fin de pâmoison, en lui expliquant comme quoi on est un peu traqués par l’horaire et que de toute façon, cette conversation gagnerait à être poursuivie ultérieurement en terrain plus propice.

Elle prend ma tête à deux mains. Deux cernes pleins de tact soulignent son regard reconnaissant. Ses lèvres se posent sur ma pommette entamée. Quand elle les retire, un petit coquelicot pourpre fleurit au milieu de sa bouche.

— C’est beau, Paris, elle murmure…

Gentil, non ?

— Ça va mieux ? demande (fort à propos) le gendre par alliance(s) de Dorothy.

Il a passé une laine sur sa chemisette, une serviette-éponge verte à son cou. Il sourit à grandes dents blanches.

Mme Nino-Clamar fait les présentations. Le pénisman se nomme… Attendez, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Comment ? Vous vous en foutez ! Bon, alors il s’appelle Alonzo Balmasquez y Suerunpazo, voilà. C’est marrant, hein ?

— Où est Inès ? demande-t-elle.

— Elle vient ! Elle était en train de préparer la table pour mercredi soir avec l’abbé Schmurtz ! Tenez, ajoute-t-il comme au théâtre, lorsqu’un acteur se tourne vers la coulisse : les voici, justement.

Car, au théâtre, vous avez remarqué que ça se passe toujours ainsi, les entrées. On prévient à l’avance. On dit : « J’entends mon mari qui arrive ! »

Les portugaises drôlement exercées, l’acteur, car tu parles qu’on entend ballepeau. Si, parfois, un ronflement de voiture ponctué d’un claquement de portière. C’est toujours le même bruitage qui sert. Ils se le refilent, à Paris, dans les théâtres depuis soixante ans. L’auto qu’a servi pour l’enregistrement, c’était une Voisin d’avant 14. Je reconnais le ronron pour l’avoir entendu au musée du son de chez Sinotone. Là-bas ils ont des taste-bruits hautement qualifiés, pour la mise au point des appareils acoustiques. Pas moyen de les berlurer. Les yeux bandés, dans le noir, tu leur fais écouter des machins très chinois et ils t’annoncent, illico :

— Pet de jeune fille traversant le pont des Arts ! ou bien : Chute d’une pièce de vingt-cinq centimes trouée d’avant guerre. Ou encore : Bâillement d’écureuil dans la forêt de Fontainebleau. Voire : Projection séminale contre l’ardoise d’une pissotière ! Des as, je vous dis ! Le tympan de Notre-Dame ? De la quenouille comparé au leur !

Mais je m’écarte.

Ayant été annoncée, Mme Inès… (comment je l’ai appelé, déjà, son jules ? Ah oui, ça me revient : Balmasquez y Suerunpazo ! Seulement, si c’est poilant avec Alonzo, avec Inès ça tombe à plat, tant pis, je vais pas revenir en arrière).

Mme Inès Balmasquez y Suerunpazo (les noms espagnols sont très avantageux pour nous autres, sous-littérateurs, car ils nous permettent de tirer à la ligne. Et encore, reconnaissez-le, moi j’abuse pas. J’en sais, tiens, sans vouloir cafarder, ils te foutraient trois lignes de noms, les vaches), reprends-je, pénètre dans la pièce,

Ce qu’il y a de marrant dans cette famille, c’est que c’est la belle-fille qui semble être la belle-doche, et lycée de Versailles. La quarantaine. Sèche, grave, anguleuse, jaunasse, hostile d’instinct, vêtue austère, elle fait descendante d’inquisiteur. Son catholicisme lui dégouline par tous les pores (si elle est Franco d’opinion, elle n’est pas Franco de pores). Doit avoir dix piges de plus que son époux, cette rancerie ! Je comprends qu’avec un tréteau pareil, il préfère s’embourbiller belle-maman, Alonzo, pour se donner du changement. Avec Madame sa dame, ça doit pas être Byzance, question radaduche.

Voyez chemise à trous, tous feux éteints ! Oraisons et toutim ! Après les conjugâteries, elle use de la prière plutôt que du bidet, mâme Inès. Chez elle, laver Maria ça remplace les petits Cadum qui te refont la santé.

— Inès chérie ! Voici le marquis de San-Antonio qui a eu un terrible accident sous nos yeux !

La dame a une inclinaison du buste. Vous croyez qu’elle me tendrait sa botte de salsifis ? Que tchi ! Marquis ou non, je suis nouveau, parachuté à l’improviste, elle n’aime pas. Se méfie, la vache. M’est avis que pour ce qui est de l’invitation espérée, je peux me l’arrondir !

Je tente le grand jeu, néanmoins. Les haridelles, faut pas se laisser intimider. Les charger pareil que si elles étaient pinupes. Ce regard que je lui vote, tatan Louise ! Je joue le court-circuité. Le zig qu’a le choc. Ne peut s’en défendre ! Terrassé par le coup de foudre brutal ! L’œil en collision ! Le masque révulsé par l’émotion ! La bouche béante du moribond qui cherche à s’enfourner des petits reliquats d’oxygène…

Croyez-moi, ou allez faire prendre votre température avec un plantoir de jardinier, mais elle m’accuse réception, Inès. Au léger voile qui passe dans son œil, je détecte une espèce de début de trouble. On sent qu’in petto elle en appelle à sa sainte patronne pour lui réclamer de l’aide. Elle tient à son salut éternel, quoi, merde ! Veut pas se laisser catapulter dans les enfers ! Quarante ans qu’elle tient bon la rampe de l’escalier conduisant au paradis, elle va pas sottement se prendre le pied dans un trou du tapis, sans blague ! Surtout que le camarade saint Pierre, il blague pas avec les Ibériques. Indulgence, mon culte ! Quand t’as le clergé sur l’évier, avec un gouvernement qui t’apprend à bien penser, tu peux toujours te fourbir l’eczéma à chercher des excuses au péché. Intransigeant, Pierrot ! Faut voir comme il t’épluche le dossier lorsqu’il apprend que t’es Espanche ou Portugais (comme un pinson). Fils de Charles Quint ou d’Isabelle la Catholique, tu peux te gaffer à l’examen d’entrée ! Pour toi y a pas deux sessions ! L’oral raté, c’est Mister Satan qui te prend possession ! Zou ! A la marmite norvégienne ! Chauffe, Marcel ! Chauffe ! Chauffe !

Il n’empêche qu’une femme (même espagnole) est une femme. La trouille de la damnation la retient de pécher, pas de frémir.

Or, Inès, je l’ai fait frémir.

Je ne dis pas ça par vantardise, c’est pas mon genre. Simple souci d’exactitude.

— Permettez-moi de vous présenter M. l’abbé Schmurtz, murmure l’épouse hautement légitime d’Alonzo Machin-Chose.

Les clés s’y astiquent fait un pas en avant. Il est en soutane, ce qui ne se fait plus guère qu’en Espagne. C’est un beau jeune homme roux et rougissant, au sourire modeste.

Il me tend une main délicate, nerveuse, tiède. Je la lui presse en lui décochant une œillade salingue. Je peux me le permettre, tout sacrilège mis à part, vu que ce frêle abbé, j’ai eu l’honneur et l’avantage de me le farcir pas plus tard que la nuit dernière.

Il s’agit du faux Charly Weeb.

« Celle » que j’ai délicatement baptisée Eve, au cours de nos transports en commun.