PI DIX (20)

Franchement, je voudrais pas me mettre des gants blancs et des chaussettes noires, mais vous avez une sacrée rude chance que j’appartienne pas au syndicat des auteurs de conneries, sinon vous pouviez vous filer la grosse tringlette pour ce qui est des coups de théâtre à répétition. Quand on a sa carte d’adhérent, on est tenu à pas dépasser deux C.d.T. (21) par livre, sinon c’est l’amende recta ! La commission de contrôle diminue tes points pour la retraite vieillesse. T’es blâmé sur le bulletin mensuel. Tu parles d’une honte pour la famille. Surtout que ça se répète, ces choses-là ! Faute professionnelle, c’est jamais reluisant. Les voisins chuchotent : « Vous savez que San-Antonio a eu un avertissement avec effet sur son coefficient, pour avoir abusé de coups de théâtre dans son dernier polar ?

(20) Quel cossard, ce San-A. Déjà il écrivait « PITRE » au lieu de CHAPITRE. Et voilà qu’il en est à PI (3,1416). Où cela va-t-il s’arrêter ? (Un éditeur inquiet.)

(21) C.d.T. : coups de théâtre.

« — Pas possible ! Mais dites-moi, l’an passé, on avait pas déjà sévi contre lui, pour abus de métaphores ?

« — Mais oui : il avait eu son permis de néologismes retiré pour trois mois ! »

Textuel !

Tout ça vous explique pourquoi ils sont tellement tartants, la plupart des romans à 3 francs : les auteurs, qui serrent les noix, ratiocinent pour pas se faire radier du syndicat. Moi, individualiste comme pas deux (si je puis exprimer ainsi), je suis pas assujetti à ces problèmes de dosage. Je peux me permettre de faire acte, comprenez-vous ? De pas pleurer la camouze. J’ai pas d’horaires ni de jours fériés. Bref : I am mon maître ! Bien sûr on me fait la gueule et je marche sur un parterre de crachats, mais je n’en ai cure, comme on dit à Vichy. Conscience avant tout ! Seul compte le client ! Service à domicile ! Je suis le Potel et Chabot de la littérature. Le traiteur toujours disponible. Je peux vous traiter de cons à toute heure du jour et de l’ennui. Vous traiter d’enviandés, de cocus, de fanés, de débiles, de minus, de fumelards, d’impossibles, de détraqués, de truqueurs, de trouducs, de détracteurs, d’endoffés, de vilaines, de gâtés, d’amoindris, de parjures, de gaullistes, de salopes, de cames, de blasphémateurs, de camés, de sobres, de sombres, de sabreurs, de massues, de masturbés, de généraux, de porcs épiques, de trous, de sodomisés, de bilieux, de gaullistes, de crâneurs, de rapporteurs, de rapporteuses, de judas, de burnes creuses, de prévaricateurs, de scandaleurs, de gaullistes, de filandreux, d’évasifs, de naïfs, de débandeurs, de chetouillés, de colonels grecs, d’amerloques, de loques, de pandeloques, de breloques, de princes consorts, de reines qu’on rentre, de rois des cons, de valets, d’avalés, de cons, de cons, de cons, de cons, de cons et surtout, oui, surtout, de cons !

Je peux !

Merci, mon Dieu : je peux !

Donc je suis !

Je suis des vôtres. Je suis des veaux. Je suis des dévots.

Bien, je m’arrête. Fallait laisser couler ma crise. Me dépurer.

Je retrouve mon calme.

Reviens, non à mes moutons, mais à mon pasteur : en l’occurrence l’abbé Schmurtz.

Il ferait bien d’habiter rue des Abbesses, cet abbé-là. C’est l’abbé C du métier. Une drôle de frénésie chez mon Eve que de se muer en Adam. Ça cacherait pas des mœurs ambiguës, à votre avis ?

Parce que faut pas croire, mais des tas de gens vagabondent d’un genre à l’autre. La viande sur pied les embrase, n’importe le sexe de l’animal.

— Mes respects, monsieur l’abbé.

La veuve Zigzig reprend le monopole.

— Le marquis est un garçon inouï, dit-elle. Il faut absolument l’inviter pour mercredi.

Vous me joueriez le troisième concerto de Jean Pétarde pour violons et godasses à clous, je ne serais pas charmé davantage, mes brebises. Quelle musique divine ! Quelle sonorité inoubliable ! Cette tessiture, qu’al a(s) ! J’appuie une œillade de douze tonnes cinq sur Mme… (je me rappelle encore plus son nom) bref sur Inès.

Je mets une charretée de suppliques dans ce regard puissant comme un électro-aimant à soulever les sous-marins. Le côté : « Ah, belle dame qui m’éblouissez, de grâce, renchérissez. Faites de la suggestion de Dorothy une merveilleuse certitude. »

— C’est sûrement une bonne idée, renchérit doucement l’abbé.

Une vraie jouvence, quand l’abbé sourit (22).

(22) Excusez, je chute dans le facile depuis un instant, mais je vais me reprendre en main avant bientôt.
Il semblerait que la cause soit entendue, à partir de cette petite phrase.

— J’en serais ravie, murmure Inès d’un ton pas convaincu.

Dorothy m’explique.

— Nous avons un dîner, mercredi. Quelques personnalités en vacances à Tenerife. Des gens plutôt sympathiques, vous verrez. Car c’est d’accord, n’est-ce pas ?

— Mon Dieu, madame, le moyen de refuser une invitation lancée avec tant de gentillesse…

— Il y a une marquise de San-Antonio ? demande Inès.

— Oui, madame, mais elle est ma mère.

— Priez-la de se joindre à vous.

— Merci, mais elle ne saurait venir, car elle s’occupe de mon petit neveu, le vicomte Antoine, un ravissant bébé qu’elle a voulu amener au soleil.

Alonzo sert des drinks. Il paraît rêveur depuis un moment. L’abbé profite de ce que les « deux » dames discutent entre elles pour me tirer à l’écart.

— Bravo, murmure-t-elle. Vous ne perdez pas de temps !

— Une des caractéristiques de ma maison, monsieur l’abbé. Mais dites-moi, ne seriez-vous point un descendant de Fregoli ? Sous quelle défroque vous trouverai-je la prochaine fois ? Pompier, aviateur, shérif, garde pontifical ?

— Nue ! me répond langoureusement Eve en me filant une œillade qui me dévale jusqu’aux aumônières.

— Tu veux que je te dise, Alexandre-Benoît ? Tu le veux ? Tu l’as déjà dit ! soupire le Gros.

— Alors tu veux que j’te répète ?

— T’as répété, Berthy. Au moins cent fois, et j’en passe !

— Je tiens à ce que t’y saches par cœur ! Ce que t’es, c’est que t’es pas un homme, voilà ! Rien dans ton froc ! Du vent, des azurs, un nuage !

— Ecoute, Berthe, t’as pas le droit de crier ça à un monsieur qui te fait fumer le derche comme dont je le fais ! Deux fois par jour ! Régime vacances ! La trique matinale et la rincelette de la sieste polissonne ! Si j’ai rien dans mon froc à ce tarif-là, va voir chez les Grecs si j’y serais !

— Fais pas le mariolle, crème d’ahuri ! Tes coups de brosse express, j’en ai rien à branler. D’abord, quand je te dis que t’es pas un homme, c’est pas de ton tiroir à déchets que je cause, mais de la manière dont tu comportes lâchement ! T’es objecte, Alexandre-Benoît ! Flic de mes fesses, je le certifie ! Rester les bras croisés pendant qu’on ne sait pas ce dont il est devenu de Marie-Marie, moi, j’ai le sang qu’en tourne au vinaigre ! De te regarder, c’est la nausée, pire que jamais une indijection de tripes à la mode. Même pas foutu de prévenir les poulets d’ici ! Y sont p’t-être moins connards que toi, les matuches espagnols ! Si tu obstines à pas broncher, moi j’y vais, au commissariat.

— Laisse quimper, bichette. San-Antonio s’en occupe.

— Tu veux que je te dise, TON Santonio ?

— Non, dis-le pas, c’est un ami !

— Ah là là ! Des amis comme ça, je t’en fais un avant le petit déjeuner chaque matin ! Grande gueule, œil de velours, mais l’incapabilité même, ce zouave ! Qu’il fusse été nommé commissaire un jour, ça me démonte ! C’est baroque ! Ça cache quèque chose ! Je parie qu’il est franc-plâtrier, ou pédé ! Juif, peut-être, mine de rien. Tu veux parier qu’il est juif ? Tiens, non, je sais : gaulliste ! Sa grande gueule impertinente, c’est pour cacher la merde au chat ! Il vous amorce à dauber sur le pouvoir, pour mieux vous tirer les vers du nez ! En douce il vous dénonce ! C’est une barbiche ! Vous vous retrouverez révoqués un matin, et ça viendra de lui. Un indicateur ! Il pue le traître ! Dis. ces vacances à la gomme, en douce c’était pour mijoter une louche combine, hein ? Seulement, qu’est-ce qu’en fait les frais ? MA nièce. Parce que Marie-Marie, c’est MA nièce. Et je morfonds dans l’angoisse et le chagrin pour cause de cet apôtre de malheur ! Ce greluchon pédant ! Ce vaurien sans cœur ! Tu penses s’il s’en tamponne de ma nièce. On peut la niquecaper, la séquestrer, la violer ! Au plus qu’on la torturera, cette pauvrette, au plus que ton Santonio de merde mouillera de plaisir. Tu veux que je te dise pourquoi, Alexandre-Benoît ? Tu le veux absolument ?

— Si tu le dis, je t’emplâtre le museau, eh, grosse vache !

— Parce qu’il est sadique ! tonne la Baleine.

— T’oserais pas répéter une chose pareille, Berthe, fait la voix blafarde du Mastar.

— Il est sadique ! redit-elle hardiment.

Il y a un silence d’affrontement. Puis le timbre ravagé du Gravos retentit.

— Tu veux que je te dise, Berthe ?

— Dis-y.

— T’es injuste.

— Ah bon, la meilleure ! Moi, injuste ! On me drogue que j’en perds conscience, on me vole ma nièce unique, et faudrait que je me réjouissasse. Que j’en reveuille ! Ces deux glands de flics attendent en lichetrognant le bon vouloir du niquecapeur, seulement c’est moi qu’es injuste ! Tu veux que je te dise, Béru ?

— T’as assez balancé de conneries, grosse !

— Je commence d’y voir clair dans votre jeu, aux deux !

— Ah bon ?

— Officiel ! Et tu veux que je te dise ?

— Vas-y, dégouline : une cruche renversée, faut bien qu’é se vide !

— J’y vois clair dans vot’ jeu, aux deux !

— Ça, tu l’as déjà dit. A présent, chante-le-nous, ça changera. Tu vois quoi t’est-ce dans notre jeu, hein, grosse salope ?

— Vous êtes deux pédales, lui et toi ! Deux vilaines frappes qui se fourrent à tour de rôle. C’est signé Fatal ! Automatique. Je m’esplique pas autrement, vot’complaisance ! T’as viré tantouse, Alexandre-Benoît ! Il t’a z’eu aux manigances ! Tes mœurs ont parti en vaseline, bougre de grosse fiotte !

— Tu veux que je te dise, Berthe ? Tes insinuations, je m’en torche. J’ai ma conscience pour nous, San-A. et moi. Elles me mettent seulement pas en renaud, au contraire, j’en rigole. Regarde ah ! ah ! ah !

Un bruit de gifle interrompt la fausse hilarité de mon ami.

Bref silence.

Puis Béru :

— Ah non, j’insurge, pas de ça ! T’oserais gifler l’homme, Berthe ! Tu te permettrais ?

Re-baffe, plus retentissante que la précédente.

— La preuve ! déclare une Berthe essoufflée par la violence de l’impact. Se marrer comme un con tandis que sa nièce est raptée, je tolérerai jamais ! Laisse qu’on rentre à Paris, Alexandre-Benoît, et t’assisteras au divorce du siècle.

— Le divorce ! Quel divorce ? bafouille le Malmené.

— Le nôtre ! Je le vois gros comme une maison ! J’ai une vie à refaire, moi, môssieur Bérurier ! Des années mariée à un épédérastre, merci bien, j’ai mon compte ! Ma claque ! Etre tortionnée par un type sans cœur ni roustons qu’on lui niquecape sa nièce en sa présence sans qu’il lèverait le petit doigt ! Ah non, stop ! Arrêtons les frais ! Je crie pouce. En arrivant, je fonce chez mon avocat.

Un barrissement. Un coup sourd. Un cri.

— Et çui-là, où qu’il a couru, dis, morue ? Droit à tes miches, non ? Et c’t’autre, là ! C’est pas du shoot d’avant centre sectionné en équipe nationale, bougre de grosse saloperie ? Laisse que je t’arrange à ma manière. Tant qu’à faire, tu sauras pourquoi tu divorceras, enflure !

Il m’apparaît que le moment d’opérer une diversion est arrivé. Je pousse la porte entrouverte derrière laquelle je me tenais, comme au bord d’une fosse zoologique enfermant un couple d’animaux aux mœurs mal connues.

L’art de vivre consiste à ne pas abuser des spectacles scabreux. L’Homme doit s’emmener promener dans les régions en friche de la personnalité, mais prendre soin de ne pas en franchir les limites sinon il n’arrive plus à décrotter ses godasses.

— Salut, les amoureux ! lancé-je jovialement. On peut entrer ?

Berthe est écroulée en travers d’un canapé. Le Gros, plus violet qu’un banquet d’évêques (23) est arc-bouté pour une nouvelle charge.

(23) Certes, à présent ils sont en civil, mais ils continuent de bien bouffer.
Mon intrusion apporte un oxygène neuf en cette pièce lourde de miasmes.

— Tiens, on bavardait à ton sujet. murmure le Colérique. Berthy me faisait gentiment observer comme quoi qu’on devrait affranchir les matuches d’ici rapport à la raptation de Marie-Marie.

— Toujours rien à son sujet ?

— Non, mec. C’est le black-boule complet. « L’Homme » s’est pas annoncé. Ce qu’il mijote, tu voudrais que je te dise ? Ça me file les copeaux. D’un assassin aussi criminel que lui, tu peux tout redouter.

Je secoue la tête.

— Quel intérêt aurait-il à faire du mal à Marie-Marie ?

— Ne serait-ce que pour la faire tenir peinarde. Il est remuant, le moustique.

— Penses-tu : c’est une carte qu’il garde dans sa manche pour la jouer le moment venu.

La Baleine, que nous avons négligée pendant le début de cette aimable conversation, se relève et se met à fureter dans la pièce, avec la frénésie d’un porc qui ne retrouve pas son auge.

— Qu’est-ce tu cherches, amour de ma vie ? s’inquiète l’Affable.

— Quéque chose, répond-elle, avec comme de l’évasif dans l’intonation.

Elle le trouve.

S’agit de la manivelle servant à monter le store à lamelles (et, accessoirement, à le descendre). Celle-ci est pliante, avec une longue tige métallique dont l’extrémité du haut est accrochée à l’enrouloir.

— Tu vas à la pêche ? rigole Alexandrovitch-Benito.

— Tiens, vérolerie ! hurle brusquement la houri en abattant le tube d’acier sur le crâne de son tourmenteur !

Béru a eu le temps d’une légère parade. Il n’en prend pas moins la manivelle sur son gros pif, lequel explose comme une tomate lancée depuis la planète Nut’s (pardon, je voulais dire la planète Mars, voilà que je me goure de friandise). Le raisin généreux du Mastar éclabousse l’alentour.

Franchement, y a un peu de mésentente dans le ménage. Le couple bérurien traverse l’une de ces périodes un tantinet soit peu grinçantes qui dorent l’auréole du célibat.

— Voyons, m’écrié-je. Vous perdez la tête, Berthe !

Je veux lui arracher son arme dont le contondement mis au service de la rage berthière me paraît dangereux. A cet instant (comme on dit dans mes livres) une voix sèche et forte retentit :

Alto las manos !

Ce qui, traduit tant mal que bien, de l’espagnol, veut dire « Haut les mains ».

Ça nous sectionne le sifflet à tous trois.

On mate en direction de la porte et nous apercevons deux messieurs très bruns vêtus de costars clairs à rayures, tenant fort poliment leur chapeau de la main gauche et leur revolver de la main droite, ainsi qu’il est conseillé de le faire dans tous les bons manuels de savoir-vivre de Tenerife.

— J’ai dit : Haut les mains ! répète l’un d’eux en mauvais-anglais-d’école-secondaire-espagnole.

Et comme, saisis de stupeur, nous ne bougeons pas, son camarade reprend :

— Il a dit : « Haut les mains ! »

En allemand-touristique-de-l’école-hôtelière-des-Canaries.

— Pourriez-vous le répéter en français ? je soupire, mes amis ne parlent pas d’autre langue.

— On peut, assure le premier des deux intempestifs.

Et de lancer au couple de bovidés.

— Las manos en l’air !

Dès lors, nous obtempérons (I’obtempérance étant la mère de toutes les qualités).

Ils sont curieux, les duettistes. Un beau tandem. L’on dirait, à première vue, des gens de music-hall. On détecte un côté acrobate-cycliste chez ces messieurs. Mais, à deuxième vue, comme disait mon ami Lissac, on pige que ce sont des flics.

Espanches, pittoresques, fringués voyant, fleurant la friture à l’huile et le cosmétique, oui, mais poulagas en vert et contre toux.

On pourrait les croire du même âge.

Et même frangins. Parole : ils se ressemblent.

Pas antipathiques, au contraire. Ils devaient être marchands forains avant d’entrer dans la rouquine. Y a je ne sais quoi qui colporte encore dans leur individu.

— Police ? demandé-je.

— Oui.

— Nous aussi, roucoulé-je. Ravi de vous rencontrer, collègues.

Je leur tends une main franche et massive.

— Gardez les bras levés ! enjoint brièvement celui qui n’est pas l’autre.

Son œil noir n’est pas cordial.

— Qu’est-ce qui nous vaut la joie de votre visite, messieurs ?

— On va vous le dire…

Il montre Béru ensanglanté, la Gravosse armée de sa manivelle :

— Vous vous battiez ?

— Absolument pas ! Nous répétions une pièce que nous devons interpréter au gala de la police, le 22 du mois prochain. Un chef-d’œuvre du répertoire intitulé « On ne donne pas de lait, mais on siffle », une œuvre inconnue de Jules Mauriac, qui fait suite à son drame lyrique intitulé « La Main au panier à salade, ou les Mémoires d’un policier végétarien », vous connaissez ?

Quand il vous fixe plus de trois secondes, ses yeux se rapprochent comme les deux trous d’un fusil.

Il jette son chapeau sur le siège le plus proche et prend une carte jaunasse et craquelée dans sa poche :

— Voilà, police ! dit-il, car il tient à justifier ses dires. A présent, allez vous placer face au mur, tous les trois. Vous vous appuyez des deux mains contre et vous reculez les jambes.

Je vais pour objecter, il me coupe d’un Pronto ! qui ferait passer le lion récalcitrant du cirque Amar à travers un trou de serrure en flammes.

Alors, on obéit.

— Reculez davantage les pieds !

Nous voici bientôt obligés de nous arc-bouter des mains et des bras pour ne pas s’aplatir la trime contre la cloison.

Le policier qui m’a montré sa carte s’installe alors à califourchon sur une chaise. Il a les bras posés sur le dossier. Le canon de son arme est toujours pointé vers nous. Son pote, par contre, rengaine sa seringue et se met à fouiller la chambre.

Il est rapide, précis, déterminé. On devine l’expert. Pour commencer il va tirer les valises vides des Bérurier de leur armoire et les jette sur le lit. Ensuite il les sonde adroitement : une main à l’intérieur, une autre à l’extérieur, bien parallèlement, étudiant l’épaisseur du faux cuir.

— Ça veut dire quoi donc ? murmure Béru, à peine remis de son coup de manivelle.

— Une astuce de notre copain de cette nuit pour nous filer des bâtons dans les roues, espère ! Il nous aura dénoncés aux poultocks d’ici !

— Mais dénoncé de quoi ?

Silencio ! aboie notre gardien.

On la ferme. A quoi bon énerver ces messieurs ?

Un long moment s’écoule. On ne perçoit que les mouvements rapides et feutrés du flic-farfouilleur. Soudain, comme il explore un sac de voyage made in Prisunic, il émet un « Tsst, tsst, tsst » vipérin.

Si ? lui jette son camarade.

Si ! fait l’autre en sortant un rasoir à manche de sa poche supérieure.

» Chliiiiiiic ».

— Mon sac, bande de vandaux ! glapit le Mastar.

Il amorce un geste pour abandonner sa fâcheuse position et se précipiter au secours de ses bagages en péril.

— Non, pas bouge ! crie notre coucheur-en-joue en braquant son inhalateur de poche dans le dossard de l’Eminent,

— Reste peinard, Gros, c’est pas de l’Hermès ! calmé-je.

De toute façon, une intervention serait désormais superflue, vu que le sac est éventré comme un lapin qu’on détripe.

Léger sifflet du raseur.

On se retourne tant bien que mal. Il sourit.

Replie son taille-crayon.

Le range.

Ses mains d’obstétricien se coulent dans la fente et en retirent un petit sac de toile aplati, de l’épaisseur d’une galette. D’un coup de dents, le poulet (si je puis dire) sectionne le gros fil ayant servi à coudre les bords du sac. Il enfonce à présent un doigt par l’ouverture, comme un toubib vérifiant que vous avez bien l’appendicite. Son index bordé de noir est à présent poudré de blanc. Il goûte, acquiesce.

— Je crois que c’est nous qui l’avons dans le sac, murmuré-je.

» Pour s’arracher à cette béchamel va falloir un canot gonflable, une solide paire de rames et la boussole des grands jours !